ALEGRI Joseph

Par André Balent

Né le 4 mai 1907 à Maçanet de Cabrenys (province de Gérone, Catalogne, Espagne), mort courant février 1944 à Perpignan (Pyrénées-Orientales) ; sans doute tué pendant ou à l’issue d’un interrogatoire par la Sipo-SD à la citadelle de Perpignan ; négociant en fourrages et produits agricoles à Pezens (Aude) ; résistant, agent du réseau "Fred-Tommy-Brown" (Akak)

Fils de Francisco et d’Anna Madern, Alegri était originaire de Maçanet de Cabrenys, commune ampourdanaise frontalière du Vallespir (France, Pyrénées-Orientales) avec lequel elle entretenait de multiples liens économiques et familiaux. En 1936, il vivait à Alzonne (Aude) où ses parents s’étaient installés avant d‘aller vivre à Pezens. Il était négociant dans cette localité. Il se maria le 16 janvier 1936 à Alzonne avec Catherine, Marie, Antoinette Colombier âgée de vingt-deux ans et fille de François Colombier et Léontine, Eugénie Marty. Ils eurent deux enfants : Gilbert, François né le 25 mai 1937 et Colette, Jacqueline née le 17 mars 1942. En 1938, il s’établit comme négociant en fourrages à Pezens (Aude) commune du Lauragais à sept kilomètres à l’ouest de Carcassonne (Aude). Avant la guerre il eut dans ces deux villages du Lauragais des activités bénévoles dans des associations professionnelles. Il présida le bureau des pailles et fourrages, rue de la mairie à Carcassonne, activité qui lui permit, lorsqu’il fut résistant, d’établir un point de chute à cet endroit avec la complicité de Lucien Trougnoux, son directeur.

Il fut naturalisé Français le 30 janvier 1940 en application de la loi de 1927. Il fut de ce fait mobilisé. Après la signature de l’armistice, il revint à Pezens.

Joseph Alegri fut un membre éminent du réseau « Claude Rives » (ou « Fred Tommy Brown ») — réseau de renseignements créé par l’Américain Brown alias « Fred », de l’OSS, afin de préparer le débarquement sur la côte méditerranéenne en fournissant des informations aux états-majors étatsuniens — lui-même rattaché au réseau Akak (OSS), réseau destiné aux passages d’informations et/ou de personnes vers l’Espagne. Alegri fut, à partir du 1er juin 1943, pour le compte de ce réseau, un agent P2 et chargé de mission de première classe. Le 24 mars 1952, Camille Fort, « chef » du réseau Akak et liquidateur de « Claude Rives », attesta des services de Joseph Alegri indiquant que son grade d’assimilation était celui de capitaine. D’autres documents inclus dans son dossier de la DVACC indiquent qu’il fut aussi un agent P2 du réseau « Phalanx » (BCRA) de mars 1943 à mai 1943.

