BOUTHONNIER Paul, Joseph, Numa

Par Jacques Girault, René Lemarquis, Jean Maitron

Né le 4 janvier 1885 à Saint-Laurent-sur-Manoire (Dordogne), mort le 13 janvier 1957 à Paris (Xe arr.) ; professeur ; militant socialiste puis communiste de Dordogne, de Seine-Inférieure et de Paris ; militant syndicaliste de la Fédération unitaire l’enseignement et de l’Internationale des travailleurs de l’enseignement.

Prison de la Santé, juillet 1929
Dernier rang au milieu des cinq : Paul Bouthonnier
Deuxième rang : Lacan, Gabriel Péri, Maurice Thorez, André Marty, Denis.
Assis au premier plan, Vaillant-Couturier

Paul Bouthonnier était le fils d’un petit commerçant aisé, expéditeur en fruits. Il mourut le 13 août 1914 et un frère de Paul Bouthonnier (qui sera à la SFIO après le congrès de Tours) reprit le commerce. Ce père fut sans doute anticlérical puisqu’il prêta son concours aux inventaires des églises, alors que sa mère était « imbue de préjugés petits-bourgeois » (autobiographie remis à la commission des cadres). Après des études primaires et secondaires, Paul Bouthonnier fut d’abord, après son service militaire sans grade, répétiteur stagiaire au collège de Sarlat, de novembre 1906 à septembre 1907. Reçu à l’École normale supérieure de Saint-Cloud, il y fut élève d’octobre 1907 à septembre 1909, et obtint le certificat d’aptitude au professorat dans les écoles primaires supérieures et écoles normales. Il fut ensuite professeur en Dordogne dans les EPS de Nontron (1909-1910), Excideuil (1910-1911) et Périgueux (octobre 1911-décembre 1919). Il s’était marié en 1911 avec une institutrice.

Son itinéraire politique commença par une adhésion à la franc-maçonnerie en 1907, à Sarlat, sur les conseils d’un sergent qui avait assisté aux brimades dont il aurait été victime lors de son service militaire. Il y resta, selon son autobiographie de janvier 1932, jusque 1910 (1911 selon un questionnaire de 1934). Ayant adhéré en 1908 à Saint-Cloud au Parti socialiste, il avait compris que la franc-maçonnerie « s’opposait aux intérêts ouvriers » et il en démissionna. Il était venu au socialisme sous l’influence d’un professeur et de camarades. À son arrivée à Périgueux, il fut en 1911 membre, puis en 1912 secrétaire général de la CE de la Fédération socialiste de la Dordogne, où l’influence guesdiste était très forte. Syndiqué en 1915, il était administrateur de la Bourse du travail de Périgueux, au CE des syndicats de la Dordogne en 1917, président de la Coopérative nouvelle de Périgueux (2 000 adhérents) et de la Boulangerie coopérative des cheminots du réseau Paris-Orléans. Il fut candidat du Parti socialiste aux élections municipales de Périgueux en 1912 et aux législatives de 1914 dans l’arrondissement de Nontron.

Le 2 novembre 1914, Paul Bouthonnier écrivait à Jules Guesde : « Quelle admirable besogne aurons-nous à faire après la guerre ! Après avoir coopéré de toutes nos forces à la défense du Pays, il nous sera donné, sans doute, d’être les meilleurs artisans de son relèvement » (cité par A. Kriegel, Aux origines..., op. cit., p. 69). Les socialistes de la Haute-Vienne et de la Dordogne prirent à partir de 1915 des positions hostiles à l’Union sacrée. Paul Bouthonnier, qui avait été réformé en 1915, participa à ce mouvement de minorité de la SFIO. Devenu professeur à l’EPS de Périgueux, il eut une activité militante importante en 1917-1918 tant dans les milieux syndicalistes que socialistes. Il fut notamment rapporteur sur la main-d’œuvre industrielle au troisième comité fédéral de la Fédération régionale féministe du Sud-Ouest à Bordeaux, les 9 et 10 août 1917 où se retrouvaient de nombreux enseignants (L’École de la Fédération, 5 janvier 1918). Membre de la CA de l’Union des syndicats de la Dordogne, il fut, sur le plan politique, élu délégué au congrès national des 6-9 octobre 1918 à Paris. Au congrès fédéral du 22 février 1919 qui réunissait les délégués de 22 groupes sur 38, Bouthonnier fut confirmé dans ses fonctions de secrétaire fédéral et fut délégué titulaire au congrès national des 20-22 avril à Paris. En novembre 1919, il fut candidat au conseil municipal de Périgueux sur la « Liste ouvrière sous le contrôle des organisations syndicales et socialistes », et, le 30, la liste fut toute entière élue. Bouthonnier devint maire de la ville le 10 décembre ; mais son élection fut annulée, le 10 janvier suivant - il était inéligible - par le Conseil de préfecture, annulation qui fut confirmée par le Conseil d’État (arrêt du 8 juillet 1921). Le 21 décembre 1919, il avait été élu conseiller général du canton de Périgueux. Selon la police, il l’était toujours en novembre 1923. À l’élection municipale partielle pour quatre sièges, le 30 octobre 1921, il se présenta à la tête d’une liste communiste et fut battu.

