Par Virgile Besson
Né le 16 janvier 1920 à Paris (V arr.), mort le 4 mai 2004 à Paris (XIIIe arr.) ; physicien ; militant communiste (1940-1968), membre du comité central du PCF (1959-1961) ; résistant, membre des Francs-tireurs et Partisans français.
Jean-Pierre Vigier est le fils de Françoise Dupuy, infirmière, et de Henri Vigier. Ce dernier était conseiller politique à la Société des Nations à Londres puis à Genève, et, à partir de 1946, pour l’Organisation des Nations Unies à New York. Jean-Pierre Vigier a deux frères, Philippe (décédé) et François, professeur d’architecture à l’Université de Harvard.
Il passa la plus grande partie de son enfance à Genève, où il poursuivit sa scolarité au sein du lycée international. Il obtint les baccalauréats en mathématiques et en philosophie. Il s’inscrivit à la Sorbonne en 1938 où il passa son certificat de mathématiques générales et de sciences physiques naturelles. Après la déclaration de la guerre, il s’installa à Nîmes où il prépara, au Lycée National, les concours d’entrée à l’École normale supérieure et à Polytechnique. Admissible à Normale Sup, il ne put cependant pas poursuivre le concours pour raisons de santé.
En 1940, il fut mobilisé au 504e Régiment de chars de combat à Valence. Après l’armistice du 22 juin 1940, il intégra un groupement des Chantiers de Jeunesse à Foix (Ariège) jusqu’à sa démobilisation en janvier 1941. Ce fut dans les Chantiers de Jeunesse qu’il adhéra au Parti communiste français. Il s’inscrivit à l’université de Montpellier où il valida deux licences, en mathématiques et en physique. À l’automne 1941, il retourna vivre chez ses parents à Genève et commença un doctorat de mathématiques sous la direction du professeur Rolin Wavre. Il était inscrit en parallèle à l’université de Montpellier pour passer un certificat d’astronomie. À ce titre, il effectua des aller-retours fréquents entre les deux villes. À Genève, il rencontra Tamara Caspary, fille de Kurt Caspary et de Rachel Dübendorfer, membre du réseau d’espionnage soviétique Rote Drei, partie de l’Orchestre Rouge, connue sous le nom de code « Sissy ». Ils se marièrent après la guerre et de cette union naquirent deux enfants, Maya et Corinne. Jean-Pierre Vigier et Tamara Caspary servirent pour le Rote Drei et étaient connus sous les pseudonymes respectifs de Braut et Vita. Après la guerre, les services de renseignement soupçonnèrent fortement le couple d’agir pour le GRU soviétique ou pour Rachel Dübendorfer. En cause, des échanges avec Alexander Foote – ancien opérateur radio du Rote Drei passé agent du MI6 en 1947 – furent interceptés. Le couple avait peut-être pour mission de le démasquer. À Genève, il fréquenta également des militants républicains espagnols. De par ses voyages réguliers entre la Suisse et la France, il put faire transiter de la propagande entre les réfugiés espagnols en France, à Cuba et au Mexique. Le 18 avril 1942, alors qu’il se rendait à Annemasse pour prendre le train en direction de Nîmes, il fut arrêté au poste-frontière de Moillesulaz. Des documents de propagande antifranquiste provenant d’exilés espagnols au Mexique étaient dissimulés dans le cadre de sa bicyclette. Il fut transféré à l’hôtel Bellevue à Vichy, mais libéré au bout de quelques jours. La police crut à sa version des faits niant toute implication et ne trouva aucune trace d’un quelconque activisme politique passé. Après le débarquement, il rejoignit les FTP de Charles Tillon puis intégra la 1re armée française sous le commandement du général de Lattre de Tassigny. Blessé lors de la traversée du Rhin, il termina la guerre comme aide de camp. Il fut décoré de la Croix de guerre et de la Légion d’honneur.
En 1946, Vigier soutint sa thèse en mathématiques à Genève. Encore mobilisé, il fut embauché par Frédéric Joliot-Curie au Commissariat à l’énergie atomique et travailla sur la pile Zoé. Sa participation au CEA fut de courte durée. Le 19 mars 1950, le Mouvement mondial des partisans de la paix, proche des communistes, lança « l’appel de Stockholm » pour protester contre l’armement atomique. Consécutivement, les communistes furent évincés, Frédéric Joliot-Curie fut remplacé au haut-commissariat à l’énergie atomique par Francis Perrin. Jean-Pierre Vigier se retrouva alors sans emploi. Il rencontra Louis de Broglie qui le recruta comme assistant à l’Institut Henri Poincaré, début d’une étroite collaboration entre les deux scientifiques.
À l’IHP, Jean-Pierre Vigier consacra ses recherches à la théorie causale de la mécanique quantique, une interprétation déterministe des quanta élaborée par le physicien communiste américain David Bohm en 1951, alternative à l’interprétation standard dite de « Copenhague ». Il s’entoura dans cette entreprise d’autres physiciens communistes, entre autres Évry Schatzman, Georges Lochak, Francis Halbwachs et Francis Fer. Il soutint une thèse de physique théorique sur le sujet, sous la direction de Louis de Broglie. Jean-Pierre Vigier ne dissocia pas son travail scientifique de son activité militante. En développement d’une physique compatible avec le matérialisme dialectique, il conçut la théorie causale comme une contribution à la théorie marxiste. Il défendait ses positions dans les revues la Pensée et la Nouvelle Critique affiliées au PCF. La théorie causale reçut un accueil initial plutôt positif avant de créer une vive polémique au sein des intellectuels communistes, où partisans et opposants s’affrontaient par articles interposés. À la tête de l’opposition, le physicien François Lurçat se désolait de constater ce qu’il pensait être la répétition de la même erreur qu’en biologie avec l’affaire Lyssenko. La controverse se clôtura au début des années 1960, avec la marginalisation des partisans de l’interprétation causale.
