BRU Léon, François

Par Jacques Macé

Né le 17 octobre 1887 à Mirepeisset (Aude), fusillé le 31 août 1944 à Draveil dans le cadre de l’épuration ; employé des postes ; maire communiste de Draveil.

Fils d’un maçon et d’une ménagère, Léon Bru entra dans l’administration des Postes. Ancien combattant de 14-18, membre du Parti communiste dès sa création, il construit en 1923 un pavillon à Draveil (Seine-et-Oise) dans le populaire lotissement de la Plaine des Sables aux noms de rues évocateurs (Zola, Jaurès, Blanqui, Louise Michel,...). Il est alors postier ambulant, chargé du tri de nuit dans un wagon postal sur la ligne Paris-Bordeaux. Dès 1925, il est candidat aux élections municipales de Draveil sur une liste communiste menée par des habitants de la Cité coopérative de Paris-Jardins (première cité coopérative française, créée en 1911). Mais il ne fait pas partie des six communistes élus sur une liste d’union au second tour. Aux élections municipales de 1929, Léon Bru est tête de liste communiste, face à une liste d’intérêts locaux et à une liste socialiste. Nombre d’électeurs, irrités par l’autoritarisme du maire sortant, l’industriel Gustave Levasseur, rayent le nom de celui-ci si bien que Léon Bru se retrouve élu, seul conseiller d’opposition face à 22 conseillers de droite. Le brave docteur Débordes est nommé maire et met en œuvre un projet qui lui tient à cœur : un Marché couvert « pour permettre aux ménagères de s’approvisionner par le mauvais temps sans risque de rentrer à leurs foyers mouillées par la pluie ou salies par la boue ». Mais Léon Bru décèle des irrégularités dans les adjudications concernant le Marché couvert, l’adjoint aux finances ayant voulu favoriser des entreprises amies. Bru les dénonce dans une violent campagne menée par affiches et voie de presse. Le pauvre docteur Débordes en décède d’émotion et cinq conseillers de ses amis démissionnent. Sept sièges étant vacants, une élection partielle est organisée en novembre 1932. Les communistes mènent une campagne très active et emportent les sept sièges. Léon Bru va se sentir moins seul ! Mais le nouveau conseil ne peut même pas se réunir car 13 conseillers élus en 1929, horrifiés par le résultat, démissionnent à leur tour. Pour l’élection partielle de janvier 1933, se présente face aux communistes une liste d’intérêt communal constituée d’hommes nouveaux en politique ; elle emporte les treize sièges.

À l’élection municipale de 1935, le combat est vif. Au premier tour, la liste d’intérêt communal obtient 1040 voix, la liste communiste menée par Léon Bru 890 et la liste SFIO, conduite par l’instituteur Henri Boissier, 290. Une liste d’union de gauche est constituée pour le second tour : elle emporte la totalité des sièges, avec 18 conseillers communistes et cinq socialistes. C’est alors que la préfecture de Seine-&-Oise s’oppose à ce que Léon Bru soit nommé maire en raison d’un décret du 19e siècle toujours en vigueur qui interdit à un facteur d’être maire car, distribuant les lettres recommandées et versant les mandats, il est trop au courant de la vie intime des villageois. Bru a beau expliquer qu’il est postier ambulant et non facteur à Draveil, le préfet maintient sa décision. C’est donc son second Gaston Vernetti qui est nommé maire, le temps que Bru demande et obtienne sa mise en disponibilité de la Poste. En juin 1936, Vernetti démissionne et Léon Bru est enfin maire de Draveil.

Il applique la politique municipale définie par le Parti communiste : mouvements de jeunesse, santé publique, secours aux chômeurs, soutien à la république espagnole, etc. Il inaugure le 20 juin 1937 le monument au draveillois Paul Lafargue, élevé par souscription nationale (monument qui sera détruit en octobre 1940). La droite donne à la ville l’épithète de Draveil la Rouge, que la gauche relèvera et emploiera fièrement.

En septembre 1939, Léon Bru répudie son appartenance au PCF pour conserver sa mairie. En juin 1940, appliquant à la lettre les consignes du préfet, il part en exode avec l’ambulance municipale, le corbillard, les pompiers avec la pompe et la grande échelle (sic), suivi par sept mille des habitants. Les trois mille restants proclament une nouvelle municipalité, à l’initiative du curé (c’est du Don Camillo !). À son retour, Bru est conspué, fait l’objet de chansons satiriques et est remplacé par une délégation spéciale.

