Par Jean Puissant
Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 10 novembre 1861 − Genval (aujourd’hui commune de Rixensart, pr. Brabant wallon, arr. Nivelles), 23 mai 1935. Instituteur, journaliste, directeur du Peuple ; membre de la Ligue ouvrière de Bruxelles, dirigeant à la Jeune garde socialiste, dirigeant du Parti ouvrier belge, cofondateur de la Commission syndicale, conseiller communal de Saint-Gilles (Bruxelles).
Fils d’un fileur et d’une gantière de Ninove (pr. Flandre orientale, arr. Alost-Aalst), Auguste Dewinne, dont la langue maternelle est le flamand, est né à Bruxelles où, poussé par la misère (déclin du filage et tissage traditionnel à domicile), son père est devenu marbrier et sa mère couseuse de gants. La famille compte cinq enfants. Bon élève, A. Dewinne obtient une bourse de la commune pour poursuivre ses études à l’école normale. Il devient instituteur à Molenbeek (Bruxelles) et donne des cours du soir aux candidats électeurs capacitaires en 1884. Il fonde plus tard le syndicat des instituteurs à Bruxelles. Il poursuit ses carrières en français. Devenu francophone par ses études, parfait bilingue, il se considère toujours comme flamand, même si certains flamingants le dénoncent comme « fransquillon ».
« Car je suis flamand, mes chers amis wallons, et je ne renierai pas plus ma race que ma classe. J’ai travaillé au relèvement de l’une comme de l’autre… C’est pourquoi, je fais des vœux pour que notre parti ne connaisse jamais les dangereuses divisions de race et de langue » déclare-t-il lors de son jubilé professionnel en 1927.
Auguste Dewinne est attiré par la forte personnalité de Jean Volders. Dans son sillage, il adhère à la Ligue ouvrière de Bruxelles lors de sa création en 1884. Militant puis dirigeant de la Jeune garde socialiste (JGS) de Bruxelles dont il est secrétaire depuis sa création en 1887, il présente un rapport de la JGS au Congrès annuel du Parti ouvrier belge (POB) qui se tient à Louvain (Leuven, aujourd’hui pr. Brabant wallon, arr. Louvain) le 6 juillet 1890. Dewinne suit J. Volders à la boulangerie coopérative, La Maison du peuple, où ce dernier a été appelé à la rescousse en 1889. Lorsque Volders devient administrateur délégué le 5 décembre 1890, Auguste Dewinne entre au comité de direction. Il lui succède comme secrétaire, avec Romain Van Loo comme trésorier. Ils forment le trio dirigeant de la coopérative et la mènent à une rapide modernisation.
Pigiste au Peuple en 1889, collaborateur de L’Écho du Peuple (la doublure du Peuple) à la demande de César De Paepe* depuis 1891, Auguste Dewinne est appelé à la rédaction du « grand » Peuple en 1892. Il en devient directeur en 1918-1921 lorsque Joseph Wauters* devient ministre, puis rédacteur en chef de 1920 à 1931 lorsque ce même Wauters reprend la direction du journal. Comme journaliste, Dewinne devient rapidement une sorte de secrétaire de rédaction, plaque tournante du journal, attentif à la relecture des textes.
Lors de l’accession d’une partie de la rédaction à la Chambre des députés (Louis Bertrand, Gustave Defnet, Antoine Delporte), Dewinne devient l’un des piliers du journal, notamment journaliste parlementaire à l’origine de longs comptes rendus des débats édités dans Le Peuple, mettant en valeur le rôle des « vaillants » députés socialistes (1894). Particulièrement assidu, il est la proie de ses collègues de presse qui abandonnent leur poste lorsque les débats s’éternisent et reviennent ensuite piller ses feuillets appliqués pour s’informer.
Auguste Dewinne devient surtout un reporter social qui publie des séries devenues parfois des brochures dans la collection Germinal. Il décrit la première mairie socialiste de France à Roubaix (département du Nord, France) et son maire Henri Carette, la création des cantines scolaires dans ce laboratoire du « socialisme municipal », une campagne électorale de Jaurès dans le département du Tarn (France), les entreprises « La Vieille Montagne », « Cockerill », « le Val Saint-Lambert » dans la région liégeoise et leurs œuvres sociales ; son périple à travers les Flandres, œuvre plus connue dans sa version flamande, Door arme Vlaanderen….
Auguste Dewinne est donc un pilier du quotidien socialiste de 1894 à sa retraite. De 1900 à 1903, il est également secrétaire du Conseil général du POB ; il siège au Bureau du parti dès le 20 avril 1920 en tant que rédacteur en chef du journal. Il est un des fondateurs de la Commission syndicale du POB en 1898, délégué par le Conseil général.
