Par Alain Dalançon
Né le 5 octobre 1940 à Paris (IVe arr.) ; professeur ; militant communiste ; militant syndicaliste du SNES, secrétaire du S3 de Paris, secrétaire général adjoint (1984-1999) ; conseiller municipal à Villemur-sur-Tarn (2008-2014).
Pierre Toussenel était le fils naturel de Léa Toussenel qui lui donna le prénom de son père, Pierre Delon. Ses parents, tous deux militants syndicalistes et communistes, s’étaient rencontrés après 1935 à l’Humanité où ils travaillaient comme rédacteurs.
À six mois, il se retrouva emprisonné avec sa mère, arrêtée comme militante communiste, soupçonnée d’avoir tiré et distribué des tracts et d’avoir organiser les premières manifestations de ménagères pour un meilleur ravitaillement. Relâchée, elle reprit son travail de couturière à domicile et, pour éviter d’être à nouveau arrêtée, elle entra dans la clandestinité en 1942 dans la région parisienne, après avoir confié ses deux fils à sa mère, institutrice retraitée à Condes, un petit village proche de Chaumont (Haute-Marne). Elle fut envoyée ensuite à Rouen où elle devint responsable de l’Union des femmes françaises. Puis elle rejoignit à l’été 1943 le département du Nord où Pierre Delon, prisonnier de guerre en 1940, évadé de son stalag en 1943, était devenu responsable de l’inter-région Nord-Pas-de-Calais du Front national et des Francs-tireurs partisans. Elle trouva la mort en novembre 1943 lors d’une mission, écrasée sur la route, dans des circonstances non élucidées. Quant à son père, il dirigea la Libération de Lille et organisa la republication du quotidien communiste du Nord-Pas-de-Calais, Ëtincelle, sous le nom de Liberté, puis retrouva sa responsabilité de secrétaire de la Fédération des employés de la CGT comme permanent en 1946.
Pierre Toussenel, tout jeune enfant, fut donc élevé par sa grand’mère. Quand celle-ci décéda en 1947, il fut accueilli par son père, devenu son tuteur à la Libération, remarié en avril 1948 avec Simone Patry, professeure d’école normale et militante syndicaliste ; il s’intégra fort bien dans sa nouvelle famille avec ses demi-frères et sœurs.
Après l’école primaire rue de Charenton (XIIe arr.), reconnu pupille de la Nation, il fit ses études secondaires au lycée Charlemagne à Paris, où il obtint le baccalauréat mathématiques élémentaires. Il effectua ensuite deux années d’études en classe préparatoire aux ENSI (Écoles nationales supérieures d’ingénieurs) au lycée Turgot, et intégra l’École nationale supérieure de chimie de Paris dont il sortit ingénieur chimiste en 1963.
Bien que sensibilisé très tôt aux luttes politiques et sociales dans son milieu familial, Pierre Toussenel ne s’engagea pas tout de suite dans le militantisme. Deux événements l’y conduisirent plus précisément. Le 8 février 1962, il fut durement matraqué par la police à la station de métro Charonne lors de la manifestation contre l’OAS. Repéré comme militant engagé contre la guerre d’Algérie et l’OAS, il ne fut pas classé à l’issue de la 2e année ainsi qu’une camarade de promotion, fait unique dans les annales de l’École.
Muni néanmoins de son diplôme d’ingénieur, il commença à travailler au laboratoire Kuhlmann à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). Il rencontra immédiatement des ennuis avec sa hiérarchie pour avoir voulu créer un syndicat CGT des ingénieurs, ce qui l’amena à démissionner à la fin de l’année 1963. Le proviseur du lycée Charlemagne lui proposa alors un emploi de contractuel pour un remplacement d’enseignement. Il prit goût au métier d’enseignant, d’autant que sa femme, Michèle Richomme, épousée en avril 1962 à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), était elle-même enseignante et devint professeur d’enseignement général de collège. Ils eurent deux enfants.
