Né le 11 juillet 1823 à Montreuil-Belley (Maine-et-Loire) ; mort le 13 janvier 1904 à Maisons-Laffitte (Yvelines) ; ouvrier typographe, puis « homme de lettres et auteur de brochures » ; journaliste ; sans cesse poursuivi de 1848 à 1870 ; délégué par la Commune à l’inspection des bibliothèques de la Ville de Paris et à la direction de la Bibliothèque Mazarine.
Benjamin Gastineau était le fils de Frédéric Gastineau, notaire royal, et de Georgette-Caroline Dubourg.
Ouvrier compositeur, metteur en pages devenu journaliste, Benjamin Gastineau fut poursuivi en 1848 pour avoir collaboré à La Vraie République de Thoré, et à La Voix du Peuple, de Proudhon ; il fut acquitté. Nouveau procès, à Auch cette fois, nouvel acquittement, à propos du National de l’Ouest et de L’Ami du Peuple, journal du Gers. Mais après une condamnation à 500 F d’amende, le 21 avril 1852, par la cour d’appel d’Angers, pour contravention à la loi sur la presse, les commissions mixtes le déportèrent en Algérie. Il revint en 1858 travailler comme rédacteur en chef au Guetteur de Saint-Quéntin (Aisne).
Il fut arrêté peu après l’attentat d’Orsini contre l’empereur, le 14 janvier 1858. Son journal fut supprimé le 8 mai, par arrêt de la cour d’Amiens, parce que, dit le préfet de l’Aisne, « il excitait la classe ouvrière contre l’ordre de choses établi » (rapport au ministre de l’Intérieur du 10 juillet 1858 pour le 2e trimestre de cette année. — Arch. Dép. Aisne).
Gastineau fut « transporté » (déporté) par la suite (rapport du sous-préfet de Saint-Quentin au préfet de l’Aisne du 6 janvier 1859 pour le 4e trimestre 1858. — Arch. Dép. Aisne). Voir Cottenest et Thiroux. Il fut gracié en 1859.
Sa carrière fut ensuite jalonnée de quelques condamnations. Le 13 juillet 1866, à Paris, devant la 6e chambre : un mois de prison et 400 F d’amende pour avoir publié sans autorisation ni cautionnement un périodique traitant de questions politiques ; le 17 juillet 1869, à Saint-Étienne : dix jours de prison et 400 F d’amende pour complicité d’excitation à la haine et au mépris du gouvernement ; il fut amnistié en 1869 lors de la fête de l’empereur. Il dirigea la même année La Sentinelle populaire.
Il avait surtout mené jusqu’alors la vie d’un rédacteur en chef de journaux de province, qu’ils fussent du Nord, du Midi ou même de l’Ouest (voir par exemple ses essais pour faire vivre le Courrier de la Sarthe, de l’Orne et de la Mayenne, essais contrés par des actionnaires qu’effrayait surtout son radicalisme anticlérical) ; de cet échec, de celui enregistré à propos du Phare de la Loire, il rendit compte dans La Vie politique et le journalisme en province. Ses idées sont fortement teintées de proudhonisme, avec cette différence qu’il ne croyait pas le passage à l’« an-archie » possible dans l’immédiat, tout en dénonçant les « mystificateurs politiques, si nombreux dans notre malheureux pays ». Il envisageait plutôt des changements politiques. Pour cela Paris, la presse parisienne lui semblaient le meilleur terrain d’action.
