Creney-près-Troyes (Aube), Les Gambes, 22 février 1944 et 22 août 1944

Par Jean-Pierre Husson, Jocelyne Husson

Le monument des fusillés-exécutés de Creney-près-Troyes dans l’Aube se dresse à l’écart du bourg, au bout de l’Allée des martyrs, à proximité du Champ de tir, où les 22 février et 22 août 1944 cinquante-trois patriotes ont été fusillés après condamnation à mort ou exécutés sommairement.

Première cérémonie à Creney</br> 9 septembre 1944
Première cérémonie à Creney
9 septembre 1944
SOURCE : Mairie de Creney

La fusillade du 22 février 1944
Le 22 février 1944, en fin d’après-midi, quatre Francs-tireurs et partisans français (FTPF), appartenant au groupe Gabriel Péri, ont été fusillés sur le Champ de tir de Creney-près-Troyes (Aube), au lieu-dit « Les Gambes », attachés à quatre poteaux de bois, puis inhumés sur place : Fernand Millot arrêté le 1er octobre 1943 en gare de Chalon-sur-Saône (Saône et-Loire), Georges Furier, Albert Keyser et François Mothré arrêtés le 3 octobre 1943 à Saint-Parres-lès-Vaudes (Aube).
Ils avaient été condamnés à mort le 17 février 1944 par le tribunal militaire allemand FK 533 siégeant à Troyes, pour « avoir mis en lieu sûr des caisses en tôle remplies d’armes larguées par des avions anglais ».
Ils ont été transportés depuis la prison Hennequin de Troyes, assis sur leurs cercueils, jusqu’au Champ de tir de Creney, où le maire de la commune, Monsieur Dominez, avait reçu l’ordre des autorités allemandes de faire creuser quatre tombes.
Dans la nuit du 22 au 23 février, l’abbé Bonnard, aumônier de la prison de Troyes, est revenu sur les lieux avec quelques amis. Ils ont ouvert les tombes et en ont extrait les corps qu’ils ont rendus clandestinement à leurs familles
.

Les exécutions du 22 août 1944
Le 22 août 1944, la Gestapo de Rennes repliée à Troyes avec des miliciens bretons appartenant à la Formation Perrot, entreprit de vider la prison de la rue Hennequin où se trouvaient de nombreux FTPF-FFI faits prisonniers lors des attaques lancées par la Wehrmacht contre les maquis de l’Aube en juin-juillet 1944 avec l’appui de la Milice française. En fin d’après midi, quarante-neuf détenus furent emmenés à bord de camions jusqu’au Champ de tir de Creney, où ils furent exécutés à la mitraillette, puis achevés à coup de revolver dans la tête : Paul Aubert, René Bailly, Jean Barnier, Gilbert Bellet, André Ben Ahmed, Claude Boucher, Pierre Brost, Fernand Buffet, Jean Cantat, Robert Chauve, Marcel Chollier, André Chouard, Clovis Collot, Adrien Constans, René Cornélis, Jean Darce, Roger Denis, Pierre Gérard, Pierre Gobin, Marcel Gousserey, James Grados, Bernard Grimmer, Lucien Guichard, Marc Guignard, Jean Hugot, Louis Husson, Hubert Jeanson, Georges Klein, Jean Laloy, Fernand Lauret, Raymond Legendre, Roger Levert, Jean Lopez, Jean Madeleine, Jean Miet, Gilbert Morin, Alain Pellerin de Beauvais, Jean Pierrard, Hubert Prillieux, Marcel Roux, Julien Sisternas, Alphonse Souquet, René Souquet, Bernard Suinot, Roger Vachez, Louis Valli, Roland Vaudez, Gabriel Verry et Georges Vincent.

Les corps ont été abandonnés sur place dans trois tranchées peu profondes, sans être ensevelis. Le maire et le curé de Creney, Monsieur Dominez et Fernand Pierlot, ainsi que de nombreux habitants du village se sont rendus sur les lieux du massacre, pour tenter d’identifier les victimes afin de pouvoir rendre leurs corps à leurs familles.
Au cours des jours qui ont suivi, l’abbé Pierlot et quelques habitants de Creney, mal armés, ont fait la chasse aux soldats allemands qui, par groupes de trois ou quatre, battaient en retraite en empruntant la RN 60 qui traverse la commune de Creney. Ils ont fait prisonniers 86 militaires allemands, dont le général Von Schramm et son état-major, qu’ils ont livrés aux autorités américaines.

Le Bezen Perrot à Creney
Plusieurs membres de la « Formation Perrot », en breton Bezen Perrot, arrivés à Troyes le 15 août 1944 venant de Châlons-sur-Marne (Châlons-en-Champagne, Marne), ont participé au massacre du 22 août 1944 à Creney avant de battre en retraite vers Chaumont (Haute-Marne).
Cette formation armée avait pris le nom de Jean-Marie Perrot, curé de Scrignac (Finistère), autonomiste breton exécuté par la Résistance bretonne en 1943. Les membres de cette formation désignée par les Allemands sous le nom de Der bretonische Waffenverband der SS étaient des autonomistes bretons devenus des agents de la Gestapo, qui ont été intégrés au service de renseignement de la SS, le Sicherheitsdienst (SD) de Rennes, et qui portaient un uniforme SS vert de gris avec un calot à tête de mort.
Leur chef, Michel Chevillotte dit « Bleiz », originaire de Plougonvelin dans le Finistère, jeune étudiant catholique, membre actif du Parti national breton, s’était livré avant le massacre de Creney à de nombreuses exactions en Bretagne, rafles, arrestations, tortures et exécutions de résistants, incendies de fermes soupçonnées de ravitailler le maquis. Replié et disparu en Allemagne, il a été condamné à mort par contumace en 1945 par la Cour de justice d’Ille-et-Villaine.
Après la guerre, aucun membre de cette milice bretonne n’a été condamné pour sa participation au massacre de Creney. La plupart de ses membres, réfugiés soit en Allemagne où ils ont obtenu leur naturalisation soit en Irlande, ont échappé à l’épuration.

Le monument des fusillés-exécutés de Creney
Le dimanche 9 septembre 1944, au lendemain de la Libération, une première cérémonie a été organisée sur le terrain du Champ de tir où a eu lieu un service funèbre, au cours duquel Monseigneur Le Couëdic, évêque de Troyes, a appelé de ses vœux la construction sur ce site d’un mausolée.
Après la guerre, un comité d’érection du « monument aux martyrs de Creney » présidé par l’abbé Pierlot a été créé.

Érigé grâce à une souscription publique, le monument a été inauguré le 24 août 1946. Conçu et réalisé par l’architecte André Aubert et le sculpteur Albert Leclerc, il est constitué d’un piédestal de pierre surmonté d’une statue représentant un résistant abattu, les yeux fermés, la tête inclinée vers la gauche, à genoux, les poings liés et attachés dans le dos. Sur ce monument est gravée l’inscription : 

« Aux martyrs de Creney
À la mémoire des 4 patriotes fusillés le 22 février 1944 et des 49 jeunes gens massacrés le 22 août 1944 par les Allemands ». En bas du piédestal, deux bas-reliefs latéraux représentent des corps entremêlés gisant dans une fosse. Au pied du monument les noms des fusillés et exécutés sont gravés sur une plaque de bronze scellée dans la pierre :