Les années 1950 furent celles de la montée de Jean-Pierre Vigier au sein de l’appareil du PCF. D’abord secrétaire de la cellule du Ve arrondissement de Paris, il fut élu au bureau fédéral de Paris puis au comité central en 1959 à l’occasion du XVe Congrès où il remplaça Frédéric Joliot-Curie, décédé l’année précédente. Il intervint au nom du comité central à l’occasion du 4e congrès de l’Union des Étudiants communistes français de 1960. Cependant, cette ascension fut de courte durée. Ses positions sur le conflit algérien, pro FLN, et sa proximité avec la « fraction kroutchévienne » incarnée par Marcel Servin et Laurent Casanova lui coûtèrent ses places au comité central et au comité fédéral en 1961. Il continua de jouer de son influence auprès des étudiants communistes en soutenant la direction « italienne » d’Alain Forner puis Pierre Kahn avant que celle-ci ne fut évincée au VIIe Congrès, marquant la reprise en main de l’organisation de jeunesse par le PCF après une longue lutte fractionnelle. Les désaccords entre Jean-Pierre Vigier et le PCF allèrent croissant dans les années 1960 jusqu’à la rupture en 1968.
Il s’engagea résolument contre la guerre en participant au Comité Vietnam et en devenant secrétaire du Tribunal Russel. Pendant mai 1968, il milita en faveur d’une prise de pouvoir insurrectionnelle. Il signa l’appel du 31 mai pour la constitution d’un Comité provisoire d’initiative et de coordination pour la création d’un Mouvement révolutionnaire, aux côtés d’Alain Krivine. Il fut le directeur de publication du journal Action, portevoix des mouvements du 22 mars, de l’UNEF et des comités d’action lycéens. Son radicalisme, en opposition avec la ligne du PCF refusant la prise du pouvoir par la voie révolutionnaire, lui valut son exclusion du parti pour « gauchisme ». Après 1968, il continua à se définir communiste, mais sans adhérer à aucun autre parti, marquant un certain retrait médiatique. Il aurait néanmoins participé à la création du Parti communiste breton en 1971, issu du Front de libération de la Bretagne.
Sur le plan scientifique, Jean-Pierre Vigier élargit son champ d’activité dans les années 1980. Il collabora avec l’astrophysicien Jean-Claude Pecker. Il s’intéressa notamment aux redshifts anormaux. Grand adepte de théories minoritaires, il participa à la recherche sur la fusion froide, sujet ayant suscité une controverse scientifique très médiatisée dans les années 1990. Il est aussi membre du comité de rédaction de la revue Physics Letter A.
À sa mort, il comptabilisait plus de deux-cents publications scientifiques.
Par Virgile Besson
ŒUVRE CHOISIE : « Quelques Publications et Travaux de Jean-Pierre Vigier. » Annales de l’I.H.P., section A 1988, 49 (3), p. 261–69.
SOURCES : Arch. Dép. Seine Saint-Denis. Archive de la SMC, Côte 261 J 21/88-89. Archives du comité central 261 J 2/37. — Arch. Nat. Ministère de l’intérieur. 2015/3 MI 1 : dossier n° 419.827 Jean-Pierre Vigier (1942-1968). — Arch. Nat. BDIC : Fonds Victor Leduc F Delta rés 760⁄2⁄6. — Arch Nat. Royaume-Uni KV 2/1622 et KV 2/1614. — Virgile Besson, « Les Premiers Travaux de Jean-Pierre Vigier Sur La Théorie Des Quanta : Une Rencontre Entre Science et Marxisme (1951-1954). » mémoire de master, Université Claude-Bernard Lyon 1, 2011. — Bernard Brillant, Les Clercs de 68. Presses Universitaires de France, 2003. — David Caute, Communism and the French intellectuals, 1914-1960, New York, MacMillan, 1964. — Olival Freire Jr. , « Science and Exile : David Bohm, the Cold War, and a New Interpretation of Quantum Mechanics », Historical Studies in the Physical Sciences, 2005, 36, p. 1–34. — Henry Fouesnan, « Jean-Pierre Vigier », Dictionnaire biographique du mouvement breton, Yoran Embanner, 2013. — Hervé Hamon et Patrick Rotman, Génération : tomes 1 et 2, Le Seuil, 2008. — Marc Heurgon, Histoire du P.S.U. La fondation et la guerre d’Algérie (1958-1862), La Découverte, 2013. — Michel Pinault, Frédéric Joliot-Curie, Éditions Odile Jacob, 2000. — Site Match ID, Acte n°816 N, Source INSEE : fichier 2004, ligne n°201119. — Données du site Généanet. — Notes de Renaud Poulain-Argiolas.