DERRY Roger, Jean, Fortuné, Marie

Par Annie Pennetier

Né le 29 décembre 1900 à Aube (Orne), guillotiné le 15 octobre 1943 à Cologne (Allemagne)  ; prêtre, vicaire à Vitry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne) ; directeur du Bon Conseil ; résistant parisien du réseau Saint-Jacques, volontaire des Forces Françaises libres.

Roger Dérry
Roger Dérry
Cliché Bon Conseil

Son père travaillait comme chef d’entretien à l’usine électrique d’Aube. Avec ses deux frères ainés, la famille s’installa à Nantes (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique) d’où était originaire sa mère, pour trouver du travail. Après la mort de son frère en 1905 (diphtérie) et celle de son père en 1910 après trois ans d’hospitalisation, la famille vint s’installer à Paris dans le quartier du Champ-de-Mars où habitait la sœur de sa mère. Roger Derry interne à l’orphelinat des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul ne supporta pas cette situation et s’investit dans les activités du patronage des œuvres catholiques du Bon conseil, dans la paroisse Saint-François- Xavier. Titulaire du Certificat d’études primaires en 1913, il arrêta ses études pour raisons pécuniaires et apprit la tapisserie mais l’atelier ferma l’année suivante à cause de la guerre. Il partit chez des parents à Perriers dans l’Orne, et de retour en 1916 travailla dans un atelier de réparation de cycles. En 1922, libéré de son service militaire, il reprit des études secondaires pour pouvoir entrer au séminaire ; l’abbé Esquerré du Bon Conseil avait ouvert une école pour des vocations tardives désireuses d’entrer au séminaire. Il étudia au séminaire Saint-Sulpice d’Issy-les-Moulineaux (Seine), puis le 28 juin 1930, ordonné prêtre fut nommé vicaire à l’église Saint-Germain de Vitry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne).

Mobilisé en septembre 1939, Roger Derry fut nommé aumônier de la 6e division d’infanterie nord-africaine et de la 40e division d’infanterie. Sergent-chef, sa conduite lui valut d’être proposé pour la légion d’honneur. Il reçut la croix de guerre avec palmes.
Démobilisé, il rejoignit le patronage du Bon Conseil (Paris VIIe) pour en prendre la direction, et y développa les activités sportives et créa un cinéma familial. Refusant la défaite, il s’engagea dans la résistance au sein du réseau Saint-Jacques créé l’été 1940 (homologation en date du 8 août) par Maurice Duclos dans la branche animée par Jean Vérines, chef d’escadron de la Garde républicaine .Dans ce réseau de la France libre, Roger Derry était agent P2 (à partir d’août 1940). Il aida des anciens combattants évadés et des anciens officiers connus pendant la guerre à passer en zone sud . Le 13 février 1941, près de Saint-Circq en Dordogne, deux agents du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) furent arrêtés. L’un, le radio, parla au cours des interrogatoires. La police de sécurité et du renseignement de la SS (Sipo-SD) arrêta Charles Deguy agent P2 du réseau Saint-Jacques, le 8 août 1941 à Paris.Le réseau fut démantelé, mais Roger Derry refusa de passer la ligne de démarcation. Dénoncé, il fut arrêté dans sa paroisse par la police allemande avec des grands aînés du Bon Conseil le 9 octobre 1941.
Après avoir subi plusieurs interrogatoires, Roger Dérry fut interné à la prison de Fresnes (Seine, Val-de-Marne), l’aumônier allemand Franz Stock lui vint en aide.

Le 10 décembre 1941, l’abbé Derry classé Nacht und Nebel fut déporté (opération Porto) en Allemagne dans la prison de Düsseldorf. Jugé avec d’autres membres du réseau Saint-Jacques, par un tribunal siégeant dans la chapelle de l’établissement pénitentiaire transformée en salle d’audience, il prit sur lui toutes les accusations ; après quinze jours,le tribunal prononça onze condamnations à mort dont celle de l’abbé Derry le 1er septembre 1943. Les condamnés restèrent dans cette prison jusqu’au 19 septembre puis Roger Derry et Jean Vérines furent transférés à la prison de Cologne où Derry a été guillotiné le 15 octobre 1943 avec le résistant belge Georges Piron de la Varenne, Marc Dufour et Yves-Raymond Ponchel. Jean Vérines a été exécuté également à Cologne le 20 octobre 1943.Charles Déguy avait été fusillé au Mont-Valérien le 29 juillet 1942.

