SUGNY (MÉAUDRE DE) Jacques, Auguste, dit Loyola, dit Trémolin

Par Pierre Bonnaud

Né le 1er novembre1910 à Lyon (Rhône), mort le 24 janvier 1986 à Bobigny (Seine Saint-Denis) ; banquier, journaliste, homme de lettres ; militant communiste et résistant ; capitaine de la compagnie France-navigation ; chef de cabinet du préfet de la Loire, Lucien Monjauvis (1944-1945), chef de cabinet de François Billoux (1945-1947), secrétaire général de la mairie de Marseille (1947) ; journaliste à Midi Rouge, La Marseillaise, l’Humanité ; directeur administratif de l’Humanité et responsable du groupe de presse communiste (1947-1954) ; exclu du PCF en 1954.

Les parents de Jacques Méaudre de Sugny appartenaient à une vielle famille liée à l’aristocratie et à la bourgeoisie lyonnaise : les Méaudre avaient fourni des échevins à Lyon dès le XVème siècle. Jacques Méaudre de Sugny était le troisième enfant d’Henri Auguste, commissaire aux messageries maritimes à Marseille, et de Suzanne de Missolz, rentière. Il fut élevé avec ses sœurs ainées Andrée et Sabine et sa cadette Pernette au château de Trémolin, commune de Saint-Just-en-Chevalet (Loire). Une préceptrice assurait l’enseignement primaire des enfants. La famille, catholique pratiquante et politiquement conservatrice, possédait plusieurs domaines dans la Loire et dans le nord de l’Ardèche, à proximité d’Annonay.

En classe de sixième, Jacques Méaudre de Sugny fut placé en pension chez les Jésuites à Lyon (collège Mongré). En 1927, une tuberculose osseuse perturba ses études qu’il termina à Versailles (Seine-et-Oise, Yvelines) dans un nouvel établissement privé, les Eudistes de Saint-Jean-de Béthune. Sa sœur ainée, Andrée, épouse de Lambert, résidait dans la ville et veillait sur son frère au caractère indiscipliné et anticonformiste. En 1931 Jacques de Sugny fut exempté du service militaire en raison de ses problèmes de santé.

Un oncle influent lui permit de trouver un emploi dans le milieu de la banque, au Comptoir national d’escompte de Paris. Il travailla d’abord à Lyon comme attaché, puis à la suite du décès de son père en 1935, il se rapprocha de sa mère qui résidait dans le domaine familial d’Anty en Ardèche et prit la direction d’une agence à Annonay. Victime d’un grave accident de moto en 1937 ( il en garda pour le restant de sa vie une légère claudication), il fut soigné à Annonay puis à Marseille par le docteur communiste Robert Gauthier qui le sauva de l’amputation. Ce fut un tournant dans sa vie : il fut profondément marqué par les idées généreuses de ce médecin qui l’accueillit dans sa famille au mas de Bajolles (commune de Puyricard). Jacques de Sugny adhéra au Parti communiste. Il rencontra Andrée Roberton, fille de soyeux lyonnais et nièce du docteur Gauthier, pharmacienne, qui venait d’ouvrir un laboratoire à Marseille. Il l’épousa en décembre 1937. Le couple eut trois filles, mais seule Françoise, née en 1940, survécut.

Renonçant à sa carrière dans la Banque (il refusa un poste de direction à Macon), il demeura à Marseille, se mit au service du parti, devint « capitaine au long cours », selon les termes du Tribunal maritime de Toulon, en fait « commissaire de bord » (subrécargue) dans la compagnie France-Navigation qui venait d’être créée pour aider les Républicains espagnols. Il fut chargé de convoyer des armes et du matériel de guerre depuis les ports soviétiques de Mourmansk et Odessa jusqu’aux ports de la République espagnole. Selon Dominique Desanti, le PCF utilisa ses compétences financières aux cotés de Simon Posner dans les relations de la compagnie avec la Banque commerciale de l’Europe du Nord, liée à l’Union Soviétique et à la IIIème Internationale.

