BOURNETON Charles, Marcel

Par Yves Le Maner

Né le 10 avril 1897 à Marguerittes (Gard) ; exécuté par des militants communistes, en septembre 1944 ; cheminot ; militant syndicaliste et communiste ; secrétaire de la Région languedocienne du PC et de la 10e Union régionale de la CGTU, membre du Comité central du PC (1926-1932), responsable de l’« Agit-Prop » de la CGTU, membre du Bureau confédéral, chargé du secrétariat international de la Confédération (1931), secrétaire de la 1re Union régionale unitaire (Nord) de 1933 à 1936, secrétaire de l’Union départementale unifiée du Nord (1936-1939) ; adhérent du POPF à sa création.

Né dans une commune de la banlieue de Nîmes, fils d’un employé de chemins de fer travaillant à l’Usine de Goudron pour le réseau PLM, militant socialiste guesdiste, et d’une ouvrière horticole, Charles Bourneton fut élevé dans des « conditions de vie précaires ». Il alla à l’école primaire jusqu’à treize ans. Dans une autobiographie rédigée à Moscou le 13 décembre 1931, il précise : « J’ai commencé à travailler comme aide horticole pour 1 F 25 par jour à 14 ans. J’ai travaillé jusqu’à ma mobilisation (janvier 1916) comme ouvrier agricole et horticole. Après la guerre je suis rentré à la compagnie des chemins de fer comme manœuvre puis aide ouvrier (septembre 1919) pour 700 F par mois. J’ai été mobilisé dans l’Artillerie de Montagne (2e Rt) (1916-1919), suis devenu maître pointeur puis, avant ma démobilisation, brigadier [...] Je suis allé en Italie pendant la guerre sur le front autrichien puis à Constantinople (armée d’occupation) au début de 1919 jusqu’à ma démobilisation (septembre 1919) » (RGASPI, dossier personnel, toutes les citations qui suivent viennent de la même source) Charles Bourneton entra au Pati socialiste très jeune : « J’ai adhéré au Parti socialiste en 1914 (17 ans) ; il n’y avait pas de Jeunesses socialistes dans mon village. Dès ma démobilisation [je] suis devenu secrétaire de la section socialiste composée de 14 à 15 membres. Nous avons voté l’adhésion à la IIIe Internationale au congrès de Tours à l’unanimité moins une voix [...] Je suis devenu membre du Comité fédéral (Fédération communiste du Gard) puis secrétaire fédéral adjoint. J’habitais alors à Nîmes. » Il s’était marié à Nîmes en 1919 avec Henriette Goudet qui fut ouvrière biscuitière.
Sur le plan syndical, Bourneton adhéra à la CGT en septembre 1919 et fit parti de la minorité fédérale. : « Quand la grève de février 1920 a éclaté j’ai été désigné président du comité de grève. À la scission je suis devenu secrétaire du syndicat des cheminots de Nîmes que nous avons constitué ayant été exclus par la direction qui possédait la majorité à l’époque. J’ai été secrétaire de l’Union locale de Nîmes puis secrétaire de l’Union départementale du Gard pendant deux ans non rétribué. J’ai fait également la grève de mai 1920. » Devenu secrétaire de l’Union régionale CGTU du Languedoc, la direction du PLM le congédia des ateliers de Cambessac en juin 1926. Il avait quitté Nîmes pour s’installer à Béziers (Hérault), d’où il dirigeait, en 1926, la propagande communiste dans les départements du Midi. Présent au congrès de Marseille (1921) et au congrès de Paris (octobre 1922), Bourneton siégea à la commission des résolutions pour le Centre. Sur cet épisode il écrivit : « J’ai été membre de la fraction du Centre au congrès de Paris mais j’ai voté la résolution de l’Internationale. Mes divergences avec la fraction de gauche provenaient surtout du travail mécanique que celle-ci accomplissait à l’époque. J’ai été délégué pour aller discuter avec Manouilsky pendant le congrès de Paris avec quatre autres dont Frossard qui d’ailleurs dirigeait toute l’affaire. » Organisateur de premier ordre, il fut élu membre du Comité central du PC au congrès de Lille (juin 1926) et fit partie de la délégation du Parti communiste au VIIe plenum de l’IC, à Moscou, en décembre 1926. Secrétaire de la 10e Union régionale de la CGTU (départements languedociens) Bourneton fut appelé à Paris à la fin de l’année 1929 en compagnie de Marcel Gitton* pour prendre les fonctions de propagandiste du PC et de la CGTU à l’échelon national afin d’assurer la coordination des grèves. Ce fut à ce titre qu’il effectua un premier séjour dans le Nord pour y relancer l’action revendicative à l’occasion des grèves des mineurs et du textile d’août 1930. Fréquemment appelé en province pour y exercer ses talents d’agitateur, Bourneton fit l’objet d’une série d’observations pour ses « erreurs de critiques » en 1931, son adversaire le plus résolu étant vraisemblablement Herclet*. Le départ de ce dernier comme délégué de la CGTU auprès de l’ISR permit à Bourneton de se réhabiliter et le Comité confédéral lui confia de coordonner les services d’« Agit-Prop ». En septembre 1931, il fut désigné pour occuper le poste laissé vacant par Herclet au secrétariat international de la CGTU et il ne manqua pas de critiquer sévèrement la gestion de son prédécesseur. Considéré alors comme l’un des rouages essentiels de la Confédération, Bourneton accédait au Bureau confédéral à l’occasion du congrès national de novembre 1931 et, l’année suivante, il remplaçait Menouer en qualité de responsable de la commission centrale coloniale de la CGTU. Mais, au début de l’année 1933, il fut brusquement envoyé à Lille pour remplacer Gilbert Declercq* comme secrétaire de la 1re Union régionale de la CGTU. Cette mise à l’écart de fait correspondait vraisemblablement à un courant de suspicion qui était apparu au sein du Comité confédéral où certains accusaient Bourneton de détournement de fonds. Bien que l’activité de ce dernier à la tête de l’URU Nord ait été jugée très insuffisante par les dirigeants confédéraux, et en particulier par Gitton, il fut néanmoins élu membre de la commission exécutive de la CGTU au congrès de septembre 1933. Mais, à l’issue d’une enquête effectuée par Bernadette Cattaneo, trésorière confédérale, il fut établi que Bourneton avait conservé pour lui, au cours des années 1931 et 1932, sept des subventions allouées à la CGTU par l’ISR qui s’élevaient chacune à 200 dollars ; la somme atteignait donc approximativement 35 000 francs. Cependant, les contrôles de B. Cattaneo firent également apparaître que, pendant les années 1933 et 1934, près de 700 dollars provenant de l’Internationale avaient été dépensés sans justification. Comme les responsables présumés ne pouvaient être alors que des dirigeants de la Confédération, il semblerait que le Comité confédéral ait décidé de ne pas inquiéter outre mesure Bourneton afin de ne pas être obligé de demander des comptes à d’autres.