Son sursis ayant expiré, Pierre Toussenel partit effectuer son service militaire dans un bataillon de transmission au Mont Valérien (Hauts-de-Seine). De retour à la vie civile, il obtint une délégation rectorale à la fin de l’année scolaire 1965-1966, pour enseigner au lycée technique de Montreuil, où François Blanchard l’accueillit et le fit adhérer au nouveau Syndicat national des enseignements de second degré et à la cellule du Parti communiste français. L’année suivante, il retrouva un emploi de maître auxiliaire au lycée Rodin à Paris, dont il devint tout de suite le secrétaire de la section d’établissement (S1). Louis Le Yaouanq lui demanda d’être candidat sur la liste « Unité et Action » aux élections à la commission administrative de la section académique (S3) de Paris de janvier 1967. C’est ainsi qu’il fut élu titulaire à la CA et au bureau académique dans la nouvelle équipe U-A dirigée par Gérard Alaphilippe et François Blanchard. Reçu au CAPES théorique (certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement public de second degré) de sciences physiques en 1967, il devint secrétaire du S1 du centre pédagogique régional de Paris. Alaphilippe lui confia alors la responsabilité du secteur jeunes, IPES-CPR-formation des maîtres, en liaison avec Pierre Vermeulin et Rachel Jaeglé, responsables au niveau national (S4).
En mai-juin 1968, il passa normalement les épreuves pratiques du CAPES au lycée Arago, participa à toutes les manifestations, à diverses assemblées d’établissements. Cette expérience raffermit ses convictions ; il se sentait l’héritier des combats menés par ses parents, en particulier sa mère, héroïne oubliée de la Résistance.
Nommé professeur certifié au lycée Turgot, il fut associé par Alaphilippe aux négociations sur la formation des maîtres au ministère, où il eut l’occasion d’apprécier les talents de son aîné, à la fois sa hauteur de vue et ses capacités d’organisateur et de négociateur. En 1969, élu suppléant à la CA nationale sur la liste U-A, il commença à participer aux réunions du secrétariat national sans en être membre. Élu titulaire à la CA nationale et suppléant au bureau national en 1971, il entra officiellement au secrétariat et dans la commission corporative dirigée par André Dellinger et Françoise Regnaut.
Pierre Toussenel continua d’abord à s’occuper de la formation des maîtres. Il participa avec Gérard Alaphilippe et Françoise Regnaut aux réunions au ministère au moment de la lutte contre les projets du ministre Olivier Guichard ; il participa aussi aux réunions avec les autres syndicats de la FEN du second degré et du supérieur, presque tous passés à direction U-A (SNEP, SNPEN, SNESup, SNCS), qui mirent au point leur projet pour « former les maîtres de notre temps », caractérisé par l’exigence d’un formation universitaire au niveau de la maîtrise pour tous les maîtres du second degré.
Au S3 de Paris, Claude Vidal et Marcelle Brénéol, qui avaient succédé à Blanchard et Alaphilippe en 1971 comme secrétaire généraux, furent aspirés au S4 : Claude Vidal d’abord en 1973 pour diriger les publications, puis Marcelle Brénéol en 1975 comme secrétaire administrative. Du même coup, Pierre Toussenel devint secrétaire adjoint auprès de Marcelle Brénéol en 1973, puis secrétaire général en 1975. Cette promotion à la direction d’un S3 qui conservait un certain prestige, lui conféra un peu plus d’autorité, y compris au S4, d’autant qu’il sut s’entourer de jeunes : Joseph Harari, Claire Griot-Campéas, Jean-François Rebérioux et Nicole Sergent.
