HENRY Marc

Par Michel Henry

Né le 13 janvier 1914 à Bordeaux (Gironde), mort le 12 juin 1990 à Paris ; avocat travailliste ; résistant, communiste.

Marc Henry naquit à Bordeaux dans une famille de condition modeste originaire de la moyenne Dordogne, protestante et républicaine. Il disait avoir perdu toute foi religieuse vers ses seize ans mais il resta profondément marqué par la rigueur des convictions morales familiales. Aux environs de 1925 ses parents s’installèrent à Saint- Cloud pour y trouver du travail. Marc Henry, fils unique, y a passé son certificat d’études primaires. Reçu premier du département, il bénéficia d’une bourse qui lui permit d’entrer, comme interne, au lycée Hoche à Versailles où il passa le Bac après avoir sauté la 5e et la 3e. Inscrit en faculté, il suivit des enseignements de lettres et de philosophie, assidu aux cours de Georges Politzer, et en parallèle passa la licence de droit puis le Capa. À 20 ans, en 1934, il prêtait serment d’avocat.

Sa vie professionnelle débuta comme stagiaire dans le cabinet de Georges Pitard, fusillé le 20 septembre 1941 au Mont Valérien. Le même jour fut également fusillé le meilleur ami de Marc Henry, Michel Rolnikas, lui aussi avocat et communiste. Convaincu dès ses années d’étudiant par le marxisme dans sa tendance trotskiste, il pensait, de manière utopique, pouvoir travailler un jour pour la société des nations, apprenant pour cela l’espéranto. Dès 1936 il était cependant appelé à faire son service militaire comme fantassin. La menace de guerre devait le conduire à poursuivre par l’école des sous-officiers dont il sortira sergent. Il était mobilisé le 27 août 1939 au 158ème régiment d’infanterie de Strasbourg. Son bataillon fut décimé à Assevent près de Maubeuge puis, après la défense de Bavay où il fut fait prisonnier par une colonne blindée allemande le 27 mai 1940. Évadé en 1942 il fut repris après quatorze jours de marche à pied près de Longwy et emmené à la forteresse de Luxembourg où il fut incarcéré. Après un interrogatoire brutal par la Gestapo il fut envoyé au camp disciplinaire de Trèves d’où il s’évada à nouveau. Repris, il futc ette fois-ci envoyé au camp de représailles de Rawa Ruska où, après neuf jours de voyage dans des wagons à bestiaux il devait arriver le 15 janvier 1943. Le régime très dur de ce camp, décrit par Winston Churchill comme celui de la goutte d’eau et de la mort lente, était, pour les soldats soviétiques, un camp d’extermination. L’esprit de résistance des sous-officiers s’exprimait au nom des conventions de Genève par le refus de travailler pour l’Allemagne, attitude qui sera sanctionnée par un transfert à Kobierzyn en Pologne, camp de représailles pour sous-officiers réfractaires. Marc Henry fut affecté au bloc 3.1 où il mena avec Albert Tanneur, l’homme de confiance élu par ses camarades, avec Jean Puiggali et d’autres, une lutte idéologique de résistance au nazisme. Lors de l’avancée de troupes soviétiques en Ukraine et en Pologne Marc Henry fut évacué, en août 1944, au camp de Markt Pongau dans le sud autrichien. De là il fut désigné par le groupe de résistance interne au camp, qui organisa son évasion le 12 mars 1945, pour prendre contact avec la résistance autrichienne et établit le contact le 25 mars au-dessus de Salzbourg. Revenu dans le camp après cette mission, il est renvoyé à l’extérieur pour y chercher des armes. Il s’acquitta de cette mission dans les Alpes autrichiennes où la SS était omniprésente puis reçut l’ordre de regagner la France avec les archives du bloc. Après avoir volé un véhicule militaire allemand et s’être armé, il regagna les lignes américaines à Innsbruck. La guerre se termina pour lui le 10 novembre 1945.
Le Général de Gaulle lui décerna la Croix de Guerre avec étoile d’argent et citation à l’Ordre de la Division pour son magnifique esprit de résistance. Officier des Forces Françaises de l’Intérieur, il reçut la Médaille Militaire, la Croix de Guerre, la Médaille des Évadés, celle du Combattant Volontaire de la Résistance et d’Interné Résistant puis fut fait chevalier, et ensuite Officier de la Légion d’Honneur à titre militaire. Chaque année les anciens de Kobierzyn, auxquels se joignait souvent l’amicale des belges, tenaient congrès et banquet au cercle militaire place de Saint Augustin et se retrouvaient dans une ambiance de fraternité qui ne s’est jamais émoussée. Albert Tanneur a été élu après la guerre président de l’Amicale des Anciens de Kobierzyn. À sa mort en 1969 Marc Henry lui succéda à la présidence.