Dès lors écarté de toute responsabilité nationale, Bourneton s’établit solidement dans le Nord où il sut rapidement acquérir une grande popularité auprès des militants et des cadres. Lors de sa nomination à la tête de l’URU en 1933, il avait pris soin de faire ratifier sa désignation par la base car il craignait un mécontentement des cadres régionaux et locaux qui jouissaient d’une réputation de particularistes du fait des heurts multiples qui avaient opposé les communistes du Nord à la direction nationale à la fin des années vingt (voir Jacob*). Il parvint notamment à asseoir son autorité lors du processus de réunification syndicale dont il fut l’un des promoteurs sur le plan régional à partir de 1934. Dans un département comme le Nord où le passif avec les confédérés était particulièrement lourd, il sut habilement écarter l’hypothèse d’une manœuvre politique en insistant sur la nécessité d’une fusion progressive et « démocratique » ; ainsi dans un article de L’Enchaîné du 24 août 1934, il s’opposait à une réunification CGT-CGTU par la simple « rentrée » des militants unitaires dans la CGT. Lors du congrès de réunification des syndicats du Nord qui eut lieu à la Bourse du Travail de Lille le 16 février 1936, Bourneton fut élu à la CE en compagnie des ex-unitaires Bostoen et Martha Desrumeaux et des ex-confédérés Georges Dumoulin, Raymond Dumoulin, Molard, Guilloton, Dhondt, Pacquet et Lizin ; G. Dumoulin prit les fonctions de secrétaire général de l’Union départementale unifiée avec, à ses côtés, Bourneton (secrétaire administratif), Molard (trésorier), Guilloton (secrétaire adjoint) et Martha Desrumeaux (trésorière adjointe). Bourneton conserva ce poste jusqu’à fin 1938, date de l’éviction des ex-unitaires du bureau de l’UD, éviction consécutive à l’opposition croissante entre militants communistes et la tendance « Syndicats » dirigée par Georges Dumoulin. Ch. Bourneton fut alors appelé à la direction de l’Union des Métaux de Valenciennes, au sein de laquelle les communistes étaient majoritaires, poste qu’il occupait encore lors de l’annonce de la conclusion du Pacte germano-soviétique. Continuant à militer dans une semi-clandestinité, Bourneton fut arrêté le 24 octobre 1939 à Valenciennes, en compagnie de sept autres responsables communistes dont E. Mériaux, alors qu’il venait d’achever la tenue d’une réunion. On sait seulement que cette affaire fut instruite par le juge d’instruction Engel mais on perd dès lors la trace de Bourneton durant la suite de la « drôle de guerre ». Il ne peut être établi avec certitude que Bourneton ait rompu officiellement avec le PCF clandestin pendant cette période, comme le firent de nombreuses personnalités communistes des environs, Brachelet, Dewez, Delvallée, Raux, Wantelet, Nézé, Douchement. En effet, la presse officiellement n’annonça pas sa désolidarisation et Bourneton ne fut pas non plus cité au nombre des « renégats » dans les publications clandestines du parti. Selon Rossi (op. cit.), Bourneton fut interné dès juin 1940 au camp de surveillance d’Eyjeaux dans la Haute-Vienne. Libéré en 1942 par une commission de révision des internements, il fut envoyé en résidence surveillée dans la Haute-Loire. Bourneton vivait à Brioude, 41, rue Séguret et avait rejoint les rangs du Parti ouvrier et paysan français dirigé par Marcel Gitton, à l’occasion de la publication de la Lettre ouverte aux ouvriers communistes par la presse le 6 septembre 1941. Le lendemain, Le Grand Echo du Nord titrait d’ailleurs : « Trois ex-députés de notre région, ainsi que Bourneton de l’Union des Syndicats du Nord, ont quitté le PCF. »... Les démarches entreprises par Marcel Gitton et le POPF afin d’obtenir sa libération permettent d’expliquer son ralliement, semblable à celui d’Albert Vassart, par exemple. De Brioude, Charles Bourneton dirigeait l’activité du POPF en zone sud. Il écrivait à l’un de ses correspondants le 11 février 1943 : « Parallèlement à cela, il demeure que parmi nos amis et connaissances qui ont, comme nous, mené le combat commun au sein du Parti et qui ont su au cours du drame historique dont notre Pays a été victime, dégager le sens élevé du National, sans faire abstraction du Social pour lequel nous avons toujours lutté, il demeure dis-je, qu’un certain nombre de ces amis et connaissances subissent encore dans les camps ou ailleurs une contrainte qu’il serait possible de faire cesser à l’occasion de relations suivies et amicales entre tous ceux d’entre nous qui, répartis en zone sud, n’avons pas encore pu nous rencontrer et nous soutenir »...
Charles Bourneton participa les 10 et 11 avril 1943 aux journées d’études du Mont-Dore consacrées à "l’Ordre communautaire », organisées par le cabinet du maréchal Pétain. Il fit partie de la délégation d’une trentaine de personnes, chargée d’en porter les conclusions à Pierre Laval le 17 mai 1943. Celui-ci se dit "très intéressé » par les déclaration de Bourneton au sujet du danger communiste.
Aux côtés de ces activités, qui le rapprochaient sensiblement de la Collaboration, Bourneton aurait également rejoint la Résistance, selon Rossi. Son ancien camarade de combat, et dissident comme lui, bien qu’il n’ait pas rejoint le POPF, Sulpice Dewez (op. cit.), affirme qu’il « était en liaison avec Bodier, chef du mouvement de résistance de Clermont-Ferrand ». L’association de son nom à la Deuxième lettre ouverte aux ouvriers communistes, publiée pendant l’été 1942 à l’initiative du Comité central du POPF, laisse à penser que Charles Bourneton était membre en titre de cette instance. Le 11 février 1944, parut dans le Petit Parisien une interview de Bourneton où il préconisait la création d’une nouvelle CGT (tentative de Marcel Déat). Placé sur une liste de « traîtres » du PCF, il fut, selon A. Ramette (voir sources), exécuté par des militants communistes, en septembre 1944 devant la porte de sa maison. De cet homme souriant, au visage rond, portant de petites lunettes circulaires, excellent organisateur, orateur subtil à la voix chantante de méridional, il ne resta dès lors plus que le souvenir du « traître ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article17618, notice BOURNETON Charles, Marcel par Yves Le Maner, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 26 avril 2023.

