Simencourt (Pas-de-Calais), 21 mai 1940

Par Dominique Tantin

Cinq civils furent abattus par les SS de la 3e Panzerdivision Totenkopf.

Plaque apposée en 2007 sur le mur de la ferme Simon (Simencourt)
Plaque apposée en 2007 sur le mur de la ferme Simon (Simencourt)
Photographie communiquée par Monsieur Donat Tabary, maire de Simencourt.

Si la campagne de mai-juin 1940 fut marquée par de nombreuses exactions perpétrées par des unités militaires allemandes de la Wehrmacht mais surtout par des divisions SS contre des civils et des soldats capturés, le « parcours sanglant » de la division Totenkopf, — 264 civils et 130 prisonniers abattus du 19 au 28 mai dans la région d’Arras —, retient particulièrement l’attention. Cette unité se distingue par la fréquence et la gravité des crimes commis par ses soldats.
Ce fut le cas à Simencourt (Pas-de-Calais) le 21 mai 1940. Les Waffen-SS fouillèrent ce village, situé à cinq kilomètres au sud-ouest d’Arras, pensant y trouver des soldats français. Bien que la fouille n’ait donné aucun résultat, trois fusillades contre des civils firent cinq morts. Dans la cour de la ferme occupée par la famille Simon-Petit, il s’agit de Louis Coin, de Simencourt ; Albert Delattre, de Vaulx-Vraucourt ; Alfred Gondry, d’Achicourt. Au lieu-dit « le Village » : les deux frères Lefranc, tous les deux ouvriers d’usine, et demeurant à Vitry-en-Artois, Jean, âgé de 30 ans, et Joseph, célibataire, âgé de 27 ans. Il y eut trois blessés (Louis Dumazy et Roger Lepot et Jean Simon dans la cour de la ferme Simon), tandis que trois hommes échappèrent aux balles (Louis Cuvillier, César Millot à la ferme Simon ; Henri Bezu à proximité de la chapelle du bourg). Plus de trente granges et maisons furent incendiées.

Les circonstances de ce massacre sont détaillées dans un article de l’historien Jean-Luc Leleu (Voir sources : « La division SS-Totenkopf… ») : « […] la confusion règne près de Simencourt où des éléments des I. /SS-Inf. Rgt. 3 et III. /SS-Inf. Rgt. 2 sont étrillés par des Hotchkiss français du 13e bataillon de chars qui prennent de flanc les colonnes SS circulant sur la route qui passe à la lisière du village. Le chef du SS-T-Pionier-Bataillon, le SS-Sturmbannführer Lammerding, [Il s’agit bel et bien de Heinz Lammerding qui sera nommé à la tête de la 2. SS-Panzer-Division Das Reich au printemps 1944 et dont le nom reste associé aux pendaisons de Tulle et au massacre d’Oradour les 9 et 10 juin 1944.] qui se trouve alors à Beaumetz, voit ainsi des véhicules du III. /SS-Inf. Rgt. 2 « refluer de manière désordonnée… Il règne une confusion assez importante. Les véhicules zigzaguent sur la route. L’état de panique s’accroît encore par des cris continus “Attention aux chars, tout a été liquidé devant !” ». Lammerding parvient à stabiliser la situation en rassemblant les éléments dont il dispose et se voit confier par le chef d’état-major de la division le soin de nettoyer Simencourt. Des éléments de la 2./SS-T-Pi.Btl. du SS Obersturmführer (lieutenant SS) Lotz et du III./SS-Inf. Rgt. 3 parviennent à neutraliser les blindés et, pensant trouver des soldats français, procèdent au milieu des combats à la fouille des maisons du village, incendiant au passage des habitations et des bâtiments agricoles, 24 au total. Cinq hommes sont abattus après avoir été séparés des femmes et des enfants et subi une fouille sommaire qui n’a rien révélé en dehors de quelques couteaux de poche et de briquets. »


