BROUÉ Pierre. Pseudonymes : Pierre Scali, François Manuel, Michel Wattignies, Pierre Barois, Pierre Brabant

Par Jean-Guillaume Lanuque

Né le 8 mai 1926 à Privas (Ardèche), mort le 26 juillet 2005 à Grenoble (Isère) ; enseignant dans le secondaire, puis chargé d’enseignement et professeur des universités en histoire à l’IEP de Grenoble, historien ; trotskyste, membre du PCI (SFQI), du PCI exclu après 1952, de l’OCI, de l’OT, de l’OCI reconstituée, du PCI et du MPPT, exclu de fait en 1989, fondateur de la revue et des cercles Le marxisme aujourd’hui puis de l’Institut Léon Trotsky et des Cahiers Léon Trotsky ; responsable syndical au SNET, au SNES puis au SNESup.

Pierre Broué
Pierre Broué

Pierre Broué naquit dans une famille de petits fonctionnaires. Son père, Léon Broué (1890-1972), protestant, avait été mobilisé pendant sept ans, entre autre durant la Grande guerre ; il était devenu ensuite employé à la Trésorerie générale après avoir été un temps tourneur chez Berliet, et il prit sa retraite comme percepteur ; il se reconnaissait plutôt chez les radicaux. Sa mère, Renée née Verrot (1898-1980), fut d’abord institutrice, puis professeur des écoles primaires supérieures, et enfin directrice de collège ; elle fut membre de l’Union des femmes françaises à la Libération. Le couple s’était installé à Privas en 1922, et avait déjà eu une fille, Reine, en 1923. Une jeune bonne, Eva, faisait également partie de la famille. L’enfance de Pierre fut rythmée par la visite dominicale chez les grands-parents, à Aubenas et Saint-Vincent-de-Barrès. Anatole Broué, son grand-père paternel, maréchal-ferrant, qui se considérait comme représentant des ouvriers à la campagne, lui chantait les chants de la Commune. Pierre noua en outre des liens de confiance et de savoir avec Rémy Verrot, son grand-père maternel, ancien maître d’école et socialiste coopérateur. Les deux enfants ne furent pas baptisés, une position délicate dans ce pays de guerre de religions, et baignaient plutôt dans une atmosphère laïque.
Après l’école primaire, Pierre rentra en 6e en 1935, avec de l’avance, et obtint de brillants résultats. La suite de sa scolarité confirma cette réussite, mais son indépendance et sa soif de discuter le faisaient traiter par certains de « mauvais esprit ». Il lisait énormément, tout ce qu’il trouvait à lire, et faisait rire en se proclamant républicain et pacifiste. Mais ce sont les événements de juin 1936, puis la guerre d’Espagne qui débutait, qui marquèrent véritablement l’éveil de sa conscience politique (il éprouvait une grande sympathie pour les ouvriers en grève et les républicains espagnols). Après une empoignade avec des Scouts de France, qui lui reprochaient d’être un « faucon rouge », il fut passé à tabac et abandonné évanoui sur un trottoir. Sa vie militante commençait alors qu’il n’avait pas encore dix ans.
