BARREAU Ezilda, Louise, Alexandrine

Par Dominique Tantin

Née le 14 avril 1893 à Azay-le-Brûlé (Deux-Sèvres), morte sous la torture le 1er juin 1944 à la prison de la Pierre Levée à Poitiers (Vienne) ; ouvrière ; résistante dans les Francs-tireurs et partisans français (FTPF).

Ezilda Barreau
Ezilda Barreau

Née dans le hameau de Cerzeau (commune d’Azay-le-Brûlé), Ezilda Barreau était la fille de Jacques Barreau, menuisier, et d’Éléonore Branger. Bien que bonne élève, titulaire du certificat d’études primaires à 12 ans, elle devint domestique de ferme. D’une liaison avec le fils du maître, elle donna naissance à un garçon, Eugène, le 14 février 1915. On imagine, dans le contexte de l’époque, les difficultés qu’eut à affronter Ezilda, chassée par son employeur, fraîchement accueillie par ses parents… Elle décida d’élever seule son enfant, refusant la main du père mobilisé qui survécut à la guerre, et indifférente aux prétendants qui se présentèrent. Après l’armistice, elle devint ouvrière dans une usine d’emballage près de Breloux-la-Crèche. Elle sacrifia tout à l’instruction de son fils qu’elle poussa à entrer à l’Ecole normale d’instituteurs de Parthenay où il fut reçu en 1933. À la sortie de l’école, celui-ci effectua deux années de service militaire puis il fut affecté à l’école d’Irleau, dans le Marais poitevin, avant d’être mobilisé en 1939.

Eugène Barreau adhéra au Parti communiste français (PCF) au début de la guerre. Démobilisé en août 1940, il retourna exercer son métier d’instituteur à Irleau. Il s’engagea dans la Résistance communiste, l’Organisation spéciale (OS) puis les Francs-Tireurs et Partisans français (FTPF), secondé à compter d’avril 1941 par sa mère qui le rejoignit à Irleau. Ezilda Barreau, qui n’a pas adhéré au PCF, participa néanmoins à la diffusion du matériel de propagande, au transport des armes ; elle assura la liaison entre le groupe du Marais et l’organisation des FTP ; elle hébergea des clandestins, notamment Henri Rol-Tanguy et le Docteur R. Allard, chef de mission des Forces françaises combattantes (FFC), adjoint au chef de réseau de la Sûreté belge "Zéro France".

Eugène Barreau était en liaison avec un important militant communiste, ancien des Brigades internationales, Georges Texereau, qui, avec l’aide de son épouse coiffeuse, se déguisait en femme pour échapper aux filatures, un subterfuge qui explique ses pseudonymes, "mademoiselle Louise" et "la Dame blanche". Le 23 février 1944 à 21h30, alors que les deux hommes traversaient la cour de l’école d’Irleau, ils furent la cible de rafales de mitraillette. Mortellement touché, Texereau eut le temps de crier à Barreau "Ils m’ont eu, sauve-toi". Texereau fut victime d’une opération montée par des résistants communistes du Marais, probablement à l’instigation de Carmen Migaud. René Froehly, le tireur, était accompagné, semble-t-il, de Jacques Jabouille, (l’organisateur du guet-apens) et de Camille Doré. Le corps de Texereau, jeté dans la Sèvre, fut repêché - déguisé en femme - le 25 mai 1944 à 300 mètres de la passerelle d’Irleau. Froehly, incriminé à la Libération, se justifia en invoquant un ordre de la direction régionale de la Résistance communiste décidée à éliminer un traître. Une thèse avalisée par les magistrats puisque Froehly bénéficia d’un non-lieu ainsi motivé : "L’homicide dont Froehly est l’auteur constitue un acte légitime comme ayant été accompli postérieurement au 16 juin 1940 dans le but de servir la cause de la libération de la France, dans les termes de l’art. premier de l’ordonnance du 6 juillet 1943, vu l’art. 327 du Code pénal." En fait, rien dans la conduite de Texereau ne justifiait les accusations portées contre lui. Selon l’historien Michel Chaumet, spécialiste de la Résistance dans les Deux-Sèvres, on ne peut exclure l’hypothèse d’une vengeance d’ordre personnel. Ajoutons que son esprit indépendant et son audace vestimentaire ne lui avaient pas attiré beaucoup de sympathie chez des militants courageux, certes, mais attachés à la discipline stalinienne et à une conduite moins transgressive.

