BOZZI Jacques, Albert, Toussaint

Par Didier Bigorgne

Né le 24 avril 1883 à Pila-Canale (Corse), mort le 25 mai 1961 à Charleville (Ardennes) ; professeur de philosophie ; militant socialiste SFIO et associatif, président de la fédération socialiste des Ardennes de la Ligue des droits de l’Homme (1920-1940), secrétaire fédéral du Parti socialiste SFIO des Ardennes (1944-1946) ; maire de Charleville (1944-1959) ; conseiller général (1945-1958) et président du conseil général des Ardennes (1945-1955) ; député (1945-1946) puis sénateur (1948-1955).

[Sénat]

Jacques Bozzi était le fils d’Ignace Bozzi, propriétaire, et de Marie Thérèse Albert, institutrice. Après avoir obtenu le baccalauréat lettres- philosophie en 1901, il occupa un poste de répétiteur au collège de Salins de mai 1902 à novembre 1903. En congé d’inactivité pour raisons de santé, il effectua son service militaire dans l’infanterie à Ajaccio d’octobre 1905 à janvier 1906, date à laquelle il fut réformé temporaire. Il retrouva un poste de répétiteur d’abord au collège de Boulogne d’avril 1908 à septembre 1909, ensuite à Sedan d’octobre 1909 à septembre 1911, puis au collège de Dunkerque d’octobre 1911 à novembre 1912.

De sympathie socialiste, Jacques Bozzi se manifesta lors des mouvements contre la vie chère en 1911 : partisan des délégations à la sous-préfecture de Sedan, il était antihervéhiste et hostile aux manifestations de masse dans la rue. Il n’y descendit que pour« endiguer la fièvre populaire ».

Titulaire d’une licence de lettres qu’il réussit à la Faculté de Lille en 1912, Jacques Bozzi fut alors nommé au lycée Chanzy de Charleville où il demeura jusqu’en décembre 1914. Travailleur acharné, il obtint un diplôme d’études supérieures de philosophie à Lille. Le 18 mars 1913, à Charleville, il épousa la fille d’un imprimeur, Jeanne Camille Rousseaux, professeur de musique, qui lui donna une fille. Devenu professeur de lettres, Jacques Bozzi enseigna au collège de Saint-Marcellin (Isère) de janvier à juillet 1915 avant d’être mobilisé dans les services auxiliaires jusqu’au 20 avril 1916. De retour à la vie civile, il reprit un poste d’enseignant au collège de Carpentras d’octobre 1916 à septembre 1918, puis au collège de Dôle d’octobre 1918 à octobre 1919. Enfin, il fut nommé professeur au lycée Chanzy de Charleville où il enseigna jusqu’à son départ à la retraite le 24 octobre 1941. Selon l’Inspecteur d’Académie des Ardennes en 1923 Jacques Bozzi menait « une activité sociale variée et d’un tour politique peu sage ». L’année suivante, l’Inspecteur précisait : « a de la vie et peut-être à cause de la part active qu’il prend au mouvement politique, une tournure d’esprit moderne et intéressante ». En effet, sa vocation intellectuelle l’amena à écrire diverses conférences philosophiques et littéraires, notamment un essai sur « l’esprit laïc » en 1925.

La vie militante de Jacques Bozzi commença dans les années qui suivirent la Première Guerre mondiale. En 1919, il adhéra au Parti socialiste SFIO. À son retour dans les Ardennes, il fut admis au cercle d’études « L’Étincelle » de Charleville. Il s’y distingua rapidement par des positions modérées. En novembre 1919, il se montra partisan d’une alliance avec les radicaux, n’hésitant pas à déclarer « en politique, la raison doit dominer le sentiment... Nous devons apprendre à manœuvrer ». A la veille du congrès de Tours en décembre 1920, il contribua à la scission au sein même de « L’Étincelle » . Enfin, après la scission syndicale de 1921, il dénonça les noyautages des socialistes révolutionnaires dans le journal fédéral, Le Socialiste ardennais, dans lequel il écrivait de nombreux articles.

Aux élections législatives de 1924, Jacques Bozzi fut candidat, avec les socialistes Charles Boutet et Émile Jevais, sur la liste du cartel des Gauches : avec une moyenne de 25 699 voix (25 144 pour Bozzi) sur 79 298 inscrits et 69 645 votants, celle-ci n’eut aucun élu. Dans les années qui suivirent, Bozzi représenta le Parti socialiste SFIO, sans succès, à différentes élections législatives. En 1928, il échoua au premier tour dans la circonscription de Vouziers en recueillant 1 627 suffrages sur 16 966 inscrits et 14 886 votants. Candidat à l’élection complémentaire des 23 et 30 mars 1930 dans la circonscription de Rocroi, il obtint 3 450 voix sur 13 159 inscrits et 10 573 votants au premier tour, mais il fut battu au scrutin de ballottage malgré ses 4 831 suffrages sur 10 909 votants. Enfin, il recueillit 2 633 voix sur 13 643 inscrits et 11 754 votants au premier tour dans la même circonscription en 1932 ; il se désista pour le socialiste indépendant Pierre Viénot qui fut élu député au second tour.