Après le 4 septembre 1870, il passa au Combat et fournit au journal de Félix Pyat des articles courts et violents ; il y défendit Mégy et, dès le 4 octobre, esquissa le rôle d’une Commune point très différente de la Convention, ordonnant la levée en masse, envoyant des commissaires aux armées pour y galvaniser la défense, ainsi qu’en province. Il exprimait des idées proches de celles qui devaient se faire jour sous la Commune ; la République, disait-il dans un article du 17 octobre, reste à faire sur les plans économique et politique : « Quand on a peur de la force populaire et de la force révolutionnaire, on ne reste pas à la tête d’une République, on cède la place aux républicains, aux délégués de la Commune qui fonderont sérieusement et définitivement la République par la création d’institutions politiques et sociales auxquelles le peuple a droit. »
Dans un article du 19 septembre 1870 intitulé « Les États-Unis d’Europe », il écrivait avoir proposé « de proclamer citoyens français les courageux ouvriers de Berlin, signataires du manifeste international, qui expient en ce moment, dans les cachots du roi de Prusse, le crime d’avoir établi la solidarité démocratique entre deux nations sœurs, entre tous les fils de la liberté et du travail. » Il concluait en disant que la France « ne se range que sous le drapeau de l’idée républicaine dont les larges plis doivent protéger et réunir tous les peuples libres. »
Gastineau habitait alors à Montmartre, 86 bis, rue Lepic. Il prenait la parole dans les clubs et s’occupait de la Société des anciens condamnés et proscrits politiques. Le 3 mai 1871 seulement, pourtant, la Commune lui donna le poste de délégué à l’enseignement, directeur de la Bibliothèque Mazarine et chargé de l’inspection des bibliothèques communales. L’état de traitement joint à son dossier mentionnait un salaire annuel de 4.200 F, soit 350 F par mois. Son administration ne fut entachée d’aucune irrégularité. Il fit rouvrir la Mazarine et interdire les prêts à domicile, cause de disparitions de livres sous l’Empire. Il portait le simple uniforme de garde, avec une ceinture rouge. Il devait emménager à la bibliothèque le lundi 22 mai ; on ne l’y revit plus à partir du vendredi ou du samedi précédent ; il ne prit aucune part à la tentative d’incendie de l’Institut.
B. Gastineau avait été également nommé membre d’une commission comprenant, avec lui, J. Guigard, R. Halt, H. Maret et J. Troubat destinée à assister Élie Reclus à la direction de la Bibliothèque nationale.
Le mardi 23, il demanda asile à « M. Gastineau, député, 2, place du Théâtre-Français », sous le curieux prétexte qu’ils portaient le même nom. Il s’agit probablement de son cousin, Gastineau Octave (1824-1878), secrétaire à l’Assemblée nationale et chargé de la rédaction du compte rendu analytique (liste alphabétique des députés, Bibl. Nat.) que le Larousse en dix volumes du XIXe siècle présente comme un littérateur français, auteur de comédies et de vaudevilles.
Sur papier à en-tête de la Chambre des députés l’hôte malgré lui conta sa mésaventure ; Benjamin avait frappé chez lui au moment où les exécutions sommaires se multipliaient dans le quartier ; le garder était dangereux, le renvoyer équivalait à un assassinat. Son hôte accepta de l’héberger un instant — qui dura des semaines et des mois. Finalement le proscrit gagna la Belgique. Il se fixa à Bruxelles, y donna des leçons de français, et écrivit des feuilletons pour les journaux. Pendant ce temps, le 20e conseil de guerre le condamnait par contumace, le 6 juillet 1872, à la déportation dans une enceinte fortifiée. Son homonyme et bienfaiteur malgré lui sollicita sa grâce : « Vous me pardonnerez l’insistance toute respectueuse que j’apporte dans une affaire qui intéresse un homme que je crois bon et qui m’a coûté assez d’ennuis pour avoir acquis mon appui sympathique. » La lettre était du 11 avril 1879, et la même année Benjamin Gastineau fut inscrit sur les listes d’amnistie.
Gastineau était membre de la Société des gens de lettres.
ŒUVRE : Outre les journaux signalés et parmi de nombreux ouvrages, le seul intéressant le mouvement ouvrier fut publié en 1865 : Les Socialistes, Proudhon et son oeuvre, Paris, Dentu.
SOURCES : Arch. Nat., BB 24/864, n° 6.704. — Arch. Min. Guerre, 20e conseil. — Arch. PPo., listes d’amnistiés. — J.O. Commune, 4 mai 1871. — H. Dubief, « L’Administration de la Bibliothèque nationale pendant la Commune », Le Mouvement Social, n° 37, octobre-décembre 1961. — Arch. Gén. Roy. Belgique, dossier de Sûreté, état du 15 avril 1880. — État civil des Yvelines. — Le Rappel, 31 janvier 1904. — Notes de Julien Chuzeville.