BRION Hélène, Rose, Louise

Par Henri Dubief, Julien Chuzeville

Née le 27 janvier 1882 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), morte le 31 août 1962 à Ennery (Seine-et-Oise) ; institutrice ; militante féministe et pacifiste ; secrétaire de la Fédération nationale des instituteurs CGT de 1914 à 1917 ; militante de la SFIO ; militante du Comité pour la reprise des relations internationales (zimmerwaldien) ; comparut devant le premier conseil de guerre, du 25 au 31 mars 1918 ; militante du Parti communiste, puis oppositionnelle.

Fille d’un officier, après le divorce de ses parents en 1892, elle fut confiée à sa grand-mère paternelle à Authe dans les Ardennes. Orpheline de sa mère à 18 ans et de son père à 20 ans, Hélène Brion fit ses études à Paris, à l’école primaire supérieure Sophie-Germain (IVe arr.). Elle débuta comme institutrice dans la Seine en 1905 et adhéra au Syndicat des instituteurs dès sa formation, ainsi qu’au Parti socialiste SFIO. Mais, avant la Grande Guerre, elle fut surtout une militante féministe et c’est par le féminisme qu’elle vint au socialisme et au syndicalisme révolutionnaire. Elle appartint aux organisations suivantes : « Le Suffrage des femmes », « L’Union fraternelle des femmes », « La Fédération féministe universitaire », « La Ligue pour le droit des femmes », « L’Union française pour le suffrage des femmes », « La Ligue nationale du vote ». En janvier 1913, Hélène Brion était archiviste de la section socialiste de Pantin. Elle fut élue le 6 mars 1913 à la commission exécutive du Groupe des femmes socialistes. Le 16 mai 1913, elle publia un article dans L’Humanité sur le rôle des femmes pendant la récente grève en Belgique, puis donna en juin une conférence sur le même thème dans le XIe arr. de Paris.

Lorsque la répression frappa le Syndicat des instituteurs après le congrès de Chambéry d’août 1912, en raison du scandale déclenché à propos du « Sou du Soldat », il fallut combler les défections au conseil fédéral par des militants décidés à résister, et c’est alors qu’Hélène Brion y fit son entrée. Elle fut parmi les premiers signataires du Manifeste des instituteurs syndiqués de septembre 1912. Elle fut également déléguée de la Fédération de l’Enseignement au comité confédéral de la CGT. Quand Joly, secrétaire général de la Fédération, démissionna après le congrès de Bourges en 1913, Cottet le remplaça et Hélène Brion fut nommée secrétaire adjointe.

La mobilisation réduisit le bureau à deux membres : Hélène Brion, secrétaire générale par intérim, et Fernand Loriot, trésorier. Selon Henri Dubief, « ni l’une, féministe, ni l’autre, socialiste, n’étaient vraiment des militants de formation syndicaliste » ; en réalité, ils avaient tous deux une réelle expérience syndicale. Bien qu’Hélène Brion eût pour la première fois exprimé des idées pacifistes, le 30 juillet 1914, dans un article de la Bataille syndicaliste : « Aux féministes, aux femmes », elle rallia dans un premier temps, avec Loriot, les positions majoritaires SFIO et confédérale sur la « guerre du droit ». La direction fédérale du syndicat des instituteurs, c’est-à-dire la Seine, se trouvant ainsi en contradiction avec les sentiments des principaux militants de province devenus très rapidement pacifistes, elle n’eut que peu d’activité jusqu’en juin 1915. Dans cette situation, Marie Mayoux convoqua à Tours, le 13 juin 1915, une réunion de dirigeants ; Hélène Brion y affirma l’opposition du bureau fédéral à la propagande pacifiste. Mais, au congrès fédéral réuni à la Grange-aux-Belles le 14 août suivant, elle déclara : « Je m’incline devant la majorité et j’appliquerai fidèlement les décisions du congrès en faveur de la propagande pacifiste » (Rosmer, t. I, op. cit., p. 360) et elle défendit désormais avec Loriot les thèses minoritaires des Mayoux et des Bouët. En réalité, le militantisme pacifiste de Brion fut dès lors l’expression d’une véritable conviction. Elle fut parmi les premiers « zimmerwaldiens », c’est-à-dire partisans de l’orientation adoptée par la Conférence internationale de Zimmerwald, tenue en Suisse, dès septembre 1915.

