Par Paul Boulland
Né le 16 mars 1927 à Toulouse (Haute-Garonne), mort le 13 août 2016 à Amilly (Loiret) ; conducteur typographe puis ouvrier du Service électrique de la SNCF ; secrétaire (1949-1957), secrétaire général adjoint (1957-1961) puis secrétaire général (1961-1965) de la Fédération CGT des cheminots, membre de la commission administrative de la CGT (1961-1965), du bureau confédéral (1965-1982), secrétaire général de la CGT (1967-1982) puis membre de la commission exécutive (1982-1992), président de l’Institut CGT d’histoire sociale (1982), président honoraire à partir de 2002 ; membre du comité central du Parti communiste (1954-1994), membre du bureau politique du PCF (1956-1982) ; résistant ; déporté à Mauthausen.
Le père de Georges Séguy, André Séguy, était originaire d’une famille d’ouvriers viticoles de l’Ariège. Il fut lui-même ouvrier vigneron et prit part à la révolte du Languedoc en 1907. Mobilisé en septembre 1914, il servit jusqu’en 1919 et en retira de profondes convictions pacifistes et antimilitaristes. Entré à la Compagnie du Midi à Toulouse, il fut gréviste en 1920 et rejoignit le Parti communiste et la CGTU, devenant l’un des dirigeants des cheminots toulousains. Représentant des agents de train puis des retraités au sein du bureau de la Fédération CGT des cheminots après-guerre, André Séguy se montra toujours très attaché à la défense de l’unité. En novembre 1920, il avait épousé Gabrielle Moulouga, ouvrière d’origine bordelaise. Ils eurent deux filles, Alice, née en octobre 1921, et Denise, née en juin 1923 (voir Denise Foucard). Troisième enfant du couple, Georges Séguy grandit à Toulouse jusqu’en 1932, date à laquelle ses parents firent construire un pavillon en périphérie de la ville, dans une zone encore rurale. Pour compléter les revenus du foyer, Gabrielle Séguy y tint un petit commerce d’alimentation attenant à la maison familiale.
Au-delà du contexte politique, marqué par le Front populaire et la montée des fascismes en Europe, divers facteurs contribuèrent à la politisation de Georges Séguy, dès son enfance. Il fut tout d’abord au centre des désaccords de ses parents en matière de religion. Catholique pratiquante, Gabrielle Séguy, se heurtait à son mari qui refusait que son fils suive le catéchisme. Au contraire de ses sœurs aînées, Georges Séguy ne reçut pas d’éducation religieuse. À dix ans, sa mère lui promit une montre s’il effectuait sa communion mais il préféra le vélo offert par son père pour s’y soustraire. Plus tard, Gabrielle Séguy se détacha de la religion et elle adhéra au Parti communiste en 1950. La figure paternelle incarnait l’engagement syndical et politique, tout comme celle de Pierre Semard qui visitait régulièrement les Séguy et laissa une forte empreinte sur le jeune Georges. Au cours de sa scolarité, il fut également marqué par la personnalité de ses instituteurs Georges Fournial, militant communiste victime de la répression en 1934 ─ Georges Séguy évoque la mobilisation en faveur de Fournial comme sa « première grève » ─ et Prosper Roubiscoul, militant du SNI et socialiste. Avant 1939, il prit part aux activités des Pionniers.
Après avoir obtenu son certificat d’études primaires en 1939, Georges Séguy poursuivit durant deux ans au cours complémentaire de l’école Fabre. Mais le contexte de la guerre relativisa de plus en plus son investissement scolaire. Dès 1940, il prit part aux réunions clandestines des Jeunesses communistes, organisées sous le couvert des Amis de l’URSS, encore tolérés. L’exemple de son père, membre des organisations communistes clandestines, et de sa sœur Denise, qui aidait à la rédaction des tracts à destination des cheminots, alimentèrent son désir d’entrer lui-même dans l’action résistante. Volonté encore renforcée en mars 1942 par l’exécution de Pierre Semard, qui affecta profondément sa famille. Georges Séguy monta la garde lors d’actions de sabotage de voies ferrées mais Jean Bertrand, son responsable aux JC, le dissuada de rejoindre les FTP, en raison de son âge. Il choisit donc d’entamer un apprentissage et, par « un concours de circonstances et une relation familiale », il s’orienta vers le métier de conducteur typographe.
