CHEN Yonggui 陳永貴

Par Jean-Luc Domenach, Thierry Pairault

Né en février 1915 dans le Shanxi, mort le 26 mars 1986 ; héros de la brigade agricole modèle de Dazhai, dans la même province, membre du B.P. de 1973 à 1981.

A la différence d’autres modèles paysans, tels Wang Guofan (王國藩) ou Wen Xianglan (文香蘭), le héros de la fameuse expérience de Dazhai a pu se hisser jusqu’aux sommets puisque, membre du B.P., il est devenu l’un des plus hauts responsables de la politique rurale à Pékin avant la démaoïsation. Sa vie est mal connue jusqu’à ce que soudain, en 1964, la gloire l’illumine. La légende dit qu’au début des années 1920, alors que la famine ravageait la province, son père vendit sa femme et sa (ou ses) fille(s) avant de se suicider, désespéré par les mauvais résultats du petit lopin qu’il avait acheté. Chen Yonggui dut se louer comme valet de ferme, puis comme mineur. Il fut emprisonné pendant la guerre sino-japonaise pour avoir pris part à la résistance contre l’occupant. En 1946, de retour à Dazhai, il participe à la création d’une équipe d’entraide composée des paysans pauvres du village, tenus à l’écart par les membres du clan dominant. Chen révèle des qualités de chef qui lui valent d’entrer au Parti (1948), puis au comité de cellule du village (1949) avant d’être nommé à la fin de l’année 1952 secrétaire de la cellule (poste qu’il conserve jusqu’en 1974) et directeur de la nouvelle coopérative de Dazhai, traitée en station expérimentale par les autorités. En 1953, il commence à suivre des cours d’alphabétisation mais, dix ans plus tard, avouera encore ses difficultés à lire. En 1958, il est nommé directeur de la commune populaire de Dazhai (à ne pas confondre avec la brigade du même nom, dont il n’est pas le chef, bien qu’il soit secrétaire de sa cellule).
La brigade de Dazhai, située sur les collines de loess du Shanxi au sol ingrat, raviné et rocailleux, subit en 1963 de terribles inondations qui font suite à plusieurs années de sécheresse (la légende dorée, qui a la mémoire courte, fait de cette catastrophe « la pire depuis cent ans »...). C’est alors que Chen Yonggui impose ses qualités de leader. A la tête de la section locale du Parti, il mobilise les paysans et, en quelques mois de labeur acharné, rétablit la situation. En 1964, la récolte est excellente ; les rendements dépassent de deux fois ceux qu’on prévoyait pour 1968, et de quatre fois la moyenne locale. En haut lieu, on connaît ce record, mais on doute. Il n’est pas rare que des cadres locaux ambitieux manipulent les rapports de production (sur ce problème, voir Wen Xianglan) : la campagne des « Quatre assainissements » (Siqing) a notamment pour but l’élimination de telles pratiques. En octobre 1964 une « équipe de travail » démet temporairement les cadres locaux après avoir relevé des irrégularités dans les comptes de la brigade (on aurait pesé des grains humides et « oublié » de déclarer quelques lopins...). Mais Chen, qui vient d’être élu député du Shanxi, peut rencontrer Mao Tse-tung (毛澤東) à Pékin en décembre 1964. Hostile à la politique rurale de Liu Shaoqi (劉少奇), Mao l’assure de son soutien et lance le fameux appel : « L’agriculture doit s’inspirer de Dazhai. » Au demeurant, il semble que la population locale ait conservé sa confiance à ses dirigeants car l’équipe de travail doit se retirer. C’est ainsi que le mouvement d’« étude de Dazhai », lancé dès février 1964, devient l’étendard de la politique rurale « maoïste » dans l’affrontement qui se précise entre les « deux lignes ».
