PELLARIN Charles, Esprit

Par Jean-Yves Guengant

Né le 4 frimaire an XIII (25 novembre 1804) à Jugon-les-Lacs, Côtes-du-Nord (Côtes d’Armor), mort le 13 décembre 1883 à Paris ; chirurgien de la marine de l’école de santé navale à Brest ; fouriériste.

Charles Pellarin fut l’un des premiers et des plus proches collaborateurs de Charles Fourier (1772 – 1837). Chirurgien de la marine de l’école de santé navale à Brest, il fut saint-Simonien puis fouriériste. Il collabora au journal la Réforme industrielle ou le Phalanstère. Premier biographe de Charles Fourier, (1839), il écrivit de nombreux ouvrages sur la doctrine phalanstérienne, collabora à La Démocratie pacifique et aux différentes revues fouriéristes. Médecin à Montrouge, il fut connu pour ses travaux sur le choléra.

Charles Pellarin naquit le 25 novembre 1804 à Jugon (actuelles Côtes d’Armor). Son père, Jean-Pierre Pellarin, était originaire de Savoie ; s’étant engagé dans les gardes suisses, affectés au palais des Tuileries, il subit l’assaut des fédérés et des sans-culottes parisiens le 10 août 1792 et réussit à s’en échapper. Envoyé combattre la Vendée insurgée, il fut fait prisonnier et échappa une nouvelle fois à la mort. Jean-Pierre Pellarin, brigadier à la gendarmerie de Jugon (Côtes-du-Nord), épousa Marie-Madeleine Rogon (1767-1805), fille de Charles Rogon de Kertenguy et de Charlotte-Angélique-Claude Bérart du Frost. La branche maternelle de Charles Pellarin était noble et possédait le manoir de La Noë-Hallée en Coëtmieux, près de Lamballe (actuelles Côtes-d’Armor). Nourri des idées des Lumières, Charles Rogon soutint la cause de la Révolution, devenant officier municipal. Capturé le 5 décembre 1799 dans son manoir par une bande de chouans, il fut pendu le lendemain après un simulacre de procès.
Charles Esprit était le seul descendant mâle des Rogon. Sa mère décéda le 5 juillet 1805. Son père se remaria rapidement, et sa belle-mère, Anne Blanchard, l’éleva. Le couple eut quatre enfants. La jeunesse de Charles se passa à Jugon, puis à Corlay, où son père était caserné, enfin à Saint-Alban, près de Pléneuf-Val-André, dans la ferme des Salles, que Charles avait héritée de sa mère.

Charles Pellarin eut toujours eu le sentiment qu’il ne sortirait pas de sa condition sociale : déjà au collège de Saint-Brieuc, il n’était qu’un « fils de gendarme » selon ses propres termes. En 1823, il vint à Brest à l’école de médecine navale pour y préparer le concours de chirurgien de marine. Sa famille lui avait procuré une éducation solide et tolérante. Pendant son séjour brestois des évènements graves opposèrent libéraux et ultra catholiques. En septembre 1826, la mission catholique tourna à l’affrontement. Il se découvrit « voltairien pour le moins », déiste et libre-penseur, à l’unisson du cercle d’élèves de l’école de santé de Brest, foyer anticlérical. Les jeunes hommes participaient à l’une des activités préférées des brestois, le charivari, un chahut monstre dont les têtes de turc étaient le clergé et les autorités maritimes, tout ce qui rappelait à une ville restée fédéraliste le pouvoir central. La ferveur napoléonienne de ses amis n’était pas partagée par Pellarin, républicain.

Il maintint au long de sa vie les liens tissés avec ses condisciples, une vingtaine d’étudiants de sa promotion. Un groupe d’amis aimant se réunir, faire de la musique, discuter, perméable aux idées carbonaristes et libérales qui agitaient Brest. Parmi ces amis, Émile Chevé et Guillaume Salaun-Penquer, (1800 - 1882) qui fit partie du premier groupe saint-simonien brestois, en 1831, maire républicain de la ville en 1871.