La Seconde Guerre mondiale fut pour lui une secousse double. D’abord avec l’arrestation d’Élie Reynier, un professeur aimé et estimé. Le jeune garçon ne comprenait pas pourquoi la « guerre du droit » devait commencer par l’emprisonnement d’un homme respecté de tous, et qu’il jugeait admirable. Ensuite, la débâcle : il la vécut au bord de la route, brûlant de se rendre utile, bouillant de voir généraux et officiers avec des heures d’avance sur leurs hommes. Pour lui, le monde des adultes s’effondrait. Il réussit cependant à s’imposer afin d’accompagner sa mère chez Élie Reynier libéré, qui lui ouvrit sa bibliothèque et son amitié ; une rencontre décisive. À l’été 40, il dévora l’Histoire de la Révolution russe de Trotsky. Il poursuivit sa scolarité au lycée de Privas ; très agressif à l’égard des enseignants pétainistes, mais jamais sanctionné, il se fit de solides inimitiés. Il obtint tout de même son baccalauréat. À la rentrée 1942, Pierre Broué entra en hypokhâgne à Marseille, au lycée Thiers. Il chercha et trouva un contact avec la Résistance, par l’intermédiaire d’un surveillant, Paul Cousseran, qui l’incorpora aux Mouvements unis de la résistance (MUR), dans un groupe de collecte de renseignements, remise de colis aux prisonniers et de transport d’armes et d’explosifs. En juillet 1943, Paul Cousseran fut sollicité par le réseau Périclès. C’est à ce moment-là que les propos d’un officier résistant le persuadèrent du mensonge de l’union nationale et de la validité de la lutte des classes. Puis, convaincu par un jeune ouvrier, condamné à mort par Vichy, il devint communiste. Après avoir suivi les cours de l’école de Theys, il ne put toutefois rejoindre le réseau, détruit dans l’intervalle.
En septembre 1943, Pierre Broué entra en khâgne au lycée Henri IV de Paris, où il logea jusqu’en 1945. Il y fut particulièrement marqué par les travaux de déblaiement et de sauvetage qu’il accomplissait à la suite des bombardements sur la ville. Il assista aux cours environ six mois la première année, et seulement quelques semaines la deuxième. Il écrivit également pièces de théâtre et poèmes, et s’investit dans le militantisme communiste au sein des étudiants communistes au sein desquels il était entré (distribution de tracts, bris de librairies allemandes, transport de l’Humanité clandestine). Il était alors le responsable « polo » du triangle d’Henri IV qu’il représentait dans celui du quartier latin, sous le pseudonyme de Wattignies, avec Jean Poperen* alias Linières.
C’est ainsi qu’en mai 1944, il organisa sur ordre une manifestation des étudiants communistes contre le STO, qu’il critiqua ensuite comme « aventuriste ». Ce désaccord avec sa direction s’était déjà manifesté en janvier 1944, lorsqu’il avait approuvé le projet d’une distribution de tracts en allemand dans une caserne, ce que sa direction avait refusé. Il venait alors de prendre contact avec les trotskystes par l’intermédiaire de Donald Simon*, ancien du Comité communiste internationaliste, qui lui révéla son appartenance politique et le mit en contact avec le Parti communiste internationaliste - section française de la quatrième internationale (PCI-SFQI), récemment constitué. Sachant que sa liquidation physique était une possibilité, ses nouveaux amis lui conseillèrent de quitter Paris. Il partit donc à La Côte Saint-André, dans l’Isère, où sa mère avait été mutée, un voyage imprévu décisif pour sa formation.
En route, il fut amené à passer la nuit sur une banquette de café après un terrible bombardement sur Lyon. Mais il fut rejoint par quatre très jeunes et déjà anciens soldats allemands et un interprète italien, communiste. Ils parlèrent, burent et chantèrent toute la nuit. Il dit avoir rencontré chez eux « le désespoir à l’état pur ». Ils seront pris par les FFI et fusillés quelques jours plus tard. Arrivé à la Côte-Saint-André, Pierre Broué occupa des responsabilités dans les milices patriotiques. Un matin, il dut intervenir : des commerçants de la ville avaient entrepris de frapper, avec le tranchant de leurs pelles, de toutes jeunes recrues allemandes, pieds et poings liés. Il lui fallut du temps pour se remettre non seulement du spectacle qu’il avait interrompu son Colt au poing, mais également de la découverte qu’il fit sur lui-même : il aurait été heureux de tuer les tortionnaires et se sentit frustré par leur fuite éperdue. Tout avenir militaire fut désormais exclu dans sa tête. Il ne fera même pas valider ses services de résistance, et reprit ses études.
