BOUNOURE Vincent

Par Gilles Bounoure

Né le 20 avril 1928 à Strasbourg (Bas-Rhin), mort le 15 janvier 1996 à Paris ; poète, écrivain, ingénieur, expert en objets d’art primitif ; surréaliste, membre du groupe surréaliste de Paris.

Fils d’universitaires strasbourgeois (Jeanne et Louis Bounoure), Vincent Bounoure eut une enfance traversée d’influences contradictoires : ferveur catholique résultant des traumatismes de la Grande Guerre, conformisme bourgeois, mais aussi nostalgie de l’activisme anarchiste des ouvriers de Thiers, la « Ville noire », où sa famille avait des attaches, Vincent Bounoure conçut également le goût précoce de la poésie moderne, découverte en particulier grâce à son oncle Gabriel Bounoure, critique littéraire déjà réputé. Son adolescence, passée en Auvergne dans les conditions rigoureuses de l’Occupation, renforça sa propension à la contradiction et à la révolte. Ne se résignant qu’à moitié aux études scientifiques auxquelles le vouaient ses parents, il obtenait le baccalauréat aussi bien en philosophie qu’en mathématiques en 1946, écrivait, et suivait les cours des Beaux-Arts tout en préparant les concours des Grandes Écoles. À l’École des Mines de Nancy, où il entra finalement en 1948, il se signala en animant la revue des élèves de l’École, y introduisant des rubriques inédites, littérature, poésie, critique d’art, et des développements de critique sociale, dénonçant par exemple la condition ouvrière dans les mines ou les premières applications en entreprise des tests psychotechniques et de la psychologie behavioriste.
Animé du même désir de liberté que sa compagne Micheline, rencontrée à cette époque (qu’il épousa en 1953, et avec qui il eut un enfant, Gilles, né le 8 juillet 1954), il n’eut rien de plus pressé que de gagner Paris, fût-ce pour y connaître le chômage en refusant les emplois qu’on lui proposait dans l’industrie et la recherche militaires. Dès la fin de 1952, il avait noué avec Jean-Louis Bédouin*, membre déjà en vue du groupe surréaliste, des relations devenues de plus en plus amicales et qui ne se rompirent que trente ans plus tard. Bédouin lui faisait rapidement connaître les autres surréalistes parisiens, et surtout Benjamin Péret*, qu’il hébergeait, et qui ne pouvait manquer d’impressionner par sa culture et ses activités politiques d’inspiration trotskyste. Mais, comme la plupart des surréalistes français, dont les sympathies se partageaient entre un anarchisme et un trotskysme également en proie à de graves divisions, sa révolte ne trouvait d’expression appropriée dans aucune des organisations politiques de l’époque, dont la presse et les initiatives étaient néanmoins suivies avec la plus grande attention.
À partir de 1956, il participa de plus en plus étroitement aux publications et aux activités du groupe surréaliste de Paris, dominées sur le plan politique, jusqu’après la mort d’André Breton, par un antistalinisme virulent et le rejet de tout ce qu’emportait avec lui le gaullisme. Mais son rôle, soit anonymement, dans les discussions quotidiennes ou la rédaction des déclarations collectives, soit nommément, par leur signature et l’exposition aux poursuites judiciaires qui en découlèrent parfois (comme ce fut le cas avec le « Manifeste des 121 », en 1960, ou « l’explication » qu’il alla demander, en compagnie de Schuster* et de Mayoux*, à Georges Hugnet qui tentait de salir la mémoire de Péret en 1962), n’est pas séparable d’un mouvement qui lui donnait son sens, ni de la participation d’autres membres influents du groupe, qui étaient alors des amis très proches. Parmi les initiatives de cette époque à mettre à son seul crédit, il faut citer la mise sur pied des premiers volumes des Œuvres complètes de Benjamin Péret et l’établissement de relations régulières avec des groupes surréalistes étrangers, notamment au Brésil (exposition de 1967), en Tchécoslovaquie (exposition de 1968) et aux États-Unis.
Le désarroi provoqué par la mort de Breton lui sembla pouvoir être surmonté successivement par un regain d’activité créatrice sensible dans le groupe parisien (« L’événement surréaliste », L’Archibras n° 3, mars 1968, repris dans Moments du surréalisme), la mise au point d’un ambitieux programme de collaboration avec les surréalistes tchèques (« La plate-forme de Prague », publiée en avril 1968 et rédigée par Jean Schuster, Vincent Bounoure et Vratislav Effenberger) et la révolte étudiante de mai 1968, où il entendit se trouver toujours en première ligne, y compris dans la rue. À peine entrevus, ces espoirs immenses s’évanouissaient devant la marée gaulliste envahissant Paris en juin, les chars soviétiques investissant Prague en août, et les dissensions de plus en plus vives dans le groupe surréaliste parisien, avec lequel il prenait ses distances en février 1969, avant que Jean Schuster ne publie, dans Le Monde (4 octobre 1969), un article prétendant mettre fin à toute activité surréaliste, collective ou non.