En novembre 1942, Georges Séguy intégra l’imprimerie d’Henri Lion, à Toulouse. Ce dernier, comme son frère Raoul Lion, avait mis son entreprise au service de la Résistance, parallèlement à ses activités officielles. La plupart des organisations résistantes avaient recours à lui pour l’impression de leurs journaux (Combat, Franc-Tireur, Libération) et pour la fabrication de faux papiers, à l’exception des organisations communistes qui jugeaient qu’Henri Lion manquait de discrétion et dérogeait ainsi aux règles de sécurité. Georges Séguy fut d’abord sollicité par son père pour l’édition de La Tribune des cheminots et de faux papiers. Rapidement, il devint agent de liaison et, en fonction des préventions des responsables communistes à l’égard d’Henri Lion, il assura seul le contact avec les organisations illégales de la CGT, du Front national, des FTPF et du Parti communiste. À ce titre, il fut en rapport régulier avec Maurice Mercier, membre du bureau confédéral de la CGT clandestine, Gaston Plissonnier et André Wurmser.
L’ensemble du personnel de l’imprimerie Lion fut arrêté par la Gestapo le 4 février 1944, sur dénonciation ─ en 1946, Georges Séguy témoigna au procès du traître, fusillé en avril 1946. Torturé, Henri Lion garda le silence sur le rôle de Georges Séguy, qu’il était seul à connaître. Dès lors, le jeune homme put arguer de son statut d’apprenti et de son âge pour minimiser son implication. S’il fut menacé et brutalisé, il n’eut pas à subir les tortures les plus violentes et ses liens avec l’appareil communiste restèrent ignorés. Emprisonné à la prison Saint-Michel jusqu’au 22 février, il fut envoyé au camp de Royallieu, à Compiègne, et finalement déporté le 21 mars 1944.
Arrivé au camp de Mauthausen le 26 mars 1944 (matricule 60581), il subit les coups des gardiens lors de son séjour au bloc de quarantaine et conserva toute sa vie les séquelles d’une lésion à la colonne vertébrale. Il fut affecté à la carrière de Wienergraben pour remplir et transporter les wagonnets. Rapidement entré en contact avec l’organisation clandestine du camp, d’abord par l’intermédiaire d’Octave Rabaté, il fut particulièrement protégé, en raison de sa jeunesse ─ il venait d’avoir dix-sept ans à son arrivée au camp. Fin octobre 1944, il fut atteint de pleurésie. Ses camarades parvinrent à cacher son état durant quelques jours, mais il dut finalement être transféré au quartier des malades (revier). Grâce à la solidarité des médecins et infirmiers, antifascistes italiens et espagnols, il put être soigné. En janvier 1945, il réintégra clandestinement son kommando. L’ayant fait passer pour un ouvrier métallurgiste, ses camarades avaient obtenu son affectation au nouvel atelier d’aviation où il participa à diverses manœuvres de sabotage. Il fut libéré le 28 avril 1945 par la Croix-Rouge, évacué vers la Suisse puis vers Annemasse et rentra à Toulouse le 5 mai 1945. Georges Séguy avait adhéré « verbalement » au Parti communiste à Mauthausen. Le jour même de son retour à Toulouse, il se mit à la disposition du parti et, dans ses questionnaires biographiques pour la commission des cadres, il donna cette date pour son adhésion au PCF. En tant qu’ancien déporté, Georges Séguy fut dispensé du service militaire. Il fut homologué FFI avec le grade d’aspirant.