Il fut candidat aux élections législatives du 16 novembre 1919 en deuxième rang sur la liste socialiste, composée de Édouard Blanchou*, Paul Bouthonnier, Marcel Delagrange, Adrien Delsol, Paul Loubradou, Roger Poujol*, liste où il obtint 13 172 voix alors que sa moyenne était de 11 829 voix sur 93 998 suffrages exprimés.

Dès 1919, Paul Bouthonnier s’était déclaré pour la Troisième Internationale et la Révolution russe. C’est ainsi que dans le premier numéro du Prolétaire de la Dordogne, le 1er novembre 1919, hebdomadaire socialiste et syndicaliste, il affirmait : « Nous défendrons ici la République des Soviets. » Comme membre du Comité de la Troisième Internationale, il signa la motion d’adhésion. Délégué de la Dordogne au congrès de Tours (décembre 1920), il fit partie de la commission des conflits et entraîna la majorité de la Fédération de la Dordogne à l’adhésion à la IIIe Internationale. À cette époque, il était ainsi jugé, sans indulgence et de façon sans doute discutable, par un rapport de police (F7/13601) : « Très militant mais sournois [...]. Très dangereux. Très grande influence sur milieux ouvriers de la région [...]. Orateur assez violent. Caractère froid [...]. Ambitieux et capable. » Solidaire des grévistes au printemps de 1920, il participa aux grèves de 1919-1920 des cheminots à Périgueux et fut membre du comité de grève en 1920. Il fut, en raison de ses activités militantes, révoqué de ses fonctions de professeur.

Paul Bouthonnier était un militant national. Comme en 1919, la fédération de la Dordogne souhaitait qu’il fasse partie des organismes dirigeants du parti. Le 30 décembre 1920, le représentant de la Fédération renouvela, en vain sa candidature pour le comité directeur du parti qui venait d’adhérer à la Troisième Internationale et pour un poste de délégué permanent. C’est au deuxième congrès du parti à Marseille (décembre 1921) qu’il devint membre titulaire du comité directeur, à la suite de la démission des quatre représentants de la gauche. Le 21 janvier 1922, il représenta la Dordogne à la conférence des secrétaires fédéraux où il se déclara favorable au Front unique. De novembre 1921 à novembre 1923, il fut secrétaire de la Région Centre Ouest et délégué à la propagande du parti. Le secrétaire de la fédération de la Charente-Inférieure écrivait de lui, en juillet 1922, « nous lui indiquons quel discours il doit faire, ici et là, selon le lieu [...] fit d’excellente besogne dans le secteur qu’il bat ». « Il ne mord personne et entraîne beaucoup de sympathie » (lettre à Frossard, Institut M. Thorez, 34). En août 1922, au comité directeur, il se prononça pour la motion Frossard-Souvarine sur le front unique. Classé alors dans la gauche du parti, il se déclarait fidèle aux conceptions de l’Internationale. Le 26 octobre 1922, il démissionna des fonctions rétribuées qu’il occupait au parti avec Marthe Bigot, Lucie Colliard, Vernochet*, Albert Treint*, auprès d’Amédée Dunois et ses collaborateurs et à la suite du congrès national de Paris (octobre 1922) et de la constitution d’un comité directeur par la seule fraction du Centre qui avait obtenu une majorité de 150 voix.

Paul Bouthonnier demeura jusqu’à la fin de sa vie, un homme de confiance du parti, employé, peut-on-dire, là où le besoin s’en faisait sentir et quelle que soit la nature des tâches.

Le 21 septembre 1923, le bureau politique le désigna comme directeur de l’Humanité du Midi. Il partit pour Nîmes, lieu de l’édition, le 15 janvier 1924. Dans la réunion du 12 juin 1924, le même BP le nommait rédacteur en chef du journal.

