Par Jean-Guillaume Lanuque
Née le 17 (5) avril 1882 à Romni (empire russe) ; morte le 23 janvier 1962 à Corbeil (Essonne) ; responsable du service des musées et monuments historiques dans la Russie bolchevique ; révolutionnaire russe, militante du Parti ouvrier social-démocrate de Russie, du Parti bolchevik puis Parti communiste (bolchevik) de Russie et Parti communiste (bolchevik) de l’URSS, membre de l’Opposition de gauche trotskyste, et enfin d’un courant communiste de gauche opposé à la IVe Internationale.
Natalia Sedova naquit en avril 1882 à Romni, petite ville d’Ukraine, une des composantes de la Russie impériale, dans une famille de petite-noblesse désargentée. Ses parents, Ivan Sedov, d’origine cosaque, et Olga Kolchevsky, d’origine polonaise, moururent coup sur coup alors qu’elle était âgée de huit ans. Son éducation fut alors principalement prise en charge par sa grand-mère, et semble avoir été influencée par l’engagement de plusieurs membres de sa famille parmi les narodnikis, ancêtres des socialistes-révolutionnaires russes. Natalia fut d’ailleurs renvoyée de l’institution pour jeunes filles nobles de Karkhov dans laquelle elle était scolarisée pour militantisme politique, et elle adhéra plus tard à un cercle d’étudiants sociaux-démocrates. Elle poursuivit malgré tout des études universitaires, d’abord à Moscou, puis en Suisse, à Genève, se spécialisant dans la botanique. C’est là qu’elle rejoignit les milieux de l’Iskra, avant de déménager à Paris, où elle fit la rencontre de Trotsky à l’automne 1902 ; elle l’initia d’ailleurs à l’art, qui fut toujours une de ses passions. Tous deux se marièrent peu de temps après. Dès lors, jusqu’à la mort de Trotsky en 1940, elle partagea sa vie et ses combats. Avec la révolution de 1905, Natalia retourna en Russie, d’abord à Kiev, puis à Saint-Pétersbourg, afin de prépare le retour clandestin de Trotsky. Le 1er mai, lors d’une réunion politique en forêt, elle fut arrêtée, emprisonnée puis déportée à Tver. Elle put finalement rejoindre Trotsky à Saint-Pétersbourg à la fin de l’année. Après l’arrestation de celui-ci, elle lui rendit fréquemment visite en prison, et accoucha de leur premier fils, Lev (Léon)*, en février 1906. Début 1907, tous trois fuirent en Finlande, avant de s’installer de façon plus durable dans la banlieue de Vienne de 1908 à 1914. C’est là qu’en 1908, justement, naquit leur second fils, Sergueï (Serge).
En mai 1915, Natalia et les enfants, qui avaient séjourné en Suisse après leur départ de Vienne, rejoignirent Trotsky*, déjà installé à Paris. Après l’expulsion de Trotsky vers l’Espagne, Natalia et les enfants partirent le retrouver à Barcelone en décembre 1916. Toute la famille embarqua alors pour les États-Unis, débarquant à New York en janvier 1917. En mars, ce fut le grand départ pour la Russie en révolution, le voyage étant interrompu quelques semaines à Halifax (Canada) : Trotsky y fut détenu dans un camp de concentration sur ordre de l’armée britannique, pendant que Natalia et les deux enfants vivaient à l’écart. Une fois en Russie, Natalia fut, comme son mari, emportée par le flux de la révolution. Durant ces mois d’activité fébrile, intense, Natalia travailla dans un syndicat de menuisiers-ébénistes dirigé par les bolcheviques. Léon* et Serge étaient souvent laissés à eux-mêmes ou pris en charge par des amis. La prise du pouvoir par les bolcheviques conduisit Natalia à occuper la charge de direction du service des musées et monuments historiques, relevant du commissariat du peuple à l’instruction cornaqué par Anatoli Lounatcharski. La protection du patrimoine artistique durant la guerre civile fut pour elle une tâche particulièrement complexe. Lorsque les bolcheviques décidèrent de déplacer la capitale à Moscou, en mars 1918, Natalia, Trotsky et les enfants logèrent au Kremlin. Ils le quittèrent en novembre 1927, à la suite de la manifestation de l’Opposition de gauche lors des célébrations du dixième anniversaire de la révolution.