Après un mois de repos, Georges Séguy dut renoncer au métier de typographe, incompatible avec les séquelles de sa pleurésie en raison de l’exposition au plomb. Grâce à André Wurmser, il travailla quelques mois dans l’administration du Patriote de Toulouse, au service des abonnements. Sur les conseils de Marcel Bergé, il passa un essai professionnel à la SNCF et fut affecté en avril 1946 au service électrique du dépôt de Toulouse (équipe de lignes, sous-station du Service matériel et traction de l’ancien réseau Midi). En 1942, Georges Séguy avait adhéré au Syndicat du Livre de Toulouse, organisation de la Charte du Travail, tout en contribuant à la CGT illégale. Il adhéra à la CGT en octobre 1945, mais son véritable apprentissage de la pratique syndicale s’effectua parmi les cheminots, aux côtés de Marcel Bergé. Dès son retour, Georges Séguy avait accédé à une grande notoriété dans sa ville natale. Il était en effet l’un des rares survivants de « l’affaire Lion », le plus jeune de surcroît, régulièrement présent à la tribune des meetings et des réunions publiques en tant qu’ancien déporté. Il fit donc l’objet de multiples sollicitations militantes mais, selon son témoignage, il privilégia le syndicalisme, plus conforme à sa sensibilité et à l’exemple paternel.
Peu après son entrée à la SNCF, Georges Séguy fut intégré au bureau de son syndicat, comme archiviste et responsable à la jeunesse. Arrêté durant une journée au cours des grèves de novembre-décembre 1947, il jugeait rétrospectivement avoir été gagné par leur atmosphère insurrectionnelle. Titularisé à la SNCF en 1948, il fut affecté à la station électrique de Longages (Haute-Garonne), poste quelque peu isolé qui compliquait son activité militante. Il entra au bureau du secteur fédéral de Toulouse et siégea parallèlement à la commission administrative de l’UD-CGT de Haute-Garonne, entre 1947 et 1949. Son activité se prolongeait sur le terrain politique, au bureau de la section communiste centre-gare à Toulouse en 1948, et au comité fédéral PCF de Haute-Garonne, dès février 1946. Toutefois cette intégration au parti restait pour l’essentiel liée à ses responsabilités syndicales.
La carrière de Georges Séguy connut une première accélération au printemps 1949, lorsqu’il fut sollicité pour entrer au secrétariat de la Fédération CGT des cheminots. Au congrès fédéral de juin 1949, Lucien Midol et Marc Dupuy furent remplacés par deux jeunes secrétaires fédéraux : Raymond Chauve, vingt-huit ans, et Georges Séguy, vingt-deux ans. Ce dernier fut alors muté à la gare de Tolbiac (Paris, XIIIe arr.) et vint s’établir en banlieue parisienne. Il venait d’épouser Cécile Sedeillan le 30 avril 1949 à Toulouse et leur premier enfant naquit en décembre suivant. Durant plusieurs années, le couple peina à trouver un logement, résidant à Paris puis dans diverses villes de banlieue, avant de s’établir à Montreuil. L’activité de Georges Séguy au sein du Parti communiste se limitait à sa cellule d’entreprise mais, en fonction de ses nouvelles responsabilités syndicales, il suivit l’école centrale du PCF, de mai à juillet 1950. Les logiques de représentation de la CGT et du PCF continuaient de valoriser son passé de jeune résistant déporté, facilitant d’autant son insertion auprès des cercles dirigeants. Ainsi, il fit partie de la délégation représentant la CGT à Moscou pour le 1er mai 1951, aux côtés de Lucien Jayat et Léon Mauvais, qui fut l’un de ses proches. Surtout, Georges Séguy s’acquitta parfaitement de ses nouvelles responsabilités au sein de la Fédération des cheminots. À la tribune du congrès fédéral de décembre 1953, Robert Hernio soulignait ainsi : « Il a tout l’avenir devant lui et, compte tenu de ses compétences et de son intelligence, nous pouvons avoir de grands espoirs en lui. » Au congrès suivant, en janvier 1956, Georges Séguy fut élu secrétaire général adjoint en charge des actifs et, cinq ans plus tard, il devint secrétaire général de la fédération, succédant alors à Robert Hernio, désigné secrétaire général de la FSM. Il intégra la commission administrative de la CGT, à l’occasion du XXXIIIe congrès (Ivry-sur-Seine, mai-juin 1961).
