JEANNE Charles [JEANNE Eugène, Charles]

Par Thomas Bouchet

Né le 15 mai 1800 à Paris, mort le 11 juillet 1837 à Doullens (Somme). L’un des meneurs de l’insurrection des 5 et 6 juin 1832.

Les trente premières années de l’existence de Jeanne sont mal connues. Si l’on en croit Marie, son avocat lors du procès de 1832 — mais ce témoignage est sujet à caution —, Jeanne aurait fait jusqu’à l’âge de quatorze ans des études au lycée impérial de Caen, puis il se serait engagé pour quelques mois dans les armées de l’Empire. Après plusieurs années d’interruption, il aurait repris cette activité en 1823. Plus tard, il serait retourné vivre auprès de ses parents.

Lors des Trois Glorieuses, il se distingua dans les combats et reçut plusieurs blessures, ce qui lui valut la décoration de Juillet. En décembre 1830, il contribua, dans sa compagnie de la garde nationale, à maintenir le calme pendant les troubles liés au procès des ministres de Charles X. Il habitait en 1832 passage des Anglais, à proximité de la rue Saint-Martin. Il continuait à faire partie de la garde nationale. Il semble bien avoir exercé un temps le métier de commissionnaire. En tout état de cause, il était sans emploi au printemps 1832.

Lors de l’insurrection des 5 et 6 juin 1832, il prit les armes et supervisa en compagnie de Rossignol la construction d’une forte barricade, au cloître Saint-Merry. Dans l’après-midi du 6, alors que l’assaut final de la barricade était imminent, il parvint à prendre la fuite avec quelques autres insurgés, en réalisant une percée dans un groupe ennemi. Il se réfugia chez lui, puis quitta Paris. Il fut arrêté quelques semaines plus tard et figura au nombre des vingt-deux accusés du cloître Saint-Merry, dont le procès commença le 23 octobre. Contrairement à ses coaccusés, il revendiqua pleinement sa responsabilité dans les événements, et il fit preuve d’une détermination peu commune. Il s’en prit à ses juges, ironisa sur le fonctionnement de la justice et lorsqu’on lui retira sa décoration, il s’écria « La France me la rendra. » Il fut condamné à la déportation. Le soutien des républicains fut immédiat. Souscriptions, lettres d’encouragement affluèrent. Son procès fut édité. À Lyon, une souscription fut ouverte dans les bureaux du journal La Glaneuse pour Jeanne et les insurgés des 5 et 6 juin.

Il séjourna successivement dans plusieurs prisons : la Conciergerie jusqu’en mars 1833, Sainte-Pélagie jusqu’en mai 1833, le Mont-Saint-Michel jusqu’à avril 1834, Bicêtre jusqu’en octobre 1834, Clairvaux jusqu’en février 1836, Doullens enfin. Cette grande mobilité s’explique en partie par des tensions croissantes entre Jeanne et ses compagnons de détention. Il fut accusé de trahir la cause des républicains, de détourner des fonds destinés à l’ensemble des détenus, de s’entendre secrètement avec l’administration pénitentiaire ou même avec des groupes légitimistes. Des lettres collectives furent envoyées aux journaux républicains de la capitale pour dénoncer ses agissements et pour réclamer l’arrêt des soutiens apportés à Jeanne. La réputation du héros de Saint-Merry resta pourtant intacte hors du monde des détenus.

Aidé par ses proches, et en particulier par ses parents qui firent preuve pendant ces longues années d’un remarquable zèle, Jeanne finit par obtenir un assouplissement de ses conditions de détention. En outre, il était atteint de phtisie et son état se dégradait progressivement. Dans une lettre adressée le 18 mai 1837 au préfet de la Somme, le ministre de l’intérieur Montalivet exprimait toute sa satisfaction à l’égard du détenu : « Jeanne a manifesté d’excellentes dispositions ; il a fourni l’engagement d’honneur de ne plus se mêler d’affaires politiques », justifiant par là même une mesure de clémence royale.

Jeanne ne profita guère de l’amnistie de 1837. Il mourut à Doullens le 11 juillet de cette même année. « Une foule d’habitants a suivi le convoi par pure curiosité », rapporta le sous-préfet après l’enterrement.

Malgré les conditions plus que douteuses de ses derniers engagements, Jeanne resta longtemps l’une des figures héroïques de l’opposition au régime de juillet, aux yeux des républicains du siècle dernier. En 1848, on pouvait lire dans l’Aimable faubourien : « Intrépide Jeanne, nous nous rappelons encore ta sublime réponse à ceux qui t’apportaient du pain : "Du pain ! À quoi bon ? Dans une heure nous serons tous morts !". Héroïque enfant, les balles de la royauté ne t’exaucèrent pas ; tu mourus dans les cachots. »

Voir son descendant communard : François Joseph Armand Jeanne.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article178117, notice JEANNE Charles [JEANNE Eugène, Charles] par Thomas Bouchet, version mise en ligne le 23 janvier 2016, dernière modification le 26 juillet 2020.

Par Thomas Bouchet

SOURCES : Arch. Nat., F16/411, BB18/1330. — Arch. Dép. Somme, Y/250. — Procès des vingt-deux accusés du cloître Saint-Méry, événements des 5 et 6 juin 1832, suivi de pièces justificatives, Paris, Rouanet, 1832, 146 p. — « Jeanne », Le National, 8 novembre 1832. — La Glaneuse, 13 novembre 1832. — Edmond L’Hommedé, Le Mont-Saint-Michel, prison politique sous la monarchie de Juillet, Paris, 1932, 195 p. — J.-C. Vimont, La prison politique en France, genèse d’un mode d’incarcération spécifique, XVIIIe-XXe siècles, Paris, Anthropos, 1993, 504 p. — Cour des pairs, Affaire du mois d’avril 1834. Réquisitoire de M. le procureur-général, présenté à la Cour le 8 décembre 1834, Imprimerie Royale, Paris, 1834, 110-112. — Jeanne (Charles), À cinq heures nous serons tous morts ! Sur la barricade Saint-Merry, 5-6 juin 1832 ; présenté et commenté par Thomas Bouchet.- Paris : Vendémiaire, 2011.- 217 p., (Collection Généalogies) ISBN 978-2-36358-018-4. — Notes de Pierre Baudrier.

ICONOGRAPHIE : Un portrait de Jeanne figure dans Procès des vingt-deux accusés , op. cit.

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