LE SAUX Paul, Yves, Marie

Par Serge Cordellier

Né le 12 décembre 1921 à Pont-Aven (Finistère-Sud), mort le 6 novembre 1997 à Limoges (Haute-Vienne) ; secrétaire fédéral de la JAC du Finistère (1941) puis membre de l’Équipe nationale, responsable (1947-1950) de l’exposition itinérante « La Maison rurale » ; paysan, d’abord métayer puis fermier ; secrétaire de la section départementale des fermiers et métayers de la Haute-Vienne (1956), puis de la Section nationale (1975-1981) ; coopérateur ; membre du PCF (1956) pendant trente ans avant de s’en écarter.

Paul Le Saux naquit dans une famille de huit enfants. Ses deux parents furent cultivateurs de Trégunc, Jacob né en 1892 et Marie Berrou née en 1899. Il quitta l’école à onze ans et demi avec le certificat d’études primaires en poche. Il fut aide-familial sur la petite ferme de ses parents qui font du maraîchage. Selon son témoignage, « l’époque [était] ainsi faite ; l’enfant est une force de travail, les adultes n’ont pas le loisir de le ménager »). Il suivit des cours par correspondance au CERCA (Centre d’études rurales par correspondance) de l’École supérieure d’Agriculture d’Angers (ESA) auxquels il consacra ses dimanches après-midi. En 1938, à 17 ans, il découvrit la JAC (Jeunesse agricole catholique), milita d’abord au canton, puis à l’arrondissement et se retrouva bientôt secrétaire fédéral du département (en 1941), puis permanent dans l’équipe nationale (fin 1943). Au premier rang des préoccupations des jeunes se détachaient les conditions d’habitat. P. Le Saux se vit confier la mise en œuvre d’une exposition itinérante décidée par les douze fédérations de l’Ouest et destinée à l’amélioration de la maison rurale.
Cette exposition, préparée pendant deux ans et d’abord testée en Ille-et-Vilaine, couvrait 1 000 mètres carrés de parquet et pèse 55 tonnes (« deux convois routiers, longs de 25 m chacun, servaient au transport de l’Exposition »). Une équipe d’une quinzaine de permanents (« dix gars, cinq filles ») accompagnait l’Expo pour assurer les déplacements et la maintenance. Elle sillonna la France pendant trois ans » à compter de septembre 1947. L’Expo s’achèva à Evreux en décembre 1950. Elle aura été montrée « dans 120 villes à l’ouest d’une ligne de Dieppe à Marmande », du nord et du midi du pays ; elle aura attiré 500 000 visiteurs. « Dans chaque ville, 40 garçons et filles de la JAC des environs [attendaient]. Depuis un an, ils avaient préparé la venue de l’Expo ; ils aidaient au montage et au démontage et, surtout, ils présentaient l’Exposition aux visiteurs. » Ce fut une extraordinaire manifestation d’éducation populaire à grande échelle.
En 1946, Paul Le Saux épousa Monik Berrou (« Marie dite Monik ») née en 1921, issue de la commune de Cléder, dans le Léon (Finistère-Nord). Ils eurent trois enfants : Paul (1947), Maggy (1948), Freddy (1950). Paul Le Saux poursuivit son mandat pour la JAC à Rennes pendant deux ans.
La première installation comme paysan, dans des conditions très difficiles, eut lieu dans l’Indre-et-Loire, puis une nouvelle tentative fut faite aux portes de Limoges (Haute-Vienne) et enfin, en 1954 et pour 32 ans, au Mas le Font dans le même département, à 12 km de Limoges, d’abord en métayage. Les vaches laitières furent par la suite remplacées par des moutons (250 brebis et agnelles) et Paul devint fermier (28 hectares). Il consacra une part significative de son temps au syndicat départemental des fermiers et métayers (SDFM) dont il devint secrétaire départemental en 1956, pour vingt ans. À ses yeux, les « plus nombreux et les plus ardents militants étaient les communistes. Ils sortaient de la Résistance et n’avaient pas peur [d’affronter les tenants de la Propriété] ».