Durant cette période, Georges Séguy connut une promotion parallèle au sein du Parti communiste. Lors du XIIIe congrès du PCF (Ivry-sur-Seine, juin 1954), il fut élu membre suppléant du comité central. Titularisé au congrès suivant (Le Havre, juillet 1956), il entra aussitôt au bureau politique, comme suppléant. Rétrospectivement, cette ascension a pu laisser accroire qu’il était promis dès cette époque au poste de secrétaire général de la CGT. Si Georges Séguy fut le benjamin du comité central puis du bureau politique, d’autres connurent des promotions très précoces aux sommets du parti (Gaston Viens, Guy Ducoloné, plus tard René Piquet). Pour sa part, Georges Séguy fut toujours perçu avant tout comme un syndicaliste et appelé à ce titre au bureau politique. Durant ses premières années au comité central, il assura diverses tâches, notamment dans le suivi des fédérations, mais il en fut rapidement déchargé. Dans la seconde moitié des années 1950, il appartenait à un vivier relativement étroit de membres du CC choisis pour leur rôle dans le mouvement syndical et susceptibles, en fonction de leur âge, de constituer une nouvelle génération de dirigeants de la CGT (Jean Breteau, Marcel Caille, Oswald Calvetti, Georges Frischmann, Henri Krasucki, André Merlot et dans une moindre mesure Marius Colombini). Il se distingua par ses qualités militantes et bénéficiait d’une confiance politique et personnelle héritée de son action clandestine ou des liens tissés dans les camps, par exemple auprès de Gaston Plissonnier. S’il présida de nombreuses sessions du comité central entre 1956 et 1967, Georges Séguy ne fut pas capté par les tâches partisanes, à la différence d’autres syndicalistes du BP comme Georges Frischmann, responsable de la section économique du PCF, ou Henri Krasucki, responsable de la section des intellectuels. Au contraire, Georges Séguy continua de s’affirmer comme dirigeant syndical, à la tête d’une fédération puissante, tant par ses effectifs – deuxième derrière la Métallurgie – que par son assise dans la corporation – plus de 60% des suffrages aux élections professionnelles – mais relativement épargnée par les critiques politiques ou stratégiques qui touchaient régulièrement la métallurgie.
Georges Séguy indique dans ses souvenirs que Benoît Frachon posa la question de sa succession à la direction de la CGT dès l’automne 1963, avançant alors le nom d’Henri Krasucki et le sien, avant de privilégier rapidement cette seconde option. Georges Séguy devint membre titulaire du bureau politique du PCF en 1964 et intégra le bureau confédéral de la CGT à l’occasion du XXXVe congrès (Ivry-sur-Seine, mai 1965), dans la perspective explicite de succéder à Frachon. En novembre suivant, il laissa la direction de la Fédération des cheminots à Charles Massabieaux. Lors du XXXVIe congrès de la CGT (Nanterre, juin 1967), Georges Séguy fut élu secrétaire général de la CGT. Benoît Frachon restait toutefois associé au bureau confédéral, avec le titre inédit de président. De fait, ce dernier fut particulièrement présent lors du mouvement de mai-juin 1968, conduisant la délégation CGT aux négociations de Grenelle (25-27 mai 1968), avec le nouveau secrétaire général, André Bertheloot, René Buhl, Henri Krasucki et Jean-Louis Moynot. Pour autant, c’est bien Georges Séguy qui conduisit