WEILL Jean-Claude [WEILL Jean, Claude, Alphonse, dit]

Par Alain Dalançon, Pierre Lévêque

Né le 28 avril 1907 à Paris (XVIe arr.), mort le 20 février 1993 à Dijon (Côte d’Or) ; professeur agrégé de philosophie ; militant du SNES, secrétaire de la section académique de Dijon (1946-1948), militant du Mouvement de la Paix et du PCF à Dijon.

Jean-Claude Weill
Jean-Claude Weill
Dans son jardin de Pouilly dans les années 1960

Son père, Raphaël Weill, appartenant à une vieille famille de moyenne bourgeoisie juive d’origine alsacienne, avait fait des études de langues orientales et travaillé avec son père, Émile, négociant en pierres précieuses, jusqu’à son mariage en 1905 avec Jeanne Ulmann ; son beau-père l’avait associé à sa manufacture de confection pour hommes « L’Enfant Prodigue » installée à Genève. Mais c’était avant tout un intellectuel polyglotte qui maîtrisait sept langues anciennes et modernes et qui occupa sa retraite à traduire pour Gallimard deux romans de l’anglais George Meredith, puis Echantillons de Civilisations de l’anthropologue américaine Ruth Benedict et, en 1954, Alexandra, de la romancière grecque Lihha Nakos (Bruxelles, Éditions de la Paix).

Jean-Claude Weill était l’aîné de la famille et eut deux frères, Raymond né en 1908, et Etienne en 1919.

Bien que reconnu inapte au service militaire, son père, mobilisé en 1914 comme infirmier-brancadier, contracta la typhoïde en 1916 et fut évacué dans un hôpital religieux à Lyon où sa femme le retrouva après de longues recherches. Après deux mois de convalescence auprès de sa famille, il reprit son service à Paris puis retourna au front. Il écrivit un journal bouleversant sur son expérience de brancardier sur les champs de bataille de la Champagne et de la Somme, où il décrivit le quotidien de la guerre et ses atrocités, ainsi que la dureté et l’aveuglement du commandement militaire. Jean-Claude Weill fut très marqué par les récits de son père et en conçut une exécration de la guerre et même un certain antimilitarisme.

Après sa scolarité primaire dans une institution privée, il fut un brillant élève au lycée Janson de Sailly, de la 6e à la terminale, où il obtint le baccalauréat. Puis il effectua deux années (1924-1925 et 1925-1926) en khâgne au lycée Louis-le-Grand. Il échoua au concours de l’École normale supérieure de la rue Ulm en 1926 et, n’ayant pas apprécié l’ambiance du lycée de la rue Saint Jacques où les effectifs de la classe dépassaient les 70 élèves, il préféra aller « cuber » sa khâgne au lycée voisin Henri IV, où la classe n’en comptait que 35. L’enseignement de son professeur de philosophie, Alain, le marqua profondément et le renforça dans ses sentiments pacifistes. Il renforça aussi sa vocation pour l’enseignement de la philosophie, en lui faisant comprendre qu’il n’y avait pas de frontières entre les disciplines et que le lycée devait être ouvert sur la vie.

Admissible à l’ENS en 1927, ce qui lui permit d’être boursier de licence, Jean-Claude Weill persévéra comme « bika » à Henri IV et fut reçu second à l’ENS en 1928, après un écrit particulièrement brillant. Il eut pour condisciples Robert Brasillach, Thierry Maulnier mais aussi Jacques Soustelle, René Etiemble… Surnommé « Weillus », de nature réservée, il participa aux diverses manifestations pacifistes durant ses trois années de scolarité : parmi les 83 signataires de la pétition contre la préparation militaire supérieure obligatoire, il resta l’un des « 21 irréductibles » opposés au directeur et signa en 1931 le texte contre la « caporalisation des intellectuels » et la « fascisation de l’Université ».

Licencié ès Lettres en philosophie en 1929, diplômé d’études supérieures en 1930, il échoua en 1931 à l’agrégation de philosophie, fut admissible en 1932 et en 1933, et dut effectuer son service militaire en 1932-1933, qu’il termina comme simple caporal, ayant refusé de suivre la PMS qui lui aurait permis de devenir officier de réserve. Il était cependant robuste, pratiquait un peu l’alpinisme et avait épousé le 19 mars 1932, à Paris (XVIe arr.), Madeleine Spire, de famille juive, interne des hôpitaux de Paris, avec laquelle il eut trois enfants : un fils, Guillaume né en 1934, et des jumeaux, Catherine et Laurent, nés en 1936.

Il commença sa carrière d’enseignant au lycée de Sèvres puis au lycée Michelet à Vanves avant d’être reçu à l’agrégation en 1934, année où il s’investit, dès sa création, dans le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. Après avoir enseigné durant une année à l’École normale d’instituteurs de Versailles, aux lycées de jeunes filles Racine et Fénelon à Paris, puis au lycée de filles de Versailles, il obtint une chaire de professeur en octobre 1935 au lycée de garçons d’Épinal (Vosges).

Mobilisé en février 1940 à Coulommiers (Seine-et-Marne) comme caporal sapeur-télégraphiste, il fut libéré en juillet et retrouva sa famille à Pouilly-en-Auxois (Côte d’Or) près de Dijon où son épouse avait été requise. Nommé à Sens (Yonne) en novembre 1940, il fut révoqué de l’enseignement le 20 décembre 1940, en vertu des lois antijuives de Vichy, et son épouse se vit interdire l’exercice de la médecine par les autorités allemandes. C’est à la fin 1940 qu’il écrivit une Lecture philosophique des poèmes homériques à la lumière d’Auguste Comte et Alain, jamais publiée.