Dans la direction nationale, il apprit beaucoup auprès d’André Dellinger et de Françoise Regnaut. Leur rigueur intellectuelle, fondée sur une vision globale de la lutte syndicale correspondait à son souci d’une approche scientifique des enjeux de la transformation sociale. La reconnaissance de qualifications élevées dans la formation des maîtres prenait tout son sens : sans elle il ne pouvait y avoir ni revalorisation du métier, ni démocratisation d’une école de qualité pour tous, les deux piliers du programme revendicatif du syndicat. Cette exigence d’élévation des qualifications fut pour Pierre Toussenel la pierre angulaire constante de ses analyses. Elle impliquait la remise en ordre de la grille de la Fonction publique, la revalorisation des carrières allant de pair avec titularisation des auxiliaires et resserrement des écarts hiérarchiques entre les corps. Mais sans remettre en cause le principe de la hiérarchie des corps, ce qui le conduisit à s’opposer souvent aux militants de l’École émancipée partisans du « traitement unique » et de l’augmentation uniforme des rémunérations. Dans le cadre de cette réflexion d’ensemble, il fut d’abord chargé de la fiscalité et des retraites, et participa à la rédaction de la brochure du SNES, Les salaires des enseignants du second degré, éditée en 1980, qui traduisait l’indépendance intellectuelle du syndicat, à l’heure où on accusait encore le SNES et U-A d’être inféodés au PCF.
C’est cette analyse qui conduisit le secteur corporatif à peser de tout son poids pour l’organisation à Paris de la première grande manifestation nationale du SNES, le 27 janvier 1979, dont le thème revendicatif principal était la « revalorisation du métier ». Après le succès de cette action, à la fin du mandat présidentiel de Valéry Giscard d’Estaing marquée par sa politique d’austérité, ce secteur fit introduire dans la plate-forme revendicative du SNES la 2e échelle des certifiés au congrès du mois de mars à Bordeaux. Une petite révolution, à laquelle Gérard Alaphilippe était hostile car elle creuserait selon lui le fossé avec les PEGC. Pierre Toussenel et ses camarades étaient dubitatifs sur les chances de succès de sa stratégie de la plate-forme unificatrice et du grand syndicat du second degré intégrant les PEGC, et préféraient donner la priorité pour l’immédiat aux revendications des certifiés et agrégés, à l’heure où la syndicalisation connaissait une inquiétante baisse.
Cette divergence allait s’amplifier après l’accession de Gérard Alaphilippe au poste de secrétaire général en 1981. André Dellinger revendiqua en 1983 une responsabilité de secrétaire général adjoint que les élus U-A de la CA nationale lui refusèrent, contre l’avis de François Regnaut et de Pierre Toussenel ; Dellinger et Françoise Regnaut abandonnèrent donc leurs mandats au SNES.
Pierre Toussenel fut très présent dans la réorganisation de la direction du SNES quand la maladie de Gérard Alaphilippe conduisit ce dernier à démissionner à la rentrée 1984. Il devint secrétaire général adjoint au côté de Monique Vuaillat, devenue secrétaire générale, et n’allait cesser de jouer auprès d’elle un rôle très important jusqu’en 2000, dans des équipes de secrétariat général, où se succédèrent Roger Vila, Jean-Louis Auduc, Louis Weber, puis de plus jeunes militants, François Labroille, Denis Paget et Jean-Marie Maillard.
Il fut à l’origine, avec François Labroille, de la reformulation de l’exigence de moyens pour l’Éducation nationale et ses personnels à travers le concept d’ « investissement éducatif ». Il joua un rôle déterminant dans l’organisation des actions et les négociations du printemps 1989 avec le ministère Jospin, qui se conclurent par ce qu’il considérait comme des avancées considérables après presque deux décennies de vaches maigres. En dépit des insuffisances, il pesa pour qu’après consultation des syndiqués, le SNES signe le « relevé de conclusions » : accélération des débuts de carrière des certifiés et agrégés, création de la hors-classe des certifiés (qui répondait à la revendication de 1979), extension de l’accès à la hors classe des agrégés et indice terminal passant de 810 à 953, intégration progressive des adjoints d’enseignement dans le corps des certifiés, création de l’indemnité de suivi et d’orientation (ISO) indexée sur la valeur du point d’indice.
