LAFAGETTE Raoul (LAFAGETTE D’ESPAIGNOL, RAOUL).

Par Michel Cordillot, Roger Roques

Né à Foix (Ariège) le 18 juin 1842 ; mort dans cette même ville le 23 avril 1913 ; marié et père de 4 enfants ; poète des Pyrénées et poète révolutionnaire ; sympathisant blanquiste à la fin du Second Empire, partisan de la Commune, puis radical-socialiste.

Auteur du cadastre de l’Ariège, le père de Raoul Lafagette, Jean Nicolas d’Espaignol Lafagette était un mathématicien et un philosophe frotté d’utopie sociale et fervent disciple de Fourier qui croyait en l’Harmonie universelle. Sa mère, plus artiste, descendait d’une vieille famille noble.

Élève indiscipliné et rêveur – encouragé en cela par son père, soucieux de le laisser affirmer pleinement sa personnalité –, Raoul Lafagette fit des études secondaires au collège de Foix et passa son baccalauréat ès-sciences en 1859. L’année suivante, il partit préparer le concours de Polytechnique à Paris, mais il compris rapidement qu’il n’était pas fait pour l’étude des mathématiques. Rappelé à Foix en 1862 par la mort de son frère aîné, il perdit son père quatre mois plus tard. Ces deuils affectèrent le moral de cet adolescent sensible et fragile, qui avait commencé à écrire des vers dès 1860.

En 1864, il envoya à Victor Hugo une ode intitulée « France et Pologne », qui lui valut en retour les félicitations de l’exilé : « Vos vers sont la révélation d’une âme fière et le cri d’un cœur généreux. » Monté à Paris vers 1866 pour s’y faire connaître comme poète, Lafagette put rencontrer George Sand et Théophile Gautier, et noua de nombreuses connaissances et amitiés dans les milieux littéraires proches de l’opposition à l’Empire, notamment avec Léon Cladel.

Quand il était à Paris, il habitait alors 7, rue Médicis (VIe arr.) ; le reste du temps, il était à Gaillac (Tarn), où résidaient sa mère et sa sœur Berthe.

Raoul Lafagette débuta comme publiciste à L’Émancipation de Toulouse, le grand journal d’opposition du Sud-Ouest, interdit au lendemain du coup d’État et qui paraissait à nouveau depuis le 14 juillet 1868. Lorsqu’il publia en 1869 les « vers régicides » de ses Chants d’un Montagnard avec deux lettres critiques de George Sand, il se disait « démocrate radical », favorable à « la Révolution en permanence ». Gustave Flourens ne s’y trompa pas, qui en fit un compte-rendu dans le numéro de septembre 1869 de La Démocratie de Chassin. Lafagette était surveillé par la police, qui avait constitué sur lui un dossier (« pas très important », selon un de ses amis qui y eut accès durant la Commune) du fait des nombreuses relations qu’il avait nouées dans les milieux blanquistes : parmi les correspondants dont les lettres ont été préservées figuraient en effet Edmond Mégy, Théophile Ferré, Gaillard fils, Émile Giffault (qui lui envoyait des brochures à diffuser à Gaillac) et Victor Pilhes. Leurs échanges nous apprennent en outre que Lafagette connaissait personnellement Blanqui, Raoul Rigault, Alphonse Humbert (du Père Duchêne), Caria, Édouard Moreau, Arthur Ranc ou encore Émile Villeneuve. Il avait également de nombreuses connaissances et contacts dans les milieux communards (Athur Arnould, Élisée Reclus…) ou radicaux, notamment avec Garibaldi – vraisemblablement par l’intermédiaire du poète pyrénéen Adolphe Pelleport –, Georges Clemenceau, Jules Michelet, Henri Rochefort ou Adolphe Garrigou.

Absent de Paris en juillet 1870, il y revint dès la proclamation de la République, collabora brièvement à La Patrie en danger et s’engagea dans la Garde nationale. Prêt à mourir, il avait formulé le souhait d’être inhumé dans un drapeau rouge. Aussitôt après l’armistice du 29 janvier 1871, il repartit pour Gaillac où il resta jusqu’à la chute de la Commune. Y vivant sous un nom d’emprunt, il fut tenu au courant des événements parisiens par son cousin Bouillon (qui dut s’exiler à Jersey après la Semaine sanglante) et son ami Émile Giffault, qui travaillait aux côtés de Rigault à la Préfecture de police.

Il semblerait – c’est du moins ce que sa correspondance laisse deviner – que Raoul Lafagette ait été partie prenante des tentatives de libérer Blanqui. Au lendemain du 18 mars, Eudes avait chargé Granger de ramener d’urgence à Paris le « Vieux », qui se reposait chez sa sœur dans le Lot, avec l’aide de Victor Pilhes (lui aussi en correspondance avec Lafagette). Or, Blanqui avait été arrêté le 17 mars et immédiatement transféré à la prison de Cahors. Après plusieurs vaines tentatives de le faire évader, Granger repartit à Paris chercher l’argent nécessaire pour corrompre un gardien, et c’est sans doute à ce moment-là que Lafagette prit le relais pour tenter de trouver un autre moyen de délivrer l’illustre prisonnier. Mais le 22 mai, ce dernier fut subitement transféré au fort du Taureau (dans la baie de Morlaix, Finistère), et la chute de la Commune quelques jours plus tard rendit vain tout nouvel effort.