Reçu en 1828 au concours d’entrée dans le corps de santé, Charles Pellarin exerça sa formation à l’hôpital de Pontanézen, qui accueillait les soldats des troupes coloniales. Il participa à plusieurs missions sanitaires en Martinique et Guadeloupe, puis à l’évacuation des soldats de l’expédition d’Espagne en 1828. Après ces campagnes, il fut chargé des missions de quarantaine à Brest. En juillet 1830, il fut de l’expédition d’Alger.

Charles Pellarin observa l’effondrement du régime de Charles X sans aucune passion. Homme d’ordre et soldat, il resta indécis face à l’évènement. Initié à la franc-maçonnerie à Paris – sans doute dans la loge de son ami Charles Lucas – « Les Amis de la Vérité », il n’y trouva pas de réponses et abandonna rapidement cette institution. Cependant cet événement le rapprocha des cercles parisiens saint-simoniens, très présents dans les loges parisiennes. De retour à Brest, il contacta les saint-simoniens Édouard Charton et Rigaud, venus faire une conférence en septembre 1831. Six à sept adeptes furent recrutés, qui s’empressèrent de visiter Louis Rousseau à Tréflez. En avril 1832, Charles Pellarin devint membre de l’église saint-simonienne. Il rencontra chez Rousseau Edmond Talabot, prédicateur de l’église saint-simonienne, qui le convainquit de rejoindre la communauté de Ménilmontant.

Charles Pellarin donna la ferme héritée de sa mère à son père pour pourvoir à l’éducation de ses frères et de sa sœur, avant de rejoindre en 1832 les saint-simoniens à Paris. L’amour que porta Charles à sa belle-mère « chère et vénérée », son attachement à ses frères et sœur, ne se démentirent pas au fil du temps. L’héritage avait attiré l’attention des saint-simoniens. Louis Rousseau avait en mars 1832, prévenu Alexis Petit qu’il « se donnait à la doctrine, lui homme de cœur et sa petite fortune de 14 à 15.000 f. ». Talabot, missionnaire saint-simonien en visite chez Rousseau le persuada de verser l’argent disponible à la communauté parisienne des saint-simoniens ! Rousseau ne se pardonna pas d’avoir livré le jeune homme à leur convoitise.

Charles Pellarin démissionna alors de la Marine, vendit ses biens et en juin 1832 intégra la communauté de Ménilmontant. Le 10 août 1832 il rompit avec le saint-simonisme et leur chef, Prosper Enfantin. Il se retrouva sans le sou à Paris. Il rejoignit le groupe des phalanstériens constitués autour de Charles Fourier. Il y rencontra Jules Lechevallier, ancien saint-simonien lui-même, et Victor Considerant, rédacteurs du Phalanstère, l’hebdomadaire des fouriéristes. En janvier 1833, il était recruté comme secrétaire de la rédaction du Phalanstère, et logé sur place. Il resta le dernier collaborateur de Charles Fourier au journal.

Les premiers articles qu’il écrit dans La Réforme industrielle ou le Phalanstère, le journal de Charles Fourier, en septembre 1832, sont consacrés, l’un à l’agriculture de Basse-Bretagne, « exemple d’une industrie attrayante » (27 septembre 1832), l’autre à la « médecine dans l’ordre sociétaire » (27 décembre 1832). Il aborda « le sort des nègres » (12 juillet 1833) et s’opposa à l’esclavage qu’il avait vu dans ses voyages aux Antilles. Partisan de son abolition, il pensait qu’il était illusoire de libérer les esclaves si on ne changeait pas les fondements de l’économie esclavagiste.

Il avait déjà observé la misère des mendiants en Bretagne, la violence au bagne de Brest où il commença son apprentissage de chirurgien et il avait opéré sur le champ de bataille. Sa formation lui fit côtoyer tout de suite la souffrance humaine. Il comprit lors de la prise d’Alger que pour préserver la vie des blessés, il fallait les évacuer et opérer hors du champ de bataille. Il étudia les moyens d’enrayer les épidémies par l’hygiène et le confinement dans des hôpitaux dédiés. Il critiqua le nouvel hôpital maritime de Brest, « hôpital qui n’offrira aux convalescents, dans ses cours étroites pas un rayon de soleil en hiver, pas un arbre en été » (Le Phalanstère, 27 décembre 1832). Le futur phalanstère devra concevoir des espaces de soin et de convalescence bien conçus pour éviter les risques habituels liés aux maladies, à la promiscuité et à l’humidité et au froid.

« La rétribution du médecin, dans l’ordre sociétaire, sera en raison directe de la santé collective, et en raison inverse des maladies individuelles, de leur durée, de leur issue fâcheuse. Le médecin sera donc jusqu’à certain point responsable de la santé ; aussi aura-t-il à sa disposition tous les moyens particuliers de l’entretenir, indépendamment des conditions générales de salubrité qui seront telles pour tous, qu’elles n’existent nulle part, pas même chez les grands ». (27 septembre 1832)

À la fermeture du journal en 1834, Charles Pellarin fut recruté par Just Moiron, l’un des premiers partisans de Fourier, pour être le rédacteur de son journal L’Impartial de Besançon, une feuille périodique paraissant cinq fois par semaine. Cela permit à Charles Pellarin d’avoir un emploi jusqu’en 1839. La stabilité trouvée grâce à Just Moiron, fut utilisée pour écrire une biographie (la première) de Charles Fourier, « Note biographique sur Charles Fourier, suivie d’une exposition de la théorie sociétaire » parue en avril 1839. En 1843, il réédita sa biographie, en la complétant, sous le titre « Charles Fourier, sa vie et sa théorie », édition parue à la librairie de l’École sociétaire.
Il n’écrivit dans le journal La Phalange qu’ à partir de 1839, il fut actif dans le mouvement et dans la rédaction du journal ensuite. Il suivait l’actualité parlementaire pour le journal et faisait des comptes rendus d’ouvrages. Il était régulièrement présent à la célébration de la naissance de Fourier le 7 avril, rédigeant des discours sur la théorie phalanstérienne.

Il passa sa thèse de médecine en 1840, consacrée à l’étude de la myélite aiguë et chronique et commença à exercer. Il revint à Paris où le succès de son livre consacré à Fourier le plaça parmi les membres les plus en vue du mouvement sociétaire. Son livre fut régulièrement réédité. Il s’installa comme médecin à Montrouge. En août 1843, le journal du mouvement devint quotidien et prit le titre de Démocratie Pacifique.

En septembre 1846, il réunit dans un livre les discours prononcés dans différentes circonstances, présentant la doctrine phalanstérienne, et plaçant le mouvement dans la famille socialiste. Imprégné des principes d’un christianisme social, il expliquait la nécessité d’un « minimum » que seul le « droit au travail » pouvait apporter à chaque être humain et la notion de « justice redistributive ». Il portait des toasts aux « amis de l’équité sociale » et aux « défenseurs des classes opprimées ». Prônant la « lutte pour l’extinction de la misère et l’instauration du bonheur sur la terre par l’association », il appelait tous les réformateurs à s’unir et s’organiser (mars 1846), au triomphe d’un socialisme, installé sans violence. Le rôle d’exemple du phalanstère devait être déterminant pour amener, par cercles successifs, une adhésion générale à la doctrine.

En février 1848, il participa à une ambulance lors du soulèvement populaire, prêtant une assistance médicale aux manifestants, puis fut attaché comme médecin à la garde nationale. Il se présenta avec son ami Charles Harel aux élections législatives dans les Côtes-du-Nord (Côtes d’Armor), mais il échoua à la députation.

En 1849, il étudia un cas de propagation du choléra à Givet (Ardennes) et en fit lecture de la théorie selon laquelle la maladie était transmissible par les déjections humaines devant l’Académie des sciences le 10 décembre 1849. Il étudia la propagation du choléra à Brest, bénéficiant des travaux du docteur Marcellin Duval sur le choléra au bagne de Brest, travaux publiés ultérieurement (1853). Il fut récompensé deux fois par l’Académie de médecine pour les travaux qu’il mena sur ce sujet (Le Choléra ou typhus indien, épidémie de 1865, prophylaxie et traitement) et pour les campagnes de vaccination qu’il anima à Paris et dans sa banlieue après 1870.

