Par Jacques Girault
Né le 21 juillet 1896 à Metz (Moselle), mort le 28 mars 1991 à Annecy (Haute-Savoie) ; professeur ; Résistant ; militant du scoutisme et de Peuple et Culture ; militant du SGEN.
Plus jeune fils d’un artisan boulanger, de culture française, père de six enfants, Paul Thisse, après avoir fréquenté l’école primaire catholique, entra au gymnasium de Metz, alors territoire allemand. Il fréquenta un groupe de jeunes catholiques francophiles. Titulaire du baccalauréat allemand en 1916, il commença des études de mathématiques à la faculté de Francfort et effectua son service militaire de mars 1917 à novembre 1918 comme soldat de deuxième classe dans une unité allemande de Défense contre avions sur le front russe avant d’être versé en Belgique. A la fin de la guerre, victime de la grippe espagnole, il séjourna en maison de repos à Vence (Alpes-Maritimes) où des jeunes russes l’initièrent au socialisme.
Étudiant à la Faculté des sciences de Strasbourg, il obtint une licence de sciences en 1920. Adhérent au Parti socialiste SFIO, il devint le secrétaire du groupe des étudiants socialistes tout en conservant des convictions chrétiennes. Auditeur au congrès de Tours, il rallia la Troisième Internationale. Après une période de recherches personnelles dans l’effervescence culturelle strasbourgeoise, s’éloignant du communisme, il découvrit le théâtre de Jacques Copeau qui fut son ami, approfondit sa culture religieuse, envisagea d’entrer dans les ordres lors d’une retraite au couvent des Dominicains à Saint-Maximin (Var) en 1925. Il reprit la préparation de l’agrégation de mathématiques à laquelle, admissible en 1924, il fut reçu en 1926.
Après avoir été répétiteur au lycée de Mulhouse (Bas-Rhin) et au lycée Kléber à Strasbourg en 1924, Paul Thisse fut nommé en 1926 professeur au lycée Berthollet à Annecy où il enseigna jusqu’à sa retraite en février 1962.
Paul Thisse se maria à Strasbourg en avril 1928 avec une étudiante en philosophie, protestante convertie au catholicisme. Le couple eut quatre enfants.
En relations étroites avec des catholiques « vivant selon une même spiritualité, militante et communautaire », tout en conservant ses relations culturelles anciennes, Paul Thisse participa aux activités du cercle Fustel de Coulanges dans lequel se regroupaient des enseignants catholiques. Il prit des distances avec ces derniers, très proches de l’Action française, avant de rompre. Engagé dans le scoutisme (commissaire départemental depuis 1935), il créa, avec l’aide de Jacques Copeau, les “comédiens routiers“ à Annecy qui établirent des relations avec des groupes allemands. En 1933, lors d’un pèlerinage en Palestine, il découvrit les initiatives d’un kiboutz, nouvelle forme de vie communautaire. Militant dans les organisations professionnelles chrétiennes, il adhéra au Syndicat général de l’Éducation nationale à la fin des années 1930.
Mobilisé en septembre-octobre 1939, Paul Thisse reprit son service et devint maître d’éducation générale en 1942. Depuis l’automne 1940, chef du groupe scout d’Annecy, rallié à la volonté de nombreux responsables de mouvements chrétiens refusant l’idéologie national-socialiste, il devint le responsable en Haute-Savoie de la diffusion des Cahiers de Témoignage Chrétien et de Défense de la France après l’arrestation d’Henri Voisin en novembre 1942. Il accepta de travailler à « refaire le tissu national » et collabora avec l’École nationale des cadres de la jeunesse d’Uriage (Isère). Du 20 au 27 septembre 1942, il participa, en raison de ses responsabilités dans le scoutisme, à une session de formation et se lia avec Hubert Beuve-Méry. Prenant des distances avec les membres du Service d’ordre légionnaire, il refusa de participer à ses côtés, à la célébration de la fête de Jeanne d’Arc en mai 1943, s’opposant ainsi aux instructions du commissaire régional. Ce dernier demanda sa comparution pour “indiscipline“ et “déloyauté“ devant une instance du mouvement. Condamné, il démissionna puis participa à l’école clandestine d’Uriage et à ses « équipes volantes » (camp des Glières et autour de Thônes). En octobre 1943, il organisa la réunion près de Manigod (Haute-Savoie) des anciens d’Uriage et des chefs de la Résistance pour s’accorder sur les mesures à prendre pour les formes de la renaissance française. Ces militants formèrent le futur comité départemental de Libération, Thisse étant chargé de la commission de l’Éducation nationale, le 20 août 1944. Il présenta le projet de centre des Marquisats, le 19 septembre, s’appuyant sur les syndicats, les mouvements de jeunesse et l’enseignement. Ce « centre d’études et d’information destiné à la formation des cadres, des syndicats, de l’ensemble des mouvements de jeunesse, des mouvements sportifs et des jeunes ruraux » fut officialisé par le Commissaire de la République Yves Farge, le 1err octobre 1944. Selon Paul Thisse, son maître à penser, il se réclamait aussi bien de Karl Marx que de Charles Péguy, avec « une équipe de jeunes hommes » réunis dans la Résistance, voulant « plonger ses racines dans le peuple » et « être une cellule vraiment vivant de l’organisme français ». Ce mouvement devint “Peuple et Culture de la Haute-Savoie“. Thisse y assura, en 1946, un cours hebdomadaire sur l’histoire du mouvement ouvrier pour les militants de la CFTC.
Dans son lycée, Paul Thisse, engagé pour encadrer les classes nouvelles, soucieux de la pédagogie des mathématiques, assura les responsabilités de chef d’équipes jusqu’en 1954. Membre du conseil d’administration de son lycée, il était le responsable de la section de l’établissement du SGEN et dans le département.
L’essentiel de son activité, notamment le théâtre, s’exerça dans le mouvement “Peuple et Culture“ dont il était le responsable départemental. En relations constantes avec des groupes catholiques, il affirma constamment son soutien à l’école laïque. Il organisait aussi des stages d’allemand.
Paul Thisse, surmené et malade, demanda sa retraite en février 1962.
Par Jacques Girault
Iconographie : Paul Thisse (béret) et Louis Moreau, un des fondateurs des Marquisats, futur responsable du Centre d’éducation ouvrière de Haute-Savoie, issu des Marquisats (Allemagne,1962)
SOURCES : Arch. Nat., F17 28063. — Site Internet, « fr.scoutwiki.org/PaulThisse ». — BAUD (Henri, sous la direction de), Histoire des diocèses de France. Genève-Annecy, Paris, Beauchesne, 1985. — Renseignements fournis par Luc Moreau (Sources : Arch. Dép. de Haute-Savoie, (fonds Julien Helfgott, Jean Leveugle, MJC des Marquisats).— Bernard Comte, L’école nationale des cadres d’Uriage, une communauté non conformiste à l’époque de la révolution nationale (1940-1942), Thèse, Université de Lyon 2, 1987. — Elisabeth Kessler, Le vieux Thisse, Imprimerie spéciale Bonlieu scène nationale, Annecy, 1994). — Nécrologie par Paul Thibaud, Le Monde, 1er avril 1991. — Note de Rémy Pergoux.