Non sans un certain courage, Lafagette signa en juin 1871 une « Adresse aux citoyens » appelant les démocrates de Gaillac à verser leur écot à la souscription destinée à financer le cautionnement de 25 000 F nécessaire à Adolphe Royannez pour lancer La Voix du Peuple : « Hélas ! C’est toujours le privilège du capital. Un Villemesant [du Figaro] pourra toujours fienter à sa guise ; un républicain honnête, mais pauvre, devra se taire. Dure, révoltante nécessité qui fit pousser à l’illustre Lamennais ce soupir amer : Silence aux pauvres ! » Soulignons que dans ce journal, Royannez, socialiste d’inspiration proudhonienne, osa attaquer le gouvernement de Thiers et glorifier la Commune et le socialisme.

Moins féroce que ne pouvaient le laisser penser ses vers, Lafagette fut attaché à l’administration des Beaux Arts, et occupa pour finir la fonction de conservateur du Musée de l’Ariège.

Au cours des années suivantes, résidant alternativement à Paris – où il passait plusieurs mois par an, généralement en hiver – et Foix, Raoul Lafagette se concentra sur son œuvre littéraire. Il publia de nombreux recueils de poèmes, le plus souvent chez l’éditeur Lemerre, tout en échangeant une impressionnante correspondance avec d’autres écrivains (Hugo, Leconte de Lisle, Loti, Clovis Hugues…) et avec son ami intime Maurice Rollinat, rencontré en 1869. Il chanta surtout l’Ariège, le pays des montagnes sublimes, des bassins verdoyants, des forêts de chênes et de hêtres, des lacs profonds, le pays dur et riant à la fois, « où l’âpreté domine et où le sourire se fait prier ». Il échangea de nombreuses lettres avec son ami proche Léon Cladel, leur correspondance révélant à la fois leur connivence littéraire, mais aussi la proximité de leurs convictions politiques. C’est d’ailleurs ce dernier qui se chargea de transmettre à Benoît Malon en janvier 1882 le « Chant social » de Lafagette destiné à être inséré dans L’Intransigeant.

Raoul Lafagette participa également au mouvement de renaissance occitane des félibres, ainsi qu’en témoignent les lettres échangées avec Auguste Fourrès, Antonin Perbosc, Prosper Estieu, Alphonse Daudet et Frédéric Mistral ; mais il le fit tout en restant antifédéraliste et jacobin, dans la droite ligne de ses convictions blanquistes de jeunesse.

En 1882, il épousa Marie Raichon, originaire de Forbach, et ils eurent 4 enfants prénommés Aurore (morte peu après sa naissance), Roger, France (morte à l’âge de 6 ans) et Bernard.

Fidèle à ses valeurs, Raoul Lafagette ne renonça jamais complètement à s’engager politiquement. En septembre 1883, il fut tenté de lancer un journal avancé dans l’Ariège, mais il en fut dissuadé par Adophe Garrigou, qui lui narra les difficultés rencontrées en 1851 pour publier Le Travailleur à Toulouse. En mai 1898, Lafagette fut candidat à la députation contre Théophile Delcassé dans la circonscription de Foix sous l’étiquette radical-socialiste. Il fut battu sans démériter, obtenant 8 333 voix, contre 9 256 à son adversaire.

La fin de son existence fut assombrie par les disparitions prématurées de sa fille France en avril 1892 et celle de son épouse en juillet 1896. Peu avant sa mort, il résumait ainsi son existence : « Je n’ai jamais rien demandé à la République et elle ne m’a rien offert. D’habiles acrobates ont décroché des timbales d’or. Moi, simple idéaliste, je ne possède que l’or des étoiles. »

Son fils Roger (né le 8 juillet 1883 à Paris et décédé le 7 décembre 1959 à Foix) fut avocat à Foix, conseiller général président du conseil général en 1927-1928. Député de l’Ariège de 1919 à 1928, il siégea sur les bancs radicaux. Il fut ensuite conseiller à la cour d’appel de Toulouse.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article174916, notice LAFAGETTE Raoul (LAFAGETTE D'ESPAIGNOL, RAOUL). par Michel Cordillot, Roger Roques, version mise en ligne le 9 août 2015, dernière modification le 2 octobre 2022.

Par Michel Cordillot, Roger Roques

Œuvres : Le catalogue de la BNF mentionne une quinzaine de recueils de poésies parus entre 1869 et sa mort. Il publia également une brochure sur La Réforme électorale (Foix, impr. de Fra, 1910 , in-8, 16 p.).

Sources : Archives de la famille Lafagette et informations fournies par Mme Michèle Benbraier, arrière-petite-fille de Raoul Lafagette et auteure d’une maîtrise consacrée à son aïeul (Raoul Lafagette, Faculté de Lettre de Toulouse 1969). – Roger Roques, Catalogue de la vente des Archives Raoul Lafagette, poète des Pyrénées et poète révolutionnaire, Toulouse, 2012. – Pierre Saunier et Gérard Oberlé, Léon Cladel, 1835-1892. Livres, correspondances et manuscrits, catalogue de la librairie du Manoir de Pron, 1993.

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