Il revint à Paris et au lycée Henri IV. Sa reprise de contact avec le PCF ne fut qu’un constat de rupture : on l’accusa d’avoir calomnié Tito... Au sein du PCI-SFQI, il participa au cercle d’études marxistes animé par Donald Simon et Claude Lefort*, qui faisait partie du Front national des lettres lié au PCF et qui en fut finalement exclu. Son militantisme prit alors plusieurs formes : contradiction portée à plusieurs réunions politiques ; vente de La Vérité à la criée, à une époque où celle-ci était encore interdite ; recrutement de neuf amis étudiants, qu’il regroupa en trois cellules clandestines vis-à-vis du PCI-SFQI pour contourner le problème des quotas imposés par la direction (1 étudiant pour 3 ouvriers), cellules qui furent finalement intégrées à l’organisation mais sans ancienneté. Il chercha également du travail, et obtint un poste de professeur auxiliaire au centre d’apprentissage de l’école Estienne des métiers du livre, tout en commençant en parallèle des études d’histoire à la Sorbonne. Il logeait alors dans un meublé du 16e arrondissement, en compagnie de Simone, son épouse enceinte qui accoucha d’un fils, Michel, le 28 octobre 1946. C’est également à cette époque qu’il découvrit le surréalisme grâce à un ami antillais, Édouard Glissant.
Il poursuivit son activité militante au sein du PCI-SFQI, où il fut attiré par les analyses de Claude Lefort* et Cornélius Castoriadis*, mais sans les suivre dans leur rupture, lisant simplement la revue Socialisme ou barbarie. Versé dans la Jeunesse communiste internationaliste (JCI), il devint membre de sa direction et responsable du secteur étudiant, et y entra en conflit avec Marc Paillet*. Il participa également à la protection de Daniel Renard* durant les grèves de 1947. Il intégra même le comité central (CC) en 1948, avant le départ des « droitiers ». Mais la difficulté de vivre à Paris et les appels de ses parents poussèrent Simone à repartir à Privas avec leur fils. Après un succès aux examens (licencié libre), Pierre Broué les rejoignit, s’inscrivit à la faculté de Lyon, donna des cours particuliers de latin et fit des surveillances d’études. Il continua aussi à militer, en construisant en Ardèche le Mouvement révolutionnaire de la jeunesse (MRJ) qui succédait à la JCI ; il y recruta une douzaine de jeunes, mais l’organisation s’effondra sur le plan national.
À la rentrée scolaire de 1948, il obtint un poste d’adjoint d’enseignement à Nyons, dans la Drôme, au collège Roumanille. Durant l’été, il prit part aux brigades envoyées en Yougoslavie par le MRJ (en fait le PCI-SFQI), en étant intégré à la brigade Henri Colliard (Rhône-Alpes). En juin 1950, il demanda un poste de maître d’internat afin de terminer sa licence et de passer les concours. Simone et lui étaient alors en train de rompre. À la rentrée, il fut affecté à l’ENP de Voiron comme maître d’internat. Il combattit le régime disciplinaire qui y prévalait, amena la majorité des maîtres d’internat (MI) au SNET, et devint secrétaire académique des MI/SE. En janvier 1951, il fut muté au collège Vaucanson, à Grenoble, où il resta trois ans. Il rédigea alors un mémoire sur Laurent de l’Ardèche avec le professeur Ambroise Jobert, termina sa licence, et divorça. Il fut élu aux commissions paritaires, et commença dans le même temps à préparer les concours. Au moment de la scission du PCI-SFQI en 1952, il fut du côté de la majorité en opposition à la direction internationale de Michel Pablo* ; il faisait d’ailleurs initialement partie des militants désignés pour entrer au PCF dans le cadre de la tactique d’entrisme sui generis. Il fut admissible à l’oral de l’agrégation en 1953 (4e à l’écrit), mais y échoua, malgré la défense que fit de lui le président du jury Fernand Braudel. La même année, il se remaria avec Simone Pleynet (Tutur). Il évita à l’aide du SNES une nomination à Boufarik, en Algérie, et revint à Nyons où il assuma à la fois un service de professeur et un service d’adjoint. Eloigné, sans livres accessibles, son deuxième essai à l’agrégation se solda par un échec à l’écrit. Il commença alors à songer à des activités de recherche en histoire. Il rédigea dans le même temps une brochure sur la Bolivie pour le PCI exclu, sous le pseudonyme de Pierre Scali. À la rentrée scolaire de 1954, il fut affecté à Beaune, en Côte d’Or, comme adjoint d’enseignement au collège Monge. Au sein du SNES, membre de la tendance « autonome », il fut élu délégué académique des maîtres auxiliaires. En 1955, il hébergea quelque temps Mohammed Maroc, un des dirigeants du MNA de Messali Hadj, que soutenait son parti.