Dès le 23 mai, la SAP porta des coups très durs au groupe du Marais après que la Feldkommandantur de Niort eut reçu une lettre anonyme dénonçant Eugène Barreau et d’autres résistants. "L’auteur de ces lettres - écrit Michel Chaumet - est Eva Cadet [...] ancienne camarade de classe de Carmen Migaud, dont les motivations, quelque peu obscures, sont, semble-t-il d’ordre personnel et sentimental." Pour ces dénonciations, elle fut condamnée par la Cour de Justice à vingt ans de travaux forcés le 19 mars 1945. L’arrestation de Marcel Forestier le 23 mai puis la découverte et l’identification du corps de Texereau le 25 mai précipitèrent l’arrestation de la plupart des autres membres du groupe du Marais et d’Ezilda Barreau.

Eugène Barreau désormais clandestin, sa mère regagna Cerzeau où elle fut arrêtée le 26 mai vers 17h30 par des policiers français de la Section des Affaires politiques (SAP) de Poitiers, dirigée par le commissaire Bernard Rousselet fusillé à la Libération. Une voisine, témoin des faits raconta : "Nous avons entendu arriver une voiture, ce qui n’était pas très courant à cette époque et comme nous cachions plusieurs réfractaires au STO, nous étions sur le qui-vive. Une traction Citroën noire s’est arrêtée au carrefour à une trentaine de mètres de nous. J’étais dans la cour de la ferme. Ezilda, amaigrie par les années de privations de la guerre, partait travailler dans les champs avec son tablier de vieille toile. Elle était devant le cimetière. Deux hommes vêtus de sombre et portant un chapeau, des Français, sont descendus rapidement du véhicule, le troisième est resté temporairement au volant... Les deux hommes ont empoigné Ezilda brutalement, l’ont bousculée et matraquée. De force, avec l’aide du troisième, ils l’ont projetée à l’intérieur de la traction qui, après un demi-tour très rapide, est repartie par la route d’où elle arrivait. Cela n’a duré que quelques instants."

Emmenée à la prison de la Pierre-Levée de Poitiers, Ezilda fut torturée sans relâche par les Allemands, mais ses bourreaux ne purent lui soutirer le moindre renseignement. Elle succomba le 1er juin vers midi. Ses tortionnaires tentèrent de maquiller leur crime en alléguant qu’Ezilda Barreau se serait suicidée, ainsi qu’en témoigne le procès-verbal de police établi le 1er juin 1944 à 17h, « Nous, Louis Nicol, commissaire de police de la ville de Poitiers, sur la demande des autorités allemandes et sur instructions de Monsieur le Préfet […] nous sommes rendus à la prison de la Pierre-Levée à Poitiers où nous avons assisté, 1°) à la mise en bière de la nommée Barreau Ezilda […] décédée à la prison ce jour à 11h45 (suicide par pendaison) […] 2°) à l’inhumation de cette personne qui a eu lieu aussitôt après la mise en bière au cimetière de la Pierre-Levée, secteur 13, 4e fosse derrière la concession 2383. »

L’épilogue de cette tragédie intervint le 4 juillet 1944, sur la butte de Biard près de Poitiers, lorsque les Allemands fusillèrent la majeure partie du Groupe du Marais, Camille et Michel Doré, Marcel Forestier, Raymond Giraudineau, Jacques Jabouille, Paul Mohimont, Léon Monéger et Marcel Pouponneau.

Le 18 mars 1949, le corps d’Ezilda Barreau fut transféré au cimetière des Sablières à Niort. La mention "Mort pour la France" lui fut accordée le 19 juillet 1949. Le 26 avril 1956, on lui délivra à titre posthume la carte d’Interné Résistant, et celle de Combattant volontaire de la Résistance le 10 septembre 1958. Par décret du 22 mars 1960, elle fut décorée de la Médaille militaire et de la Médaille de la Résistance. Une stèle commémorative à sa mémoire fut inaugurée le 8 mai 1997 au Cerzeau d’Azay-le-Brûlé puis un pupitre au carré militaire du cimetière des Sablières à Niort le 1er novembre 2014.

Après la guerre, son fils Eugène vécut 46 bis rue de Bel-Air au Perreux (Seine, Val-de-Marne).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article175561, notice BARREAU Ezilda, Louise, Alexandrine par Dominique Tantin, version mise en ligne le 21 septembre 2015, dernière modification le 16 décembre 2021.

Par Dominique Tantin

Ezilda Barreau
Ezilda Barreau

SOURCES : DAVCC, Caen. — Dossier de l’ONAC des Deux-Sèvres. — Michel Chaumet et Jean-Marie Pouplain, La Résistance en Deux-Sèvres, 1940-1944, La Crèche, Geste Éd., 2010. — Documents du Centre Régional Résistance et Liberté de Thouars (CRRL) et de la commune d’Azay-le-Brûlé, 1997-2004. — Archives dép. des Deux-Sèvres, 3U3, dossiers de procédures, 1945, liasse 9/13.

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