VEIL Jacques, Jules, Gustave [pseudonymes dans la Résistance : MARTINI Gustave, Franck, NUTTE Gustave]

Par Jean-Marie Guillon

Né le 14 juillet 1917 à Paris (Seine), abattu le 11 janvier 1944 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; bibliothécaire d’État ; résistant, chef de secteur du réseau de renseignement Phalanx.

La famille de Jacques Veil, des Français juifs originaires de Moselle du côté paternel et d’Alsace du côté maternel, vint s’installer à Paris après la défaite de 1871. Son père, Lucien Veil, était cadre administratif à la SNCF (chef de bureau de ville) en retraite et sa mère, Jeanne Bloch, agrégée de lettres, avait été professeur de lycée avant de démissionner pour élever ses trois enfants, une fille, Hélène, et deux garçons, Jacques et Claude. Jacques Veil était lui aussi un littéraire. Après des études au lycée Montaigne, puis au lycée Louis-le-Grand, il obtint une licence de Lettres à la Sorbonne. Il poursuivit en s’inscrivant à l’École pratique des hautes études. Avec son condisciple Roland Barthes, il avait créé en 1936 le Théâtre antique de la Sorbonne avec lequel il monta Les Perses d’Eschyle que la troupe joua en France et à l’étranger. Il séjourna ainsi dans plusieurs pays d’Europe (Norvège, Italie, Allemagne, Autriche, etc.). Il obtint le diplôme de bibliothécaire d’État.

Après l’occupation de la zone Nord et avec l’application des mesures antisémites, il perdit son poste. Ses parents ayant décidé de quitter Paris dans l’hiver 1939-1940, la famille Veil s’installa à Clermont Ferrand (Puy-de-Dôme) où elle resta jusqu’en 1941. C’est sans doute pourquoi Jacques Veil, qui avait dû les rejoindre, publia deux articles sur la bibliothèque municipale d’Aurillac (Cantal), l’un sur le fonds ancien des imprimés, et l’autre plus général dans le numéro de L’Auvergne du 10 octobre 1940. La famille Veil ne pouvant s’établir dans les Alpes-Maritimes ce qu’elle aurait souhaité, elle vint se réfugier non loin, dans l’est du Var. Elle s’installa sur la commune de Tourettes, reprenant là une ferme – Les Turquières - sans eau, ni électricité. Jacques y arriva en mars 1942, un mois après son frère cadet Claude. Les deux frères commencèrent à défricher et à cultiver les six hectares de terre laissés depuis longtemps à l’abandon. Leurs parents s’y établirent en juin. Ils furent rejoints par leur fille aînée, qui enseignait en Alsace, mais qui partit ensuite pour l’école de Beauvallon à Dieulefit, dans la Drôme.

C’est en février 1943 que Jacques, qui avait de nombreuses relations, entra dans le réseau Phalanx, où il fut immatriculé sous le numéro RH 122. Ses pseudonymes furent Martin I, puis Franck. De santé plus fragile que son frère, il lui laissait les gros travaux de la campagne pour se consacrer à la collecte de renseignements militaires, d’abord sur les terrains d’aviation du Var (celui, tout proche, de Fayence et la base aéronavale de Cuers, qu’il put photographier), puis ceux des départements voisins (Hautes et Basses-Alpes), ainsi que sur les gares de la région. Au début, il portait les renseignements à Villeurbanne (Rhône), puis il utilisa comme boîte aux lettres(une librairie de Nice (Alpes-Maritimes) où il pouvait se rendre à bicyclette ou par le chemin de fer. C’est à Nice qu’il fut arrêté une première fois, à la gare, en août 1943 par des hommes de main du Parti populaire français (PPF). Il put s’en sortir avec l’aide d’un policier gaulliste. Cependant, il fut astreint à résider à Tourettes par la préfecture des Alpes-Maritimes le 20 août, ce qui ne l’empêcha pas de reprendre ses activités clandestines. Il pénétra de nuit dans la kommandantur de Draguignan (Var) pour relever l’implantation des installations militaires et la liste des numéros de téléphone.

Il fut arrêté fin novembre 1943 après un rendez-vous avec un contact à Hyères (Var) pour recueillir des renseignements sur le terrain d’aviation de Palyvestre. Il aurait été arrêté en prenant des photographies dans l’arsenal de Toulon (Var). Le registre d’écrou de la prison allemande de Toulon atteste qu’il y a été enfermé sous la fausse identité de Gustave Nutte (du nom d’un grand oncle) du 27 novembre au 2 décembre et sous l’accusation d’espionnage. Transféré à Marseille (Bouches-du-Rhône), emprisonné aux Baumettes, il parvint à faire prévenir un de ses amis, Jean-Jacques Bovet, pasteur de Grasse (Alpes-Maritimes), grâce auquel la famille eut quelques nouvelles. Ayant pris froid, sans doute maltraité, il fut hospitalisé à l’hôpital de La Timone et put faire passer un mot à sa famille : « J’ai tellement pensé à vous qu’il me semble impossible qu’il ne vous en soit pas parvenu quelque chose ». Interrogé dans les locaux de la direction régionale de la Sipo-SD, certainement torturé mais ne livrant rien (même pas son nom véritable), il fut abattu dans le jardin du tristement célèbre 425 de la rue Paradis, dans la nuit du 10 au 11 janvier 1944, vers 1 heure du matin, au cours d’une « tentative de fuite » (d’après un constat de décès établi par un inspecteur de police marseillais). Il fut inhumé au cimetière Saint-Pierre.

Son frère Claude, qui était resté à Tourettes, fut à son tour arrêté par les Allemands à Lurs (Basses-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence), le 3 juin 1944. Emprisonné à Marseille, aux Baumettes, et à Avignon (Vaucluse), il fit partie du convoi en route vers Drancy (Seine) que les maquisards de l’Ardèche interceptèrent au Teil le 3 août. Il rejoignit alors le maquis, s’engagea à la Libération et se retrouva sur le front des Alpes.

Jacques Veil fut homologué comme sous-lieutenant des Forces françaises de l’Intérieur (FFI). Il fut décoré de la Légion d’honneur (le 30 décembre 1948), de la Croix de guerre et de la Médaille de la résistance à titre posthume. Des hommages lui furent rendus, d’abord lors de l’assemblée générale de la Revue d’études grecques du 7 juin 1945, puis à la Bibliothèque universitaire de la Sorbonne le 27 janvier 1949. Il obtint la mention « Mort pour la France » et fut décoré de la Médaille de la Résistance à titre posthume le 31 novembre 1946.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article177793, notice VEIL Jacques, Jules, Gustave [pseudonymes dans la Résistance : MARTINI Gustave, Franck, NUTTE Gustave] par Jean-Marie Guillon, version mise en ligne le 7 janvier 2016, dernière modification le 8 septembre 2022.

Par Jean-Marie Guillon

SOURCES  : Arch. Dép. Var, dossiers du cabinet 592.— Mémoire des Hommes SHD Caen DAVCC 21 P 170119 et 21 P 687148, Vincennes GR 16 P 587886 (nc). — Arch. famille Veil.— L’Echo des carrières, Bulletin de l’Association culturelle des Juifs du Pape n°70, janvier 2013.— Résistance Var n° 47 décembre 2002.— Revue des Etudes grecques tome LVIII n°274-278, janvier-décembre 1945.— Jan-Bernat Bouéry, E pamens lis estièu fuguèron bèu…, Marseille, Edicioun Prouvènço d’aro, 2000. — registre décès Marseille.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
fiches auteur-e-s
Version imprimable