l’intervention de la CGT lors de l’essor du mouvement, Benoît Frachon étant en délégation au Japon durant la première quinzaine de mai. Selon son propre témoignage, Georges Séguy fut le principal artisan de l’ordre du jour des négociations, qui définissait quatre priorités : salaires et retraites ; conditions de travail ; ordonnances sur la Sécurité sociale de 1967 ; libertés syndicales. Le 27 mai, les discussions aboutirent à un premier relevé de décisions, présenté par Benoît Frachon et Georges Séguy aux salariés des usines Renault de Billancourt. Le secrétaire général affirma toujours qu’il était parfaitement conscient des limites des résultats obtenus et que l’objectif n’était nullement de mettre fin aux mobilisations. Jean-Louis Moynot témoigne également en ce sens, indiquant qu’au sortir de l’usine, Georges Séguy se montra « enthousiasmé par l’intelligence des réactions des ouvriers en grève » et par leur volonté de garder la conduite de l’action. Mais l’accélération des événements, entre débuts de la reprise en main gaulliste et poursuite des grèves, contribuèrent à donner l’image d’un désaveu par la base. Georges Séguy affirmait lui-même que le mouvement de mai-juin 1968 avait eu ses limites, d’abord avec le maintien des ordonnances Jeanneney sur la Sécurité sociale, mais aussi par l’absence de débouché politique.
Au cours des premières années de son mandat, Georges Séguy put s’appuyer sur la dynamique créée par le mouvement de mai-juin 1968, comme en témoigne la publication de son ouvrage Le Mai de la CGT, en 1972. Entre 1968 et 1972, la CGT connut une rapide croissance de ses effectifs, avec environ 300 000 nouvelles adhésions. Au différents niveaux de l’appareil, la direction confédérale encouragea un important mouvement des cadres syndicaux, par l’intégration d’une nouvelle génération militante, y compris les plus jeunes avec des initiatives comme la création du Centre confédéral de la jeunesse (CCJ), mais aussi par l’ouverture aux non-communistes et à certaines problématiques sociétales, telle que la condition des femmes. Surtout, Georges Séguy appuya pleinement la perspective unitaire développée par le Programme commun de gouvernement signé entre le PCF, le PS et les Radicaux. Ce contexte permit ainsi de préserver l’unité d’action conclue en 1966 avec la CFDT, par-delà les divergences qui avaient pu émerger depuis 1968, tout comme de renforcer les liens avec le syndicalisme enseignant.
Au sein du Parti communiste, se posa dès 1969 la question de la succession de Waldeck Rochet, malade. Dans un document établi en 1991, Gaston Plissonnier revint sur la consultation des membres du bureau politique, indiquant que seuls Georges Séguy et André Vieuguet* « ont hésité un peu, mais ont finalement admis » que la nomination de Georges Marchais était « une bonne solution ». D’autres sources évoquent les réticences d’un « pôle CGT » incluant également Benoît Frachon et Georges Frischmann. Le jeu des prises de positions individuelles et des rapports interpersonnels est cependant difficile à reconstituer a posteriori. Il reste que Georges Séguy ne s’opposa pas frontalement à l’avènement du nouveau secrétaire général, pas plus qu’il ne soutint ouvertement un autre candidat. Les divergences apparurent dans le contexte créé par la rupture du Programme commun en septembre 1977.
