Par Françoise Blum
Né le 18 novembre 1937 au Niger ; mort le 10 mars 2016 à Paris ; sociologue, agent de sécurité ; militant malien de la Fédération des Etudiants d’Afrique noire en France (FEANF) à Toulouse (Haute-Garonne), militant de l’UEC, vice-président de l’Union internationale des étudiants.
Makan Keita, neveu du Président du Mali Modibo Keita est une des victimes collatérales du coup d’état qui renversa ce dernier, en 1968. Enfant d’une grande famille noble du Mali, il est resté en France, où il était venu comme étudiant, suivant en cela les vœux du conseil de famille.
Makan Keita est né le 18 novembre 1937 au Niger où son père Mallet Keita, frère ainé de Modibo Keita , avait été affecté comme médecin. Il débute sa scolarité en Guinée, à Kankan, et continue à la suivre au gré des affectations de son père. Sa mère, Christine Bouassé, est d’origine ivoirienne –région de Bassam - et catholique. Ce type de mariage mixte est assez singulier à l’époque. Il est le fruit d’une rencontre amoureuse durant les études, médecine d’un côté, sage-femme de l’autre, et a pu se réaliser grâce à la grande tolérance du grand-père de Makan, tolérance également exceptionnelle. La mère de Makan, qui est donc sage-femme, sortie de l’école de Dakar, meurt très tôt en 1948, le laissant « amputé » et avec un énorme chagrin. Son père demande alors une affectation au Soudan, de façon à bénéficier de l’aide familiale, maintenant qu’il est désormais seul à élever ses enfants. Il obtient cette affectation et est nommé directeur du service d’hygiène de Bamako.
Makan Keita, d’abord inscrit au lycée Terrasson de Fougères à Bamako est envoyé à Dakar après le CEP pour finir ses études secondaires. Il y arrive en 1952 et suit d’abord les cours du collège Sainte-Marie, puis, en terminale, ceux du lycée Van Vollenhoven où il est le condisciple de Fatou Sow et sa sœur Penda. Il réussit un baccalauréat section philosophie puis suit un an de propédeutique lettres à l’université de Dakar. Mais du fait de l’éclatement de la fédération du Mali, le Soudan cesse , de verser des bourses pour Dakar et les étudiants sont donc envoyés en France, dotés de bourses versées par le fonds d’aide à la coopération (FAC). Makan Keita, qui n’était pas particulièrement attiré par cette expatriation, de peur du froid, se retrouve inscrit à Toulouse, suite à l’orientation faite par l’Office des Etudiants d’Outre-Mer, qui gère les dossiers des étudiants africains. Il n’est alors pas politisé et consacre la majeure partie de son temps aux études et aux entrainements sportifs –il est un sportif de haut niveau. Il se voit très vite –parce que dit-il, il a « une bonne tête » – propulsé dans le bureau puis à la vice-présidence puis présidence de la section toulousaine de la FEANF, de même qu’à la présidence du comité de coordination anti-impérialiste. Lui qui est timide et ne pense pas savoir parler en public, s’investit dans la politique, lit assidument les documents de la FEANF, au détriment de ses études. Il est inscrit à l’Union des Etudiants Communistes (UEC). Il pleure à la mort de Maurice Thorez, en 1964, avant de devenir pro-chinois, séduit par la lecture, dans les colonnes mêmes de France Nouvelle, des thèses chinoises.
En 1965, alors qu’il est inscrit en licence, sa bourse est supprimée. Son ami Ibrahima Ly lui propose alors d’aller représenter la FEANF au secrétariat de l’Union internationale des étudiants (UIE) , à Prague, présence nécessaire pour contrer les étudiants soviétiques avec lesquels les désaccords s’approfondissent. Makan Keita accepte et passe ainsi deux ans – 1965-66 – à Prague, où il siège au secrétariat comme vice-président, au titre de la FEANF, et participe à la commission africaine. Il voyage aussi. Il va au Vietnam en passant par l’Union soviétique et la Chine, puis en Corée du Nord, à Pyong-Yang. Il retourne en Chine en 1966, en pleine révolution culturelle et garde le souvenir ému des défilés sur la Place Rouge devant le président Mao qui l’impressionne durablement par sa résistance physique. Cela lui fait dire, encore aujourd’hui, que les accusations contre un Mao vieillissant, qui aurait fait la révolution culturelle pour garder le pouvoir, ne sont que mensonges.
Après ces deux ans à Prague, il se réinstalle à Toulouse et obtient une licence de sociologie en 1968 : un 68 qu’il vit aux côtés de ses camarades et professeurs français de défilés en défilés et de meetings en meetings. En 1969, il fait une maîtrise sur une coopérative vinicole des Corbières.
Mais sa vie a sans doute basculé suite au coup d’état qui renverse Modibo Keita , le 19 novembre 1968 et instaure au Mali un régime militaire dirigé par Moussa Traoré. Un conseil de famille décide qu’il ne doit pas rentrer au Mali, du fait qu’il est l’aîné de la famille et doit à ce titre se préserver. Comme il n’a plus de bourse et que les demandes faites auprès du gouvernement malien ou de l’UNESCO n’aboutissent pas, il travaille, d’abord à Toulouse comme moniteur à la faculté puis dans une usine de jouets. Il part ensuite à Paris, où un ami lui procure un poste de gardiennage dans une société immobilière , qu’il va garder jusqu’à sa retraite en 1997. Il pense un moment, après la chute de Moussa Traoré en 1991, rentrer au Mali mais un parent lui conseille d’attendre en France pour pouvoir au moins profiter de la sécurité d’une retraite. Il est encore en France à ce jour, du fait d’un suivi médical nécessaire après un AVC (2015). Il a continué à suivre la vie de la FEANF, bien qu’il ne fut plus étudiant et a adhéré à l’UM-RDA (Union malienne du Rassemblement démocratique africain ).
Makan Keita ne s’est pas marié. Il n’aurait pu épouser une Française, dit-il, quelle que relation qu’il ait pu nouer, par respect pour son père, moins tolérant à cet égard que ne l’avait été son grand-père. Il n’a pas d’enfant. Il n’a jamais voulu non plus adopter la nationalité française qui aurait pourtant pu lui être utile.
Makan Keita est mort à l’hopital Avicenne de Bobigny le jeudi 10 mars 2016.
Par Françoise Blum
SOURCE : Entretien avec Makan Keita, décembre 2014