Le congrès de Paris du 14 août 1915 avait donc décidé de développer la propagande pacifiste en liaison avec Monatte, Merrheim et la Fédération des Métaux ; Hélène Brion s’y consacra, ainsi qu’à la reconstruction de l’Internationale. Elle vota désormais avec la minorité du comité confédéral au congrès fédéral de Paris (14-15 juillet 1916) et elle regretta publiquement son attitude passée. Elle envoya à Merrheim le 23 octobre 1916 une « adresse féministe pour la reprise des relations internationales » dont la première phrase est la suivante : « Nous qui n’avons rien pu pour empêcher la guerre puisque nous ne possédons aucun droit civil ni politique, nous sommes de cœur avec vous pour en vouloir la fin. » Elle fit alors partie du Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI) et du Comité intersyndical d’action contre l’exploitation de la femme. Elle défendit et soutint Marie Mayoux et Louise Saumoneau. Elle assista au congrès national SFIO des 25-29 décembre 1915 et, dès janvier 1916, elle pouvait annoncer à Bourderon qu’elle avait gagné aux thèses minoritaires sa section socialiste de Pantin. Elle défendit en tout cas l’internationalisme au cours des réunions de la section. Mais, surtout, elle était membre de la direction du Comité pour la reprise des relations internationales, aux côtés notamment de Loriot et Léonie Kauffmann, et diffusait en 1917 des brochures zimmerwaldiennes et notamment celles du CRRI, ainsi que de Mayoux Les Instituteurs syndicalistes et la guerre, des tracts, dont « Du charbon et la paix », des papillons : « Assez d’hommes tués, la paix ! », « Paix sans annexions, sans conquêtes, sans indemnités », et enfin des circulaires polycopiées.

Son domicile, très surveillé, fut l’objet de plusieurs perquisitions. Son courrier était intercepté. Elle habitait à deux pas de son école, sise au 12, rue de Candale à Pantin. Inculpée et suspendue sans traitement, le 27 juillet 1917, elle ne fut arrêtée que le 17 novembre, quand avec Clemenceau, la répression prit une allure brutale.

Après les condamnations des Mayoux et de Lucie Colliard et une violente campagne de la presse nationaliste, Hélène Brion comparut devant le premier Conseil de guerre, du 25 au 31 mars 1918, sous l’inculpation de propagande défaitiste par la diffusion de tracts et de brochures.

Elle se défendit avec habileté devant un tribunal plutôt bien disposé et presque séduit. Dans une longue déclaration elle se référa à son féminisme constant, pour justifier son pacifisme présent, assumant sa condition de femme mue par la raison et le sentiment contre la barbarie, contestant aussi le droit qu’on s’arrogeait de la juger pour délit politique, elle, sans existence politique. Sur les faits, elle reconnut l’envoi de brochures du Comité pour la reprise des relations internationales, lesquelles ne pouvaient atteindre au moral de qui que ce soit, aux seuls instituteurs déjà convaincus et pour information, donc sans intention de propagande. Ainsi reconnut-elle les faits, en les minimisant nettement. Elle fit remarquer que ses propres articles n’avaient jamais été poursuivis et désavoua toute violence. L’accusation reposait sur les témoignages de deux commissaires de police, d’une institutrice de Joigny et de deux institutrices de Pantin, membres de la Ligue patriotique des femmes françaises dont l’une l’accusa en outre de propagande anticonceptionnelle. Beaucoup d’autres collègues et habitants de Pantin témoignèrent en sa faveur : le député Dalbiez, les féministes Nelly Roussel, Séverine et Marguerite Durand, les membres de la CAP, le socialiste Verfeuil et Jean Longuet, les syndicalistes Papillot et Bled et surtout Marthe Bigot qui osa déclarer avoir commis les actes reprochés à l’accusée ; Laisant et Paul Brulat enfin apportèrent à Hélène Brion l’appui de leur solidarité. Après un réquisitoire presque élogieux et une plaidoirie d’Oscar Bloch, elle fut condamnée à trois ans de prison avec sursis. Son coaccusé et filleul Gaston Mouflard, électricien, secrétaire du syndicat de la Poudrerie de Bergerac, qui s’était désavoué à l’audience, fut frappé de six mois de prison avec sursis.

Libérée par le jugement, Hélène Brion fut révoquée, avec effet du 17 novembre 1917. Songeant peut-être à son sursis, elle se retira du congrès fédéral illégal d’août 1918 accueilli au Palais-Bourbon par Raffin-Dugens.

En décembre 1917, le comité fédéral comprenait, outre H. Brion (secrétaire générale) et Loriot (trésorier) : Papillot, Bizos, Pages, Chassanite, Rozières, Joly Jean, Izambard, Chesneau, Martin, Bigot, Pichorel.

Au retour des mobilisés, elle laissa à Maurice Foulon le secrétariat général. Elle participa ensuite aux Comités syndicalistes révolutionnaires (CSR), aux côtés notamment de Marie Guillot, et au Comité de la 3e Internationale (C3I). En août 1920, elle prit la parole lors d’un meeting du C3I à Paris.

Hélène Brion adhéra au Parti communiste après le congrès de Tours, séjourna en Russie en 1920-1921. Elle édita la revue La Lutte féministe, devenue en 1921 La Lutte féministe pour le communisme. Elle écrivit également dans l’hebdomadaire La Voix des Femmes, créé par Colette Reynaud. En novembre 1921, Hélène Brion était membre du comité de la Ligue des femmes contre la guerre.
Elle prit la parole au cours de meetings organisés par la commission féminine du PC, alors dirigée par Marthe Bigot. Elle retourna en Russie en 1922 comme membre du Secours ouvrier international, et témoigna de la famine qui y sévissait (L’Humanité, 6 juin 1922).