Réintégré dans l’été 1924 dans l’enseignement, il fut nommé professeur à l’EPS de Rouen en octobre 1924 jusqu’en septembre 1927. Il milita alors surtout dans la Seine-Inférieure. Il s’intéressait toujours à la coopération. En 1919, il avait été un des membres fondateurs de la « Prolétarienne », imprimerie coopérative de Périgueux avec Fournet, Sautet, Sourzac, Eyraud, Debord, Yvan Darche, Marcel Delagrange, Olivier et Vigier. Administrateur délégué de la Coopérative nouvelle de Périgueux, il signait en octobre 1922, le projet de thèse et de résolution sur le rôle des communistes dans les coopératives qui fut présenté au congrès de Paris du parti. Il collaborait au Coopérateur et, en 1926, écrivait des articles sur le fonctionnement de la coopérative de Sotteville (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), « La Solidarité sottevilloise ».

Le 4 février 1926, le bureau politique le désigna pour participer à la conférence de la section « coopérative » de l’Internationale. Mais, il ne put se rendre à Moscou.

En juin 1926, Paul Bouthonnier assista au congrès du Parti communiste à Lille et fut élu membre du comité central. Le 22 septembre, le BP le désigna pour remplacer Charles Rappoport à la rédaction « parisienne » de l’Humanité du Nord, décision, semble-t-il, non suivie d’effet.

En 1927, comme secrétaire de la région communiste de la Basse-Seine, Bouthonnier participa à toutes les réunions du rayon communiste de Rouen qui aboutirent aux exclusions de Germaine Goujon et de Victor Engler. Parallèlement, il avait des responsabilités nationales puisqu’il signait, le 14 octobre, au nom du secrétariat du parti, comme secrétaire administratif, une lettre à l’IC à propos d’une visite de Ruth Fisher, qui venait d’être exclue par l’Internationale. Il fut également chargé du rapport pour le Comité central sur l’opposition française et il précisait dans un article « Classe contre classe » (Cahiers du Bolchevisme), 15 décembre 1927, la position du parti : « En même temps que nous devions adresser nos propositions de front unique à la CAP et au congrès socialiste, il était nécessaire de les soumettre aux organismes de base du Parti SFIO, par l’intermédiaire de nos régions, rayons, sous-rayons et cellules. » Le 30 janvier-1er février 1928, il présentait un rapport sur l’opposition. De février à juin, il signa presque tous les éditoriaux du Bulletin hebdomadaire de la presse. Il dut être pendant quelques mois un des trois secrétaires du parti, avec Maurice Thorez et Pierre Semard. En juillet-août, avec Henri Courtade, il exerça l’intérim de la direction du parti pendant le congrès de l’Internationale. Le 30 novembre 1928, la responsabilité de l’Agit-prop lui fut confiée. Militant syndical, il fut en 1927-28 membre de la CE de la 19e région des syndicats unitaires et membre du bureau du Syndicat unitaire de l’enseignement de la Seine-Inférieure. En 1927 il participa au nom de la direction du parti à la préparation de la manifestation Sacco-Vanzetti à Paris.

Bouthonnier fut en outre candidat en avril 1928 aux élections législatives dans la 3e circonscription de Rouen, arrondissement d’Elbeuf. Il fut aussi candidat du parti aux municipales de 1929 au Petit Quevilly et au conseil général en 1931 à Grand Couronne.

Le 1er avril 1929, il signait l’éditorial de l’Humanité sur le congrès de Saint-Denis qui allait s’ouvrir ; il était, selon la police, chargé d’assurer la liaison avec Maurice Thorez, clandestin. Le 6 avril, il était confirmé comme membre du Comité central et devint premier suppléant du Bureau politique. Il suivait aussi la fraction communiste de la Fédération de l’enseignement.

Paul Bouthonnier fut inculpé pour un article paru le 12 janvier 1929 dans l’Humanité , qui exaltait la fraternisation des mineurs de la Grand Combe (Gard) avec les soldats du 19e (ou 29e dans le questionnaire de 1934) régiment d’artillerie. Arrêté le 15 avril, il fut condamné à deux années de prison qu’il effectua à la Santé puis à Clairvaux jusqu’au 15 avril 1931. À sa sortie de prison, il demanda, écrivait-il dans son autobiographie de 1932, à être entendu par une commission du bureau politique « sur un incident » qui s’était produit pendant son séjour à Clairvaux. « Le B.P. a décidé que je ne rentrerais pas dans l’appareil du parti. Il m’a donné comme mandat de travailler au redressement de la Fédération unitaire de l’enseignement. Il m’a ensuite chargé du contrôle de la fraction de l’Union syndicale des techniciens. À la demande du Bureau politique j’ai fait une demande de réintégration dans l’enseignement public ». Bouthonnier pouvait cependant continuer sans restriction son activité politique pour le parti.