Par Yves Le Maner

SOURCES : Arch. Dép. Hérault, 195 M 8. — Arch. Dép. Nord, M 154/191, M 154 195a, M 154/279, M 595/35. — Arch. Dép. Pas-de-Calais, M 5304. — Arch. Jean Maitron. — Arch. privées. — Arch. Komintern, RGASPI, Moscou, 495 270 8673, dossier personnel de Bourneton : questionnaire du 13 septembre 1930 ; autobiographie du 13 décembre 1931. — Cahiers du Bolchevisme, 15 avril 1934 et 1er décembre 1934. — La Voix du peuple, mars 1936. — Le Travailleur du Languedoc, 1926-1931. — P. Wecksteen, « La formation du Front populaire à Lille à travers la presse locale (janvier 1934 — mai 1936) », in Revue du Nord, n° 203, octobre-décembre 1969. — Louis Molinier, Un militant languedocien raconte..., 1979. — Amilcare Rossi, Physiologie du Parti communiste français, p. 444, 1948. — Sulpice Dewez, Contribution à la vérité, 1946. — État civil de la commune de Marguerittes (Gard). — Entretiens de Y. Le Maner avec Arthur Ramette en décembre 1978. — Stéphane Courtois, Thèse, op. cit., annexe n° 18. — Humbert-Droz, Origine..., op. cit., p. 376. — Note de G. Bourgeois, A. Caudron et Cl. Pennetier.

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