Par Marielle Debos
Né le 13 juillet 1951 au Tchad ; homme politique ; chef rebelle ; ministre ; ambassadeur.
Acheikh Ibn Oumar est né en 1951. Originaire de la région du Batha (centre du Tchad), il est un homme politique et un ancien chef rebelle tchadien. Son itinéraire politique passe par la Libye, le Soudan et la France. L’alternance des défections et ralliements, qui marque le parcours d’Acheikh, est la norme plus que l’exception dans le champ politique tchadien.
L’histoire politique d’Acheikh Ibn Oumar commence à Paris dans le quartier latin des années 1970. Le jeune Arabe Awlad Rashid, qui est venu faire des études en France, est socialisé dans les milieux étudiants de la gauche anti-impérialiste. En 1975, il participe avec d’autres étudiants tchadiens, dont Ibni Oumar Mahamat Saleh, Nadji Bassiguet et Mahamat Ali Younouss, à la création d’un groupe clandestin qui se donne pour mission de transformer la rébellion du Front de libération nationale du Tchad (Frolinat) en un mouvement révolutionnaire. Acheikh rejoint la lutte armée sur le terrain en 1977. Il découvre alors le décalage entre les analyses politiques élaborées à Paris et les réalités de la rébellion.
En 1978, quand le Frolinat est déjà divisé en plusieurs factions, Acheikh se rallie à Goukouni Oueddeï. Il rejoint ensuite le Conseil démocratique révolutionnaire (CDR), une faction du Frolinat. Entre 1981 et 1982, sous le Gouvernement d’unité nationale (GUNT) dirigé par Goukouni Oueddeï, Acheikh Ibn Oumar occupe le poste de ministre de l’Education. Acheikh prend la tête du CDR en 1982 quand le fondateur du mouvement, Acyl Ahmat, est fauché par l’hélice d’un avion. Acheikh se présente comme l’héritier d’Acyl. Le principal soutien du mouvement est alors la Libye du colonel Kadhafi. Si Acheikh est accusé d’adopter avec la Libye une position plus conciliante qu’Acyl, il reste moins pro-libyen que le chef militaire Rakhis Mannany. Les combattants du CDR et les Arabes tchadiens qui fuient la répression organisée contre leur groupe par le régime de Habré sont cependant au Darfour (Soudan).
En 1983 et 1984, Acheikh est ministre de la Défense du GUNT qui est alors un gouvernement en exil (et donc non reconnu par le Tchad de Habré). Les relations entre Acheikh, Goukouni et leur parrain libyen sont houleuses. En 1984, Acheikh est destitué du GUNT et assigné à résidence à Tripoli. Le conflit entre Goukouni et Acheikh, qui a un temps été considéré par Kadhafi comme un remplaçant possible de Goukouni à la tête de la rébellion, s’aggrave : leurs troupes s’affrontent, tandis qu’Acheikh est arrêté et détenu jusqu’en novembre 1985. Après la défaite de la Libye face aux troupes conduites par Habré en 1987, Acheikh rompt avec Kadhafi. En novembre 1988, il signe un accord avec le gouvernement et devient ministre des Affaires étrangères – poste qu’il conserve jusqu’à la chute de Habré en décembre 1990.
Sous Idriss Déby, Acheikh se voit offrir plusieurs postes prestigieux. Il devient conseiller spécial du président (1990-1991), puis ambassadeur du Tchad aux États-Unis et haut-représentant auprès des Nations unies (1992-1993). Il rompt cependant avec Déby et part en exil en France. Pour expliquer sa défection, il affirme qu’il se sentait menacé : des rumeurs circulaient à N’Djamena à propos de liens qu’il aurait entretenus avec des opposants armés.
En mai 1995, il annonce sur Radio France Internationale son retour parmi les politico-militaires. Il retrouve à Cotonou, puis à Paris, Mahamat Garfa, de l’Alliance nationale pour la résistance (ANR) et Brahim Mallah, du Mouvement pour la démocratie et le développement (MDD). Ils sont rejoints par Hissène Koty et Bichara Idriss Haggar, du Comité national de redressement (CNR), Adoum Yacoub Kougou, puis le Docteur Al-Harris, Ousmane Gam et Adoum Moussa Seïf. Les entreprises politico-militaires d’Acheikh sont alors modestes et les retombées de son activisme en exil plus que maigres. Le CDR et les groupes politico-militaires dormants ne doivent cependant pas être enterrés trop rapidement.