Il s’était rendu populaire dans le « prolétariat » des enseignants du secondaire en réclamant des mesures de réparation et d’intégration dans le corps des certifiés pour les AE et MA. Adopté par la direction autonome, plébiscité par la base, il fut nommé pour octobre 1956 à Paris, au Petit Lycée Condorcet, où il eut un demi-service. Avec ses camarades Robert Chéramy*, Paul Ruff*, Louis-Paul Letonturier* et les AE Charles Cordier, Jeannette Harding, Roland Venet, ils constituèrent une gauche autonome influente. Secrétaire national des AE/MA, commissaire paritaire, Pierre Broué s’investit totalement dans l’intégration des milliers d’AE/MA. Sa compagne Andrée Jacquenet l’avait rejoint et ils vécurent rue Stephenson, avec leur fille Françoise (née le 20 novembre 1956). Ils se marièrent en avril 1960.
Sur le plan politique, il fut coopté au bureau politique du PCI exclu. Il n’exerça pas d’activités publiques au nom de son organisation, mais hébergea et transporta des dirigeants du MNA, rendit visite à d’autres à la prison de la Santé, et écrivit des articles sur les événements de Pologne et de Hongrie dans La Vérité, sous les pseudonymes de Pierre Brabant et François Manuel. C’est sous ce dernier nom qu’il rédigea la brochure La révolution hongroise des conseils ouvriers. Il fut également le gérant du journal unitaire La Commune. C’est à cette époque qu’il se lança véritablement dans la recherche et l’écriture, en rédigeant avec son collègue Émile Témime (rencontré au lycée Condorcet), et sur commande des éditions de Minuit, La révolution et la guerre d’Espagne. En septembre 1957, Pierre Broué fut délégué ministériel au lycée Montaigne et y assuma un demi-service. Il fut porte-parole de l’École émancipée et membre du bureau national du SNES à ce titre, et s’investit pleinement dans les commissions paritaires. La petite famille logea dans la rue du Faubourg Saint Denis, et s’agrandit avec la naissance de Catherine (née le 16 avril 1959). À la demande du PCI exclu, il adhéra au PSA, dans la section du Xe arrondissement, initialement pour éviter la rupture de Robert Chéramy avec le PCI, et y intégra la commission des résolutions ; il quitta finalement assez vite cette organisation, la rupture étant consommée avec Chéramy.
Professionnellement, Pierre Broué fut ensuite nommé à Montereau-Fault-Yonne, Andrée et lui sur un poste double. Avec sa petite famille, ils habitèrent d’abord à Montereau, puis à Surville ; leur troisième fille, Martine, naquit le 21 novembre 1961. En plus de ses activités professionnelles, il impulsa la lutte, couronnée de succès, qui fit passer l’association de parents d’élèves locale à gauche, et prit part ponctuellement à la vie politique de la commune. Il eut alors sa première crise grave avec la direction de son parti. Ne pouvant venir à une session du CC, sa femme étant alitée et ses trois enfants à la maison, il écrivit à Pierre Lambert* pour lui demander si on pouvait trouver un ou une camarade capable pour le remplacer à la maison, ou sinon de l’excuser à la réunion. Ce dernier lui répondit en le priant de démissionner s’il ne venait pas ; il lui proposa ensuite d’être réintégré par cooptation, ce qu’il refusa. Il ne revint au CC qu’élu, en 1967. Il participa durant l’année scolaire 1960-1961 aux séminaires sur l’histoire du communisme organisés par Georges Haupt et Annie Kriegel* à l’EHSS, et poursuivit ses travaux de recherche : encouragé par Jérôme Lindon, il écrivit Le parti bolchevique, qui rencontra un bon écho, et publia Le mouvement communiste en France, une sélection de textes de Trotsky. Il commença également un travail de thèse sur la révolution allemande au sortir de la Première Guerre mondiale.