Désormais, la carrière de Chen Yonggui se confond partiellement avec la gloire (et les avatars) de la brigade modèle qu’il représente et dirige encore sur place. Avec ses champs en terrasses et ses travaux hydrauliques imposants, Dazhai figure la victoire sur une nature ingrate. Mais, dans le détail, le modèle s’est constamment modifié, en fonction des détours de la politique officielle : ce fut une méthode de distribution plus égalitaire par « déclarations individuelles et cotations publiques » (1966-1967), ensuite un effort massif de mobilisation des énergies (1968-1970) et un exemple de développement des activités secondaires puis de résistance à la sécheresse (1971-1973). Dazhai, c’est le modèle permanent. Qu’un nouveau virage soit pris, et Dazhai en donne aussitôt l’exemple. Le modèle n’a pas été adopté dans le voisinage et dans la Chine tout entière sans subir de notables appauvrissements : sans doute parle-t-on de « brigades de type Dazhai » ; sans doute met-on en avant des districts modèles qui s’inspirent de Xiyang, le xian de Dazhai : mais on oublie que par sa faible population (80 familles), Dazhai a plutôt la taille d’une équipe de production et que son système de rémunération n’a pratiquement pas fait école. Et l’on cache soigneusement la véritable situation économique d’une brigade dont les chiffres de production sont artificiellement gonflés, et qui ne survit que grâce à des subventions secrètes. La campagne anti-Dazhai qui a fait écho à la démaoïsation à partir de 1978 a officialisé ces critiques.
Président du comité révolutionnaire du district de Xiyang et vice-président du comité révolutionnaire du Shanxi en 1967, le Symbole révèle aussi des talents politiciens : il accède au C.C. lors du IXe congrès du P.C.C. (avril 1969) ; à l’issue d’obscures et sanglantes disputes de factions, il progresse dans l’appareil provincial et devient secrétaire du comité provincial du P.C.C. ; surtout, le Xe congrès le porte au B.P. (août 1973) et il devient en janvier 1975 vice-premier ministre. En fait, pendant une bonne partie des années soixante-dix, cet ancien illettré joue le rôle d’un enquêteur itinérant et d’un porte-parole officiel en matière de politique rurale.
Après la chute des Quatre, son destin politique a été lié à celui de son chef de file et protecteur, Hua Guofeng (華囯鋒) : Chen Yonggui est parvenu à conserver ses postes, sinon tout son prestige, en 1977 et 1978, puis il a perdu ses responsabilités provinciales (1979) et son poste de vice-premier ministre (1980) ; il a finalement démissionné du B.P. (1981), précipitant ainsi le déclin de Hua. Sa chute symbolise le remplacement d’une ligne rurale volontariste et autoritaire (malgré ses variations) par une politique beaucoup plus souple, fondée sur le démantèlement des communes popu¬laires et sur l’intéressement individuel à travers les « systèmes de responsabilité » (voir Wan Li (萬里)).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article180831, notice CHEN Yonggui 陳永貴 par Jean-Luc Domenach, Thierry Pairault, version mise en ligne le 12 octobre 2016, dernière modification le 13 février 2017.

Par Jean-Luc Domenach, Thierry Pairault

ŒUVRE : Chen Yonggui a beaucoup écrit pour diffuser l’expérience de Dazhai. On retiendra ici : « Compter sur ses propres forces est une baguette magique » (Hongqi, janvier 1965). — « Construire des champs à rendement stable et élevé avec de hauts objectifs » (RMRB., 1er décembre 1965). — « Bien mener la culture scientifique des champs et obtenir de nouvelles bonnes récoltes », (ibid13 février 1972). — « Parlons de la culture scientifique des champs » (ibid., 15 févirer 1973). — « Intervention lors de la conférence nationale sur l’agriculture de 1976 » (ibid., 24 décembre 1976). — « Considérer l’exécution des travaux d’infrastructure des champs comme une grande tâche du socialisme » (Hongqi, octobre 1977). — Voir aussi Jingji yanjiu (Études économiques), mars 1966.

SOURCES : cf. supra et Biographical service n° 1203. — Interview de Chen Yonggui rapportée in Karol (1973), p. 180-199. — Dazhai hongqi (Le drapeau rouge de Dazhai), Pékin, 1974. — Dazhairen de gushi (Histoire des gens de Dazhai), Shanghai, 1974.

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