Les fissures de l’union de la gauche exacerbèrent les clivages au sein de la direction confédérale et plus largement de l’appareil cégétiste. En février 1978, Georges Séguy se vit ainsi reprocher ses appels en faveur du Parti communiste lors des élections législatives. Selon Georges Séguy, les rapports avec la FSM furent le premier sujet de discorde au sein du bureau confédéral. De fait, l’enjeu cristallisait à la fois la question des rapports aux pays socialistes et à l’URSS, mais aussi, plus largement, du rapport au politique et de l’indépendance syndicale. En tant que secrétaire général de la CGT, Georges Séguy fut membre du bureau de la FSM à partir de 1970. Sous son égide, la CGT exprima des critiques croissantes à l’encontre des syndicats d’Europe de l’Est, trop étroitement soumis aux impératifs diplomatiques de l’URSS. Cette prise de distance restait alors en phase avec les critiques développées par le PCF lui-même, depuis l’intervention en Tchécoslovaquie en 1968. En 1977, les exigences de la confédération françaises se firent plus pressantes, et l’année suivante, lors du IXe congrès de la FSM, Georges Séguy annonça que la CGT se retirait de l’exécutif de la fédération et ne prendrait pas part à la préparation du congrès suivant. Au contraire de la CGIL italienne, la CGT maintint toutefois son appartenance à la FSM, tout en entreprenant des démarches pour s’affilier à la Confédération européenne des syndicats (CES).
Jusqu’au LXe congrès de la CGT (Grenoble, 26 novembre-1er décembre 1978), Georges Séguy s’efforça de maintenir la perspective unitaire sur le terrain syndical. Ainsi, il avait proposé la constitution d’un Comité national d’action et défendu la proposition de Michel Warcholak en faveur de campagnes de syndicalisation communes avec la CFDT. Pour Ernest Deiss, Georges Séguy espérait encore que le mouvement syndical pourrait ainsi infléchir les positions du PCF et de la gauche. Mais cette ambition fut fragilisée par l’amorce du « recentrage » de la CFDT. Le XLe congrès fut placé sous les mots d’ordre de la démocratie et de l’indépendance syndicales. À la tribune, dans une forme d’autocritique, Georges Séguy indiqua que la CGT était restée par trop soumise aux attentes initiés par le Programme commun, manière de relancer une démarche revendicative autonome. Mais le congrès vit surtout émerger le clivage entre Georges Séguy et Henri Krasucki, ce dernier se voyant attribuer le rôle du porte-parole du PCF au sein de la direction confédérale.
Selon Christian Langeois, biographe d’Henri Krasucki, Georges Séguy manifesta sa lassitude dès le congrès de Grenoble, au cours duquel il aurait souhaité annoncer qu’il entamait son dernier mandat. Georges Séguy lui-même décrit son isolement croissant au cours de la période 1977-1982. De fait, en 1980-1981, les tensions continuèrent de s’accumuler au sein du bureau confédéral, débouchant sur une série de démissions (René Buhl et Jacqueline Lambert, puis Christiane Gilles et Jean-Louis Moynot). Mais Georges Séguy subit également les pressions ou les reproches des responsables communistes de la CGT. En septembre 1981, il annonça à Georges Marchais qu’il ne pouvait poursuivre dans ces conditions et sollicita Henri Krasucki dans la perspective d’un « mandat de transition » préparant la venue de Louis Viannet* au poste de secrétaire général. Arguant de son arrivée à l’âge de la retraite pour les cheminots, Georges Séguy annonça son départ lors du comité confédéral national d’octobre 1981, au cours duquel Henri Krasucki présenta un rapport particulièrement critique sur les orientations suivies depuis 1978. Georges Séguy a indiqué à diverses reprises qu’il aurait pu envisager d’effectuer un mandat supplémentaire, mais uniquement à la condition de pouvoir maintenir la ligne qu’il avait promue au congrès de Grenoble. Les critiques ou la défiance qu’il percevait parmi les communistes l’en dissuadèrent et lors du XLIe congrès de la CGT (Lille, juin 1982), Henri Krasucki fut élu secrétaire général.