Pendant l’occupation, Bru est responsable du Secours National d’aide aux prisonniers, et donc en rapport avec les autorités. Profondément pacifiste, il fait l’objet de méchantes rumeurs, tant parmi ses amis que parmi ses opposants. Son nom figure sur la Deuxième « lettre ouverte » aux ouvriers communistes diffusée par Marcel Gitton vers mai 1942, mais ont sait que Gitton fit figurer, sans leur demander, un grand nombre de militants en rupture.

À Draveil au château de Villiers, réside le vicomte d’Origny, officier de réserve, agent de liaison avec la Royal Air Force en 39-40, qui monte avec son épouse un réseau de Résistance OCM chargé de l’évacuation vers l’Espagne d’aviateurs anglais abattus. En juillet-août 1944, apparaît au château un certain Pierre-André Chavane, qui se fait alors appeler le colonel-comte de Chevert, et prétend être chargé de fédérer les mouvements de résistance locaux. Il regroupe les résistants OCM et Vengeance ; ceux de Libération-Nord, dirigés par Henri Boissier, acceptent également de collaborer avec lui. Le Front National se tient à l’écart. Chavane se proclame colonel du 3e Régiment FFI d’Ile-de-France. Dans la semaine de la libération de Draveil, il publie des ordres du jour et des directives avec ce titre.

Le 16 août 1944, un groupe de sept résistants part du château de Villiers pour aller à Paris chercher des armes, promises en fait par un agent de la gestapo française. Ils y sont massacrés, en marge de l’affaire de la cascade du Bois de Boulogne. Le procès en 1949 du traître Guy Marcheret prouvera que le guet-apens a été entièrement monté à Paris mais, à Draveil traumatisée, la rumeur d’une dénonciation locale circule...

Draveil est libérée le 26 août par l’armée américaine. Dès ce moment, l’épuration va bon train, partant semble-t-il du château de Villiers : liste de 21 personnes « punition extrême » : en tête Léon Bru ; liste de 16 personnes à emprisonner ; liste de 24 personnes à interner ; liste de 20 femmes qui seront tondues. Les arrestations ont lieu.

Le 30 août, un pseudo-conseil de guerre-tribunal populaire se tient à Villiers : quatre condamnations à mort sont prononcées dont en premier celle de Léon Bru. Elles sont exécutées militairement le lendemain matin par un peloton « réglementaire ».

Les acteurs de ce drame ont gardé le silence et ils sont aujourd’hui décédés. Leurs enfants soit n’étaient pas présents, soit étaient trop jeunes. Dans les familles traditionnellement à droite ou socialistes, on se plait à évoquer un règlement de compte entre communistes [C’est aussi l’opinion du fils Boissier, mais une véritable haine idéologique et personnelle opposait l’instituteur Boissier au postier Bru !]. Chez les communistes en revanche, on dénonce l’anti-bolchevisme des « gens de Villiers » chargés d’empêcher que les communistes ne réoccupent la mairie de Draveil. Certains accusent même Chavane d’avoir liquidé le chef d’un groupe de résistants allemands, communistes et juifs, qui s’étaient réfugiés en forêt de Sénart. Il y aurait eu enquête et non-lieu.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article18043, notice BRU Léon, François par Jacques Macé, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 22 janvier 2017.

Par Jacques Macé

SOURCES : Deuxième « lettre ouverte » aux ouvriers communistes (mai 1942), 32 p. — Jacques Macé, Draveil, août 1944, enquête sur une drame de la Libération, auto-édition, 2009. — Renseignements d’État-civil. — Enquête à Draveil. — Son acte de décès ne comporte pas de mention de décès. — Martine Garcin a fourni copie d’un PV de M. Guy Denis Juge CO Judiciaire du 4 octobre 1945 qui met en cause le Colonel Chevert, installé au château de Villiers à Draveil, dans l’exécution des nommés Halluin et Bru et "d’autres personnes", "ceci après le passage des Américains alors que ces personnes étaient prisonnières et désarmées". Il évoque aussi un certain Zimmer, fusillé sur ordre du colonel Chevert le 17 août 1944.

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