À son retour en France le 3 juin 1945, très amaigri, il rejoignit Clermont-Ferrand pour y reprendre des forces. C’est là qu’il rencontra le 9 juin Eliane Kempf. Le 23 juin ils étaient fiancés. En cette année 1945 Marc Henry reprit la robe, démuni financièrement mais fort de convictions forgées avant la guerre avec la montée du nazisme, celle des fascismes et de la guerre d’Espagne et endurcies par les années de captivité. C’est à cette époque qu’il adhéra au Parti communiste. Il installa son cabinet dans le modeste appartement de ses parents, 11 bis rue Mansart dans le neuvième arrondissement et reprit l’exercice de la profession en défendant des salariés pour la CGT. Eliane abandonna la fin de ses études de biologie et de génétique pour assurer le secrétariat du cabinet. Chaque soir il fallait repartir par le train gare Saint Lazare pour se rendre à Asnières où le couple avait trouvé un logement avec Michel sous le bras qui était né le 12 décembre 1947. Deux ans plus tard, la famille et le cabinet élirent domicile au 13 rue de Clichy pour y rester jusqu’en 1973. L’activité du cabinet se répartissait entre le contentieux prud’homal et des affaires de responsabilité civile pour La Fraternelle, compagnie d’assurance créée après la guerre par le syndicat des chauffeurs de taxi CGT et présidée par Albert Tanneur qui avait été avant le déclenchement des hostilités, secrétaire du syndicat des cochers chauffeurs. En 1956, Marc Henry prit la succession d’Henri Gamonet comme avocat de la Fédération du Livre (FFTL CGT aujourd’hui FILPAC CGT) et des syndicats qui lui étaient affiliés. Ces organisations étaient à l’époque puissantes ; la Fédération venait de négocier et de signer la convention collective de branche de l’Imprimerie de Labeur et le secteur presse était régi par des conventions de métiers qui garantissaient le monopole syndical à travers le contrôle de l’embauche et l’usage du label. Les affaires du Livre, partagées entre contentieux prud’homal et conflits collectifs, représentaient une part importante de l’activité de droit du travail du cabinet avec la Fédération du Verre puis l’Enseignement Privé. La spécialisation du cabinet en droit social se renforça encore à l’occasion de l’installation du cabinet rue Claude Bernard en 1973, époque qui correspond à la constitution d’une SCP avec Michel Henry qui avait prêté serment en 1971 et Gilles Albouy. Quelques grands conflits sociaux vont marquer ces années, le plus important étant celui du Parisien Libéré. Le 19 novembre 1974 la FFTL avait appelé à des manifestations contre la dégradation de la situation des travailleurs du Livre et donné pour consigne de faire insérer dans tous les journaux un communiqué syndical. Émilien Amaury ayant refusé de publier in extenso ce communiqué dans ses titres nationaux, les ouvriers des ateliers du Parisien Libéré, du Petit Parisien et de L’Équipe décidaient de cesser le travail pour vingt-quatre heures. Émilien Amaury ripostait par un lock-out des trois entreprises et tentait de négocier la remise en cause des accords parisiens dans le cadre d’un projet de construction d’une nouvelle imprimerie à Saint Ouen. Après quatre mois d’affrontements Émilien Amaury décidait de fermer l’imprimerie de la rue d’Enghien, de transférer la fabrication de ses titres en province et de « remettre » les ouvriers du Livre à la « disposition » du Syndicat du Livre, prétendant n’en n’avoir jamais été le patron puisqu’il n’avait jamais eu le contrôle de l’embauche. Cette provocation marqua le début des actions judiciaires, d’abord prud’homales, pour réclamer des salaires. Le 7 mai 1975 la grève avec occupation était votée, le personnel occupant les locaux et s’y barricadant. Pendant des mois les ouvriers du Livre parisien vont faire la chasse aux journaux « pirates » imprimés en province ou en Belgique et vont multiplier les manifestations médiatiques. La lutte était soutenue par une contribution de 10% du salaire payé par tous les ouvriers du livre de la capitale. Le conflit cessa par un accord honorable pour le Livre CGT le 12 juillet 1977 après qu’Émilien Amaury se soit tué le 2 janvier dans un accident de cheval. Le conflit a donné lieu à des centaines de procédures prud’homales, civiles, administratives et pénales et mobilisé le cabinet de la rue Claude Bernard pendant deux ans. Les affaires pénales en correctionnelle, le plus souvent pour destruction de la propriété mobilière d’autrui, c’est-à-dire les journaux pirates du Parisien Libéré, étaient défendues par un collectif d’avocats militants auxquels se joignaient quelques ténors du barreau : Robert Badinter, Jean-Denis Bredin, Roland Dumas… et donnaient lieu à des audiences épiques où il s’agissait, pour le collectif de défense, de plaider le plus longtemps possible.