En juin 1943, donc, Alegri devint le chef du réseau de renseignements, « Fred Tommy Brown » (« Claude Rives ») sous le pseudonyme de « Claude ». En ce qui concerne Akak et « Claude Rives », il avait pris la direction de ce dernier à la demande Jacques Monod [protestant] déjà actif dans le réseau « Fred-Tommy-Brown » (OSS). Ce fut le commandant américain « Fred » (de l’OSS) qui sur proposition de Jacques Monod, beau-frère de l’agriculteur audois Étienne Rives désigna Alegri comme chef de réseau. Alegri regroupa d’abord des agents issus de Carcassonne (René Cadres, Paul Tardivo), des villages du Lauragais, du Cabardès et du Minervois (son beau-frère François Barde agriculteur à Pezens, les deux beaux-frères de Monod Étienne et Pierre Rives) et Lucien Trougnoux, Louis Verdier agriculteur, Maurice Géli agriculteur, André Monnier économiste replié à Saissac et, à la Libération, futur préfet de l’Aude à titre temporaire, puis de la Savoie) et sa fille Violette. Il fit, d’emblée, passer des documents à Londres. Il étendit l’action de « Claude Rives » de l’Aude aux Pyrénées-Orientales (plaine du Roussillon et côte) et à l’Hérault. Il était susceptible de recueillir des messages acheminés par voie maritime sur le littoral languedocien et catalan. Il collectait des informations grâce à des agents le long des voies ferrées de Toulouse à Sète (Hérault) et de Narbonne à Perpignan et Cerbère (Pyrénées-Orientales). Il « visitait » lui-même les terrains d’aviation audois comme celui de Lézignan-Corbières. Il recruta un agent à Perpignan, le garagiste Fraiche (Frèche ?) qui communiqua des informations sur l’aérodrome de Perpignan. Il comptait aussi sur les informations que rassemblait pour lui Paul Tardivo, professeur d’agriculture de Carcassonne auprès des services agricoles de l’Aude. Il acheminait des plis contenant les instructions d’action depuis Montpellier (Hérault) ou, surtout, depuis Montélimar (Drôme). Avec les renseignements recueillis dans l’Aude par des membres du réseau, il déposait au café de la gare de Carcassonne, au garage de René Cadres de Carcassonne (les instructions acheminées depuis Montpellier et Montélimar), au bureau des pailles et fourrages de Carcassonne dirigé par Lucien Trougnoux (où étaient déposées les informations qu’André Monnier ou Pascal Bini transmettaient par radio). Il faisait acheminer aussi des courriers à destination de Barcelone par la haute vallée de l’Aude (Aude / Ariège) où Akak disposait de relais dans le Donnezan (Ariège) puis par les filières de Cerdagne (Pyrénées-Orientales) — Voir Cayrol Antoine, Parent André — qui empruntaient le haut col frontalier de Núria ou d’Eyne (2650 m). Alegri s’occupa aussi d’un poste de radio acheminé depuis Marseille. Il lui trouva divers points de chute chez des personne sûres à Vilallier, Pech-Redon (commune de Pezens), Aigues-Vives, localités proches de Pézens et Alzonne, au garage Cadres de Carcassonne. Le radio dont le nom de code était « Darmouth » expédiait des messages et se déplaçait souvent : ce fut un moment André Monnier qui le fit fonctionner. Alegri fut arrêté à Montélimar en octobre 1943 alors qu’il y était en mission. Il s’y était rendu à la fin de septembre 1943 afin de recevoir les instructions communiquées depuis Alger. Le commissaire de police français qui l’avait arrêté lui fit comprendre qu’il était en danger aussi bien à Montélimar qu’à Carcassonne. Il le fit relâcher en gare de Nîmes. Après un court séjour à proximité de son domicile, afin d’échapper à la traque prévisible de la police allemande, Alegri décida de partir en Espagne. Il fut pris en charge par le réseau Akak dont un agent de Font-Romeu (Pyrénées-Orientales) était Évelyne Peyronel, cousine de Monod et belle-sœur d’Étienne Rives. Guidé par elle, il franchit la frontière avec l’Américain Brown dans le haut massif du Puigmal, en Cerdagne par Eyne et le col de Llo (de Finestrelles ?). Il résida à Barcelone chez des amis. Dans cette ville, il vit Lockwood, de l’ambassade des États-Unis à Madrid. Il rentra en France à la fin de décembre de 1943 afin de reprendre son activité de résistant (renseignement et sabotages).

Joseph Alegri fut arrêté le 15 janvier 1944 à Thuir (Pyrénées-Orientales) lors d’un contrôle de la Douane allemande dans un autobus. Les douaniers s’aperçurent qu’il portait de fortes coupures espagnoles (20 000 pesetas). Ils l’arrêtèrent afin de vérifier son identité (il possédait une carte d’identité avec un faux nom) et de l’interroger. Amené aux Thermes du Boulou (commune de Maureillas, Pyrénées-Orientales), poste de commandement de la Douane allemande (Zollgrenschutz et de la Sipo-SD affectées à un segment de la frontière des Pyrénées-Orientales, il fut transféré le lendemain à la citadelle de Perpignan où la Sipo-SD détenait les prisonniers qu’elle interrogeait avant de les envoyer, en règle générale à la prison Saint-Michel de Toulouse (Haute-Garonne) en les faisant transiter parfois par la prison de Carcassonne (Aude). À Perpignan, il fut détenu dans la cellule n° 24 (première rampe) ainsi que l’expliqua après la Libération le capitaine Henri Auriacombe arrêté à son domicile perpignanais le 5 janvier 1944. Voisin de détention d’Alegri à la citadelle, il recueillit les confidences et fut le dernier à l’avoir vu vivant. À la citadelle de Perpignan, Alegri fut aussi vu par Louis Saurel, de Carcassonne. Alegri, sauvagement torturé n’a pas parlé. Lorsque les gardiens vinrent le chercher, courant février 1944, il déclara à Auriacombe que la police allemande avait sans doute découvert l’affaire du poste émetteur de Marseille et qu’il ne nourrissait gère d’illusions quant à son sort. L’agent alsacien de la Sipo-SD de Carcassonne, Bach, déclara lors d’une confrontation lors de l’instruction de son procès à Carcassonne en novembre 1944 qu’Alegri avait été transféré de Perpignan à Marseille puis à Compiègne avant d’aboutir dans un camp de concentration en Allemagne. En effet, pendant son absence de Pezens, le poste émetteur avait été retrouvé à son domicile où il n’avait pas reparu depuis le 3 octobre 1943. La Sipo-SD a su que l’appareil provenait de Marseille, d’où la rumeur du transfert d’Alegri dans cette ville.