Grâce à la complicité d’un gardien francophile, il obtint crayon et papier et rédigea des mots d’encouragements aux prisonniers. Durant sa captivité, il put dire sa messe en cachette de temps à autre, grâce à la complicité de deux prêtres aumôniers allemands. L’un d’eux ne savait pas parler français et ne pouvait donc plus prononcer l’homélie. L’abbé Derry lui transmit un mot en latin pour lui proposer d’écrire quelques paroles toutes les semaines. C’est ainsi que l’on possède plusieurs sermons de prison écrits sur les chutes de sacs à papiers que les prisonniers devaient confectionner chaque jour à la chaîne.
Nous possédons aussi sa dernière lettre écrite le 2 septembre 1943. Il célébra sa dernière messe le 15 Octobre 1943. On sut plus tard qu’il avait été décapité. Ses dernières paroles furent :Introibo ad altare Dei. Son corps fut déposé dans un cercueil et inhumé au cimetière de l’Ouest proche de la prison. Seul l’aumônier connut l’endroit de son inhumation mais malgré l’interdiction de divulguer l’information, sous peine de mort, il nota soigneusement l’emplacement. Après l’armistice, la Croix-Rouge française entretint les tombes des quatre gendarmes ( capitaine Albert Morel, colonel Jean Raby, capitaine Germain Martin et Jean Vérines) ainsi que celle de Derry jusqu’en 1948, année du rapatriement des corps. Des obsèques nationales furent célébrées aux Invalides le 11 octobre 1948 L’église Saint-Germain de Vitry-sur-Seine accueillit le cercueil de son ancien prêtre, inhumé dans le cimetière de la commune.
Des rues portent son nom dans le 15e arrondissement de Paris : rue de l’Abbé-Roger-Derry, ainsi qu à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne ) et à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine ). Un établissement d’Apprentis d’Auteuil situé à Thiais, l’Accueil Éducatif de jour Roger Derry et le foyer « Derry » du Bon Conseil à Paris VII arr. portent son nom qui est inscrit dans cet arrondissement sur les plaques commémoratives de l’église Saint-François-Xavier et 6 rue Albert de Lapparent en hommage aux déportés du Bon Conseil.

Lettre à Georges Chevrot curé de Saint-François-Xavier.
 
Mon Cher Monsieur le Curé,
 
Je suis à quelques jours, peut-être à quelques heures, de ma mort. Dieu est bien bon qui me donne une grande paix et cette joie de l’esprit dont parle l’auteur de l’Imitation. Il n’y a rien pour la nature : le corps est brisé, le coeur est meurtri, mais l’âme est dans les hauteurs . Je ne cesse de remercier le bon Dieu qui, dans son immense bonté, m’a redonné tant de ferveur. J’aurais pu mourir, sinon dans le péché, du moins dans la tiédeur que la trop grande activité extérieure risquait d’entraîner. Or la paille des cachots, le jeûne le plus rigoureux, les humiliations et les misères de toutes sortes, la solitude, tout ce que Dieu dans sa Providence a permis pour mon bien , joint à la prière et à l’oraison continuelle , m’ont conduit sur des sommets où il fait beau et bon. Ma vie depuis deux ans n’a été qu’ une messe continue et ce sera bientôt, après l’immolation du Calvaire, la communion la plus intime et l’action de grâces éternelles.
 
Comme Dieu est bon ! Car ma confiance est plus grande que la crainte que je pourrais concevoir à cause de mes péchés. Je demande cependant vos prières et des messes pour toutes celles que je n’aurais pas dites (c’est surtout cela qui fut ma grosse souffrance et qui est aussi l’objet de mes craintes).
 
Je vous demande pardon de n’avoir pas été ce que j’aurais dû être, comme je demande pardon à tous ceux à qui involontairement j’aurais pu faire de la peine ou causer quelque tort. Je n’ai toujours voulu que le bien : si je me suis trompé dans les moyens, je me rattraperai bientôt en me donnant pour tous . Quels regrets de ne pouvoir plus me livrer à l’apostolat, et de savoir que ma vie est terminée ici-bas. Le bon Dieu l’avait-il marquée si courte ? Mes responsabilités ne sont-elles pas très grandes d’avoir réduit ma vie qu’il voulait pour lui seul plus longue ? ... Mais je dépasse et j’abandonne ces craintes pour me jeter le plus complètement possible en Dieu.
 
J’offre ma vie pour toutes les grandes causes que j’aurais voulu mieux servir, pour Dieu , pour l’Église, pour la France, pour ma chère paroisse Saint-François-Xavier, où je suis si souvent par la pensée, pour mon cher Bon-Conseil, pour tous ceux que j’aime.
 
Puisse ma mort être ma messe la mieux célébrée , la plus généreusement et la plus joyeusement offerte. Je vais bientôt, Cher Monsieur le Curé, voir Celui que, malgré tout, j’ai tant aimé. Je vais enfin l’aimer comme j’aurais voulu l’aimer toute ma vie, et j’espère, de là-haut, faire plus de bien que je n’en ai fait ici-bas ...
 