- AUBERT Paul (membre de Libération-Nord au maquis des Grandes-Chapelles dans l’Aube, arrêté et incarcéré à la prison de Troyes).
- BAILLY René (FFI arrêté le 2 juillet 1944 après le couvre-feu à Brienne-le-Château, Aube).
- BARNIER Jean (FFI arrêté en mission le 6 juin 1944 à Vauchassis dans l’Aube, condamné à la déportation par le tribunal militaire allemand de Troyes).
- BELLET Gilbert (FFI fait prisonnier le 7 juin 1944 au cours de l’attaque allemande contre le maquis de Montaigu, Aube).
- BEN AHMED André (FTPF arrêté le 2 juillet 1944 à Saron dans la Marne après l’attaque allemande contre le maquis de Rigny-la-Nonneuse, Aube).
- BOUCHER Claude (membre du réseau SOE Abélard-Buckmaster Commando M, arrêté en mission le 8 juillet 1944).
- BROST Pierre (arrêté par la Milice le 20 juillet 1944 à Troyes, Aube).
- BUFFET Fernand (FTPF arrêté le 26 juin 1944 à Saint-Just Sauvage, Marne).
- CANTAT Jean (FFI arrêté à son domicile le 22 juin 1944 à Chesley, Aube).
- CHAUVE Robert (FFI arrêté le 2 juillet 1944 suite à l’attaque allemande contre le maquis de Rigny-la-Nonneuse, Aube).
- CHOILLIER Marcel (CHOLLIER Marcel, membre du réseau SOE Abélard-Buckmaster Commando M, arrêté le 9 juillet 1944 dans le secteur de Chaource, Aube) .
- CHOUARD André (FTPF fait prisonnier le 14 juin 1944 au cours de l’attaque allemande contre le maquis de Rigny-la-Nonneuse, Aube).
- COLLOT Clovis (chef du Groupe FTPF Stalingrad, arrêté à son domicile le 18 juin 1944, à Villemoyenne, Aube).
- CONSTANS Adrien (domicilié à Creney-près-Troyes, Aube).
- CORNÉLIS René (FTPF arrêté le 26 juin 1944 à Saint-Just-Sauvage, Marne).
- DARCE Jean (FTPF arrêté à son domicile le 21 juillet 1944 à Romilly-sur-Seine, Aube).
- DENIS Roger (membre du réseau SOE Abélard-Buckmaster Commando M, arrêté le 6 juillet 1944 dans le secteur de Nogent-sur-Aube, Aube).
- FURIER Georges (FTPF du groupe Gabriel Péri arrêté le 3 octobre 1943 à Saint-Parres-lès-Vaudes dans l’Aube et condamné à mort par le tribunal militaire allemand FK 533 de Troyes).
- GÉRARD Pierre (membre du réseau SOE Abélard-Buckmaster Commando M, arrêté le 2 juillet 1944 à Brienne-le-Château, Aube).
- GOBIN Pierre (FFI fait prisonnier le 7 juin 1944 au cours de l’attaque allemande contre le maquis de Montaigu, Aube).
- GOUSSEREY Marcel (FTPF blessé et fait prisonnier le 14 juin 1944 au cours de l’attaque allemande contre le maquis de Rigny-la-Nonneuse, Aube).
- GRADOS James (FFI au maquis des Grandes-Chapelles dans l’Aube, arrêté le 4 mai 1944).
- GRIMMER Bernard (FFI fait prisonnier le 14 juin 1944 au cours de l’attaque allemande contre le maquis de Rigny-le-Nonneuse, Aube).
- GUICHARD Lucien (FTPF France du maquis de Rigny-sur-Nonneuse arrêté le 1er juillet 1944 au domicile des parents de son camarade de maquis, Jean Pierrard, à Saint-Just-Sauvage, Marne).
- GUIGNARD Marc (FTPF du maquis de Rigny-sur-Nonneuse dans l’Aube, arrêté le 22 juin 1944 après l’attaque allemande contre ce maquis le 14 juin).
- HUGOT Jean (membre du réseau SOE Abélard-Buckmaster Commando M, arrêté le 3 juillet 1944).
- HUSSON Louis (FFI du maquis de Pel-et-Der dans l’Aube, fait prisonnier le 8 juillet 1944).
- JEANSON Hubert (FTPF du maquis de Rigny-la-Nonneuse dans l’Aube, arrêté à Troyes le 10 juillet 1944).
- KEYSER Albert (FTPF du groupe Gabriel Péri arrêté le 3 octobre 1943 à Saint-Parres-lès-Vaudes dans l’Aube et condamné à mort par le tribunal militaire allemand FK 533 de Troyes).
- KLEIN Georges (FFI arrêté le 7 juin 1944 au cours de l’attaque allemande contre le maquis de Montaigu, Aube).
- LALOY Jean (FTPF de Rigny-le-Nonneuse dans l’Aube, fait prisonnier le 14 juin 1944 au cours de l’attaque allemande contre ce maquis).
- LAURET Fernand (FFI fait prisonnier le 21 août 1944 à Saint-Julien-du Sault, Yonne).
- LEGENDRE Raymond (FTPF du maquis de Rigny-la-Nonneuse dans l’Aube, arrêté le 27 juin 1944 à Romilly-sur-Seine).
- LEVERT Roger (FFI au maquis des Boulins à Saint-Mards-en-Othe dans l’Aube, arrêté le 18 juin 1944 à Villy-en-Trodes).
- MADELEINE Jean (membre du réseau Cohors-Asturies, FFI au maquis de Montaigu, fait prisonnier le 7 juin 1944 sur la route de Laines-aux-Bois, Aube).
- MIET Jean (FFI arrêté à Troyes le 1er août 1944).
- MILLOT Fernand (FTPF du groupe Gabriel Péri arrêté le 1er octobre 1943 en gare de Chalon-sur-Saône et condamné à mort par le tribunal militaire allemand FK 533 de Troyes).
- MORIN Gilbert (FTPF au maquis d’Ervy-le-Châtel dans l’Aube, arrêté le 7 juin 1944 à Ervy-le-Châtel).
- MOTHRÉ François (FTPF du groupe Gabriel Péri arrêté le 3 octobre 1943 à Saint-Parres-lès-Vaudes dans l’Aube et condamné à mort par le tribunal militaire allemand FK 533 de Troyes).
- PELLERIN DE BEAUVAIS Alain (arrêté le 19 août 1944 à Toucy dans l’Yonne) alors qu’il tentait de rejoindre le maquis dans le secteur d’Auxerre).
- PIERRARD Jean (FTPF du maquis de Rigny-sur-Nonneuse dans l’Aube, arrêté le 1er juillet 1944 au domicile de ses parents à Saint-Just-Sauvage, Marne).
- PRILLIEUX Hubert (FTPF du maquis de Rigny-la-Nonneuse dans l’Aube, fait prisonnier le 14 juin 1944 au cours de l’attaque allemande contre ce maquis).
- ROUX Marcel (arrêté à son domicile le 30 avril 1944 à Arrelles, Aube).
- SISTERNAS Julien (arrêté à son domicile le 28 avril 1944 à Villemorien, Aube).
- SOUQUET Alphonse (responsable du groupe Libération-Nord du pays d’Othe, arrêté au cours d’une mission le 6 juin 1944 à Prugny, Aube).
- SOUQUET René (membre du groupe Libération-Nord du pays d’Othe, arrêté au cours d’une mission le 6 juin 1944 à Prugny, Aube).
- SUINOT Bernard (FFI engagé dans le groupe Libération-Nord du maquis des Grandes-Chapelles dans l’Aube, arrêté le 4 mai 1944).
- VACHEZ Roger (FFI engagé dans le maquis de Saint-Mards-en-Othe dans l’Aube, arrêté le 26 juin 1944 à Saint-Just-Sauvage, Marne).
- VALLI Louis (FTPF France du maquis de Rigny-la-Nonneuse dans l’Aube, fait prisonnier au cours de l’attaque de ce maquis le 14 juin 1944).
- VAUDEZ Roland (arrêté le 2 juillet 1944 à Saron, Marne).
- VERRY Gabriel (domicilié à Troyes).
- VINCENT Georges (FTPF du maquis de Rigny-la-Nonneuse dans l’Aube, fait prisonnier au cours de l’attaque de ce maquis le 14 juin 1944).
- LOPEZ Jean.

