SAURET Gabriel, Augustin

Par Pierre Bonnaud

Né le 19 novembre 1914 et mort le 28 mai 1966 au Teil (Ardèche) ; ouvrier des chaux et ciments (contremaître) ; syndicaliste CGT et militant communiste ; secrétaire du comité de gestion ouvrière durant le séquestre de l’entreprise Lafarge de Viviers-Le Teil puis secrétaire du comité d’entreprise (1944-1954), secrétaire du comité central d’entreprise Lafarge (1947-1961) ; administrateur de la caisse de retraite complémentaire des ouvriers des chaux et ciments (CIRRIC) ; vice-président puis président de la CAF d’Aubenas ; trésorier de l’URSAFF de Privas ; secrétaire de l’UD-CGT de l’Ardèche ; conseiller municipal du Teil (1953-1965).

Gabriel Sauret ne connut jamais son père, Augustin, Louis Sauret, tombé au front le 26 mai 1915 dans la région d’Arras (Nord). Sa mère, Gabrielle, Virginie Soulier, ouvrière dans une entreprise textile, affichait des idées « très à gauche » selon son petit-fils, Marc. Elle se remaria avec un infirmier teillois, Jean Desvaux, et eut cinq autres enfants.

Gabriel Sauret fut élevé jusqu’à l’âge de sept ans par son grand-père paternel, Victor Sauret, exploitant forestier et marchand de bois, résidant dans le quartier de Mélas au Teil. Forte personnalité, attaché aux idées républicaines et laïques, Victor Sauret fut élu au conseil municipal de la ville dominé par les socialistes et les radicaux dans la période de l’entre-deux- guerres.

Bon élève à l’école primaire publique, titulaire d’une bourse, Gabriel Sauret fréquenta l’école primaire supérieure de Bourg-Saint-Andéol et obtint le Brevet élémentaire. Il entra dans la vie active comme agent municipal au Teil. Affecté d’abord à un poste d’employé de bureau au service social, où il gérait les dossiers de pension des mutilés de la Grande guerre, il devint ensuite surveillant des abattoirs municipaux, où il contrôlait l’état sanitaire des animaux envoyés à la réforme.

Le 8 juillet 1939, il épousa Solange Genthon, née le 16 janvier 1918 à Anneyron (Drôme). Son épouse était issue d’une famille d’agriculteurs marquée par le premier conflit mondial (le père était grand invalide de guerre). De cette union naquirent quatre enfants (Josiane, Marc, Yves, Guy).

Mobilisé en septembre 1939 dans le 9e régiment de cuirassiers à Lyon, Gabriel Sauret fut victime d’un accident : il reçut la ruade d’un cheval en pleine poitrine, ce qui lui valut, après sa convalescence, d’être muté dans un régiment de chars sur le front des Alpes. Démobilisé après l’armistice de juin 1940 à Voreppe (Isère), il ne retrouva pas son emploi à la mairie du Teil car la délégation de Vichy avait remplacé la municipalité élue et lui refusa un poste. En avril 1942, après avoir occupé plusieurs emplois précaires, il put se faire embaucher par l’entreprise de chaux et ciments Lafarge, deuxième employeur de la ville du Teil après la SNCF.

L’usine Lafarge de Viviers-Le Teil se trouvait alors dans une situation particulière (voir Jean Garnier). Après l’armistice de juin 1940, le siège social de la firme s’était replié en Ardèche, à Viviers, où il demeura jusqu‘en novembre 1942. Les comités sociaux de la Charte du travail avaient été mis en place et, tandis que la direction de l’entreprise prêtait une oreille complaisante au PPF, bien implanté au Teil, la seule organisation syndicale tolérée dans l’usine était la CFTC.

Gabriel Sauret travailla au service de la sacherie et devint contremaître. Dans l’hommage qu’il lui rendit en 1966, René Montérémal, ancien maire du Teil, rapporta : « La lutte contre l’occupant et la lutte pour l’amélioration du sort de ses camarades trouvaient Gabriel à la tête de responsabilités au moment du séquestre de l’usine Lafarge ».

De fait, le 19 septembre 1944, quelques jours après la libération de l’Ardèche, réunis en assemblée générale au sein de leur usine, les salariés de Lafarge se prononcèrent pour la mise sous séquestre de l’entreprise. Gabriel Sauret participa à la reconstitution de la section CGT, fut élu dans les commissions de salariés du séquestre et devint en 1945 secrétaire du comité d’entreprise. Il prit une part importante à la « gestion patriotique » de l’entreprise placée sous la direction de l’ingénieur-séquestre cégétiste Raphaël Evaldre .

Dans des conditions matérielles particulièrement difficiles, la production de ciment fut relancée et dès 1945 dépassait le niveau de 1938. Au printemps 1947, au terme d’une bataille sociale et juridique mouvementée, une décision du Conseil d’État mit fin au séquestre et restitua l’usine du Teil à ses actionnaires privés. Gabriel Sauret, « secrétaire du comité d’entreprise », pris part à la négociation du compromis obtenu par l’entremise du préfet de l’Ardèche avec le nouveau directeur général de la firme, Marcel Demonque.