Georges Séguy ne prit pas pour autant sa retraite militante. Il continua de siéger à la commission exécutive de la CGT, en tant que président de l’Institut d’histoire sociale, qu’il contribua alors à mettre en place avec l’aide de Marc Piolot. En 1992, il quitta la commission exécutive et fut désigné président d’honneur de l’IHS-CGT. Il resta très impliqué dans les réflexions sur l’histoire du syndicalisme, notamment lors du centième anniversaire de la confédération en 1995, ou par ses ouvrages. Dès 1982 et jusqu’aux années 1990, Georges Séguy se consacra également aux mobilisations et aux campagnes entourant « l’Appel des 100 » pour la paix, au sein d’un collectif qui réunissait des figures politiques et syndicales mais aussi des personnalités venues du monde scientifique ou culturel, dans un contexte de regain des tensions Est-Ouest. S’il avait quitté le bureau politique du PCF, Georges Séguy continua de siéger au comité central jusqu’en 1994. Au sein de celui-ci, il se prononça très nettement en faveur du retrait des communistes du gouvernement en 1984. En 1989, il accepta de figurer sur la liste du PCF aux élections européennes, la candidature d’un dirigeant syndical de premier plan visant notamment à faire pièce à la présence sur la liste socialiste d’André Sainjon, ancien secrétaire général de la Fédération de la Métallurgie. Retiré dans le Loiret, il fut, à la fin des années 1980, l’un des principaux animateurs des mobilisations locales contre la construction d’une autoroute dans la forêt d’Orléans.
En mars 2013, Georges Séguy participa au congrès de la CGT, qui marquait le départ de Bernard Thibault, lui aussi ancien dirigeant de la Fédération des cheminots. Il reçut l’hommage des délégués réunis à Toulouse, sa ville natale, et la mairie inaugura à cette occasion une esplanade Georges Séguy, située sur l’ile du Grand Ramier. En décembre 2014, face à la crise suscitée par la mise en cause du nouveau secrétaire général Thierry Le Paon, Georges Séguy publia dans l’Humanité une courte tribune invitant le comité confédéral national à « trouver la solution qui s’impose d’urgence », « dans l’esprit d’unité qui a toujours prévalu au sein de notre syndicalisme. »
Avec son épouse Cécile Sedeillan, décédée en mars 2015, Georges Séguy eut trois enfants. Sa fille Danielle travaille dans l’encadrement d’art, ses fils Claude et Michel sont respectivement photograveur et ingénieur EDF. Georges Séguy fut nommé officier de la Légion d’honneur en 1998.
Par Paul Boulland
ŒUVRE : Le Mai de la CGT, Paris, Julliard, 1972. ─ Lutter, Paris, Stock, 1975, (rééd. Paris, Le livre de poche, 1978). ─ 1er Mai, les 100 printemps, Messidor, 1989. ─ La Grève, L’Archipel, 1993. ─ Résister : de Mauthausen à Mai 68, L’Archipel, 2008.
SOURCES : Notice du dictionnaire Cheminots et militants par Michel Dreyfus. ─ Arch. Comité national du PCF. ─ Ouvrages de Georges Séguy cités ci-dessus. ─ Presse nationale. ─ Dominique Andolfatto, La CGT : organisation et audience, 1945-1995 (Documents), Grenoble, CERAT, 1996. — Michel Dreyfus, Histoire de la CGT. Cent ans de syndicalisme en France, Bruxelles, Éditions Complexe, 1995. ─ Philippe Robrieux, Histoire intérieure du Parti communiste (tome 4), Paris, Fayard, 1984. — Jacques Girault, Benoît Frachon, communiste et syndicaliste, Paris, Presses de la FNSP, 1989. — Christian Langeois, Henri Krasucki, Paris, Cherche Midi, 2012. ─ Jean-Louis Moynot, « Mai 68 au Bureau Confédéral », IHS-CGT. ─ G. Quenel, Étude sur l’entrée en double appartenance dans les direction du PCF et de la CFGT de 1981 à 2001. Entretiens avec les intéressés, janvier 2012. — Mathilde Regnaud-Nassar, Contribution à l’étude du processus décisionnel au PCF. Les notes de bureau de Maurice Thorez, 1947-1964, Thèse de doctorat d’histoire, Université Paris 1, 2013. — Christian Langeois, Georges Séguy. Syndicaliste du XXe siècle, Les Éditions de l’Atelier, 2018.