En 2006, Acheikh Ibn Oumar revient à nouveau sur la scène politico-militaire. L’homme qui séjourne dans la capitale soudanaise en juillet 2006 retrouve ses anciens compagnons d’armes et ses adversaires politiques. Parmi eux se trouvent d’autres chefs rebelles qui sont, eux aussi, passés par le CDR, à l’instar de Hassan Al Djinedi. Le retour aux affaires d’Acheikh n’a été possible qu’à partir du moment où le Soudan l’a approuvé. Acheikh peut bénéficier du soutien soudanais à partir de l’été 2006, à condition qu’il accepte de s’allier à Mahamat Nouri, un ancien homme lige de Habré contre qui il a longtemps combattu. Acheikh accepte de collaborer avec son ancien ennemi : le CDR qu’il dirige rejoint la nouvelle coalition. L’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD), issue d’une alliance de circonstances, ne résiste cependant pas longtemps aux dissensions internes. Une faction composée majoritairement d’Arabes, l’UFDD-Fondamentale (UFDD-F), quitte la coalition en mai 2007. L’UFDD-F réunit le CDR d’Acheikh et une aile du Front uni pour le changement (FUC) dirigée par Abdel Wahid Aboud Mackaye. Les mésaventures de l’intellectuel en rébellion se poursuivent avec la montée en puissance au sein de l’UFDD-F d’Aboud Mackaye. Acheikh est finalement exclu du mouvement en février 2008, au moment où la coalition rebelle lance une attaque majeure sur N’Djamena.
Acheikh reprend le chemin de son exil français. En janvier 2009, au moment où se forme une nouvelle coalition rebelle, Albadour Acyl Ahmad Aghbach devient officiellement Secrétaire général du CDR, au sein duquel Acheikh est, selon ses propres mots, « redevenu un simple militant ». Cinq mois plus tard, alors que la nouvelle coalition rebelle baptisée Union des forces de la résistance (UFR) lance une attaque dans l’est tchadien (qui sera rapidement stoppée par les forces gouvernementales), Acheikh accepte le poste de représentant de la rébellion en Europe (2009-2010).
Avec la défaite de la rébellion en 2009, Acheikh retrouve son statut d’opposant et d’intellectuel en exil. Il vit en France à Reims. Entre mars 2011 et juin 2014, il est le coordinateur adjoint du Conseil national pour le changement et la démocratie au Tchad, une plateforme de l’opposition tchadienne. Il tient un blog et est régulièrement sollicité pour commenter l’actualité tchadienne et africaine dans les médias français. Ses récentes excursions du côté des rébellions ne l’empêchent pas d’être invité comme expert dans des séminaires sur le Tchad et les pays de la bande sahélo-saharienne. *
En 2018, Acheikh Ibn Oumar revient au Tchad après 25 ans d’exil. Il rallie le régime en acceptant sa nomination comme conseiller technique à la présidence de la République.
En 2021, après la mort du président Idriss Déby et le coup d’État de son fil, Mahamat Idriss Déby, Acheikh Ibn Oumar est nommé ministre d’État à la Réconciliation et au dialogue dans le gouvernement formé par le Conseil militaire de transition (CMT).
Par Marielle Debos
Œuvre : Blog : http://www.yedina.net
Sources : Entretiens avec Acheikh Ibn Oumar, Paris, mars 2006, novembre 2009, avril 2011 ; Robert Buijtenhuijs, Le Frolinat et les guerres civiles du Tchad, 1977-1984. La révolution introuvable, Leiden, Afrika-Studiecentrum, Paris, Karthala, 1987 ; Marielle Debos, Le métier des armes au Tchad, le gouvernement de l’entre-guerres, Paris, Karthala, 2013 ; Julie Flint, Alex de Waal, Darfur. A short history of a long war, Londres and New York, Zed Books, African Arguments, 2005