Jacques Bozzi eut davantage de réussite dans la vie politique locale. Aux élections municipales de mai 1925, il fut élu conseiller municipal de Charleville et devint deuxième adjoint au maire socialiste SFIO, Charles Boutet. Il fut réélu aux scrutins de 1929 et 1935 et occupa alors la fonction de premier adjoint. Dans le même temps, Bozzi se fit une place dans la Fédération socialiste SFIO des Ardennes. Après l’élection de Boutet à la députation en 1928, il lui succéda au poste de secrétaire de rédaction du Socialiste Ardennais. Il rédigea pour le journal de nombreux éditoriaux dirigés pour l’essentiel contre le Parti communiste ; ainsi le 26 juin 1932, il demandait aux travailleurs socialistes de ne pas adhérer à la CGTU et les exhortait à faire du syndicalisme pour lutter contre le bolchevisme et pour arracher les racines du communisme dans la vallée de la Meuse. Délégué au 30e congrès national du Parti socialiste SFIO qui se tint à Paris du 14 au 17 juillet 1933, Bozzi faisait partie de la tendance « néo-socialiste » qui fut condamnée par la majorité des congressistes. Son attachement au réformisme, son hostilité au Parti communiste et ses réserves à l’égard du pacte d’unité d’action valurent à Bozzi d’être écarté du Socialiste Ardennais en 1934. Il fut alors remplacé par un jeune avocat, Marceau Vignon.

Parallèlement à son engagement politique, Jacques Bozzi s’était investi dans différentes associations. Franc-maçon, il fut initié à la loge « La Fraternité » de Charleville (Grand Orient de France) le 29 février 1920. Il s’y distingua par ses talents d’orateur pendant de longues années au cours desquelles il côtoya de nombreux militants socialistes : Charles Boutet député-maire de Charleville, Émile Jevais maire de Braux, conseiller général du canton de Monthermé et secrétaire de la Fédération des coopératives ardennaises, Roger Dehuz secrétaire adjoint de la Fédération socialiste SFIO des Ardennes, Armand Malaise secrétaire général de la section ardennaise du SNI, André Lebon secrétaire général adjoint de la section des Ardennes du SNI et secrétaire départemental de la Ligue de l’Enseignement. Membre de la Ligue des droits de l’homme, Bozzi fut président de la section de Charleville de 1920 à 1931, puis de la Fédération des Ardennes de 1925 à 1940. À la tête de l’organisation départementale, il mena le combat pour la laïcité, il lutta contre le fascisme, il participa à toutes les manifestations du Front populaire. Après les élections législatives de 1936, il était intervenu lors du congrès fédéral de la Ligue des droits de l’homme pour souhaiter le succès d’une expérience qui commençait y voyant « la promesse de plus de justice sociale et de plus de justice tout court ».

En 1940, Jacques Bozzi fut déchu de son mandat de maire adjoint par le gouvernement de Vichy pour son appartenance à la franc-maçonnerie dont il fut démissionnaire d’office le 7 août 1941 (selon le Journal officiel) pour admission à la retraite. Pendant l’Occupation, il participa à la Résistance dans le mouvement Libération-Nord. Lors des obsèques d’Armand Malaise, le responsable du mouvement dans les Ardennes mort en mission le 4 janvier 1944, qui ressemblèrent fort à une manifestation patriotique avec une cocarde tricolore placée sur le cercueil, Bozzi prononça un discours courageux et audacieux. Le 10 janvier suivant, il fut arrêté par les Allemands à Paris, en compagnie des socialistes Louis Le Leuch et Jean Biondi, au sortir d’une réunion clandestine qui s’était tenue dans un immeuble de la rue de l’Hôpital Saint-Louis. Incarcéré à la prison de Fresnes jusqu’au 20 avril 1944, il regagna Charleville pour être placé en résidence surveillée jusqu’à la fin de la guerre.