La Résistance en Limousin restait dans les mémoires. Dirigée par l’instituteur communiste de la Haute-Vienne, Georges Guingouin (1913-2005), elle tint un rôle considérable, mobilisant largement parmi les jeunes paysans. De Gaulle a pu dire que Limoges (libérée par les partisans) avait été « la capitale du Maquis ». À l’époque, rappelait Paul Le Saux, les deux tiers des terres de la Haute-Vienne appartenaient aux propriétaires fonciers. Le département comptait « 2 000 fermiers et 4 000 métayers ». Et d’ajouter que « les bailleurs [étaient] très conservateurs. Les juges, les avocats, les experts [sortaient] tous de ces familles bourgeoises. Régisseurs et notaires [intimidaient] les métayers qui [osaient] relever la tête. Les forces de l’ordre [intervenaient] régulièrement pour défendre la propriété. Nous sommes en 1953 ».
L’expérience des prêtres ouvriers, qui choisissent de partager le combat du mouvement ouvrier, marqua aussi beaucoup son engagement de cette période (cette expérience sera condamnée par Rome en 1953). « Au terme d’un long cheminement », il adhèra au Parti communiste en 1956 [il remet son bulletin d’adhésion à Fernand Clavaud (1922-1977), agriculteur et métayer du département, qui sera responsable de la section agraire du comité central du PCF et directeur de son hebdomadaire destiné au paysans La Terre en successio de Waldeck Rochet (1905-1983). Paul Le Saux resta trente ans au PCF. Il s’en écarta « avec beaucoup de peine, ulcéré par tout ce qu’il considère comme un « gâchis ». Dans un premier temps, il s’associa à un groupe dissident autour d’Henri Fiszbin (1930-1990) qui avait durablement été secrétaire de la fédération de Paris du PCF avant d’en être écarté au tournant des années 1980. Ce groupe dissident, constitué sur la base d’un désaccord avec la ligne du PCF de l’époque, selon lui « identitaire et anti-intellectuelle » publie RCH Rencontres communistes Hebdo, « édité par des membres du PCF pour la réflexion et le débat ». Paul Le Saux contribue à ce périodique. La majorité de l’équipe de RCH a fini par adhérer collectivement au PS, mais Paul Le Saux n’a pas fait ce choix, préférant participer à la création du Cercle Gramsci, groupe de réflexion et d’échange rassemblant des personnes de bonne volonté.
Paul Le Saux finira par rompre avec le PCF. Il avait expliqué au milieu des années 1980 dans RCH Hebdo qu’il avait « vécu [certaines] situations à répétition [successivement] dans l’Église il y a une trentaine d’années, [puis] à la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), [et] dans le Parti [communiste] ». Il disait avoir « acquis la conviction que la démocratie dont chacun se pare lorsqu’il tient le bon bout est en fait une chose difficile à vivre ».
Dans cet article, Paul Le Saux précisait : « À la FNSEA dont j’ai été membre du conseil d’administration pendant six ans, j’ai connu la même ambiance, les mêmes méthodes de direction et de fonctionnement que dans le Parti. L’argument massue : « l’‟Unité”. Tout est perdu si nous ne conservons pas une unité sans faille » !. Et, dans la maison, les honnêtes gens le croient. Malheur donc à celui qui conteste. Il pêche gravement contre le groupe. Si les honnêtes gens sont ébranlés par son argumentation, les dirigeants rattrapent la situation en parlant d’œuvre de division et d’attitude irresponsable devant l’adversaire. » Autre argument majeur : « la raison d’État. Ainsi, les honnêtes gens, abreuvés d’incantations, refoulent leurs questions, imposent silence à leur conscience, se rassurent à la pensée que leurs grands dirigeants sont, quant à la loyauté et au désintéressement, au-dessus de tout soupçon et que, s’ils sont parvenus à un tel niveau de responsabilité, connaissant tout ce qu’ils savent, ils ne sauraient se tromper… ni tromper les autres. »
À n’en pas douter, Paul Le Saux était un très bon observateur et, à coup sûr, un très bon sociologue…