En 1985, les quatre poteaux d’exécution en bois utilisés le 22 février 1944 ont été remis au Musée de la Résistance de Mussy-sur-Seine où ils sont exposés.

Le 28 août 1994, à l’occasion du 50e anniversaire des exécutions de Creney, une stèle a été érigée à l’emplacement du Champ de tir qui porte l’inscription :

« À la mémoire
des 53 martyrs
victimes
de la Seconde Guerre mondiale
fusillés en ces lieux
en 1944 ».

Cinquante-trois arbres y ont été plantés, repérés par cinqante-trois petites plaques honorant la mémoire de chacun des cinquante-trois exécutés-fusillés de Creney.

Chaque année, le dernier dimanche d’août, une cérémonie du souvenir organisée par l’ANACR et la mairie de Creney se déroule au pied du monument.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article175753, notice Creney-près-Troyes (Aube), Les Gambes, 22 février 1944 et 22 août 1944 par Jean-Pierre Husson, Jocelyne Husson, version mise en ligne le 9 décembre 2015, dernière modification le 6 janvier 2022.

Par Jean-Pierre Husson, Jocelyne Husson

Première cérémonie à Creney</br> 9 septembre 1944
Première cérémonie à Creney
9 septembre 1944
SOURCE : Mairie de Creney
La plaque dédiée</br> à la mémotre d'Hubert Jeanson
La plaque dédiée
à la mémotre d’Hubert Jeanson
SOURCE : ADIR de l’Aube
La stèle érigée en 1994
La stèle érigée en 1994
SOURCE : Mairie de Creney
La liste des noms
La liste des noms
« Aux martyrs de Creney »
Le monument des fusillés-exécutés de Creney
Le monument des fusillés-exécutés de Creney
Un lieu de commémoration </br>29 août 2010
Un lieu de commémoration 
29 août 2010
SOURCE : Mairie de Creney

SOURCES : Arch. mun. Creney-près-Troyes. – Arch. ADIRP-10. – Roger Bruge,1944 le temps des massacres. Les crimes de la Gestapo et de la 51e Brigade SS, Éditions Albin Michel, 1994. – Kristian Hamon, Le Bezen Perrot - 1944 : des nationalistes bretons sous l’uniforme allemand, Yoran Embanner, 2005. – Françoise Morvan, Miliciens contre maquisards, Documents-Histoire, éditions Ouest-France, 2010. – La Résistance dans l’Aube, cédérom, AERI-Département de la Fondation de la Résistance et CRDP de Champagne-Ardenne, Reims, 2010 . – Jean-Pierre Husson, " Le monument aux martyrs de Creney-près-Troyes ", dossier en ligne sur le site « Histoire et mémoires » du CRDP-Académie de Reims, 2000-2016. – Jean-Pierre et Jocelyne Husson, La Résistance dans la Marne, dvd-rom, AERI-Département de la Fondation de la Résistance et CRDP de Champagne-Ardenne, Reims, 2013. – Daniel Jourdain et Claude Macé, La Résistance dans l’ouest aubois, ANACR, FNDIRP de Romilly, collectif Romilly 39-45 « l’impossible oubli », 2018.

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