Après l’entrée en guerre et la dissolution du Parti communiste à l’automne 1939, Jacques de Sugny fut emprisonné à la prison Saint-Charles de Marseille, ainsi que la plupart des responsables et des membres des équipages de France-Navigation. Dans l’imbroglio des procès successifs de la compagnie, il retrouva la liberté. Selon sa fille Françoise, sa famille usa de ses relations auprès de l’amiral Muselier. Il fut convoqué comme témoin, avec quatorze autres membres du personnel navigant, au procès qui s’ouvrit devant le tribunal maritime de Toulon, le 27 août 1940. Seuls comparaissaient quatre responsables de France-Navigation qui furent relaxés alors que le régime de Vichy se mettait en place. Jusqu’en 1942, Jacques de Sugny demeura avec sa famille à Marseille où il travailla pour deux autres compagnies d’import-export.

En novembre 1942, après l’occupation de la zone sud par les troupes allemandes, il regagna l’Ardèche, séjourna avec sa famille jusqu’en mai 1943 au château d’Anty, auprès de sa mère, puis gagna la Loire et le domaine familial de Trémolin. Avait-il pas perdu ses liens avec le Parti communiste ? Avec son épouse, il participa à la Résistance locale et régionale. En mai 1944, à nouveau présent dans la région d’Annonay, il assistait à une réunion du Comité local de libération qui venait de se constituer. Sous le pseudonyme de Loyola, il en devint le président.

Le 6 juin 1944, il prit part activement à l’insurrection de la ville et fut « l’âme politique » de la « République d’Annonay ». Les résistants FFI (AS et FTP) avaient investi la ville alors que Pétain était en déplacement à Saint-Etienne à moins de quarante kilomètres. Dans la matinée du 6 juin, le CLL s’installa à l’hôtel de ville d’où la délégation municipale de Vichy s’était volatilisée. Jacques Méaudre de Sugny présida une délégation municipale provisoire rassemblant les différentes composantes de la résistance. Il entra en contact avec le commissaire de la République Yves Farge (Grégoire) dont il reçut les encouragements. Il envoya un télégramme à Vichy pour signifier sa déchéance à Pétain, le convoquant à comparaitre devant un tribunal … à Annonay. Huit commissions municipales furent créées pour prendre en charge la gestion de la ville. Un strict maintien de l’ordre fut observé. Les 6 et 13 juin, devant une foule estimée au moins à un millier de personnes, Jacques de Sugny appela à l’action, à l’union, au combat pour la libération du pays. Les 10 et 17 juin, il fit paraître La Gazette du comité de Libération nationale. Ce journal reprenait et transformait le titre de l’hebdomadaire vichyssois de Xavier Vallat, La Gazette d’Annonay. Le 15 juin, le journal d’Annonay, organe des FFI, parut dans des conditions similaires.

Jacques de Sugny fit preuve d’ audace. Le 9 juin, prévenu de l’arrivée d’une colonne de GMR chargé de restaurer l’ordre vichyste à Annonay, il se porta avec un petit détachement armé au devant d’elle dans le ravin des Barges, non loin de la ville. Il négocia avec son commandant, faisant valoir que la colonne était encerclée par les maquisards. Il obtint le retrait immédiat des troupes.

Mais le 19 juin 1944, Annonay fut, après une journée d’accrochages et de combats, évacuée par les forces de la Résistance et reprise par les forces allemandes et les GMR. La répression s’abattit sur la famille de Jacques de Sugny et ses proches : son épouse ainsi que l’institutrice qui veillait sur ses enfants furent arrêtées, internées à Montluc puis déportées à Ravensbrück (convoi du 11 août 1944). Jacques de Sugny put rallier la localité du Cheylard où siégeait le CDL de l’Ardèche. Le 22 juin, celui-ci le nomma « délégué à l’Intérieur » pour les problèmes de presse et de police. Il assura la rédaction d’un journal éphémère (L’Ardèche Libérée, un seul numéro). Le 13 juillet, replié à Saint-Agrève après la bataille du Cheylard, le CDL lui confia une nouvelle mission : assurer la liaison entre le CDL et l’état-major FFI qui venait de se constituer. Début août, intégré à l’état-major des FTP du commandant Ravel à Laviolle, il devint le principal rédacteur du journal L’Assaut et reçut le grade de lieutenant FFI.