Pendant la Première Guerre mondiale, Auguste Dewinne est au Havre (département de la Seine-Maritime, France) attaché au ministère de l’Intendance, aux côtés du ministre Émile Vandervelde* (1917-1918). Élu conseiller communal en 1903, il devient, après-guerre, de 1921 à sa mort, échevin des Affaires sociales de la commune de Saint-Gilles (Bruxelles). Il y crée les cantines scolaires.
Depuis 1890, Auguste Dewinne participe à divers congrès nationaux du POB, mais aussi internationaux, (Bruxelles en 1891, Londres en 1893), comme JGS d’abord, représentant de la presse socialiste ensuite. Parfaitement bilingue, personnalité « bougonne », discrète, rigoureuse, il contribue à apporter une stabilité administrative et rédactionnelle aux institutions socialistes auxquelles il collabore (parti, coopérative, presse). Il prend vigoureusement parti lors de diverses polémiques dans le domaine culturel, parfaitement commentées et analysées par Paul Aron (1997, voir Sources). En opposition avec Jules Destrée*, Edmond Picard*, voire Émile Vandervelde* notamment, actifs à « la section d’Art de la Maison du Peuple » de Bruxelles, Dewinne prend parti dans le débat « L’Art pour l’art, l’art social, l’art engagé ». Sans être favorable à un « réalisme socialiste », il plaide en faveur d’un art et d’une littérature utiles au mouvement ouvrier. Paul Aron ose l’expression du souhait de « relations organiques ». … « Que les poètes artistes chantent tout ce qui est beau et non seulement ce qui est triste…Qu’ils nous fassent le poème de la vie ! …L’art devrait nous la faire aimer et nous aider directement, dans la lutte grandiose que nous avons entreprise pour donner à la foule innombrable des prolétaires qui en est privée, sa part de joie et de bonheur » (Le Peuple, 20 janvier 1901 ; citations ARON, P., 1997, voir Sources). Dewinne reproche aux écrivains, souvent proches du milieu socialiste, leur pessimisme, leur fascination pour la décadence. … « La plupart des écrivains sortent de la bourgeoisie,… du monde du travail, ils ne connaissent guère que des prostituées et des alcooliques… » (Le Peuple, 25 décembre 1897). Il est choqué par le roman, Escal-Vigor, de Georges Eekhoud, pourtant très proche du POB, poursuivi en justice pour atteintes aux mœurs en 1900.
Auguste Dewinne a quatre frères ouvriers et socialistes comme lui. Beau-frère de Désiré Vandendorpe et de François Vandendorpe, directeur commercial du Peuple, il habite chaussée de Waterloo, à Saint-Gilles. Marié à la sœur d’Alphonse Octors* qui a été administrateur-délégué de la Maison du Peuple, il a deux fils, René et Hector, qui ont fait la guerre. Devenu aveugle, il décède de mort naturelle à Genval où il s’est retiré. La commune de Saint-Gilles lui organise des funérailles officielles.
« Pour le travail que j’ai accompli, le parti ne me doit rien, c’est moi qui lui doit tout. » (1927)
Par Jean Puissant
ŒUVRE :
Le Vooruit et ses détracteurs, Bruxelles, 1896 (version flamande, Gand, 1896) − Les grands magasins, Bruxelles, 1897 − Pastoor Daens en de conservatieve partij, Gent, 1898 − Les Anglais et la guerre des Boers dans l’Afrique australe, Bruxelles, 1900 − À travers les Flandres, Bruxelles, 1902 (préface d’Edouard Anseele), version en néerlandais sous le titre Door arme Vlaanderen (à travers les pauvres Flandres), Gent, 1903, illustré par M. Lefébure − De doden fabrieken der Kempen, Gent, 1912 (Les fabriques meurtrières de la Campine).
Collaboration au : Le Mouvement social, L’Avenir social, L’Effort, puis L’Effort socialiste de Saint-Gilles.
SOURCES : Institut Émile Vandervelde, Dossier d’Auguste Dewinne − Le Peuple, 24 et 25 mai 1935 − Auguste Dewinne, échevin. In memoriam, Saint-Gilles, 1935 − ARON P., La littérature prolétarienne en Belgique francophone depuis 1900, Bruxelles, 1995 − ARON P., Les écrivains belges et le socialisme (1880-1913. L’expérience de l’art social : d’Edmond Picard à Émile Verhaeren, 2e édition, Bruxelles, 1997 − Notice réalisée par Vinciane Colson, section Journalisme de l’Université libre de Bruxelles, 2002.