En décembre 1924, elle se solidarisa avec Pierre Monatte et Alfred Rosmer qui venaient d’être exclus du PC. En février 1925, elle signa la Lettre des 80, initiée par Loriot, qui exprimait l’opposition de ces militants communistes à la bolchevisation. Elle quitta le PC peu après.

Hélène Brion s’adonna de nouveau à la propagande féministe avec son amie Madeleine Vernet. Elle entreprit une « Encyclopédie féministe », demeurée inachevée. Elle fut réintégrée dans l’enseignement par le Cartel des gauches, en janvier 1925. Pendant sa révocation, elle avait, depuis 1920, dirigé la crèche du groupe scolaire Émile Zola à Saint-Ouen.
Elle resta aussi syndicaliste. Abonnée à La Révolution prolétarienne de Monatte, elle figura dans de nombreuses souscriptions pour la revue.
En février 1938, elle prit la parole en faveur du vote socialiste lors d’une réunion électorale à Pantin (Le Populaire, 18 février).
Elle prit sa retraite à la fin du mois de juin 1938 (J.O. du 29 décembre 1938).

Après la Seconde Guerre mondiale, Hélène Brion présidait encore l’association « Femmes de la libération humaine ». Madeleine Pelletier, son amie, lui légua ses papiers.
En avril 1950, elle versait encore un abonnement de soutien à La Révolution prolétarienne.

« L’ardente Ardennaise » semble avoir brillé par l’intelligence et le caractère. Son rôle dans le mouvement syndical fut grand, mais bref ; son action féministe par contre dura toute sa vie. Tous ceux qui la connurent affirmèrent son grand cœur ; c’est ce que firent à son procès, dans les mêmes termes, Séverine et, chose paradoxale, le commissaire du gouvernement requérant contre « une Louise Michel, jeune ».

Les principales féministes dans le Maitron : https://maitron.fr/spip.php?mot192

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article17968, notice BRION Hélène, Rose, Louise par Henri Dubief, Julien Chuzeville, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 18 novembre 2022.

Par Henri Dubief, Julien Chuzeville

Hélène Brion
Hélène Brion
Daniel Flamant, 1918. Hélène Brion. Une institutrice féministe devant le Conseil de guerre, op.cit.

ŒUVRE : Il n’est pas possible d’énumérer ses innombrables articles ou même les périodiques auxquels elle collabora : La Bataille syndicaliste, L’Action féministe, La Vague, Le Journal du Peuple, l’École émancipée, La Révolution prolétarienne, etc., et toute la presse féministe.
Brochures : Déclaration au conseil de guerre, Epone, s.d. (1918). — La Voie féministe, I. Les partis d’avant-garde et le féminisme, Epone, s.d. (1918). Rééd. par Huguette Bouchardeau, Syros, 1978. — Flora Tristan : la vraie fondatrice de l’Internationale, Société d’édition et de librairie de l’Avenir social, 1919. — Les fiches réunies par H. Brion, relatives à une « Encyclopédie féministe » ont été déposées à l’IFHS (cf. Le Mouvement social, n° 46, janvier-mars 1964).

SOURCES : Arch. Nat. F7/13575, F7/13743 et F7/15935/3. — IFHS, 14AS/207. — Arch. Jean Maitron. — A. Kriegel, Aux origines..., op. cit. — L. Bouët, Les Pionniers du syndicalisme universitaire, édition de l’EE, s.d. — Bernard, Bouët, Dommanget, Serret, Le Syndicalisme dans l’enseignement, op. cit. — A. Rosmer, Le Mouvement ouvrier pendant la guerre, t. I, Paris, 1936, t. II, La Haye, 1959. — M. Ferré, Histoire du Mouvement syndicaliste révolutionnaire chez les instituteurs des origines à 1922, Paris, 1955. — La Bataille syndicaliste, 16 septembre 1912, p. 1. — L’Humanité, 23 janvier 1913, p. 3. — Revue des causes célèbres politiques et criminelles, 2 mai 1918, n° 5 (compte rendu, hostile, du procès). — A.-M. Sohn, Féminisme et syndicalisme, thèse 3e cycle, op. cit.. — Christine Bard (dir.), Dictionnaire des féministes, France XVIIIe-XXIe siècle, PUF, 2017, p. 208-213. — Julien Chuzeville, Un Court moment révolutionnaire, la création du Parti communiste en France, Libertalia, 2017. — Daniel Flamant, 1918. Hélène Brion. Une institutrice féministe devant le Conseil de guerre, Éditions Raison et passion, 2018.

ICONOGRAPHIE : Revue des causes célèbres..., op. cit.

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