FONTAINE Émile, Adrien [alias Tanguy]

Par Philippe Lecler, Frédéric Stévenot

Né le 10 février 1905 à Wignehies (Nord), abattu le 30 mars 1944 à Besmont (Aisne) ; employé d’une coopérative agricole ; syndicaliste agricole ; résistant OCM, capitaine FFI ; Juste parmi les Nations.

Fils d’Émile Fontaine, trente ans, herbager, et de Marie Angèle Claire Sauvage, vingt-neuf ans, ménagère, son épouse, il se maria le 29 septembre 1928, à Wignehies, avec Marie-Joseph Julie Alphonsine Barbay.

De 1914 à 1918, son père avait connu les rigueurs du travail forcé dans les mines de Silésie en tant que prisonnier de guerre. Émile Fontaine se trouva dès lors dans l’obligation d’abandonner ses études pour venir en aide à sa mère et pour empêcher que la fermette familiale périclite. Après le retour de son père, le garçon entra comme apprenti chez un maréchal-ferrant de Wignehies.

Il fut recensé avec la classe 1925 au bureau de recrutement d’Avesnes (Nord), avec le matricule 554. Il n’est pas encore possible d’accéder à sa fiche signalétique.

Après son mariage, Émile Fontaine prit en charge sa propre fermette. La naissance de sa fille n’empêcha pas le couple de se séparer en 1937. Après son divorce, Émile, engagé dans le syndicalisme agricole, émigra alors du Nord vers le département de l’Aisne où il obtint un emploi de démarcheur à la coopérative agricole d’Aubenton. Il reprit également une ferme, au hameau de Buirefontaine, toujours à Aubenton, qui appartenait à Camille Pierron, mère d’Annette (née en 1911), qui devint la nouvelle compagne d’Émile Fontaine.

Éclata la Seconde guerre mondiale. Très probablement mobilisé, Émile Fontaine entra dans la résistance dès 1941. Fidèle à ses choix politiques, il choisit pour la clandestinité le pseudonyme de « Tanguy », en référence à François Tanguy-Prigent, dont il avait admiré l’action politique. Il s’engagea au sein de l’OCM, et à la fin du mois de décembre 1942, il prit la succession d’Adrien Fournaise (né le 7 mai 1902 à Mézières, Ardennes), chef des secteurs de Rumigny et Signy-l’Abbaye (Ardennes), d’Aubenton et de Rozoy (Aisne), arrêté et déporté. Ce dernier fut du transport parti de Paris le 24 février 1944 (I.180.) qui emmena 54 résistants vers le KL Natzweiler (matr. 7583) sous le statut de Nacht und Nebel. Adrien Fournaise fut d’abord affecté au kommando de Kochem (au sud-ouest de Coblence) avant d’être expédié à la prison de Brieg (Silésie), dans l’attention d’être jugé au tribunal de Breslau. De là, il fut envoyé au KL Gross Rosen, puis dans le kommando Nordhausen ressortant des camps de Buchenwald-Dora. C’est là qu’Adrien Fournaise mourut, le 18 février 1945, parmi les derniers rescapés de son convoi qui ne compta que sept survivants à pouvoir revenir.

Parallèlement à ses activités de sabotage, Émile Fontaine organisa une filière d’évacuation de prisonniers de guerre français, d’aviateurs alliés et d’illégaux. Dans la seconde moitié de 1943, il fut arrêté lors d’un banal contrôle de gendarmerie, alors qu’il transportait de grosses quantités de vivres destiné à nourrir un maquis. Accusé de s’adonner au marché noir, il fut emprisonné à Rethel (Ardennes) puis interné au camp des Mazures (Ardennes). C’est là qu’il découvrit que des juifs, la plupart originaires de Belgique, étaient prisonniers et employés comme main-d’œuvre servile aux travaux les plus durs. Après sa libération (décembre 1943), il vint en aide à ceux qui s’évadèrent. Mais au début de 1944, sa filière d’évacuation d’aviateurs fut infiltrée par la police allemande qui lui tendit un piège. Le 30 mars 1944, quelqu’un vint le chercher en voiture à Aubenton, au nom de « Mathieu », chef résistant, pour une mission importante. Il s’embarqua, mais comprit vite la manœuvre : de fait, il s’agit d’agents travaillant pour la Sipo-SD de Saint-Quentin. Sur la route de Beaumé, Émile Fontaine ouvrit brusquement la portière et chercha à s’échapper en tirant, mais il fut abattu aussitôt. Il fut enterré dans un premier temps à Mézières (Ardennes).
D’après le témoignage de son adjoint, Henri Lallement (« Georges »), Émile Fontaine aurait été abattu le 1er avril. À la demande des pseudo-responsables résistants de Paris, « des membres de la Gestapo de l’avenue Foch, Fontaine avait convoqué tous les chefs de centre (au café Roger, à Aubenton) » pour la prise en charge des aviateurs alliés. Après cette réunion, « tous les chefs de centre du coin, y compris dans les Ardennes, étaient recherchés après que Fontaine eut été abattu. […] Fontaine croyait avoir affaire à d’authentiques résistants, et dans le café Roger à Aubenton, il se trouvait avec Marco, qui le chef des sabotages des Ardennes, et un autre camarade. Voilà que ces types arrivent » et demandent à Roger si Tanguy est là. Marco est assez méfiant. Fontaine dit au groupe qu’il faut aller voir un autre résistant, Fernand (Derumigny), qui habite à Beaumé. Il embarque dans la voiture. Une autre traction les croisa. « Alors il a compris. Il a pris son revolver qu’il avait mis dans sa botte, ouvrit la porte et s’est mis à tirer. Bien sûr les Allemands ont pris leurs mitraillettes et ils l’ont fauché. Il s’est fait tuer volontairement. Il savait qu’il ne pourrait s’en tirer comme cela ». Plus loin, au cours de son témoignage, G.-H. revient sur la réunion, qu’il situe alors à Logny-lès-Aubenton.