À partir de 1960, il avait représenté le Limousin à la Section nationale des Fermiers et métayers (SNFM) et en devint le secrétaire général en 1975, faisant équipe avec le Finistérien Pierre Abéguillé (1922-2010) à la présidence. Ce dernier, militant démocrate-chrétien réformateur, fut durablement conseiller général sous cette étiquette politique et resta néanmoins fidèle à la Confédération paysanne jusqu’à la fin de sa vie. Certains de ses adversaires, pour certains réactionnaires, aimaient à dire qu’il était chrétien le week-end et communiste en semaine, ce qui l’amusait ou l’agaçait selon les circonstances. Cette équipe Abéguillé-Le Saux fut très fédératrice et mobilisatrice, transgressant les frontières des syndicats et des partis (des communistes à certains gaullistes en passant par des socialistes, des démocrates-chrétiens et des syndicalistes sans parti) et sachant construire une unité de projet (de progrès pour les intérêts des fermiers et métayers) au-delà de ces clivages. L’équipe de la SNFM autour de P. Abéguillé et de Paul Le Saux était en effet très rassembleuse. Citons, parmi d’autres, Albert Villard (Drôme), René Bonfils (Drôme), Félix Lebreton (Morbihan), Pierre Mathieu (Cher), Roger Fargues (Haute-Garonne), Michel Lebourgeois (Manche), Léon Ourry (Manche), Claude Salles (Orne), Raymond Matray (Beaujolais, Rhône), Lucien Verger (Beaujolais, Rhône), Marcel Passot (Saône-et-Loire), Charles Festuot (Ardennes), Albert Godet (Deux-Sèvres)…
Paul Le Saux fut réélu en 1978 pour trois ans, malgré les efforts de la direction de la FNSEA visant à écarter l’équipe en place (la direction de la FNSEA parvint à ses fins en 1981). En cette même année 1978, la direction de la FNSEA mèna deux autres opérations contre des structures qui lui apparaissent hétérodoxes : la FDSEA de Loire-Atlantique, pépinière de responsables progressistes fut exclue en mars, tandis que le secrétaire général (national) de la FNP (Fédération nationale porcine) Guy Le Fur (Finistère) venait d’être écarté à la suite d’une manœuvre anti-statutaire. L’orientation de la FNP avait fortement évolué avec, en 1969, l’élection à sa présidence de Bernard Thareau (1936-1995), de Loire-Atlantique. Ce dernier était devenu en 1976 secrétaire de la Commission nationale agricole du Parti socialiste. Ces trois opérations concomitantes traduisaient la volonté manifeste de la direction de la FNSEA de réduire les bases de trois de ses principales structures progressistes en un temps où la gauche politique apparaissait en mesure, immédiatement (législatives de 1978), ou bientôt (présidentielle de 1981), de devenir majoritaire dans le pays.
Espérant que l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 permettrait des réformes structurelles, Paul Le Saux rédigea un long texte dans une forme très pédagogique, Pour une politique foncière nouvelle, que l’AFIP (Association pour la formation et l’information paysannes) publia en brochure et diffusa à des milliers d’exemplaires. Dans cette brochure, l’auteur formule en quelques lignes tout un programme.
« Tant qu’une famille travaille la terre qu’elle possède, celle-ci est un outil. Lorsqu’elle cesse de la travailler, cette terre devient un patrimoine. Celui qui va l’acheter ou la louer en vue de l’exploiter, achète ou loue un outil. Parce que celui qui recherche une terre « outil » est généralement en position de dominé, la loi a réglementé le prix des fermages et il est urgent qu’elle établisse un barème pour le prix de la terre agricole. Nous avons toujours revendiqué que la loi protège l’homme dans son utilisation de la terre outil ; tout le déroulement de sa vie en dépend.
« [Du fait du Code civil de 1804], les détenteurs d’une terre patrimoine ont été jusque-là bien placés. L’évolution de l’agriculture impose aujourd’hui une prééminence de l’outil sur le patrimoine. La loi doit prendre cette évolution en compte et ne pas laisser aux seuls rapports de force le soin de les régler.
Ce qui est juste pour un patrimoine laborieusement constitué, c’est qu’on lui conserve sa valeur, son pouvoir d’achat. De plus, il doit percevoir une rente pour ce capital prêté au fermier. À condition qu’elle se tienne dans les taux prévus par les barèmes départementaux des fermages. »
Dans la même brochure, Paul Le Saux expliqua qu’il fallait lever les ambiguïtés dissimulées dans certaines terminologies telles que la « défense de la propriété paysanne » ou encore la « propriété familiale », une critique explicite des positions défendues par le Parti communiste auquel il appartint encore.
En 1982, Paul Le Saux soutint la création de la FNSP (Fédération nationale des syndicats paysans) dont il devint président d’honneur. Elle sera l’une des deux principales organisations constituantes de la Confédération paysanne en 1987.