À la fin de l’année 1941, la famille passa clandestinement la ligne de démarcation et aboutit à Caluire (Rhône) dans un refuge procuré par René Molino, beau-père de Lucien Roubaud, ami proche de Jean-Claude Weill depuis l’ENS. Il vécut en travaillant comme correcteur de copies pour l’École universelle qui le renvoya en mai 1944, pour une lettre jugée irrévérencieuse par la directrice. Sa famille paya un lourd tribut au nazisme : si son père échappa à l’arrestation, sa mère fut arrêtée en 1942 puis déportée et gazée en mars 1943 au camp de Sobibor en Pologne ; sa belle-sœur, Jacqueline, également déportée, mourut à Auschwitz.

En février 1944, le couple fit cacher ses enfants au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) où ils les retrouvèrent en mai et juin 1944 dans des homes protestants. Son épouse travailla dans l’un d’eux et lui-même trouva un emploi à l’« école cévenole ».

Le ministère de l’Éducation nationale le réintégra aussitôt à la Libération, au lycée de Nevers (Nièvre) où il ne se rendit pas, puis à Dijon, d’abord au lycée de filles pour une suppléance puis au lycée de garçons Carnot à partir de la rentrée 1945, où il enseigna en classes préparatoires littéraires jusqu’à sa prise de retraite en 1967.

Il milita au Syndicat national de l’enseignement secondaire dont il devint secrétaire de la section académique (S2) de Dijon de 1946 à 1948, Marchal, professeur au collège de Wassy, lui succédant alors. Partisan du maintien du SNES et de la FEN à la CGT, il fut élu suppléant « cégétiste » à la commission exécutive du SNES en 1948, puis figura sur la liste « B » de 1952 à 1954.

Dans la continuité de ses engagements d’avant-guerre, il était aussi le secrétaire départemental du Mouvement de la Paix depuis le début des années 1950 et devint membre de son conseil national en 1955 pendant quelques années.

Considéré comme compagnon de route du Parti communiste français, il fit le pas de l’adhésion en 1952 et en devint très vite un des dirigeants en Côte d’Or. Membre du bureau de la section de Dijon, il entra au comité fédéral à la 10e conférence des 26-27 mai 1956, dont il resta membre jusqu’en 1979, puis au bureau fédéral en avril 1961, à la 13e conférence, et le demeura jusqu’en 1974. Il était responsable de la diffusion de l’Humanité dimanche et il donna de nombreux articles à L’Avenir de la Côte d’Or, mensuel du Parti communiste, et à Une semaine en Côte d’Or, supplément hebdomadaire de l’Humanité dimanche. À partir de 1965, il s’occupa de la création et du développement de l’Université nouvelle, y prononça des conférences et donna régulièrement des cours à l’école fédérale du PCF. Puis en 1970, il devint le responsable de l’éducation.

Il représenta son parti dans diverses élections. Il accepta d’être candidat suppléant de Gilbert Longet, cheminot, militant de la CGT, aux élections législatives en 1958, dans la circonscription Dijon-2, candidat suppléant de Marcel Caignol dans la première circonscription en 1962 et à nouveau candidat suppléant en 1967. Il se présenta également aux élections cantonales dans le canton Dijon-Ouest en 1961 contre le chanoine Kir et en 1967. Il fut aussi candidat sur la liste d’union de la gauche aux élections municipales de mars 1971 remportées par la liste du secrétaire général de l’UDR, Robert Poujade, qui succéda au chanoine Kir comme maire, et qui avait été son collègue en classe préparatoire au lycée de Dijon.

Jean-Claude Weill ne publia pas beaucoup mais était un grand lecteur de l’œuvre de Louis Aragon qu’il étudia dans le cadre du groupe de recherches du CNRS sur Aragon et Elsa Triolet. Il signa des articles dans sa revue Recherches croisées et dans la revue culturelle Europe.

Ceux qui l’avaient connu étaient d’abord frappés par son élégance physique ; « son urbanité pouvait passer pour une modestie excessive ou une grande timidité » notait son ami Michel Apel-Muller qui soulignait son humanisme fondé sur une grande culture. De nombreux élèves de diverses générations témoignèrent en outre du prix qu’ils attachaient à son enseignement et à sa personnalité, ce que l’un d’entre eux résuma lors de ses obsèques : « votre activité intellectuelle éclairée par moments d’un humour vif et communicatif et bien dissimulée aussi sous votre pudeur et la simplicité de votre vie, faisait notre admiration ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article181481, notice WEILL Jean-Claude [WEILL Jean, Claude, Alphonse, dit] par Alain Dalançon, Pierre Lévêque, version mise en ligne le 7 juin 2016, dernière modification le 6 juin 2021.

Par Alain Dalançon, Pierre Lévêque

Jean-Claude Weill
Jean-Claude Weill
Dans son jardin de Pouilly dans les années 1960
Lors d’une campagne électorale

SOURCES : Arch. Nat. F17/29065. — Arch. comité national PCF. — Notes de Marcel Harbelot sur ses activités au PCF, établies en 1993 à partir de ses archives et souvenirs personnels. — Arch. IRHSES dont L’Université syndicaliste et BOEN de 1944. — Arch. mun. Dijon (Eliane Lochot). — État civil de Paris — Raphaël Weill, Scènes de la vie des brancardiers, souvenirs de guerre, www.chtimiste.com/carnets/Weill/Weill.htm. — Nécrologie par Michel Apel-Muller in Recherches croisées Aragon/Elsa Triolet, n° 5, 1994. — Article d’hommage de Camille Marcoux dans le bulletin des anciens élèves de l’ENS (1994). — Archives familiales et témoignages de ses enfants. — Notes de Jacques Girault.

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