En octobre 1965, il fut sollicité comme assistant à l’IEP de Grenoble par Ambroise Jobert ; toute la famille déménagea et s’installa à Grenoble, rue Saint Ferjus, où un nouvel enfant, Jean-Pierre, naquit en janvier 1966. Pierre Broué prit la direction du bureau du SNESup de la section lettres dès la rentrée 1966, et créa un cercle d’études sur « les problèmes actuels du socialisme ». Il y recruta une trentaine de membres pour l’Organisation communiste internationaliste (OCI), et dirigea un groupe d’étude révolutionnaire à Valence pour les former. À la fin de l’année 1966, une région de soixante militants était en place. En avril, il participa à la 3e conférence du Comité international à Londres. Il donna également la même année des conférences d’histoire à Paris à la demande de l’Union des étudiants communistes. Entre 1967 et 1968, à la demande de Pierre Lambert, il rédigea une brochure sur les actions du PCF contre les meetings trotskystes et d’extrême gauche, brochure qui ne fut finalement pas publiée. Le meeting organisé à Lyon par l’OCI pour l’anniversaire de la révolution d’Octobre et auquel participait Pierre Broué fut d’ailleurs attaqué par le service d’ordre local de la CGT, finalement mis en déroute. Il participa enfin au congrès de l’OCI, en décembre 1967, à Paris, où il eut un très violent conflit avec Stéphane Just en critiquant les méthodes de Charles Berg et en étant accusé d’avoir voulu évacuer la salle du meeting de Lyon face aux attaquants.
En mai 1968, Pierre Broué lança un ordre de grève pour le SNESup à Grenoble, qui fut très largement suivi et y déclencha le mouvement. Une réunion quotidienne de la section SENSup -qui atteignit alors une centaine de membres- fut organisée, et des initiatives unitaires eurent lieu avec la CGT, la FEN et le SNESup. Pierre Broué devint d’ailleurs secrétaire académique et fut élu à la CA du SNESup. Lors de la dissolution de l’OCI, en juin, il conserva ses militants dans des cellules clandestines. Par la suite, il fut nommé maître assistant, et soutint sa thèse en décembre 1970, à l’Université de Nanterre, pour laquelle il obtint la mention « très honorable ». Ce travail fut publié dès l’année suivante. En dépit de ce résultat, son inscription sur la liste d’aptitude aux fonctions de professeur lui fut refusée, et il resta chargé d’enseignement. Dès les années 60, il avait effectué des séjours dans les pays de l’Est - comme en 1966 à l’école d’été de l’institut des sciences sociales de l’Université de Belgrade, puis à l’École d’été de Korcula qui lui permirent d’aller prendre des contacts en Pologne et en Tchécoslovaquie, sans compter la Yougoslavie elle-même. Il voyagea beaucoup plus dans les décennies suivantes pour assurer un enseignement, du Canada aux États-Unis, en passant par le Brésil, le Vénézuela ou le Mexique, ce qui lui permit également de réunir de la documentation sur Trotsky et le mouvement trotskyste. Toutefois, il perdit, sans comprendre vraiment les raisons du procès qui lui fut fait, la direction de l’OCI à Grenoble, et de plus en plus critique vis-à-vis du fonctionnement de l’organisation, il décida alors de se consacrer pleinement à Trotsky et à l’histoire.