Le couple prit sa retraite le 1er novembre 1986.
L’attachement de Paul Le Saux à l’unité de la gauche comme son souci du pluralisme syndical agricole et de la proportionnelle aux élections professionnelles (et du pluralisme politique, plus largement) étaient sans équivoque.
Prononçant son éloge lors des obsèques, P. Abéguillé, son vieil ami et fidèle complice, toujours démocrate-chrétien, avait employé cette formule magnifique de synthèse à propos de ce chrétien devenu communiste : « On sentait en Paul l’homme de foi en l’action syndicale ».
Au titre de l’évolution des contextes politico-syndicaux régionaux, le département de la Haute-Vienne, comme ceux de la Creuse, de la Dordogne, de la Corrèze et de la Charente voisins (comme, à proximité, ceux de l’Allier et du Lot-et-Garonne), était un des fiefs historiques du communisme rural où la Résistance des maquis du Limousin, très active, l’avait consolidé, comme nous l’avons déjà indiqué. De même que huit autres FDSEA en France (fédérations dites « unifiées », pour sept d’entre elles situées en Limousin, Auvergne, Midi-Pyrénées et Aquitaine), la fédération de Haute-Vienne était, depuis sa fondation en 1946, dirigée par des communistes et des socialistes. Cela résultait d‘un pacte historique noué entre partis. Cette situation n’a pas perduré après la reconnaissance du pluralisme syndical annoncée en 1981. La FDSEA s’est progressivement alignée sur les positions de la direction de la FNSEA. En 2013, la Coordination rurale (CR), dissidence de droite de la FNSEA qui se présentait pour la première fois, a manqué la majorité de la chambre d’agriculture de 63 voix (sur 2 134 suffrages exprimés), tandis que la participation était plutôt faible (48,9 %). Cette évolution au bénéfice de communisme rural que furent le Lot-et Garonne et la Charente où la chambre d’agriculture a été conquise par la Coordination rurale, respectivement en 1995 et 2013.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article181448, notice LE SAUX Paul, Yves, Marie par Serge Cordellier, version mise en ligne le 6 juin 2016, dernière modification le 6 juin 2016.

Par Serge Cordellier

SOURCES : D’après le témoignage de Robert Le Saux lors des obsèques de son frère Paul le 13 novembre 1997 (document aimablement transmis par Freddy Le Saux, fils de Paul). − Revue des témoignages à l’occasion de ces obsèques, aimablement confiée par F. Le Saux. – JAC-F, Le Manuel de la Maison rurale, Archives JAC-F / MRJC. − Journal du Fermier et du Métayer, Organe national d’informations rurales, SNFM (Section nationale des fermiers et des métayers), mensuel, Paris pour la période concernée (il en assurait une supervision très exigeante et participait lui-même très activement à sa rédaction). − Léo Lorenzi (propos recueillis par), "Paul Le Saux", France nouvelle (hebdomadaire central du PCF), n° 1 674, Paris, 12 déc. 1977, pp. 17-18. − Paul Le Saux, Pour une politique foncière nouvelle, AFIP Édition-Diffusion, 1982, 30 p. − Témoignage manuscrit de Paul Le Saux, prononcé à l’occasion du 60e anniversaire de la fondation de la Jeunesse agricole catholique, devant 400 anciens dirigeants et permanents nationaux, 23 avril 1989, 9 f., La Plaine-Saint-Denis, Seine-Saint-Denis). − archives JAC-F / MRJC. – Serge Cordellier, JAC-F, MRJC et transformation sociale. Histoire de mouvements et mémoire d’acteurs, 1945-1985, – S. Cordellier, Des syndicats paysans rouges de l’entre-deux-guerres à la gauche paysanne moderne, 2016, 44 f. (à paraître). – Serge Cordellier, Notes personnelles à l’occasion de divers échanges. – RCH (Rencontres communistes Hebdo), périodique dissident du PCF pour la période concernée. − Sur Pierre Abéguillé (et d’autres itinéraires finistériens forts contrastés), voir Didier Hascouët, De la JAC à la politique. Cinq itinéraires finistériens : Pierre Abéguillé, Alphonse Arzel, Georges Dauphin, Louis Goasduff, Jo Lareur, Calligrammes, Quimper, 1992, 280 p.

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