Il fut également très actif dans la lutte pour empêcher la scission de la FEN puis dans la construction de la Fédération syndicale unitaire. Après des contacts discrets avec Jean-Paul Roux puis Yannick Simbron, il fut rapidement persuadé que les dirigeants UID (Unité, Indépendance et Démocratie) qui avaient décidé d’exclure le SNES et le Syndicat national de l’éducation physique de la FEN, avec le soutien des « Fabiusiens » du Parti socialiste, pour procéder à une recomposition du syndicalisme en France, iraient jusqu’au bout de leur projet. Dès 1988, après le congrès fédéral de la Rochelle, où il avait dénoncé la formule du « travailler autrement » prônée par la direction fédérale, il multiplia dans L’US les articles pour dénoncer la préparation d’une opération politicienne et antidémocratique et en faire porter à leurs auteurs la seule responsabilité. Après l’exclusion du SNES et du SNEP, il œuvra pour trouver une issue, ni dans la simple autonomie du SNES qui l’isolerait définitivement et l’affaiblirait, ni dans l’adhésion à la CGT, mais dans la construction d’une nouvelle fédération. Il passa beaucoup de temps à convaincre tous ceux qui étaient hostiles à la scission de s’y retrouver (aussi bien les militants de l’École émancipée que la direction du SNETAA (Syndicat national de l’enseignement technique apprentissage) avec toutes les garanties nécessaires, ce que traduisirent les statuts adoptés au congrès constitutif à Mâcon en 1994, fondés sur le trépied des syndicats nationaux, des sections départementales fédérales et des tendances, avec des majorités qualifiées.
Muté en 1993 à Toulouse au lycée Bellevue avec sa nouvelle compagne, Pierre Toussenel fut un peu moins présent à Paris dans la direction du SNES, mettant ses espoirs dans la nouvelle génération de militants entrée au secrétariat général à partir de cette date. Il n’en conserva pas moins une grande autorité intellectuelle et morale dans le syndicat, jusqu’à son départ de la direction en 2000. Il regrettait cependant que les militants des S3 n’aient pas été mis en capacité de participer mieux à la définition de la politique syndicale. Son franc-parler était connu et parfois diversement apprécié dans la FSU. Attaché plus que jamais à l’indépendance syndicale, il n’apprécia pas la démission de Michel Deschamps de son poste de secrétaire général en 1999 pour se présenter aux élections européennes sous l’étiquette du PCF. Parti que lui-même avait quitté discrètement depuis plusieurs années car incapable selon lui de répondre à l’exigence de reconstruction de la gauche. Au fil des luttes contre la scission puis pour la création de la FSU, il avait acquis la conviction que le syndicalisme devait disputer aux partis leur prétention à détenir le monopole de la définition de l’intérêt général, et il estimait aussi que l’avenir se trouverait dans de nouvelles structures plus ouvertes comme ATTAC (Association pour la taxation des transactions financière et l’aide aux citoyens).
Retraité, il s’investit dans la vie politique et sociale de sa nouvelle résidence, Villemur-sur-Tarn, en tant qu’élu municipal de la liste d’Union de 2008 à 2014, et en soutenant la lutte des travailleurs de Molex. Il participait aussi à la vie du secteur des retraités du SNES au plan national, poussa à la création d’une structure des retraités à la FSU et à un investissement renforcé dans la Fédération générale des retraités de la Fonction publique. Il continuait à écrire dans L’US spéciale retraités, POUR et la revue U-A enjeux des articles et des billets toujours concis et mobilisateurs.
Par Alain Dalançon
SOURCES : Arch. IRHSES (dont S3 de Paris, CA, CN, Congrès, secteur rémunérations, secrétariat général, L’Université syndicaliste, Revue Unité et Action, Pour .— Interview de l’intéressé par A. Dalançon le 17 mars 2004. — « De la FEN à la construction de la FSU », témoignage de Pierre Toussenel, FSU PACA, le 28/02/2012. — Notices DBMOF de ses parents. — Paula Schwart, « La répression des femmes communistes (1940-1944) » in Identités féminines et violences politiques (1936-1946), sous la direction de François Rouquet et Danièle Voldman, Cahier de l’IHTP n°31, 1995.— Notes de Pierre Delon sur Léa Toussenel.