La femme d’Alegri a su très rapidement que « des patriotes avaient été fusillés à la citadelle [de Perpignan] » et que son « mari avait été du nombre » ainsi qu’elle l’a écrit au secrétaire général du service central de l’état civil du ministère des Anciens combattants en octobre 1945. Auriacombe, peu après la guerre, révéla dans une lettre à un colonel (3 novembre 1945) que la « Gestapo » de Perpignan avait mis à jour la piste du poste de radio provenant de Marseille. Il faisait également état de sa conviction qu’Alegri avait été fusillé à Perpignan même qu’il n’avait osé dire à sa veuve qui, à l’automne de 1944, le pensant disparu nourrissait encore quelque espoir d’avoir de le retrouver vivant. Mais elle s’était vite rendue à l’évidence.

À l’automne 1944, Auriacombe (qui fut transféré de la citadelle de Perpignan à la prison Saint-Michel de Toulouse) alla à Pézens informer sa famille de la détention d’Alegri à la citadelle. Un acte de disparition à son nom fut établi le 5 novembre 1945 par le 2e bureau. Sa femme adhéra en 1945 à l‘amicale du réseau Akak. Un décret du 12 octobre 1946 lui attribua la médaille militaire et la médaille de la Résistance.

Le corps de Joseph Alegri n’a jamais été retrouvé. Les divers témoignages recueillis, pris en compte par la justice, donnent à penser qu’Alegri a été fusillé à Perpignan ou mourut sous la torture à la citadelle de cette ville. L’acte de décès fut transcrit le 30 janvier sur l’état civil de Pezens en application du jugement du tribunal civil de Carcassonne du 25 janvier 1950. Ce jugement précisa que Joseph Alegri était mort à Perpignan dans le courant du mois de février 1944. Il permit, en outre, de prononcer le 21 mars 1950 un avis favorable le déclarant « mort pour la France ». Le 29 mars 1950, le ministère des Anciens combattants et victimes de guerre proposa de classer Joseph Alegri dans la catégorie des internés résistants (« interné politique » pour faits de résistance). Le 3 juin 1951, les recherches faites à son sujet par la délégation en Allemagne (déportation) se révélèrent négatives. Ce ne fut que le 17 juin 1955 que Joseph Alegri reçut enfin le titre d’interné résistant.

Étienne Rives, qui l’a bien connu — il prit la direction du réseau après la disparition d’Alegri et le démantèlement de l’organisation après les arrestations du 17 novembre 1943 provoquées par celles du 30 octobre : le radio Pascal Bini emmené par les Allemands à Carcassonne continua d’émettre sous la contrainte ; Rives réussit cependant à s’échapper avec toute sa famille —, estimait, dans des notes manuscrites datées du 18 mars 1952 que « dans la Résistance sa [de Joseph Alegri] période d’activité fut intense, joyeuse et efficace. Pour Rives, il demeurera « une des plus belles figures de cette époque qui doit rester un exemple pour tous ses contemporains ».

Le beau-frère de Joseph Alegri, François Barde, né à Saint-Génis-des-Fontaines (Pyrénées-Orientales), le 9 septembre 1906, membre de son réseau, fut déporté en Allemagne après avoir été arrêté 17 novembre 1943 en même temps que Pierre Rives. Il mourut peu de temps après son retour de déportation.

Voir La citadelle de Perpignan (Pyrénées-Orientales)

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article180362, notice ALEGRI Joseph par André Balent, version mise en ligne le 4 mai 2016, dernière modification le 19 octobre 2017.

Par André Balent

SOURCES : DAVCC (Caen), dossier Joseph Alegri. — Arch. com. Pezens, acte de décès transcrit le 30 janvier 1950. — Julien Allaux, La 2e guerre mondiale dans l’Aude, Épinal, Éditions du Sapin d’or,1986, 254 p. [pp.134-135, 138]. — Jean Larrieu, Vichy, l’occupation nazie et la résistance catalane, I, Chronologie, Prades, Terra Nostra, 1994, 400 p. [pp. 219-220, p. 236 (arrestation d’Auriacombe)]. — Lucien Maury, La Résistance audoise (1940-1944), Carcassonne, Comité d’Histoire de la Résistance du département de l’Aude, tome 1, 1980, 451 p. [pp. 214-218, p. 240], tome 2, 1980, 441 p. [p. 391].

ICONOGRAPHIE : Maury, op. cit, tome 1, p.232.

Version imprimable