Par André Balent
Né le 28 janvier 1903 à Dublineau (département d’Oran), aujourd’hui Hacine (wilaya de Mascara, Algérie) ; instituteur en Algérie puis à Maureillas (Pyrénées-Orientales) ; muté dans les Pyrénées-Orientales par Vichy pour des raisons politiques ; résistant des Pyrénées-Orientales ; interné
Eugène Françon est né à Dublineau, près de Mascara. Il fit une carrière d’instituteur. À sa sortie de l’école normale, il se spécialisa dans l ‘« enseignement des indigènes ». Il y fit toute sa carrière jusqu’en juin 1941. En 1941-1942, sa femme Denise Perrin, elle aussi institutrice, n’avait que peu d’années d’enseignement (elle était encore à la 5e classe). Tous deux furent mutés d’office du département d’Oran dans les Pyrénées-Orientales à compter du 1er juillet 1941. Ils furent affectés sur des postes d’instituteurs adjoints à l’école de Maureillas (Pyrénées-Orientales). Dans une lettre au recteur de l’Académie d’Alger (11 juillet 1942), l’Inspecteur d’Académie des Pyrénées-Orientales estimait qu’Eugène Françon « gêné par sa nouvelle classe (…) s’est rapidement adapté car il est expérimenté et intelligent ». Par contre, s’il relevait l’« évidente bonne volonté » de son épouse, il estimait que celle-ci « n’a pas suffi pour lui permettre de devenir une bonne maîtresse dans une classe toute différente d’une classe d’indigènes ». Il évoquait aussi le manque d’expérience de Mme Françon, institutrice depuis peu d’années. Le 24 juin 1944, l’inspecteur d’Académie, dans une note au préfet, signalait qu’Eugène Françon « s’était montré [à Maureillas] un instituteur particulièrement apprécié ». Le 6 juin 1942, Eugène Françon présenta, avec sa femme, une demande de réintégration dans le département d’Oran. Dans une lettre du 11 juin 1942, l’inspecteur d’Académie des Pyrénées-Orientales adressait au recteur de l’Académie d’Alger un avis très favorable en appui à leur demande. Il soulignait que ces « deux maîtres consciencieux » qui « vivent très retirés » n’avaient fait l’objet d’aucune critique depuis qu’ils étaient dans les Pyrénées-Orientales. En conclusion, il estimait qu’il faudrait les reclasser en Algérie « si d’impérieuses raisons ne s’y opposaient pas ». Aucune suite ne fut donnée à cette lettre, ce qui prouve que, quelque part, pour des motifs politiques, la présence des époux Françon n’était pas souhaitée en Algérie.
Les époux Françon étaient devenus proches de Laurent Pianelli et de sa femme, instituteurs à Maureillas. L’inspecteur d’Académie de Perpignan fut très surpris d’apprendre que Françon avait été arrêté par les Allemands car, écrivait-il au préfet deux jours après son arrestation, « il n’avait jamais attiré l’attention sur lui du point de vue politique ». Laurent Pianelli avait adhéré aux MUR. Il faisait partie du NAP (Noyautage des administrations publiques) et, tout en fabriquant de faux papiers — il était secrétaire de mairie — il appartenait à une filière de passages clandestins vers l’Espagne qu’il semble avoir animée depuis Maureillas, village proche de la frontière franco-espagnole. Mais cette filière fut démantelée en juin 1944 par la Douane allemande qui utilisa des agents pour la plupart français : ainsi à Céret, commune limitrophe de Maureillas, l’instituteur Auguste Bésio, milicien et agent de la Douane allemande et de la Sipo-SD, qui s’efforçait de détruire les réseaux de passage et les filières. Bésio mit deux autres agents rémunérés par les Allemands sur les traces de Pianelli afin de lui tendre un piège : il s’agissait de Robert Sors (un jeune de vingt ans dont la famille était originaire de Sorède, une commune du piémont du proche massif des Albères) et Nessim Eskenazi (un Juif d’origine turque, naturalisé français, déchu de sa nouvelle nationalité et devenu apatride). Nous savons, par la déposition d’Eskenazi à la Cour de Justice (octobre 1944), qu’il avait été envoyé à Céret afin de démanteler une organisation de passage vers l’Espagne groupant une vingtaine de personnes, organisation à laquelle Pianelli aurait pu appartenir. Eskenazi et Sors avaient contacté Bésio avant de provoquer l’arrestation de citoyens de Maureillas, parmi lesquels Pianelli et de celle de son collègue de l’école de Maureillas, Eugène Françon. L’arrestation de Françon fut très précisément motivée par l’« aide aux réfractaires pour passer en Espagne ».
Tous deux furent arrêtés les 22 (Pianelli) et 24 (Françon) juin 1944. Françon fut d’abord conduit aux Thermes du Boulou (commune de Maureillas, établissement éloigné de plusieurs kilomètres du village) où se trouvait le « chef-lieu » de l’un des trois districts de la Douane allemande (la Zollgrenzschutz d’un des secteurs de la frontière des Pyrénées-Orientales (avec Latour-de-Carol et Prats-de-Mollo) et du Verstärker Grenzaufsichtdienst gardes-frontière militarisés dépendant de la Douane. Les mêmes locaux abritaient également un poste de la Sipo-SD. Le même jour, il fut conduit à la citadelle de Perpignan où la Sipo-SD avait installé ses geôles et torturait de façon quasi systématique les détenus. Le 7 août 1944, il fut transféré à la prison de Carcassonne où la Sipo-SD semble avoir concentré des prisonniers issus de villes du Languedoc et du Roussillon destinés à être déportés (Voir : Lieu d’exécution de Roullens (Aude), château et dépôt de munitions de Baudrigues) via Toulouse (Haute-Garonne). Il fut ensuite conduit au camp de Royallieu à Compiègne (Oise) où il reçut le matricule n° 47246 et d’où il fut transféré, le 31 juillet, à Péronne (Somme). Embarqué le 26 août 1944 dans le dernier convoi parti de Compiègne pour l’Allemagne, il ne parvint pas à destination et évita ainsi un camp de concentration dans ce pays. Le 31 août 1944, Eugène Françon fut libéré à Péronne (Somme). Jean Pianelli, fils de Laurent Pianelli a expliqué que sa mère lui avait confié que Françon, embarqué dans un convoi ferroviaire à destination d’un camp de concentration en Allemagne avait été libéré par les Alliés. En effet, le dernier convoi qui quitta Compiègne à destination de l’Allemagne le 25 août 1944, fut intercepté par des soldats britanniques aidés par des habitants de Picardie et qu’ils furent dirigés de Montdidier vers Péronne. Eugène Françon fut donc libéré.
André Biaud, ancien militaire de l’Air démobilisé installé à Maureillas à partir de la fin de 1942 s’y était marié le 25 septembre 1943 avec Dolorès Quintana, une Catalane née le 14 décembre1917 à la Jonquera une commune ampourdanaise (Espagne), limitrophe du Vallespir (France). Nous savons qu’il participait à des réunions clandestines au logement de fonction de Pianelli avec Françon et d’autres personnes. Il fut également arrêté le 22 juillet 1944 et incarcéré à la citadelle de Perpignan puis à la prison de Carcassonne, deux geôles allemandes de la Sipo-SD d’où il fut libéré le 19 juillet après le départ des Allemands de la ville. La femme de Biaud qui était devenue secrétaire de mairie à la place de Pianelli fut aussi arrêtée et suivit le sort de son mari.
En 1944-1945, Eugène Françon participa à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sa femme passa l’année scolaire à l’école de Maureillas. À la rentrée de 1945, tous deux avaient regagné l’Algérie.
Par André Balent
SOURCES : DAVCC (Caen), dossier Eugène Françon. — Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 129 W 1, enseignants 1940-1945, dossier Françon ; 2266 W 82, fiches françaises de détenus par les Allemands à la citadelle de Perpignan (fournies par le lieutenant Meindl) ; 105 W 6, Cour de Justice des Pyrénées-Orientales, dossier n° 41 (Nessim Eskenazi). — Arch. com. Maureillas, registre des procès verbaux des séances du conseil municipal. — Archives privées Jean Pianelli, fils de Laurent Pianelli. — André Balent, « Les passages clandestins à Maureillas (Pyrénées-Orientales) et la répression allemande (1943-1945) », Le Midi Rouge, bulletin de l’Association Maitron Languedoc-Roussillon, 22, Montpellier, 2013, pp. 33-39 ; « Xarxes clandestines a Morellàs i les Illes i la repressió alemanya : noves aproximacions 1942-1944 », Vallespir, 11, Ceret, 2015, pp. 18-20. — Pierre Cantaloube, Maureillas Las Illas Riunoguès. Les écoles, Saint-Estève, Les Presses littéraires, 2004, 299 p. [82-83 ; photographies groupes d’institutrices, Mme Denise Françon avec Mme Pianelli ou d’autres collègues p. 52 ; Eugène Françon et Denise Françon-Perrin, pp. 44, 52 ; Eugène et Denise Françon, p. 56 ; Denise Françon et une de ses classes, p. 222] ; « Maureillas sous l’occupation allemande », Cahiers de la Rome, Association pour le patrimoine de la vallée de la Rome, 18, Maureillas, 2009, pp. 65-71. — Entretiens avec Jean Pianelli, Porté-Puymorens, 30 octobre et 2 décembre 2013.