Marc Henry prit sa retraite le 31 décembre 1984 dans sa soixante et onzième année et continua, jusqu’à son décès, une activité à mi-temps, à la Fédération des Déportés et Internés rue Leroux. En marge de cette vie professionnelle à travers laquelle il a exprimé, dans la défense au quotidien du monde du travail, ses convictions politiques, Marc Henry a aussi participé activement en 1948 à la reparution du Droit Ouvrier, revue juridique de la Confédération Générale du Travail dont il resta toujours un membre actif de son comité de rédaction. Cette revue d’abord dirigée par Maurice Boitel puis par Francis Saramito, constitue une source documentaire importante pour les praticiens et les militants syndicaux et assure le rayonnement d’une doctrine juridique de haut niveau, soutenant avec les armes du droit les idéaux de la CGT. Il réalisa en 1952 avec Jacques Vignaux un Manuel pratique des Prud’Hommes édité par la CGT. Après la guerre les avocats communistes qui étaient nombreux ont été répartis entre trois cellules d’avocats pour ce qui concerne le Palais parisien. Marc Henry sera rattaché à la cellule « Georges Pitard ». Il est resté fidèle à ses convictions communistes jusqu’à la fin de sa vie, même s’il a pris ses distances avec l’appareil du parti dans les années 1970. Cette période fut aussi dans un esprit d’ouverture et de modernité pour une partie des communistes, celle du programme commun de la gauche. Dans cet élan d’union fut créé en 1974 le Syndicat des Avocats de France à l’initiative d’avocats communistes avec l’accord de la fédération de Paris du parti communiste et de la section socialiste du Palais parisien dont les membres rejoindront dans un deuxième temps le nouveau syndicat. Marc Henry fut aux premières heures de cette initiative née d’un manifeste publié dans la Gazette du Palais du 8 août 1972 « pour une véritable organisation syndicale de défense de la profession d’avocat ». Le SAF sera longtemps qualifié de « Syndicat des avocats syndicaux de droit du travail ». Le colloque annuel de sa Commission de droit social qui réunit de nombreux participants à l’université de Dauphine au mois de décembre est depuis, un des moments forts de la vie syndicale. Vie professionnelle, militantisme, débats politiques passionnés et fortes amitiés se mêlaient étroitement et se prolongeaient l’été par des vacances montagnardes en Cerdagne d’où Jean Puiggali était originaire et où il entrainera aussi Madeleine et Jean Reberioux connus en 52, qui étaient les plus proches amis d’Eliane et de Marc Henry. Convaincu que le combat pour améliorer la condition des hommes ne devait jamais s’exonérer d’une morale de l’action, Marc Henry n’a jamais perdu la foi dans la justesse de ses idéaux, même s’il a pris ses distances avec les dogmes et souvent marqué de la défiance à l’égard des comportements d’appareil.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article180171, notice HENRY Marc par Michel Henry, version mise en ligne le 29 avril 2016, dernière modification le 20 janvier 2023.

Par Michel Henry

SOURCES : Éléments réunis par Michel Henry, son fils et associé de 1973 à 1984, notamment archives familiales. — Discours d’Henri Noguères à l’occasion de la remise de la Médaille d’Officier de la Légion d’Honneur. — Discours de réponse de Marc Henry à Henri Nogueres. — Discours de J.Charvet pour la remise des insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur. — Annales du Syndicat des Avocats de France tome 1, 1972-1992, par Claude Michel.

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