LAST Suzanne

Par André Balent

Née le 1er mars 1900 à Fălticeni (Roumanie), exécutée sommairement le 19 août 1944 à Roullens (Aude) ; infirmière ; résistante.

Suzanne Last naquit dans le nord de la Roumanie (frontières actuelles depuis 1947), dans une petite ville de Moldavie, Fălticeni. Si les informations la concernant, y compris des lettres signées par sa fille Monique Salzmann, la présentent comme "juive" ou "israélite", son acte de naissance (traduit en français par le consulat de Roumanie à Béziers le 8 novembre 1939) indique qu’elle était de religion catholique romaine. Son père Joseph Last, âgé de trente-et-un ans était alors commerçant à Fălticeni. Sa mère, Maria David, était âgée de vingt ans en 1900. En 1937, son père était banquier à Bucarest.

Suzanne Last quitta la Roumanie au début des années 1920. Installée à Paris, elle habitait 27, rue Kléber dans le IVe arrondissement. Elle se maria le 15 mars 1928 à la mairie du IVe arrondissement avec Charles Michelsohn, né lui aussi à Fălticeni le 29 octobre 1930. L’acte de mariage indique que, domicilié 1, rue du Plâtre, il était "industriel". Une fille, Monique (âgée de dix-huit ans en 1947), naquit de cette union. Les deux époux divorcèrent. Le jugement de divorce fut prononcé le 15 mai 1937 par le tribunal civil de la Seine.

Infirmière, Suzanne reprit, après son divorce son nom de jeune fille. Son ex-mari semble avoir eu la garde de leur fille puisque celle-ci, d’après un document déposé aux archives départementales de l’Hérault était en "Amérique" (les Etats-Unis ?), sans doute avec son père. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Charles Michelsohn et sa fille revinrent à Paris. Pour sa part, Suzanne Last a dû s’installer à Béziers (Hérault) peu après son divorce puisque elle sollicita une traduction de son acte de naissance roumain auprès du consulat de Roumanie de cette ville. En 1944, elle était logée à Béziers chez madame Hayart, passage Galabrun ou 34, rue de la République, selon les sources. Après son arrestation, Mme Hayart déclara à Georges Fontès — maire de Béziers (1983-1989) et secrétaire d’État aux Anciens combattants et victimes de guerre (1986-1988), conseiller général de l’Hérault — qu’elle avait "beaucoup d’estime" pour Suzane Last. Elle fut arrêtée à Béziers le 10 août 1944 par la Sipo-SD. Elle était résistante, mais nous ignorons à quel réseau ou mouvement elle appartenait.

Pendant longtemps, on pensa qu’elle avait été déportée en Allemagne et qu’elle avait disparu. En 1947, son ex mari, Charles Michelsohn, installé à Paris entreprit des démarches afin de s’informer sur ce qu’il était advenu d’elle après son arrestation. Deux témoignages de Biterrois (Pierre Sèbe et Henri Bou) vinrent s’ajouter à celui de Mme Hayart pour confirmer qu’elle avait bien été arrêtée le 10 août. Elle figurait sur une liste de déportés depuis l’Hérault qui n’avaient pas été rapatriés en 1945 et dont on n’avait plus aucune nouvelle. L’acte de disparition de son ex épouse (établi 16 juin 1948, reçu par son destinataire le 22 juin) permit de régulariser l’état civil de Suzanne Last.