Selon une notice du site Généalogie Aisne, « le 30 mars 1944, [Émile Fontaine] se trouve dans la petite cour du café d’Emile Roget [l’actuel Mermoz] à Aubenton, rue saint-Nicolas avec l’un de ses amis quand une traction avant banalisée se met à l’arrêt devant le bistrot d’Émile Roget. Trois hommes à bord ; l’un descend et s’adresse au cafetier lui signifiant qu’il est envoyé par Mathieu, chef de la résistance. Émile Fontaine entend ce qui se dit ; il s’avance à la rencontre de l’inconnu, se présente, s’entretient avec son interlocuteur. Ce dernier l’encourage à le suivre pour une mission très importante. Émile Fontaine prend place à bord du véhicule. Entre Aubenton et Besmont, route de Beaumé, la voiture dans laquelle il se trouve est dépassée par une traction de la Gestapo, reconnaissable entre mille, par la couleur jaune des roues. Émile Fontaine surprend un échange de signes entre les occupants des deux véhicules. Instantanément, il comprend le piège dans lequel il est tombé ». La suite est identique.

Émile Fontaine fut homologué DIR et FFI (GR 16 P 227541). Son nom est inscrit sur le et le mémorial de Berthaucourt, à Charleville (Ardennes), ainsi que sur le monument aux morts d’Aubenton. Le 16 septembre 2006, cette commune inaugura une rue Émile-Fontaine, qui conduit à Besmont. Plus loin, à l’approche de cette localité, on trouve sur le bas-côté de la route départementale 37 une stèle qui lui rend hommage :
« Ici a été abattu par la Gestapo
Le 30 mars 1944
Le capitaine FFI
Émile Fontaine
N’oublions jamais ».

Le 15 décembre 1946, une plaque fut inaugurée en son honneur à l’entrée de la mairie d’Aubenton :
« 1940-1944
À Émile Fontaine,
âme de la résistance ardennaise qui fut celui qui nous soutint et nous sauva sous l’oppression allemande, se sacrifia glorieusement pour que survivent des camarades israélites belges du camp de concentration des Mazures ».

Émile Fontaine est reconnu, depuis 2006, « Juste parmi les Nations » par le Mémorial Yad Vashem, ainsi que sa compagne, Annette Pierron, et la mère de celle-ci, Camille. La notice biographique du site du Comité français des Justes indique ce qui suit : « Le 5 janvier 1944, les derniers juifs du Judenlager des Mazures, dans les Ardennes françaises, sont conduits à la gare de Charleville. Sur les quais, devant des wagons à bestiaux, d’autres juifs reconnaissables à leur étoile de David vont eux aussi être transportés vers Drancy. Ce sont des juifs ardennais, mais également des familles retirées des colonies agricoles allemandes de la WOL. Deux "Mazurois" s’enfuient sans plus attendre sous les coups de feu. Josef Peretz prend la direction de Revin où il sera sauvé par le chef de gare, Léon Devingt. Quant à Nathan Suszter, il retourne à pied dans le seul village ardennais qu’il connaisse : les Mazures. De là, il demandera à ce qu’un résistant d’Aubenton, Émile Fontaine, le prenne en charge.

Parti en direction de Reims, le convoi s’est arrêté à la gare d’Amagne-Lucquy. Un cheminot en profite pour dégager le système de fermeture extérieure de l’un des wagons. Et quand le train, poursuivant son sinistre itinéraire, se trouve obligé de ralentir pour franchir l’Aisne, huit déportés du Judenlager des Mazures en sautent : Léopold Aron, Abraham Casseres, Henri Grün, Charles et Salomon Kogel, Salomon Lemer, Harry Reicher et David Stockfeder. Ces huit évadés n’ont eux aussi qu’un nom à la bouche pour appeler à l’aide : celui d’Émile Fontaine.