Il poursuivit la publication de textes de Trotsky, comme sur l’Espagne, et se créa des outils de base (chronologies, biographies de militants trotskystes, fichier des pseudonymes). Il soumit ensuite un projet d’édition des œuvres de Trotsky, qui aboutit finalement, avec l’aide de Marguerite Bonnet*, légataire des œuvres littéraires de Trotsky, d’EDI et de Jean Risacher*, à la constitution d’une équipe dirigée par Pierre Broué, et qui comprenait entre autres Michel Dreyfus, Anna Libera et Jean-François Godchau. Une association fut également créée par cette équipe, fin 1977, l’Institut Léon Trotsky (ILT), présidé par Marguerite Bonnet et soutenu par un important Comité de parrainage assez diversifié, dont le siège était à Paris, dans les locaux d’EDI, ainsi qu’une revue, les Cahiers Léon Trotsky. Les trois organisations trotskystes, OCI, LCR et LO, s’étaient engagées à diffuser un grand nombre d’exemplaires des Œuvres, opération qui permit le financement des recherches ultérieures. Le premier volume des Œuvres parut en 1978, et inaugura une série de 24 volumes sur la période 1933-1940, les douze premiers publiés par EDI, ultérieurement complétée par les trois premiers volumes de la seconde série, 1928-1933. Le n°1 des Cahiers parut en janvier 1979. En janvier 1980, une partie de l’équipe de l’ILT se rendit à Harvard pour l’ouverture de la partie fermée des archives de Trotsky, où fut entre autre découvert l’existence du bloc des oppositions en URSS au début des années 30. Dans le courant de l’année 1982, une rupture intervint entre les EDI et Pierre Broué, qui réussit néanmoins à obtenir des crédits de recherche grâce au ministère de la recherche. Le siège de l’ILT, des Cahiers et la publication des Œuvres furent transférés à Grenoble. Il poursuivit ses nombreux déplacements, à Harvard toujours, mais également à Stanford à partir de 1984 pour travailler sur la correspondance de Léon Sedov récemment exhumée, dans le reste des États-Unis pour rencontrer d’anciens militants trotskystes, ou dans divers autres pays pour participer à des colloques. Pour son organisation, l’OCI devenue ensuite PCI en décembre 1981, il rédigea un livre sur les événements de Pologne en 1981, qui ne fut finalement pas publiée. En 1988 parut la monumentale biographie de Trotsky qui lui avait été commandée par les éditions Fayard - avec des échéances resserrées-, et qui fut un grand succès international. Il participa également comme conseiller historique à un documentaire en deux parties sur Léon Trotsky, réalisé par Alain Dugrand et Patrick Le Gall.
En 1989, il fut annoncé par la direction du PCI, intégré alors au Mouvement pour un parti des travailleurs, qu’il s’était mis « hors de son organisation ». Il fonda avec d’autres exclus une revue, Le marxisme aujourd’hui, base de la constitution de cercles réunis en une fédération. C’est également en 1989, le 9 octobre, que son épouse Andrée mourut. Il déménagea plus tard de Grenoble à Saint Martin d’Hères. Pierre Broué était devenu professeur des universités en 1981, et il fut nommé professeur émérite de l’Université des sciences sociales de Grenoble au moment de sa retraite en 1988. Il poursuivit par la suite ses activités de recherche et ses nombreux voyages, en France mais surtout à l’étranger, en particulier en URSS et en Ukraine, rédigea un livre sur Staline et la révolution : le cas espagnol, ainsi qu’une biographie de Rakovsky et un gros travail sur l’Histoire de l’internationale communiste. Il accepta également de venir en aide à Raymond Vacheron pour lui permettre d’achever son enquête sur l’assassinat pendant la guerre, dans un maquis FTP, du militant trotskyste Pietro Tresso dit Blasco et d’orienter les recherches vers Jean Sosso, responsable des Amis de l’Union soviétique avant guerre et capitaine FTP.
Il collabora quelque temps aux organes successifs de la Gauche socialiste (GS) du Parti socialiste (PS), dans lequel Gérard Filoche et ses camarades étaient entrés après leur exclusion de la LCR, mais sans jamais appartenir ni à la GS, ni au PS. Il continua à assurer la parution des deux revues qu’il dirigeait, les Cahiers Léon Trotsky jusqu’en 2003 et l’interruption de leur publication, et Le marxisme aujourd’hui. Souffrant de problèmes de santé depuis plusieurs années, il mourut dans la nuit du 25 au 26 juillet 2005 à Grenoble.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article18028, notice BROUÉ Pierre. Pseudonymes : Pierre Scali, François Manuel, Michel Wattignies, Pierre Barois, Pierre Brabant par Jean-Guillaume Lanuque, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 10 décembre 2021.