À la Libération, Jacques Bozzi se présenta comme l’héritier politique de Charles Boutet, décédé en 1943. Réinstallé dans sa fonction de maire adjoint de Charleville en septembre 1944 par le comité départemental de Libération, il fut élu maire de la ville malgré le veto des FFI. Aux élections municipales d’avril-mai 1945, il conduisit à la victoire une liste républicaine d’Union démocratique composée en majorité de socialistes et de communistes et fut réélu maire de Charleville. Aux élections pour le conseil général des 23 et 30 septembre 1945, il fut candidat dans le canton de Charleville : il arriva en tête au premier tour avec 5 064 voix sur 18 837 inscrits et 13 489 votants devant le communiste Robert Collignon (4 673 voix) et fut élu conseiller général au scrutin de ballottage en rassemblant 9 017 suffrages sur 10 848 votants. Il devint président du conseil général des Ardennes. Le 21 octobre suivant, il fut élu député à la première Assemblée constituante : tête de la liste du Parti socialiste SFIO qui recueillit 36 163 suffrages sur 149 484 inscrits et 121 299 votants et qui arriva en deuxième position derrière la liste communiste (37 863 voix), il remporta son siège au quotient. Dans le même temps, Bozzi reconstitua la Fédération socialiste SFIO des Ardennes. Il fut nommé secrétaire fédéral le 4 octobre 1944. Il fut confirmé dans sa fonction lors du congrès départemental du 5 novembre suivant et l’occupa jusqu’au congrès du 14 janvier 1946. Il céda alors son poste à Louis Le Leuch, mais il continua de siéger à la commission exécutive jusqu’en 1958.

Aux élections à la seconde Assemblée constituante du 21 juin 1946, Jacques Bozzi ne se représenta pas. En revanche, il fut candidat aux élections du 8 décembre 1946 pour le Conseil de la République : avec 116 voix sur 553 inscrits et 553 votants, il échoua. Aux élections de 1947, il conduisit la liste socialiste SFIO à Charleville ; celle-ci remporta sept sièges, à égalité avec la liste communiste. Les deux partis s’allièrent au conseil municipal, Bozzi fut réélu maire de Charleville. À nouveau candidat au Conseil de la République le 7 novembre 1948, il fut alors élu au second tour avec 366 voix sur 947 suffrages exprimés : membre du groupe socialiste, il siégea dans les commissions de l’Intérieur et du Suffrage universel.

Avec la Guerre froide, Jacques Bozzi prit un virage politique. Il afficha un anticommunisme virulent, il se prononça pour le réarmement allemand, il privilégia les ententes avec les centristes. Cette attitude nouvelle lui causa bien des difficultés sur le plan électoral. Lors du renouvellement du conseil général les 7 et 14 octobre 1951, il recueillit 2 541 voix sur 18 901 inscrits et 10 363 votants au premier tour dans le canton de Charleville et fut nettement devancé par le communiste Pierre Lareppe (3 249 voix). Il bénéficia du désistement des candidats radical-socialiste et indépendant de gauche en sa faveur et l’emporta de justesse au scrutin de ballottage avec 4 306 suffrages contre 4 004 à Lareppe, sur 11 854 votants. Quelques jours plus tard il fut réélu président du conseil général des Ardennes et le demeura jusqu’en 1955. Aux élections municipales des 26 avril et 3 mai 1953, la liste socialiste SFIO conduite par Bozzi remporta neuf sièges. Il constitua une nouvelle majorité municipale avec les sept élus MRP et les deux élus radicaux et fut réélu maire de Charleville. Par contre, il ne fut pas reconduit dans son mandat sénatorial le 26 juin 1955. Placé en deuxième position sur la liste socialiste SFIO qui n’eut aucun élu, il obtint 238 voix sur 950 suffrages exprimés au premier tour et 419 voix sur 943 suffrages exprimés au second tour.

Jacques Bozzi ne se représenta pas aux élections cantonales en 1958. La Fédération socialiste SFIO des Ardennes ayant décidé d’une limite d’âge pour ses candidats, il renonça à se présenter aux élections municipales de mars 1959. Il se retira définitivement de la vie politique. Il était veuf depuis le 5 janvier 1951 quand il mourut d’une défaillance cardiaque. Il était alors officier de la Légion d’honneur depuis 1956, officier du Mérite civil et officier de l’Instruction publique. La municipalité de Charleville lui réserva des obsèques solennelles. Aujourd’hui, une place de la ville porte le nom de Jacques Bozzi.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article17751, notice BOZZI Jacques, Albert, Toussaint par Didier Bigorgne, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 3 mars 2017.

Par Didier Bigorgne

[Sénat]

SOURCES : Arch. Nat, F17/25039 (notes de Jacques Girault).— Arch. Dép. Ardennes, 3 M 4, 5, 6, 7, 8 et 9. — Archives de la Fédération socialiste des Ardennes. Registres du cercle « L’Étincelle » — Le Socialiste Ardennais, 1919 à 1939 — Le Réveil ardennais, 1944 à 1958 — L’Union, 26 mai 1961 et 17 février 1981. — Presse locale. — Notice fournie par l’Assemblée nationale. — Notes d’André Lebon et d’Henri Manceau. — Dominique Candille, Le Front populaire dans les Ardennes, mémoire de maîtrise, Paris I, 1973. — Agnès Le Borgne, L’histoire de la Ligue des droits de l’homme dans les Ardennes, Charleville-Mézières, LDH, 1998.— La Documentation française, 1992.— État civil de Charleville-Mézières.

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