(Mathilde Mathie-Matheu) : ce syndicaliste agricole était entré dans la Résistance en 1941 sous le pseudonyme de "Tanguy". En 1942, il succéda à Adrien Fournaise, responsable dans son réseau de l’Organisation Civile et Militaire, hélas dénoncé et déporté sans retour. Mais lors de l’été 1943, Émile Fontaine se trouva condamné à une peine d’au moins cinq mois de travaux forcés pour "marché noir". En vérité, ce résistant avait été arrêté par des gendarmes français alors qu’il venait de détourner des denrées alimentaires de la WOL[au profit de] ses maquis abritant des réfractaires au STO et des aviateurs alliés en transit vers l’Angleterre.
Émile Fontaine dut accomplir sa peine au camp des Mazures, ouvert depuis le 18 juillet 1942 et construit par 288 juifs déportés depuis Anvers, en Belgique. Il y était interdit d’entrer en contact avec ces juifs, mais Émile Fontaine, avant sa propre libération, s’engagea à tout mettre en œuvre si certains d’entre eux décidaient de s’évader. Parole tenue pour Jacques Springer qui s’est sauvé des Mazures le 18 novembre 1943. Puis pour Nathan Szuster et pour huit des rescapés du convoi du 5 janvier 1944.

Émile Fontaine est alors basé à la coopérative agricole d’Aubenton. Il tombe amoureux d’Annette Pierron, jeune femme réfugiée chez sa mère, Camille, fermière à Buirefontaine, et Annette attend un bébé. Malgré les risques mortels courus par toute personne venant au secours des persécutés, Émile Fontaine va leur procurer des logements successifs et sécurisés ainsi que des papiers d’identité d’aryens. Par des filières fiables de la Résistance, il va soit les mettre à l’abri jusqu’à la fin de la guerre, comme Henri Grün, ou leur permettre de regagner la Belgique, comme Abraham Casseres ou Harry Reicher.

En décembre 1946, douze Anversois du Judenlager des Mazures et rescapés de la Shoah, inaugurèrent à Aubenton une plaque en hommage à Émile Fontaine, abattu hélas par la Gestapo le 30 mars 1944, mais sans lien de cause à effet avec les évadés. De ces douze Anversois, ne vivait plus que Nathan Suzster quand débutèrent en 2002 les recherches visant à arracher cette histoire à l’oubli. Il eut à cœur de témoigner pour Émile Fontaine en affirmant : "A cette époque-là, j’aurais donné ma vie pour lui" ,mais sans oublier Annie et Camille Pierron, toutes deux transformant notamment la ferme de Buirefontaine en havre protecteur dans un monde où la Shoah accomplissait ses ravages.

Mort en octobre 2004, Nathan Szuster ne connaîtra pas cette cérémonie d’hommage. Mais sa mémoire s’en trouve revivifiée tout comme celles de ses 287 camarades juifs des Mazures au nombre desquels 239 périrent comme 102 de leurs épouses et 124 de leurs enfants. Sans le courage d’Émile Fontaine, d’Annette Pierron et de Camille Pierron, cette liste de victimes de la Shoah se serait retrouvée encore plus lourde, encore plus tragique.

Le 14 août 2006, L’institut Yad Vashem de Jérusalem a décerné le titre de Juste parmi les Nations (dossier n° 10912A) à Monsieur Émile Fontaine ainsi qu’à Annette et Camille Pierron ».

Leur nom est donc inscrit à ce titre dans l’Allée des Justes, près du Mémorial de la Shoah, rue Geoffroy-l’Asnier à Paris, et sur le mur d’honneur du Jardin des « Justes parmi les Nations » de Yad Vashem, à Jérusalem

Le même site donne une liste des personnes sauvées par leur action :

  • M. Léopold Aron
  • M. Abraham Casseres
  • M. Henri Grunstein (née Cheigam)
  • M. Charles Kogel
  • M. Salomon Kogel
  • M. Salomon Lemer
  • M. Vital Lieberman
  • M. Jacob Liwschitz
  • M. Henri Reicher
  • M. Siegfried Springer
  • M. David Stockfeder
  • M. Nathan Szuster

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article176515, notice FONTAINE Émile, Adrien [alias Tanguy] par Philippe Lecler, Frédéric Stévenot, version mise en ligne le 5 novembre 2015, dernière modification le 14 février 2022.

Par Philippe Lecler, Frédéric Stévenot

Stèle de Besmont
Stèle de Besmont

SOURCES. État civil de Wignehies (3 E 11915, 1901-1910) ; Arch. dép. Nord (tables des matricules) ; SHD, dossiers adm. des résistants. — Sites internet : Le Judenlager des Mazures 1942-1944 ; Généalogie Aisne ; Comité français des Justes ; FMD. — Philippe Lecler, Le Temps des partisans, éditions D. Guéniot, Langres, 2009 ; A. Nice, Tavaux. 30-31 août 1944, 2002. — Notes Jean-Pierre Besse.
ICONOGRAPHIE. Site Généalogie Aisne

ICONOGRAPHIE. Mémorial GenWeb et Généalogie Aisne

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