Monique Salzmann, fille de Suzanne Last a longtemps cru que sa mère avait été déportée et avait péri sans laisser de traces en Allemagne. En 1983, elle a su que son père, Charles Michelsohn, avait expliqué que Suzanne Last "avait fait partie d’un groupe de détenus qu’on aurait fait sauter sur une charge d’explosifs sur une place publique". S’étant adressée à divers services, elle contacta aussi le ministère des anciens combattants et victimes de guerre. Georges Fontès, maire (ex SFIO devenu RPR) de Béziers (1983-1989) fut secrétaire d’État aux anciens combattants de 1986 à 1988, interrogea personnellement Mme Hayart. Dès le 14 décembre 1983, celle-ci expliqua au maire de Béziers que, s’étant inquiétée du sort de Suzanne Last, elle réussit à savoir qu’elle "aurait été transférée à la prison de Carcassonne". Mais plus de dix ans après, en dépit de démarches réitérées, Monique Salzmann ne savait toujours rien du sort de sa mère. Ce fut Ange Ayora, de Narbonne, secrétaire de l’Association des déportés internés, résistants et patriotes de l’Aude qui, après enquête, fit savoir à Monique Salzmann que sa mère avait disparu dans l’explosion du dépôt de munitions de Baudrigues. Dans un courrier du 22 août 1999 qu’il envoya à Monique Salzmann, Ange Ayora, définitivement convaincu des circonstances de la mort de Suzanne Last à Baudrigues annonçait qu’il lui adressait aussi le petit ouvrage de Julien Allaux (correspondant du comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale pour l’Aude), Les martyrs de Baudrigues publié en 1991. En effet, les recherches de Julien Allaux avaient apporté de nouveaux éléments sur le déroulement de la tragédie de Baudrigues et l’identité de ses victimes.

En effet, Suzanne Last fut l’une des dix-neuf victimes de la tuerie du parc du château de Baudrigues (commune de Roullens). Juive, elle faisait partie des résistants détenus à la maison d’arrêt de Carcassonne (Aude) réquisitionnée par la police allemande. Elle en fut extraite le 19 août 1944 en même temps que d’autres résistants emprisonnés, sur ordre de la SIPO-SD. Elle fut fusillée : son corps fut déchiqueté par l’explosion programmée du dépôt de munitions installé dans le parc du château par les troupes d’occupation (Voir Batlle Simon, Ramond Aimé).

Dès le lendemain et dans la semaine qui suivit, la gendarmerie réussit à dégager les débris de neuf corps, dont celui de deux femmes qui ne furent alors pas identifiées. Il fut alors suggéré que celles-ci étaient des israélites. La seule des femmes identifiée ultérieurement était Suzanne Last.

Son nom figure désormais sur l’une des trois stèles érigées dans le parc de Baudrigues en hommage aux victimes de la tuerie du 19 août 1944. La section de l’Aude de l’Association des anciens combattants et résistants du Ministère de l’Intérieur qui honora aussi la mémoire de Suzanne Last (2012) lorsqu’elle célébra le souvenir d’Aimé Ramond, officier de police, résistant fusillé à Baudrigues le 19 août 1944.

La romancière britannique Kate Mosse a publié en 2012 (Londres, Orion publishing, 701 p.) un roman, le troisième livre de Languedoc trilogy, qui a connu un grand succès et a été traduit dans plusieurs langues : Citadel a été traduit en français en 2014 (Citadelles, Paris, Jean-Claude Lattès, 654 p.). Les deux « inconnues » de Baudrigues — l’autrice du roman semble avoir ignoré que l’une d’entre elles, Suzanne Last, a été identifiée depuis — deviennent sous la plume de Kate Mosse, des agents d’un réseau féminin audois de résistance, Citadel, actif dans le renseignement et les passages dans les Pyrénées et auquel l’auteur mêle les recherches ésotériques du nazi Otto Rahn à propos du catharisme et du Graal.

Voir Lieu d’exécution de Roullens (Aude), château et dépôt de munitions de Baudrigues.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article176158, notice LAST Suzanne par André Balent, version mise en ligne le 21 octobre 2015, dernière modification le 1er décembre 2022.

Par André Balent

SOURCES : DAVCC, Caen, dossier Last Suzanne. — Jean-Louis H Bonnet, "La Libération de Carcassonne d’après les témoins (19 et 20 août 1944)", Mémoires de l’Académie des Arts et sciences de Carcassonne, années 2012-2015, 6e série, tome IV, volume 55, pp. 139-177 [p. 151]. — Memorial genweb (www.memorialgenweb.org/memor...), site consulté le 16 octobre 2015. — Site de l’Association des anciens combattants et résistants du ministère de l’Intérieur, section de l’Aude, procès verbal de l’assemblée générale du 13 octobre 2012, PDF, http://aacrmi11.canalblog.com consulté le 21 octobre 2015.

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