En s’appuyant sur les travaux de Jean-Luc Leleu et le récit d’historiens locaux (voir sources), on peut tenter d’expliquer le comportement particulièrement brutal de la division SS Totenkopf.
On avait d’abord affaire à une unité SS dans laquelle les cadres et les soldats avaient profondément intériorisé l’idéologie national-socialiste. Cela « a indubitablement prédisposé la branche armée SS à transgresser les règles établies » (Leleu), ce que l’on put constater dans les opérations conduites dans les Sudètes en 1938 et davantage encore en Pologne en septembre 1939, où les convictions racistes se traduisirent par des massacres de Slaves et de Juifs. A l’ouest, si les pulsions racistes s’exprimer plus rarement en raison d’une évaluation moins négative de la valeur raciale des populations, elles se manifestèrent cependant avec une brutalité récurrente envers les soldats d’origines africaine et maghrébine, victimes de plusieurs massacres.
Les convictions nazies et la propension à commettre des actes criminels envers ceux qui, à tort ou à raison, sont perçus comme des adversaires, étaient d’autant plus affirmées dans la division Totenkopf qu’un tiers des effectifs était issu des formations affectées initialement à la surveillance des camps de concentration, unités dites « à tête de mort », désignation dont a hérité la division Waffen-SS. Celle-ci était dirigée par le le SS-Gruppenführer (général de division) Theodor Eicke, fondateur et commandant du premier camp de concentration, Dachau, ouvert en 1933, qui servit de modèle à l’ensemble des camps dont Eicke devint l’inspecteur. Eicke et ses subordonnés exerçaient une telle autorité sur les soldats de la division, qu’il semble exclu que leurs actes aient été imputables à des débordements incontrôlés.
C’est donc dans le déroulement de l’offensive foudroyante à partir du 10 mai qu’il faut chercher la clé des conditions du passage à l’acte des combattants de la division Totenkopf, l’explication du « parcours sanglant » de cette unité.
Du 19 au 28 mai, dans la région d’Arras, il s’agissait pour la division de sa première vraie bataille. Si le succès de l’offensive est éclatant, les combats n’en furent pas moins rudes et les pertes sévères (1023 hommes en dix jours).
De là des « réactions d’orgueil blessé » (J-L Leleu, op. cit.), des réflexes de vengeance contre l’ennemi réel ou perçu comme tel : la chronologie et l’ampleur des massacres coïncidèrent avec celui des pertes subies par la division. Et au total, en dix jours, tandis que la division enregistrait la perte de 1023 hommes, les SS abattirent 264 civils et exécutèrent 130 prisonniers. « La volonté d’effacer un revers ou de lourdes pertes est patente » (Jean-Luc Leleu).
D’autre part, l’unité était engagée sur un théâtre où la rapidité des opérations induisait un sentiment de grande insécurité pour les soldats. Aventurés en territoire ennemi, dans un environnement hostile, à la merci d’une contre-offensive sur les flancs de la percée, — c’est le cas dans les environs de Simencourt —, d’une embuscade sur les arrières par des groupes de soldats français ou britanniques qui n’ont pu être capturés, qui pouvaient se dissimuler chez l’habitant, ou parmi les réfugiés, les Allemands étaient sur le qui-vive. La peur rimait alors avec francs-tireurs et avec terreur dans une situation, non de front continu et ordonné, mais de chaos. Francs-tireurs, puisqu’à l’instar de ce qui s’était produit en 1914 en Belgique et en France, les difficultés rencontrées furent imputées pour une part à d’hypothétiques civils résistants — phobie des troupes allemandes depuis 1870 — ce qui justifia la terreur, des représailles pour annihiler toute velléité de s’opposer à la progression de l’unité.
Ainsi peur et ressentiment animaient les soldats qui perpétrèrent le massacre de Simencourt. Selon les récits du docteur Baude (« Simencourt 1940 ») et de l’historien André Coillot (« Mai 1940 »), après un affrontement opposant l’équipage d’un char français et les SS, ces derniers, « furieux d’être tués sans trouver d’ennemis, […] rejettent la responsabilité de leurs pertes soit sur des civils, soit des combattants camouflés en civils. Alors pour débusquer les Français, ils mettent le feu au village et fusilleront des civils à plusieurs endroits. »

Enfin, la division Totenkopf se trouva de facto en compétition avec les unités de la Wehrmacht, et entendit, par des succès éclatants, démontrer une valeur opérationnelle exceptionnelle, « s’affirmer en tant qu’élite militaire » (Jean-Luc Leleu). Dans ces conditions, il importait de se montrer impitoyable en terrorisant l’ennemi. Pour vaincre à tout prix, la fin justifiait les moyens. « L’action de Theodor Eicke à la tête de la SS-Totenkopf a en particulier joué un rôle considérable en amenant ses subordonnés à ne pas faire de discernement au cours des combats et à leur faire adopter des comportements criminels pour donner à la division une réputation militaire qui lui manquait. En conséquence de quoi les troupes SS ont eu tendance à voir dans la population civile un adversaire potentiel qu’il convenait d’annihiler dès que se manifestait la moindre opposition, qu’elle soit réelle ou supposée. » (Jean-Luc Leleu).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article178952, notice Simencourt (Pas-de-Calais), 21 mai 1940 par Dominique Tantin, version mise en ligne le 3 mars 2016, dernière modification le 16 février 2019.

Par Dominique Tantin

Plaque apposée en 2007 sur le mur de la ferme Simon (Simencourt)
Plaque apposée en 2007 sur le mur de la ferme Simon (Simencourt)
Photographie communiquée par Monsieur Donat Tabary, maire de Simencourt.

SOURCES : Hélène Guillon, Les massacrés par les Allemands en France, 1940-1945, Étude sur la répression extrajudiciaire allemande en France de l’invasion à la Libération, mémoire de Master 2, sous la direction de Michel Boivin, Université de Caen, UFR d’Histoire, 2005-2006, Annexes. — Jean-Luc Leleu, La division SS-Totenkopf face à la population civile du Nord de la France en mai 1940, Revue du Nord 4/2001 (n° 342), p. 821-840. — Jean-Luc Leleu, La Waffen-SS, Soldats politiques en guerre, Paris, Perrin, 2007, p. 774-779. — Roland Pierru, Les fusillades à Simencourt le 21 mai 1940, 8 mai 2007, document communiqué le 13 mars 2016 par Monsieur Donat Tabary, Maire de Simencourt. — Liste de massacres perpétrés par les forces allemandes en France durant la Seconde Guerre mondiale, Wikipedia

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable