WEYGAND Lucien, Étienne

Par Gérard Leidet

Né le 12 septembre 1933 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; commerçant en articles de pêche ; militant socialiste, SFIO puis PS ; conseiller municipal puis adjoint au maire de Marseille, conseiller général du 16e canton de Marseille (1973-2002), membre du comité directeur du Parti socialiste SFIO puis du PS à partir du congrès de Pau (1975), président du conseil général des Bouches-du-Rhône (1989-1998), conseiller régional PS puis DVG de Provence-Alpes-Côte- d’Azur (1986- 2002).

Son père, Félix Weygand (1907-1958), tour à tour ouvrier imprimeur, meunier, employé, militait à la CGT puis à la CGT-FO après la scission de 1948 ; militant socialiste SFIO, il avait participé à la Résistance, fut élu conseiller municipal de Marseille sur la liste de Gaston Defferre et délégué au service social. Il s’occupa avec beaucoup de dynamisme des œuvres sociales, des colonies de vacances, dont beaucoup furent créées dans les Alpes, et fut également l’initiateur des piscines scolaires et des classes de neige. Il transmis à son fils « la détermination pour participer aux luttes ouvrières, la maison de famille et beaucoup de difficultés ». Sa mère, B. Cérésa, placée comme fille au pair à l’âge de douze ans, fut femme de ménage puis commerçante.

Lucien Weygand fréquenta l’école communale de la rue Georges à Saint-Just, ancien village aux portes de Marseille (13e arr.), puis le lycée Pierre Puget jusqu’au brevet. Il effectua son service militaire durant trente mois, de 1954 à 1956, comme infirmier à Marseille, puis à l’hôpital Maillot, à Alger. Entre 1957 et 1994, il tint un commerce en articles de pêche ; il était en effet spécialiste de la pêche à la mouche et participa à de nombreux concours. Il était passionné de jeu à XIII, très populaire à Marseille et pratiquait également le judo.

Son « père spirituel » en politique fut Jean-Baptiste Calvelli, ancien employé municipal et militant socialiste, secrétaire fédéral de la SFIO des Bouches-du-Rhône (1936-1940), résistant, déporté à Buchenwald. Directeur du cabinet du maire Gaston Defferre après la guerre (1953-1980), c’est lui qui proposa à Lucien Weygand d’entrer sur la liste pour les élections municipales de 1959 où il fut élu pour la première fois à 26 ans au conseil municipal. D’autres dirigeants socialistes l’influencèrent durablement, parmi lesquels Louis Philibert, son prédécesseur à la tête du département (1967-1989), sans oublier Gaston Defferre lui-même, avec lequel il collabora durant 27 ans à la mairie.

En 1952, Lucien Weygand commença son parcours politique comme membre de la direction nationale des Jeunesses socialistes, aux côtés de Pierre Mauroy et Michel Rocard et fut l’un des fondateurs de la Fédération nationale des clubs Léo Lagrange. Par l’intermédiaire du club de Marseille qu’il présidait, il s’affirma dans la fédération des Bouches-du-Rhône SFIO des années 1960 : secrétaire fédéral à l’organisation, chargé de la propagande, membre du bureau exécutif, il devint conseiller municipal délégué en 1965. En 1960, il fonda aussi à Marseille le Planning familial avec Maurice Deixonne. Comme Michel Pezet et Charles-Emile Loo, il fit partie de cette génération militante issue de la SFIO qui représentait les deux tiers des secrétaires fédéraux à la naissance du Parti socialiste d’Epinay. Il siégea ensuite au comité directeur du PS à partir du congrès de Pau de 1975.

En 1971, Lucien Weygand devint adjoint aux œuvres sociales de Gaston Defferre à la mairie de Marseille. Il fut à l’initiative de la création de plusieurs dizaines d’établissements sociaux (crèches, maisons de jeunes, maisons pour tous, clubs du 3eme âge etc.) dont il changea la nature ; de lieux de bienfaisance il en fit des lieux de rencontres et de sociabilité. Il développa par ailleurs les classes vertes, classes de mer et les séjours à l’étranger en les élargissant en direction des adolescents. Il fut ensuite chargé du Centre régional d’étude et de promotion sociale, puis élu conseiller général du 16e canton en 1973.

En 1978, Lucien Weygand (avec Marius Masse comme suppléant) fut désigné par le parti pour succéder à Jean Masse, député de la première circonscription des Bouches-du-Rhône (1956-1958) puis de la huitième (1962-1970). Mais il fut battu par le candidat du Parti communiste français Marcel Tassy, le PS perdant deux des quatre sièges de députés qu’il détenait dans le département. Localement, l’union de la gauche produisit en effet des effets opposés à ceux observés au plan national : avec sept sièges de députés communistes contre deux aux socialistes, l’élection confirmait que la stratégie d’union profitait au PCF. Lucien Weygand constata alors publiquement : « Les Bouches-du-Rhône ne sont plus, malgré les apparences, un département à forte implantation socialiste. »

Pour lui, le revers de 1978 n’était pas conjoncturel : les élections suivantes, notamment cantonales, allaient le confirmer. Il ne désavoua cependant pas la stratégie de l’union de la gauche qui ne pouvait pas être remise en question « sans briser le PS et nous faire perdre tout crédit ». Mais il procéda à une analyse critique de la vie du parti et de ses pratiques. Le parti était dirigé par des élus qui cumulaient les mandats – ce qui était son cas, puisque adjoint au maire, conseiller général et conseiller régional – en les transformant en notables. S’ils étaient pour la plupart « de bons élus, au sens républicain du mot », ils n’avaient pas « su ou pas voulu construire autour du PS un environnement (parents d’élèves, associations de locataires…) ». et rendre le parti suffisamment attractif, singulièrement auprès de la jeunesse étudiante et ouvrière. Il déplorait aussi que « la course au titre soit une préoccupation trop exclusive. » L’absence de formation des militants était significative, selon lui, du manque d’intérêt pour la réflexion politique et idéologique : « Notre discours politique doit être revu, et peut-être même créé » concluait-il. Il fallait donc revoir complètement la stratégie socialiste dans le département. Si celle forgée par Gaston Defferre avait fait merveille au temps de la guerre froide en en faisant une « machine de guerre contre le PC », il n’y avait plus officiellement d’ennemis à gauche : il s’agissait de convaincre les électeurs d’un choix, et non de les inviter à repousser le PC.

En 1979, Lucien Weygand participa au congrès de Metz (6-8 avril) et pour la première fois depuis 1965, la fédération se scinda clairement. Il rejoignit, avec Charles-Emile Loo, les partisans de Pierre Mauroy et Alain Savary (Motion B,"Pour le socialisme : synthèse et unité dans la clarté", 1 142 mandats, 16,2 % ), s’opposant ainsi à ceux qui, derrière Gaston Defferre, demeurèrent fidèles à François Mitterrand (Motion A, "Un Grand parti pour un grand projet", 3 192 mandats, 45,3 % ).

En 1981, Pierre Mauroy l’appela à Matignon en tant que conseiller. Deux ans plus tard, il fut élu maire du 1er secteur de Marseille, territoire qui représentait un tiers de la ville.

À la suite du décès de Gaston Defferre, qui survint après un violent conflit avec Michel Pezet, ce dernier et ses amis furent ostracisés. Ils ne participèrent pas au collectif mis en place le 16 mai 1986, au cours duquel les conseillers municipaux socialistes devaient désigner parmi eux le successeur du maire de Marseille. Le choix s’arrêta sur Robert Vigouroux, et Lucien Weygand devint président du groupe socialiste. Selon certains acteurs politiques de l’époque, il figurait sur une liste de cinq noms parmi lesquels devait être choisi le nouveau maire ; il aurait pu, « s’il l’avait voulu », être l’élu de ses pairs.

Dans cette période, Lucien Weygand paraissait se contenter de sa fonction de maire de secteur, à Saint-Joseph, dans les quartiers nord. Il passait alors pour être « l’archétype du fidèle lieutenant ». En fait, Gaston Defferre avait installé une règle selon laquelle les maires de secteur ne pouvaient exercer une fonction à la mairie centrale. Il fit une exception pour Lucien Weygand qu’il chargea des « affaires ponctuelles », c’est-à-dire des « affaires sensibles », en cours…

Au printemps 1989, il était loin de songer au fauteuil de Gaston Defferre, lorsqu’il subit un revers électoral important. Lors des élections municipales, Robert Vigouroux se présenta pour un nouveau mandat de maire mais ne reçut cependant pas l’investiture du PS, qui revint à Michel Pezet. Le maire sortant fut pourtant largement réélu, remportant l’ensemble des huit secteurs de la ville. Seul élu socialiste de son secteur, Lucien Weygand se retrouva parmi les cinq conseillers de l’opposition socialiste avec Michel Pezet et Jean-Noël Guérini. Cette défaite le marqua : « Dans un quartier où, après trente ans de mandat, je connaissais toutes les familles, ça fait un choc », avoua-t-il.

Cependant, en décembre 1989, il fut élu à la présidence du Conseil général des Bouches-du-Rhône dans le fauteuil laissé vacant par le député socialiste Louis Philibert, qui avait présidé l’assemblée départementale de 1967 à 1989, et qui allait être élu sénateur. Il mena le conseil général « avec une certaine fermeté », et sut tracer sa route, au besoin contre ses camarades socialistes parisiens. En 1988, selon certaines sources, dans le dossier épineux des chantiers navals de La Ciotat, il avait été désavoué par quelques ministres socialistes pour son refus de fermer le chantier naval. Autour des dossiers d’aménagement (l’Arbois, Euroméditerranée) ou les réaménagements (Stade Vélodrome) il sut alterner les positions : en appui à Robert Vigouroux, quand il jugeait la situation marseillaise critique ; en opposition à lui quand leurs intérêts divergeaient.

Lucien Weygand fit bâtir à Saint-Just, en 1994, l’hôtel du département conçu par l’architecte britannique William Alsop : plus vaste bâtiment du XXe siècle construit à Marseille, il rappelait "Beaubourg" à certains, et fut baptisé le "bateau bleu" par les Marseillais. Responsable socialiste désormais important à Marseille et allié loyal des communistes au conseil général, il semblait « attendre son heure ».

A l’automne 1994, il fut le premier en France à créer un comité de soutien à la candidature de Jacques Delors à la présidentielle de 1995 et parut déconcerté le 11 décembre 1994 quand l’ancien ministre de l’Économie, des Finances et du Budget renonça. Après ce forfait, il vota pour Henri Emmanuelli, comme ses amis fabiusiens de la fédération des Bouches-du-Rhône, avant de prendre la tête du comité de soutien à Lionel Jospin qu’il allait recevoir plus tard à Marseille.

Partagé un temps entre le soutien déclaré à Bernard Tapie et la nécessité de conserver de bonnes relations avec Guy Hermier, qui était farouchement opposé à l’ancien patron de l’OM, Lucien Weygand se porta candidat à la mairie de Marseille au printemps 1995. Il avait affirmé au journal VSD : « Je pense être le candidat le plus apte à fédérer la gauche », troublant quelque peu ses partenaires du PCF qui s’étaient immédiatement inquiétés de « cette démarche unilatérale ». La fédération du PS lui donna officiellement mandat de conduire les négociations avec les « partenaires, partis et mouvements de gauche », en vue de présenter « des listes de large rassemblement des forces de progrès ». Robert Vigouroux renonça à se représenter, mais une liste « vigouriste » fut conduite par Jacques Rocca Serra. Lucien Weygand conduisit donc en tandem avec Guy Hermier une liste d’union de la gauche "Nouvelle alliance pour tous", qui comprenait aussi « Samy » Johsua, leader historique de l’extrême-gauche marseillaise et de la Ligue communiste révolutionnaire. Michel Pezet conduisit de son côté une liste PS dissidente. Au premier tour, la liste Weygand-PS-PCF obtint 28,73 % des suffrages ; au second tour, elle en rassembla 40,61%, mais Jean-Claude Gaudin (union UDF-RPR), avec un total global de 40,36 %, conquit pourtant la ville de Marseille. La Droite l’emporta dans cinq secteurs sur huit et la victoire de Jean-Claude Gaudin tint au fait qu’il avait gagné dès le 1er tour le secteur composé des 8e et 6e arrondissements, son fief historique. À gauche, seuls Jean-Noël Guérini (IIe secteur), Lucien Weygand (VIIe) et Guy Hermier pour le PCF (dans le VIIIe ) l’emportèrent au second tour.

Lucien Weygand fit partie de ceux qui dans la fédération du PS des Bouches-du-Rhône se préoccupèrent le plus de réformer le fonctionnement interne du parti, afin de l’ouvrir aux jeunes générations, de l’ancrer sur un terrain plus militant. Ce ne fut pas sans contradictions, tant la réalisation de telles réformes butait sur « l’intérêt à court terme de la fédération, dominée par des élus soucieux de maintenir leur fief ». Au-delà de l’aspect « héritier » souvent évoqué, il représenta un exemple de fidélité. Il suivit au fond le chemin tracé par son père, Félix Weygand, l’ancien conseiller municipal SFIO de Marseille.

Lucien Weygand cessa toute activité politique en 2002.
Il avait épousé Mireille Cotte, ouvrière puis commerçante. Le couple eut un fils, Félix, né le 10 janvier 1959, maître de conférences à l’Université Aix-Marseille (EJCAM) ; conseiller général du 16e canton (2002- 2015), puis conseiller municipal (2008-2014).

Lucien Weygand était officier de la Légion d’honneur et Commandeur de l’ordre du mérite.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article180435, notice WEYGAND Lucien, Étienne par Gérard Leidet , version mise en ligne le 6 mai 2016, dernière modification le 19 avril 2022.

Par Gérard Leidet

SOURCES : Archives de la fédération des Bouches-du-Rhône du Parti socialiste. — Anne-Laure Ollivier, « Les Bouches-du-Rhône : un vieux bastion socialiste dans un parti rénové » in Noëlline Catagnez et Gilles Morin (dir.), Le Parti socialiste d’Epinay à l’Elysée, 1971-1981, Presses universitaires de Rennes, 2015. – Notice Félix Weygand par Antoine Olivesi, DBMMOF — Lucien Weygand, « L’état du Parti socialiste dans les Bouches-du-Rhône en mars 1978 », AMM 100 II 102. — Réponse au questionnaire du militant les 10 et 20 avril 2016. – Notes de Félix Weygand le 21 avril 2016 — Daniel Groussard, « Le socialiste Lucien Weygand candidat plus que probable à la mairie de Marseille », Libération, 22 mars 1995. – Presse locale, La Marseillaise, La Provence.

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