Le 12 août 1944, la garnison allemande qui occupait Privas, sous la pression des forces de la Résistance, évacua le chef-lieu de l’Ardèche. Le préfet désigné par le commissaire de la République n’ayant pu joindre son poste, Jacques de Sugny fut proposé par le commissaire aux effectifs FTP Étienne Néron (dit Commandant Maxime), comme « chargé d’affaires préfectoral ». Le CDL présidé par Jean Beaussier confirma cette proposition. Le procès-verbal d’installation fut contresigné, outre Maxime, par le délégué militaire du CFLN d’Alger (le commandant Jean-Paul Vaucheret dit Vanel), par le chef d’Etat-major FFI, (le commandant René Calloud) et par le préfet déchu de Vichy, Mariacci.

Jacques de Sugny assuma la gestion du département dans des conditions périlleuses, procéda aux premières mesures d’épuration et s’appuya pour la gestion financière sur l’économiste gaulliste Jacques Rueff. Il accueillit le 31 août les premiers éléments de l’armée d’Afrique. Selon son témoignage, ses contacts avec les officiers de la Première armée furent contrastés : franchement désagréables avec le général Touzet du Vigier, plus cordiaux avec les généraux Diégo Brosset et de Montsabert. Le 5 septembre, Jacques de Sugny céda son poste à Robert Pissère, préfet désigné par le Commissaire de la république Yves Farge.

En raison de sa participation à la Résistance, Jacques de Sugny fut décoré à deux reprises : il fut cité à l’ordre de la division par le colonel Descour le 1er juin 1945, avec attribution de la Croix de guerre et étoile d’argent, et à l’ordre du corps d’armée le 1er octobre 1949 par le secrétaire d’Etat aux forces armées, Max Lejeune. La citation comportait l’attribution de la Croix de guerre avec étoile de vermeil.

En 1945, Jacques de Sugny retrouva son épouse, qui avait survécu à la déportation, mais leur fille cadette, née en 1943, décéda. Il poursuivit pendant trois années une carrière dans la haute administration de l’Etat, en lien avec son militantisme communiste. De l’automne 1944 à l’automne 1945, il devint chef de cabinet du préfet communiste de la Loire, Lucien Monjauvis. En novembre 1945, François Billoux l’appela auprès de lui pour prendre la tête de l’administration du ministère de l’Economie nationale, jusqu’au 26 janvier 1946, et le maintint comme chef de cabinet au ministère de la Reconstruction et de l’urbanisme, du 26 janvier 1946 au 22 janvier 1947. En janvier 1947, Jacques de Sugny fit un retour remarqué à Marseille comme secrétaire général de la mairie auprès du maire communiste Jean Cristofol. Il se heurta en effet à l’opposition violente de Gaston Defferre, des socialistes et du MRP, qui dénonçaient une nomination « illégale ». Il occupa ce poste jusqu’au 27 octobre 1947, date à laquelle la municipalité communiste sortante fut battue.

Il se consacra alors à la presse communiste, à la fois comme journaliste pour Midi Rouge, La Marseillaise ou l’Humanité et comme administrateur du groupe de presse du Parti communiste, après son retour à Paris. Directeur administratif de l’Humanité, il fut très actif à la Fédération nationale de la presse où selon Dominique Desanti on l’avait surnommé « le vicomte rouge » et « le don quichotte de la faucille et du marteau ». Il occupa ces fonctions jusqu’en 1954. En 1954, peu de temps après « l’affaire Marty », prenant prétexte de notes de frais trop élevées et de la chute des ventes de l’Humanité, la direction communiste le remercia. Sa remise en cause de « l’austérité et de la langue de bois du journal » furent une « audace encore moins pardonnable » selon Pierre Courtade. Il fut exclu du Parti communiste en juin 1954.