Marié à Claire Adèle Lacoste, il eut un fils, Paul Constantin Henri, né le 7 octobre 1855 à Montrouge. Ils s’installèrent à Paris. Intéressé par les travaux de la société d’anthropologie de Paris, à laquelle il adhéra, il suivait les cours de la société et publia des contributions entre 1867 et 1872, sur les thèmes du progrès social et des civilisations. Il s’intéressait depuis ses études brestoises à la phrénologie. Il s’opposa aux thèses majoritaires sur la supériorité de la race blanche : « Quelque importance capitale qu’elle ait, la race ne décide donc pas seule de la condition sociale des populations ». Selon lui « il y aurait donc sujet de modérer un peu le zèle qui nous pousse à nous occuper des populations lointaines dans un but de propagande religieuse et d’ingérence sociale » (bulletin de la société d’anthropologie de Paris, 1867). Il fut fait chevalier de la Légion d’honneur le 12 août 1868.
Il participa à la rédaction du journal La Science sociale, qui se voulait le successeur des journaux fouriéristes, à partir de 1867. Le 8 avril 1870, devant 200 convives, Pellarin, « président quasi perpétuel du banquet du 7 avril » rappelait une fois de plus les principes de la théorie de Fourier, de plus en plus contestée par d’autres théories socialistes anticapitalistes. En opposition à l’idéologie fouriériste d’association du capital et du travail, les marxistes et les anarchistes pensaient que la révolution serait violente pour abattre le capitalisme.
Le 1er août 1870, il signa un éditorial consacré à la guerre franco-prussienne, considérée comme une guerre « dynastique », les démocrates ne pouvant que se lever contre le principe monarchique qui conduisait à la guerre. Pourtant il estimait qu’il fallait mieux le triomphe de la France, « essentiellement démocratique », face à une Prusse « encore tout imprégnée de l’esprit féodal » (La Science sociale, 1er août 1870).

Il collabora, sous la Commune de Paris, à La Nation souveraine, de même que Considerant.

La dernière décennie de militantisme de Pellarin fut consacrée à une défense des théories fouriéristes. En 1879, le banquet en l’honneur de Fourier, sous la présidence de Charles Pellarin, réunissait les chefs de l’École sociétaire dont Victor Considerant et Édouard de Pompéry. C’était pour Pellarin le moment de dresser un constat, qui était défavorable à l’École sociétaire : « Aucune de nos espérances ne s’est réalisée, il faut bien le reconnaitre » concluait Pellarin pour qui « l’ordre sociétaire restera à tout jamais une conception utopique ! Il n’aura été qu’un séduisant mirage ! […] Nous aurons rêvé l’humanité affranchie de la misère et de toutes les servitudes, l’humanité heureuse et riche et pleinement libre enfin par l’association et le travail attrayant ».

Charles Pellarin décéda le 13 décembre 1883 à Paris.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article174238, notice PELLARIN Charles, Esprit par Jean-Yves Guengant, version mise en ligne le 25 juin 2015, dernière modification le 11 avril 2020.

Par Jean-Yves Guengant

Œuvres de Charles Pellarin, et particulièrement Fourier, sa vie, son œuvre (1843) et Souvenirs anecdotiques (1868).

SOURCES : Jean-Yves Guengant, Pour un nouveau monde. Les utopistes bretons au XIXe siècle, Éditions Apogée, 2015 (Pellarin est " le fil conducteur en utopie" de ce livre). — Jean-Yves Guengant, « Charles Pellarin, l’enfance d’une passion, 1804-1833 », site Charles Fourier, association d’études fouriéristes, http://www.charlesfourier.fr/. — Journaux Le Phalanstère, La Phalange, La Démocratie Pacifique, La Science Sociale.

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