Paul Bouthonnier demanda alors en vain, de 1931 à 1935, sa réintégration dans l’enseignement. Toujours syndiqué à la Fédération de l’enseignement, il participait aux congrès et fut souvent le porte-parole des communistes de la fraction dite de la MOR. Dans la Vie ouvrière il commentait l’évolution du syndicalisme enseignant. Il gérait la caisse de la fraction du CE de l’Internationale des Travailleurs de l’Enseignement.

Dans l’Internationale des travailleurs de l’enseignement, membre de l’appareil de direction, à partir de juin 1931, il touchait un salaire de 1500 francs par mois. Comme gestionnaire de la caisse de la fraction communiste du CE de l’ITE, il percevait depuis septembre 1931, 2000 francs par mois. Lors de la réunion du comité exécutif de Liège (12-13 septembre 1931), il intervint dans la discussion de la question allemande, estimant que le Parti communiste ne s’occupait pas assez des instituteurs. Il proposa la création de comités de défense des personnels.

Paul Bouthonnier se consacra alors à la création d’une Université ouvrière et à la réflexion historique et théorique dans le cadre du parti. Dans les Cahiers du Bolchevisme (15 juillet 1932), il présenta la première ébauche du projet de l’UO élaboré en 1930 et fit part des difficultés matérielles et politiques rencontrées ; mais il indiquait que le travail préparatoire allait commencer dès maintenant. Ce n’est toutefois qu’en 1936 que l’UO allait pouvoir fonctionner véritablement.

Membre de la Fédération de l’enseignement, de la Fédération des fonctionnaires, il militait à la fin de 1933 pour l’unité syndicale. Il participait également aux campagnes électorales : élections législatives en avril 1932 à Rouen et en 1936 dans la même région. Du 27 au 31 décembre 1934 enfin, il assurait des cours à l’École internationale des militants de l’enseignement avec Eugène Blaise.

Secrétaire de l’Université ouvrière à partir de 1936, Paul Bouthonnier y assurait notamment les cours d’histoire. Qualifié par ses camarades d’« homme orchestre », il était capable de remplacer au pied levé tout professeur manquant. Il enseignait aussi à l’école des orateurs et collaborait régulièrement à l’Humanité pour les questions d’enseignement et d’histoire. Dans les Cahiers du Bolchevisme, il apporta une contribution très importante dans le domaine historique (sur la Révolution de 1848 - octobre 1936 -, sur la Commune de Paris - juillet 1937 -, sur la Révolution française à de multiples occasions) reliant toujours les événements historiques aux problèmes de l’actualité. Il écrivit aussi sur les questions de l’enseignement (1931, 1932), sur la formation des cadres (août 1936).

Enfin, il était demeuré collaborateur de La Vie ouvrière, Il signa notamment des articles « La victoire des démocraties sera la victoire de la paix », où il demandait l’aide à l’Espagne, le 12 janvier 1939, et plus tard, « L’action des travailleurs du monde sauvera la paix ».

En 1939, Paul Bouthonnier était membre d’un comité régional du Parti communiste (sans doute Paris).

Après la guerre, il présida, dès 1945, l’Université nouvelle, nouvelle appellation de l’Université ouvrière et fut un des professeurs de l’École centrale du parti.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article17668, notice BOUTHONNIER Paul, Joseph, Numa par Jacques Girault, René Lemarquis, Jean Maitron, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 26 octobre 2022.

Par Jacques Girault, René Lemarquis, Jean Maitron

Prison de la Santé, juillet 1929
Dernier rang au milieu des cinq : Paul Bouthonnier
Deuxième rang : Lacan, Gabriel Péri, Maurice Thorez, André Marty, Denis.
Assis au premier plan, Vaillant-Couturier

ŒUVRE : Multiples articles. — Un livre en collaboration : Servet et Bouton, La trahison socialiste de 1914, Bureau d’éditions, 1931.

SOURCES : Arch. Nat. F7/12949, 12992, 13030, 13090, 13092, 13093, 13095, 13 255, 13 256, 13 264, 13 601, 13 736, 13 747, 13 749. — Institut M. Thorez, Bobines 28, 34, 45, III, 149, 151, 202, 217, 259, 268, 270, 278, 279, 290, 291, 328. — Renseignements fournis par les Arch. Dép. de la Dordogne et la mairie de Périgueux. — G. Cogniot, Parti pris, op. cit.. — Lettre de Mme Dumont, fille de l’intéressé. — Archives Komintern, Moscou, RGASPI, 495 270 5274.- Questionnaires de 1930 (30 juillet) et de 1934 ; autobiographie du 11 janvier 1932 (consulté par Claude Pennetier) ; RGASPI, 517-1-1908, 534-6-109, 495-270-5274 (consulté par Jacques Girault).

ICONOGRAPHIE : Arch. A. Marty, P. Bouthonnier à la Santé, 1929. Cf. hors-texte t. 18.

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