Par Jean-Guillaume Lanuque

Pierre Broué
Pierre Broué

ŒUVRE : La révolution et la guerre d’Espagne, Minuit, Paris, 1961 (avec Émile Témime). — Le parti bolchevique, histoire du PC de l’URSS, Minuit, Paris, 1963 (seconde édition 1972). — Les procès de Moscou, Julliard, 1965. — Le printemps des peuples commence à Prague, Selio, 1970. — Révolution en Allemagne, 1917-1923, Minuit, 1971. — La révolution espagnole, Flammarion, 1972. — 1940, L’assassinat de Trotsky, Complexe, Bruxelles, 1980. — Trotsky, Fayard, 1988. — Trotsky, Mexico 1937-1940, Payot, 1988 (avec Alain Dugrand). — Moscou : le putsch du 19 août 1991. — Quand le peuple révoque le président, le Brésil de l’affaire Collor, L’Harmattan, 1993. — Léon Sedov, fils de Trotsky, victime de Staline, Éditions de l’atelier, 1993. — Staline et la révolution : le cas espagnol, 1936-1939, Fayard, 1993. — Rakovsky, ou la Révolution dans tous les pays, Fayard, 1996. — Meurtres au maquis, Grasset, 1997 (avec Raymond Vacheron). — Histoire de l’Internationale communiste, Fayard, 1997. — Communistes contre Staline, Fayard, Paris, 2003. — Direction et présentation du recueil de textes La question chinoise dans l’internationale communiste, EDI, 1976. — Direction et présentation des recueils de textes de Léon Trotsky, Le mouvement communiste en France, Minuit, 1967, et La révolution espagnole, Minuit, 1976. — Direction et présentation du Premier Congrès de l’Internationale communiste (mars-avril 1919), EDI, 1974. — Direction et présentation de Du Premier au Deuxième Congrès de l’Internationale communiste, (avril 1919-juillet 1920), EDI, 1979. — Direction et présentation de Correspondance Léon Trotsky, Alfred et Marguerite Rosmer, 1929-1939, Gallimard, 1982. — Direction et présentation des Œuvres de Léon Trotsky, 27 volumes parus, EDI/Institut Léon Trotsky, 1978 à 1989. — Présentation de Pologne-Hongrie 1956 ou le printemps en octobre, EDI, 1966 (seconde édition 1981). — Présentation de Écrits à Prague sous la censure (août 1968-juin 1969), EDI, 1973. — Présentation de Alfonso Leonetti, Notes sur Gramsci, EDI, 1974. — Préface et notes du recueil d’articles de Victor Serge, Notes d’Allemagne, La Brèche, Montreuil, 1990. — Participation à l’ouvrage collectif La révolution d’octobre et le mouvement ouvrier européen, EDI, 1967. — Collaboration au Maitron. — Articles dans La Vérité, La commune, Cahiers Léon Trotsky, Le marxisme aujourd’hui, Démocratie et socialisme, Le Mouvement social, Revolutionary history, Les Cahiers du CERMTRI, Quatrième internationale, Mémoires d’Ardèche.

SOURCES : « Ardéchois, cœur fidèle ? » (mémoires inédites). — Pierre Broué, « Élie Reynier, révolutionnaire du premier XXe siècle », Cahiers Léon Trotsky, numéro 70, juin 2000. — Entretien avec Pierre Broué, 25 août 2000. — Notes de Jean Risacher. — Pierre Broué. Un historien engagé dans le siècle, Dissidences, Le Bord de l’eau, mai 2012. — Pierre Broué,Mémoire d’un trotskiste, inédit,

Version imprimable