A partir de ce moment, de façon encore plus marquée que par le passé, Natalia allait assurer bien des tâches d’intendance, et fut pour Trotsky un soutien constant et privilégié. En janvier 1928, Natalia, Trotsky et Léon* furent exilés à Alma-Ata, dans l’actuel Kazakhstan, puis expulsés d’URSS début 1929. Ils habitèrent alors en Turquie, dans l’île de Prinkipo. C’est là que Trotsky écrivit son autobiographie, Ma Vie, pour laquelle il mit à profit le journal tenu par Natalia ; là également que Natalia s’occupa de Sieva Volkov, son petit-fils par alliance, confié par Zina le temps de son traitement médical ; là enfin qu’ils perdirent, en février 1932, leur nationalité soviétique, ce qui fit d’eux des apatrides. A compter de juillet 1933, ils émigrèrent en France, à Saint-Palais, puis Barbizon et, plus brièvement, Domène, chez Laurent Beau. Leur expulsion de ce pays les conduisit ensuite en Norvège en juin 1935, puis au Mexique, dernière étape de leur exil, à compter de janvier 1937. En février 1938, Natalia et Trotsky* connurent cette épreuve suprême que fut l’annonce de la mort de Léon Sedov à Paris : ils restèrent cloitrés dans leur chambre une semaine durant. En mai 1940, lors de la première tentative d’assassinat de Trotsky, Natalia eut la présence d’esprit, en entendant les premières balles, de mettre Trotsky à l’abri hors de leur lit.
Après la mort de son mari, elle continua d’habiter au Mexique, dans la maison laissée pratiquement en l’état, en compagnie de Sieva Volkov ; ce dernier, qui devint père de quatre filles, logeait dans une autre aile de la résidence. Elle continua à entretenir des relations avec de nombreux militants, parmi lesquels Victor Serge*. L’ouvrage de ce dernier, Vie et mort de Léon Trotsky, achevé en 1946, est d’ailleurs principalement basé sur le témoignage de Natalia. Elle noua également des liens avec Benjamin Péret et Grandizo Munis, unis d’abord dans leur critique de la politique du SWP étatsunien, qu’ils caractérisaient comme étant en rupture avec le défaitisme révolutionnaire et l’internationalisme, puis de la ligne défendue par la IVe Internationale, jugée trop conciliante à l’égard du camp « impérialiste » et de la défense nationale. En juin 1947, Natalia cosigna avec Péret* et Munis* une « Lettre ouverte au Parti communiste internationaliste, section française de la Quatrième Internationale », ainsi qu’un texte intitulé « La Quatrième Internationale en danger », qui critiquait la préparation insuffisamment démocratique du IIe congrès mondial de l’organisation trotskyste. Dans la « Lettre ouverte… », ils appelaient à une « révolution idéologique indispensable à l’aboutissement de la révolution mondiale » dans la IVe Internationale, afin de prendre pleinement en considération le stalinisme en tant que force principale de la contre-révolution. Si, à l’issue de ce IIe congrès mondial, Munis* et le Groupe espagnol immigré rompirent avec la IVe Internationale, Natalia demeura encore à ses côtés.
Finalement, en mai 1951, elle écrivit une lettre publique de rupture au Comité exécutif de la IVe Internationale. Leurs désaccords portaient en particulier sur la caractérisation de l’État soviétique, auquel Natalia refusait désormais le qualificatif d’ouvrier, estimant que toute trace de la révolution socialiste originelle était désormais néantisée. De même, jugeant que le stalinisme ne remplissait qu’un rôle contre-révolutionnaire, Natalia ne considérait pas les pays d’Europe de l’est (y compris la Yougoslavie de Tito) comme des États ouvriers, même bureaucratiquement déformés. Enfin, suite logique de ces analyses, en lien avec la guerre de Corée alors en cours, Natalia refusait toute défense de l’État « ouvrier » soviétique, et tout ralliement au camp de la bureaucratie stalinienne en cas de Troisième Guerre mondiale. Avec les changements dû à la déstalinisation en URSS, Natalia écrivit à plusieurs reprises à la direction du PCUS afin d’obtenir la réhabilitation de Trotsky* et Léon Sedov*, la vérité sur le sort de son fils Serge (qui fut finalement exécuté en 1937, sans qu’elle ne le sut jamais) et sur les procès de Moscou ; elle ne reçut jamais de réponse.
De novembre 1954 à décembre 1955, Natalia fit un long séjour à Paris, où elle avait noué de solides liens d’amitié avec Marguerite Bonnet, qui devint d’ailleurs son exécutrice testamentaire. Au printemps 1957, elle fit un bref passage aux États-Unis, qui fut interrompu par le refus de Natalia de témoigner devant la commission des activités anti-américaines. En décembre 1960, elle revint à Paris, qu’elle aurait dû quitter pour le Mexique fin 1961. Sa santé connut toutefois à ce moment-là un affaiblissement marqué, qui conduisit à son décès chez le docteur Zakine, à Corbeil, le 23 janvier 1962. Son corps fut incinéré au colombarium du Père-Lachaise le 29 janvier 1962, et les cendres rapatriés au Mexique, où elles furent enterrés avec celles de Trotsky.
Par Jean-Guillaume Lanuque
SOURCES : brochure réalisée à l’occasion des obsèques de Natalia Sedova-Trotsky, Hommage à Natalia Sedova-Trotsky 1882-1962, Paris, Les Lettres nouvelles, 1962 – Pierre Broué, Trotsky, Paris, Fayard, 1988 – Grandizo Munis, De la guerre civile espagnole à la rupture avec la Quatrième Internationale (1936-1948), Paris, éditions Ni Patrie ni frontières, 2012.