TIBERGHIEN Bernard

Par André Caudron

Né le 8 août 1912 à Tourcoing (Nord), mort le 7 juillet 1994 à Dunkerque (Nord) ; prêtre du diocèse de Lille, prêtre-ouvrier, docker.

Fils d’un important industriel de la laine, Bernard Tiberghien devint très tôt orphelin de père et de mère ; il était le neveu du célèbre théologien Pierre Tiberghien qui eut sur lui une grande influence, ainsi que la tante qui l’éleva dans son jeune âge. Il fit ses études au collège du Sacré-Cœur dans sa ville natale avant de gagner en 1930 le séminaire Saint-Sulpice et l’Institut catholique de Paris. Ordonné prêtre en juin 1936 à Notre-Dame de Paris, il rencontra plusieurs fois l’abbé Henri Godin, aumônier fédéral de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) de Paris-Nord, auteur de La France pays de mission ?

Il avait envisagé d’entrer chez les Petits frères du père de Foucauld, mais il préféra être nommé vicaire à la paroisse Saint-Benoît Labre de Lille deux ans plus tard. Il fut mobilisé en 1939 ; il était alors aumônier de la JOC et de la JOCF, se montrant très sensible à la souffrance des ouvrières du textile, « cette longue peine qui avait permis », disait-il, « la richesse de ma famille ».

Très proche d’Achille Liénart, évêque de Lille, par l’intermédiaire de son oncle Pierre Tiberghien qui avait joué un rôle déterminant dans sa vocation, Bernard Tiberghien devint le premier prêtre-ouvrier du diocèse de Lille. Il entra en janvier 1945, avec l’autorisation du cardinal lillois, à la Mission de Paris. Il travailla comme manœuvre pendant deux mois chez Renault, plus par curiosité que par volonté d’apporter un témoignage. « D’origine bourgeoise, j’ai senti presqu’immédiatement le besoin d’entrer à l’usine Renault comme manœuvre mais je dois dire qu’au départ, c’était dans mon esprit une question d’enquête pour découvrir un peu le mystère profond de l’usine. Je me suis arrêté au bout de deux mois et plus tard, j’ai repris avec un esprit tout à fait différent… en cherchant le plus vite possible, dès que la sympathie serait créée à me sentir prêtre, voulant essayer de faire le contact entre l’église et la classe ouvrière. » En septembre 1946, il fut embauché au Matériel téléphonique (LMT) à Boulogne-sur-Seine, puis chez Citroën, quai de Javel, l’année suivante. Cette fois, il s’agissait pour lui d’assurer « une présence d’Église dans une civilisation ouvrière » :

Il fit l’expérience d’une petite communauté ouvrière et chrétienne, comme la « Frater » qu’il avait fondée avec son ami Charles Pautet, prêtre-ouvrier de la Mission de Paris, à Boulogne-Billancourt. En 1948, pour raisons de santé, il rejoignit la région lilloise mais avec la volonté de poursuivre son apostolat en terre ouvrière. Embauché au tissage Warein-Droulers, il était l’un des six prêtres-ouvriers de son diocèse quand il fut licencié au simple motif d’avoir présenté sa candidature aux élections pour le comité d’entreprise dont l’usine était privée.

Il rejoignit Jacques Scrépel*, dominicain, prêtre-ouvrier, au 118 rue Jean-Bart à Hellemmes-Lille, à partir de janvier 1949. Il y resta un an et fut successivement ouvrier de filterie, de filature, de travaux publics, installé enfin comme ouvrier tisserand dans le quartier lillois de Wazemmes. En même temps, il assumait des responsabilités syndicales, non pas à la CFTC comme d’aucuns auraient pu s’y attendre, mais à la CGT, considérée comme l’expression la plus massive, la plus solide, de la classe ouvrière. C’est là que prit corps, avec Gérard Lannoy et Sévère Cox, la première équipe de prêtres-ouvriers diocésains, souhaitée par le cardinal Liénart. L’« autorisation de partir au boulot », donnée à Bernard Tiberghien, en faisant équipe avec Gérard Lannoy, date du printemps 1950. La demande de Sévère Cox ne vint qu’après, pendant le séjour de Gérard Lannoy à la Mission de France, séjour souhaité par l’intéressé et accueilli avec bienveillance par le cardinal.