J’aurais encore tant de choses à vous dire. Mon coeur est plein à déborder et je suis obligé de terminer. (Si vous saviez dans quelles conditions je griffonne ce mot !... les bottes !...) Je pense à tous, je n’oublie personne. Je prie pour tous. J’ai tant aimé ! Mais il me semble que j’aime bien mieux encore et bientôt, de là-haut, comme je vous aiderai !
 
Comme Dieu est bon de me faire finir sur la paille d’un cachot, dans le dénuement le plus absolu, mais que j’aime , dans l’extrême pauvreté et l’obéissance. Comme la prière et l’oraison sont faciles. Mon bréviaire, que j’ai pu dire presque toujours, a été ma grande consolation, ma nourriture quotidienne avec l’Imitation de Jésus-Christ. Je n’avais jamais autant goûté les psaumes.
 
Je demande encore pardon à tous ceux que j’aurai pu contrister. Priez beaucoup pour moi. Demandez à mes chers confrères la charité de messes. Et puis, à bientôt, au ciel !... où je suis déjà par la pensée et le désir. Je me permets de vous embrasser très filialement. Je vous redis toute mon affection et puis devinez tout ce que je ne dis pas mais dont mon coeur est plein.
 
Dieu soit béni et Vive la France !
 
ROGER Le 2 septembre 1943
 
« VITA MUTATUR NON TOLLITUR. » _ « LAETUS OBTULI UNIVERSA. » _ « DOMINUS PARS. » _ BONUM EST MIHI QUIA HUMILIASTI ME. » _ « QUAM DILECTA TABERNACULA DOMINE. » _ « FIAT VOLUNTAS TUA. » _ (on accepte joyeusement tout de Lui). Me permettrai-je un conseil à de plus jeunes confrères ? : « Que l’on ne cache pas la vérité à des malades qui vont mourir. » La mort, c’est le voile qui se déchire.
 
P.S. Comme je voudrais bien mourir ! Je le demande sans cesse au Bon Dieu. Je m’étonne d’avoir une si grande paix. C’est probablement parce que je n’ai pas bien conscience de mes péchés. Le Bon Dieu fait dominer en moi la confiance et le joie du sacrifice. Priez cependant beaucoup pour moi.
Bien mourir ! ... ce serait au moins cela de bien dans ma vie dont le Bon Dieu pourrait tenir compte. Oh ! s’il voulait bien me donner sa grâce et accepter ma vie . Quelle messe ! S’il continue à m’aider, j’irai en chantant.
 
« Donner sa vie pour ceux que l’on aime » ! quel bonheur !
Je prie tout spécialement pour les vocations. Que le Bon Dieu donne à son Église, à la France, à la paroisse de saints prêtres.
Je supplie que l’on dise des messes pour toutes celles que je n’aurais pas dites.
Vous devez trouver mon testament chez moi. Seuls mes meubles reviennent à ma famille. Tout argent est pour les œuvres. Mon linge pour les pauvres.
Je ne pourrai pas donner de mes nouvelles à ma famille. Je recommande à tous de vivres toujours en excellents chrétiens. Redites-leur toute la tendresse et toutes l’affection que je pourrai pas, héla ! leur témoigner.
Ce n’est qu’un au revoir .
AU CIEL !
Qu’est ce donc que quelques années ! »
 
* Tous les mots soulignés, le sont dans le texte original de la lettre
 
« VITA MUTATUR NON TOLLITUR. » : La vie ne nous est pas ôtée, mais elle est seulement transformée
« LAETUS OBTULI UNIVERSA. » : joyeux, j’ai tout offert
« DOMINUS PARS. » : Seigneur, ma part [d’héritage]
« BONUM EST MIHI QUIA HUMILIASTI ME. » : Il est bon que vous m’ayez humilié
« QUAM DILECTA TABERNACULA DOMINE. » : Que tes tabernacles soit aimables, Seigneur
« FIAT VOLUNTAS TUA. » : Que ta volonté soit faite
 
Au moment de mourir, ses dernières paroles furent : Introibo ad altare Dei (J’irai vers l’autel de Dieu - Extrait du Psaume 42, qui commençait la messe tridentine)

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article179967, notice DERRY Roger, Jean, Fortuné, Marie par Annie Pennetier, version mise en ligne le 18 avril 2016, dernière modification le 2 janvier 2022.

Par Annie Pennetier

Roger Dérry
Roger Dérry
Cliché Bon Conseil

SOURCES : Site du Bon Conseil.— Mgr Georges Chevrot, L’abbé Roger Derry décapité à Cologne le 15 octobre 1943, Maison de la Bonne Presse,‎ 1946, 258 p.— Pierre Accoce Les gendarmes dans la Résistance, Presses de la Cité, 2001 . — Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial.— Site France libre.net . — MémorialGenweb.

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