Dans le texte de l’accord daté du 8 avril 1947, au bas duquel est apposée la signature de Sauret, il était notifié : « Les avantages de salaires, retraites, organisation sociale et syndicale dont a bénéficié le personnel du fait de l’administration séquestre restent acquis ». Ces avantages comportaient notamment la retraite à 60 ans, ainsi que des indemnités conséquentes de chauffage et de logement. Les ouvriers licenciés lors des grèves de 1937-1938 et réembauchés lors du séquestre se voyaient reconnaître leur ancienneté.

Les 27 et 28 avril 1947, Gabriel Sauret participa à la conférence nationale des comités d’entreprises organisée à Paris comme représentant de la Fédération nationale des travailleurs des industries du bâtiment, du bois, et parties similaires CGT. À l’automne 1947, il fut élu secrétaire du comité central d’entreprise par les délégués des différentes usines Lafarge, en remplacement de Raymond Cahut. Il le demeurera jusqu’en 1961. Dès la première réunion du CCE, le 15 octobre 1947, Sauret demanda l’extension des avantages acquis au Teil aux autres usines de la société Lafarge.

À cette charge essentielle au CCE, qui impliquait de nombreux déplacements et un travail d’accompagnement important sur tout le territoire français, s’ajoutèrent de multiples responsabilités et mandats à caractère social, auxquels Gabriel Sauret se consacra avec efficacité. Délégué par son syndicat pour négocier le renouvellement des conventions collectives, il devint en 1952 membre du Conseil d’administration de la caisse de retraite complémentaire (CIRRIC), puis en 1962, président de la Caisse d’allocations familiales d’Aubenas. Pour les services rendus à ce titre, le ministère du Travail lui décerna la croix de chevalier du mérite social. En 1963, il fut trésorier de l’URSSAF de Privas.

Dans l’usine du Teil, le retour au secteur privé après l’épisode du séquestre ne s’effectua pas sans problèmes pour la CGT. Peu de temps après la scission de FO, la confédération enregistra une baisse de son influence aux élections professionnelles. Le 3 novembre 1949, une réunion du conseil syndical et des délégués du personnel placée sous la présidence de Righetti mit en cause « la mauvaise orientation de la direction syndicale » et attribuait comme « origines de ces erreurs » l’héritage du « Comité de gestion Séquestre avec comme but essentiel la production ». Elle évoquait d’autre part des comportements « trop sectaires à l’égard de la CFTC et des non-syndiqués ». De fait, plusieurs contentieux opposèrent la CGT à la CFTC. La CGT reprochait au syndicat chrétien son opposition, orchestrée en sous-main, au séquestre. L’organisation de deux collèges distincts (ouvriers et encadrement) voulue par la CFTC pour le vote des délégués au CE constitua un point d’affrontement supplémentaire. Les comportements procéduriers de l’administration permirent en 1954 à la CFTC, minoritaire, de contrôler le CE local. Gabriel Sauret, secrétaire du CE du Teil depuis neuf ans, fut écarté de son poste ainsi que le trésorier du CE, Marcel Allix. Cette situation paradoxale prit fin en 1958 avec l’élection de trois délégués cégétistes sur cinq au nouveau CE.

Au sein de son organisation syndicale, à l’échelle locale et départementale, Gabriel Sauret fut membre du bureau de l’UL-CGT du Teil puis de celui de l’UD-CGT de l’Ardèche dont il devint l’un des secrétaires.

Sur le plan politique, il avait adhéré au PCF à la Libération et milita au comité de section du Teil. Il fut élu conseiller de la ville, de 1953 à 1965, dans la municipalité de René Montérémal et apporta sa participation aux commissions sociale, du travail municipal, du personnel.

Décédé à l’âge de 52 ans suite à une « longue et cruelle maladie », Gabriel Sauret reçut de multiples hommages qui dépassaient largement la sphère d’influence de ses amis et de ses camarades cégétistes ou communistes. Le président de Lafarge, Marcel Demonque, écrivit à sa veuve : « C’était un homme droit, loyal, rigoureux dans ses convictions (…) incapable de manquer à sa parole. Je considère que c’est une grande perte pour ses camarades et son syndicat. C’est aussi une perte pour nous qui l’avions connu et qui l’aimions. »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article174978, notice SAURET Gabriel, Augustin par Pierre Bonnaud, version mise en ligne le 11 août 2015, dernière modification le 11 août 2015.

Par Pierre Bonnaud

SOURCES : Arch. dép. Ardèche 72 w 615, 70J 20, (fonds du musée départemental de la Résistance en Ardèche). ─ Arch. UD CGT de l’Ardèche. ─ La Voix du Peuple de l’Ardèche (1944-1947). ─ Guillaume Dumas, Les entreprises placées sous séquestre administratif à Lyon à la Libération, mémoire de maitrise sous la direction de Laurent Douzou, Lyon II, 1998. ─ Archives familiales et renseignements apportés par Josiane et Marc Sauret.

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