Lorsque le travail en usine fut interdit aux prêtres en 1954, Bernard Tiberghien choisit l’obéissance et quitta son entreprise. Avec ses confrères et amis Sévère Cox et Gérard Lannoy, il signa en 1955 le « Grand rapport » destiné au cardinal Liénart qui expliquait leurs divers engagements dans le monde ouvrier. Les trois auteurs vivaient alors à Roubaix (Nord), dans la rue des Longues-Haies, popularisée par le romancier Maxence Van der Meersch.

Bernard Tiberghien fut alors envoyé à Dunkerque en 1955 par le cardinal Liénart avec les deux autres prêtres sur place, à la demande de l’ACO qui avait pour aumônier André Delepoulle. Après avoir participé à Rambouillet à une réunion de réflexion avec tous les prêtres qui avaient accepté, la mort dans l’âme, de quitter le travail, l’équipe des prêtres-ouvriers lillois se retira pour quelques semaines en Haute-Savoie, au Carmel du Reposoir. C’était l’occasion de faire le point en se ressourçant. Bernard Tiberghien, lui, plus que jamais, cherchait sa voie. Le cardinal Liénart, de son côté, se demandait comment arriver à faire entendre ses préoccupations à Rome.

Après un essai de travail à Saint-André-de-l’Eure (Eure) et à l’issue d’un stage de formation aux métiers du bâtiment à Malo-les-Bains (Nord), Bernard Tiberghien regagna Dunkerque où la « Mission ouvrière » comprenait alors deux prêtres travailleurs occasionnels, lui-même et l’autre étant Raymond Vandecasteele. Après consultation de la Mission ouvrière de Roubaix et sur proposition du cardinal, inquiet des répercussions de la décision romaine sur le monde ouvrier du Nord, Sévère Cox et Gérard Lannoy quittèrent Dunkerque pour une implantation roubaisienne. Après Lille, après Dunkerque, Roubaix devait être le nouveau lieu de témoignage des prêtres-ouvriers. Bernard Tiberghien commença à ce moment sa tâche de délégué des prêtres-ouvriers du Nord. Choisi par eux comme délégué national en 1958, il était parmi les cinq prêtres-ouvriers français désireux de faire reconnaître leur apostolat que Jean XXIII reçut à Rome deux ans plus tard. Telle fut sa tâche jusqu’en octobre 1960. C’est en 1964 qu’il entra au conseil diocésain de la Mission ouvrière. Docker sur le port, il poursuivait sa tâche dans la grande cité maritime où son nom était bien connu.

À la retraite, il choisit l’hébergement dans une résidence accessible aux plus humbles. Après sa mort, selon sa volonté, il fut inhumé dans une tombe tout ordinaire, semblable à celles de ses camarades de travail. Son cousin, Raphaël Tiberghien, fit partie de la Mission de la Mer à Dunkerque.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article174738, notice TIBERGHIEN Bernard par André Caudron, version mise en ligne le 22 juillet 2015, dernière modification le 27 mars 2016.

Par André Caudron

SOURCES : Charles Suaud, Nathalie Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve, 1944-1969, Karthala, 2004. — André Caudron, Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, T. IV, Lille-Flandres, Beauchesne, 1990. — « Bernard Tiberghien, fils de patron et prêtre-ouvrier », Chrétiens et ouvriers en France 1937-1970, Éditions de l’Atelier, 2001. — Raymond Vandecasteele et Jean Crépin, Bernard Tiberghien, prêtre docker, à compte d’auteur, 2001. — Notes de Gérard Lannoy.

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