Le principe du renoncement imposé par Schuster ne le révolta pas moins que les circonstances qui l’entouraient, et devant lesquelles ce renoncement semblait aussi valoir acte de soumission. Une amitié de plus en plus étroite le liait à Vratislav Effenberger (1923-1986), philosophe tchèque, venu au surréalisme grâce à Karel Teige et animateur à sa suite du groupe de Prague, que le retour en force de l’ordre stalinien venait de condamner à la plus stricte clandestinité, et que la dispersion du groupe parisien vouait à l’isolement. En novembre 1969, il adressait une enquête à une centaine d’amis français et étrangers en vue de rassembler ceux dont la détermination surréaliste restait inentamée, à l’instar des membres du groupe tchécoslovaque. Le nombre important de réponses positives le conduisit à mettre sur pied le Bulletin de Liaison surréaliste (BLS), dont les 10 numéros entre 1970 et 1976 (réédités par Savelli, 1977, avant-propos de M. Löwy), témoignent non seulement d’une activité à la fois restée collective et toujours portée à la création, mais aussi très sensible aux questions politiques. On peut citer entre autres le dialogue engagé avec Herbert Marcuse, la solidarité manifestée à l’American Indian Movement, des polémiques contre l’Humanité dont Rouge se fit l’écho en 1976...
Mais c’est par des interventions extérieures au BLS, à la diffusion trop restreinte, qu’il chercha surtout à aider ses amis tchécoslovaques, en participant entre autres à des publications et des manifestations du groupe Change, ou aux initiatives de soutien aux signataires de la « Charte 77 ». À la même époque, l’emprisonnement par les tortionnaires de la dictature argentine de Paulo Paranagua, ancien membre du groupe surréaliste de Paris et de Sao Paulo, que ses activités révolutionnaires avaient conduit à Buenos Aires, l’amenait à lancer avec les trotskystes français des appels en faveur de sa libération, puis, celle-ci obtenue, à poursuivre avec Michel Lequenne* et Michael Löwy des discussions étendues à tous les sujets de société abordés dans La Civilisation surréaliste, livre collectif paru en 1976, et dont il était le maître d’œuvre. Ces débats ont été publiés partiellement dans Critique communiste (n° 24, 1978) et les deux livraisons de Surréalisme (1977), revue publiée sous sa direction par les éditions Savelli. Il signa également dans Rouge (n° 418, 1977) une violente critique des mémoires récemment parus de Pierre Naville, Le Temps du surréel.
La perte de l’emploi qu’il avait occupé de 1954 à 1974 dans un bureau d’architecture industrielle, la maladie de son épouse, qui devait mourir en 1981, les dissensions avec Bédouin qui, à propos de la Fraction Armée Rouge allemande comme sur d’autres sujets d’actualité, lui semblait s’éloigner de l’esprit de révolte constitutif du surréalisme, le conduisirent à se concentrer sur l’étude des arts sauvages auxquels il avait déjà consacré livres et articles, et dont il continuait d’attendre des enseignements pour l’Humanité future. Dans son nouveau métier d’expert en ventes publiques, à partir de 1976, il poussa fort loin la provocation à l’encontre des amateurs venus acheter très cher « de simples bouts de bois », et ne marqua d’égards que pour la qualité des objets qu’il avait à décrire, dans un contexte de néocolonialisme et de spéculation financière qu’il ne cessait aussi de dénoncer. À partir des années quatre-vingt, la disparition de nombre d’amis surréalistes éminents (Jehan Mayoux, Joyce Mansour, Vratislav Effenberger, Robert Lebel entre autres) et de graves soucis de santé le retinrent d’assumer à nouveau le rôle d’animateur qui avait été le sien pendant près de deux décennies. Néanmoins il participa activement et avec constance aux travaux du groupe surréaliste qui s’était reconstitué à Paris au début des années quatre-vingt-dix, et à l’élaboration des déclarations collectives qui en émanèrent.
Pour qui ne l’a pas fréquenté, sa « position politique », indissociable de sa conception d’un surréalisme toujours en mouvement, pourrait difficilement être dégagée de ses engagements ponctuels, la plupart du temps discrets et parfois anonymes ; mais elle se dessine avec force dans l’ensemble de ses écrits en cours de publication. C’est d’un point de vue principalement politique que Michel Lequenne, dans Critique communiste (n° 159-160, automne 2000), et Aurélien Dauguet, dans Le Monde libertaire (29 novembre 2001), signalaient à leurs lecteurs respectifs l’intérêt de l’un de ses livres posthumes, Moments du Surréalisme.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article17518, notice BOUNOURE Vincent par Gilles Bounoure, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 2 octobre 2022.

Par Gilles Bounoure

ŒUVRE : Envers l’ombre, avec Jean Benoît, Éditions surréalistes, Paris, 1965 - La Peinture américaine, Rencontre, Lausanne, 1967. — Talismans, avec Jorge Camacho, Éditions surréalistes, Paris, 1967. — Vitriers, avec Jorge Camacho, Éditions surréalistes, Paris, 1972. — La Civilisation surréaliste (direction), Éditions Payot, Paris, 1976. — Maisons, avec Martin Stejskal, Éditions surréalistes, Paris, 1976 - Vision d’Océanie, Musée Dapper, Paris, 1992. — Moments du surréalisme, L’Harmattan, Paris, 1999. — Les Anneaux de Maldoror, L’Écart absolu, Paris, 1999. — Le Surréalisme et les arts sauvages, L’Harmattan, Paris, 2001.

SOURCES : Souvenirs de l’auteur. — Revues et documents surréalistes (1956-1995).

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