« C’est alors un homme brisé qui perd sa seconde famille » écrivit sa fille Françoise. Pour survivre, il devint courtier en assurances durant plusieurs années. Mais c’est avec ses talents de conteur et sa plume qu’il reconstruisit sa vie à partir de 1960, sans jamais renier ses engagements précédents. Sous le couvert d’un nouveau pseudonyme, celui de Jacques Trémolin, il entreprit d’écrire des ouvrages dans la collection L’Atlas des voyages (Editions Rencontre) et se consacra bientôt aux récits et contes animaliers dont il se fit une spécialité dans les colonnes du Petit écho de la Mode, d’ Images et Points de vue du Monde, du Parisien Libéré. Il reçut le soutien de ses amis dans le domaine de la presse, notamment celui de Paul-Marie de La Gorce et de Françoise Verny. « Jacques de Sugny est entré dans ma vie et par là dans celle de Touky (Jean-Toussaint Desanti) pour vingt-sept-ans et ne fut tranché de nous que par sa mort » nota Dominique Desanti dans son autobiographie. Le succès des rubriques de Jacques Trémolin – ses contes furent publiés chez Grasset et chez Hachette et en livre de poche ─ lui ouvrit les portes de la radio et de la télévision. Il participa aux émissions « L’oreille en coin », « le pop club » de José Artur, anima une chronique régulière dans « les après-midi de France-inter » de Noëlle Bréham, intervint dans l’émission de télévision « Les visiteurs du mercredi » de Marie-Odile Montchicourt et collabora avec Frédéric Rossif.

Atteint d’une leucémie, se sachant condamné, Jacques de Sugny se retira dans son château de Trémolin auprès de son épouse et de sa fille Françoise et rédigea sa propre nécrologie. Il avait conservé des liens avec ses camarades de la Résistance ardéchoise et à sa demande ses cendres furent répandues le 1er avril 1986 au col de l’Escrinet, non loin de Privas, où a été érigée une pierre de Volvic provenant du balcon du château de Trémolin, taillée et gravée en sa mémoire.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article174954, notice SUGNY (MÉAUDRE DE) Jacques, Auguste, dit Loyola, dit Trémolin par Pierre Bonnaud, version mise en ligne le 10 août 2015, dernière modification le 22 février 2021.

Par Pierre Bonnaud

ŒUVRE : articles dans L’Assaut (été 1944), Midi Rouge, La Marseillaise, l’Humanité. (après 1945) ; sous le pseudonyme Jacques Trémolin, articles animaliers parus dans Le Petit écho de la Mode, Images et Points de vue du Monde, Le Parisien Libéré (après 1959) ; dans la collection L’Atlas des voyages, Pays-Bas (1962), Belgique (1963) aux Editions Rencontre ; chez Grasset et chez Hachette, de 1977 à 1982, une dizaine de titres consacrés à des récits et contes animaliers, repris en CD par les éditions Radio-France dans Histoires d’animaux (Nos animaux familiers, La faune africaine).

SOURCES : Arch. Dép. Ardèche, 70J (Fonds du musée départemental de la Résistance). – Dictionnaire des préfets (sept.1870-mai 1982), Paris, Archives nationales, 1994. – Marie-Laure Auzias, Jacques Méaudre de Sugny, alias Loyola, alias Trémolin, DEA Université de Provence, Aix-en-Provence, Juin 2001 (dir. J-M Guillon) ─ Marie-Laure Auzias, notices du CD-Rom La Résistance en Ardèche, (coord. R. Galataud), AERI, Paris 2004. – Pierre Bonnaud, « La République d’Annonay, (6 juin-19 juin 1944), Cahier MATP n°122, 15 mai 2014. ─ Dominique Grisoni et Gilles Hertzog, Les Brigades de la mer, Paris, Grasset, 1979. – Louis-Frédéric Ducros, Montagnes ardéchoises dans la guerre, T.3, Valence, 1981. ─ Dominique Desanti, Ce que le siècle m’a dit, mémoires, Paris, Plon,1997. – Jacqueline Cristofol, Batailles pour Marseille, Paris, Flammarion, 1997. – La République du Var, 27 août 1940. – Le Monde, 21-22 août 1994. ─ Le Dauphiné libéré, 4 octobre 1994. ─ La tribune, 6 octobre 1994. ─ Envol, FOL de l’Ardèche, n°446 (article de Françoise de Sugny, « Trois noms, trois vies ») ; n°447 (témoignages « A propos de Loyola »). – Hommage de Noëlle Bréham (France-Inter, 1986). ─ Dossier de presse transmis par Françoise de Sugny. ─ Questionnaire d’enquête CNRS renseigné par Françoise de Sugny.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable