Par Daniel Grason
Né le 5 novembre 1909 à Rennes (Ille-et-Vilaine), exécuté sommairement le 8 mai 1944 à Saint-Aubin-de-Cadelech (Dordogne) ; encaisseur, terrassier, placier, caviste, chef de travaux, gardien de la paix ; résistant maquisard FTPF.
Fils de Hyacinthe, militaire de carrière retraité, et de Barbe, née Bonnet, ménagère, Brieuc Le Corvaisier alla à l’école primaire à Mortagne (Orne), il passa avec succès l’examen des bourses, fut reçu à l’examen du CEP. Sa scolarité de déroula dans des villes au gré des affectations de son père, capitaine d’active de l’Infanterie coloniale. De seize à dix-huit ans il fréquenta le lycée d’Alençon, puis le collège municipal de Dreux (Eure-et-Loir), enfin comme interne lycée de Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord, Côtes-d’Armor). En 1927 il fut admissible la 1ère partie du baccalauréat. Il passa l’examen d’élève-officier dans la marine marchande, fut admissible. Il suivit des cours d’hydrographie et d’élève officiers. Du 4 décembre 1929 au 4 avril 1930, il navigua sur les côtes d’Afrique, d’Amérique-du-Sud et de la mer Baltique sur un navire de la compagnie des Chargeurs réunis basée au Havre (Seine-Inférieure, Seine-Maritime). Du 30 avril 1930 à août 1932, il perfectionna ses connaissances suivant des cours de formation en hydrographie et de lieutenant au long cours. Pendant toutes ces années il était domicilié chez ses parents à Lanrodec dans l’arrondissement de Guingamp. Il épousa Anna Le Lann, secrétaire comptable, le couple eut deux enfants : Jean-Claude né en 1932 et Michèle en 1935.
Mobilisé en novembre 1933 dans l’artillerie à Châteauroux (Indre), il effectua son service militaire à Châlons-sur-Marne (Châlons-en-Champagne) dans la Marne. Il suivit le peloton des élèves officiers de réserves (EOR), fut nommé brigadier, il passa l’examen d’élève officier de réserve, fut admissible. Démobilisé le 6 octobre 1934. Brieuc Le Corvaisier postula aussitôt un emploi de gardien de la paix auprès du Préfet de police de Paris. Malchance, le recrutement de personnel était suspendu.
Il devint encaisseur d’une Compagnie d’électricité à Lannion (Côtes-du-Nord, Côtes-d’Armor), il y travailla dix-huit mois. Licencié en raison de la compression de personnel, il travailla successivement comme terrassier, placier, caviste et concierge d’hôtel à la station balnéaire. Il accomplit en octobre 1936 une période militaire de trois semaines. En juillet 1937, un poste de chef des travaux s’étant libéré à la ville de Lannion, il concourut ainsi que 42 autres candidats, il fut reçu.
Fin décembre 1937 le courrier tant attendu de la Préfecture de police arrivait. Il opta pour la carrière dans la police. Il explicita dans sa biographie du 22 janvier 1938 les raisons de son choix : « d’un côté, vie au grand air c’est juste mais avenir limité [de l’autre] vie mouvementée mais combien belle de par la diversité des tâches et des devoirs qui s’y rattachent et qui demandent de grosses qualités : moralité, dévouement, bravoure réfléchie, noblesse et cœur et d’âme et honnêteté. Je ne serais pas sincère si je n’ajoutai en matérialiste sordide qu’il n’eut au monde aucune profession offrant autant d’avantages pécuniers et surtout de possibilité d’avenir pour ceux qui désirent travailler : situation pleine d’imprévues non dépourvue de danger, ce qui en fait son charme ».
Il débuta le 21 janvier 1938 comme gardien de la paix au commissariat du XVe arrondissement de Paris, puis à celui de Gentilly (Seine, Val-de-Marne). Brieuc Le Corvaisier demeura avec sa famille à Villejuif, puis 1 avenue Eugène-Thomas au Kremlin-Bicêtre. Souffrant d’un ulcère, il eut des difficultés à s’intégrer. Il eut une farouche volonté de progresser. Dès décembre 1939 il demanda son détachement aux Renseignements généraux, obtint l’appui d’un sénateur des Côtes-du-Nord dans sa requête… sans succès. Il était noté comme « un assez bon gardien » en 1941. Il aspirait à ne pas rester gardien de la paix sur la voie publique, l’année suivante il souhaita participer au concours d’inspecteur de la police municipale, souhait transmis par sa hiérarchie en janvier 1943 avec une annotation élogieuse : « Bon gardien, intelligent et aimant son métier, discipliné. Peut faire un bon inspecteur ».
Le 5 avril 1944 vers 17 heures un homme se présenta au commissariat de Gentilly de la part d’Anna Le Corvaisier qui s’inquiétait de la disparition de son mari. Le lendemain le neveu de Brieuc Le Corvaisier hébergé chez son oncle et Anna Le Corvaisier étaient auditionnés par le commissaire de police. Elle relata qu’en rentrant du travail, elle avait surpris à son domicile la première quinzaine de mars vers 19 heures 30, trois hommes armés de revolvers et d’une mitraillette. Ce jour-là, son mari était de service, les trois hommes revinrent vers 21 heures 30, porteurs d’une valise et d’un sac de toile remplis de cigarettes. Elle apprit qu’ils venaient d’attaquer le tabac « Pougade » avenue des Ecoles à Villejuif. Les trois hommes couchèrent sur place et s’éclipsèrent au petit matin.
Antoine Filippi un collègue de Brieuc Le Corvaisier procéda le 27 mars 1944 en dehors de ses heures de service avec l’aide de deux soldats allemands à l’arrestation de Paul Pasquaud qui venait de blesser accidentellement à la poitrine une jeune femme dans un hôtel du Kremlin-Bicêtre. Antoine Filippi, gardien de la paix de Gentilly était entendu par le commissaire en vue d’une récompense. Le 5 avril Antoine Filippi dit Tony dans la résistance jugea plus prudent de s’éclipser. Brieuc Le Corvaisier en arrêt maladie depuis le 16 mars était convoqué le 4 avril à une visite de contrôle du médecin divisionnaire. Contrôlé à son domicile à 20 heures 25 le 6 avril, à nouveau le lendemain matin à 7 heures 45, il était absent.
Suspendu de ses fonctions le 4 avril 1944, le 19 juin 1944, la préfecture de police émettait une fiche de recherche signée du directeur général Émile Hennequin. Elle était placardée dans tous les commissariats et les gendarmeries avec sa photographie et son identité : « Gardien de la paix révoqué de ses fonctions. Signalement : 1,71 m, châtain foncé, nez cave. N’a pas restitué sa carte de réquisition et son pistolet administratif. Fait l’objet d’un arrêté d’internement administratif ».
Brieuc Le Corvaisier avait rejoint un maquis FTP dans le sud de la Dordogne. Le 8 mai 1944, des FTP du groupe Anic réparaient un véhicule à Saint-Aubin-de-Cadelech près d’Eymet, surpris par des soldats Allemands ils se replièrent dans la ferme des époux Vigier. Brieuc Le Corvaisier était réfugié dans cette ferme, six résistants parvenaient à s’échapper, quatre furent tués : Christian Chidoux, Jacques et Michel Kirszenstejn et Brieuc Le Corvaisier. Selon des témoignages recueillis par sa femme, ils résistèrent jusqu’à épuisement de leurs munitions. Avant d’être tué son mari fut torturé, des photographies l’attestaient.
En avril 1945 les mesures de suspension et de révocation de Brieuc Le Corvaisier furent rapportées. Déclaré « Victime du devoir », la mention « Mort pour la France » lui était attribuée ainsi que la Croix de Guerre.
À Gentilly, une plaque a été apposée au 6 rue Marchand : « À la mémoire de nos camarades morts dans la lutte contre l’ennemi » sont inscrits les noms de : Antoine Filippi, Brieuc Le Corvaisier et Fernand Poulain, gardiens de la paix, Marcel Courtot, membre du BCRA-DGER et Pierre Robic. Son nom figure aussi sur la stèle de la Résistance de Saint-Aubin-de-Cadelech.
A Saint-Aubin-de-Cadelech (Dordogne), une stèle fut élevée à la mémoire des résistants morts le 8 mai 1944.
Par Daniel Grason
SOURCES : Arch. PPo. KC 20. – SDH, Caen AC 21 P 72938. – Bureau Résistance : GR 16 P 351004. – Site internet « Résistance, Maquis et Libération du département de la Dordogne ». — Site internet GenWeb. — État civil.