Par Alain Dalançon
Né 15 septembre 1892 à Troyes (Aube), guillotiné le 15 juin 1944 à Cologne (Allemagne) ; professeur agrégé de grammaire ; militant catholique de Jeune République, militant syndical du SPES ; résistant, fondateur du groupe Valmy.
Ses parents étaient des Alsaciens originaires du Bas-Rhin (Niederlauterbach et Salmbach, deux villages voisins à la frontière allemande) qui avaient émigré après 1871 pour que leurs enfants naissent Français. Ils s’étaient mariés le 7 mai 1887 à Troyes où étaient venus se réfugier de nombreux Alsaciens. Son père Louis, Napoléon Burgard était employé aux chemins de fer de l’Est et sa mère, née Sophie Mathern, n’avait pas de profession.
Raymond Burgard fut élevé dans la religion catholique et envoyé faire ses études au petit séminaire de Troyes, dont les élèves émigrèrent au collège de l’Immaculée Conception à Saint-Dizier (Aisne) après la loi de séparation de 1905. C’est là que « sa grandeur l’évêque » lui remit chaque année, de 1908 (classe de seconde) à 1910 (classe de rhétorique) de nombreux prix de fin d’année, du thème latin à l’allemand en passant par l’éducation religieuse. Bachelier littéraire (latin-grec) en 1910, il entama des études supérieures de lettres à Paris et habitait à Chevilly, canton de Villejuif.
Dès cette époque, il s’engagea dans la vie sociale et politique, influencé par les idées du christianisme démocratique et social portées par Le Sillon de Marc Sangnier, auxquelles il devait rester fidèle le restant de sa vie. Ainsi, au début de l’année 1914, dans La Démocratie, sans doute dans le premier article qu’il signa, il blâmait les élus socialistes entrés en nombre au conseil municipal de Troyes en 1913, pour avoir refusé de venir en aide aux enfants pauvres, élèves des écoles catholiques : il dénonça ce « plus sot anticléricalisme » venant de soi-disant « défenseurs de la république prolétarienne ».
Exempté du service militaire en 1913 pour « bronchite chronique », il fut pourtant rappelé en septembre 1914 et à nouveau exempté. Sans doute en raison de ses racines alsaciennes et de sa parfaite connaissance de l’allemand, il fut prisonnier civil, durant une partie de la guerre, au camp d’Holzminden (duché de Brunswick) et ne fut rapatrié que le 27 juillet 1918, après avoir commencé à séjourner en Suisse où il acquit une licence ès lettres classiques à la faculté des lettres de Fribourg. Rentré en France, il fut professeur délégué au « gymnase » de Sarreguemines (Moselle), à partir de la rentrée 1919, tout en étant inscrit à la faculté des lettres de Strasbourg où il obtint le diplôme d’études supérieures l’année suivante.
Cette période du début des années vingt marqua une étape importante dans son parcours. Au contact des populations mosellanes redevenues françaises et de leurs enfants, il s’efforçait de les convaincre des bienfaits du retour dans la Grande nation, mais sans tomber dans l’anti-germanisme. Il le faisait dans son enseignement et dans ses activités postscolaires comme chef de groupe des Éclaireurs de France auxquels il resta fidèle par la suite, en tant que commissaire régional dans les Antilles puis en Tunisie. Il devint aussi, dès cette époque, un intellectuel militant de la Ligue de la Jeune République, écrivant des articles dans son journal, faisant des conférences au cercle local d’études sociales et d’actions démocratiques. Car il ne séparait jamais « pensée et action », titre de l’un de ses articles, fustigeant ses adversaires de l’Action française, s’opposant à l’autonomisme alsacien ou défendant « l’École unique ». Sur ce sujet, il s’exprimait comme Maurice Lacroix, professeur de lettres amoureux comme lui de la culture classique, figure de Jeune République et du syndicalisme enseignant, aux côtés duquel il se retrouva souvent à Paris quelques années plus tard.
Cette époque fut aussi celle où il se maria en Suisse, le 21 juin 1920 à Estavayer-le-lac (de Neufchâtel), avec Clémentine Francey qu’il avait rencontrée quand il était à Fribourg. Une première fille, Georgette, naquit en 1921, future agrégée d’allemand en 1945, suivie de deux autres enfants : Jean-Jacques (1926-2003) né à Fort-de-France, futur inspecteur général des Finances, professeur à l’IEP de Paris, et Clémence (1931-2013). Il n’en continuait pas moins à préparer l’agrégation de grammaire à laquelle il fut admissible en 1924. Démarra alors une période où il décida – ou accepta – d’aller enseigner dans différentes parties de l’empire colonial dont il souhaitait connaître les réalités, attiré qu’il était par les autres cultures d’origine africaine, comme l’atteste la traduction en 1922, avec son épouse, d’un ouvrage de Carl Einstein, La sculpture nègre (Negerplastik), publié en 1915, qui légitimait l’art africain en Europe. Nommé d’abord aux Antilles, au lycée de Fort-de-France (Martinique), à la rentrée 1925, il avait parmi ses élèves Aimé Césaire et pour collègues Victor Gratiant (anglais) et Dominique-Octave Mannoni (philosophie), avec lesquels il participa à la création en 1927 de la revue Lucioles, faisant le lien entre culture française et création littéraire créole.
Puis, après sa réussite à l’agrégation en 1928, il fut nommé au lycée Carnot de Tunis. Là encore, il participa à l’animation de la vie culturelle, à la Société des écrivains d’Afrique du Nord, créée par Arthur Pellegrin, alors militant syndicaliste et socialiste chrétien, qui se fixait comme objectifs « la propagation de la langue française et de la littérature nord-africaine ». Il entra aussi au comité de rédaction de La Revue tunisienne et déposa un sujet de thèse sur les voyageurs européens en Berbérie, XVIIe-XIXe siècles.
En 1932, il revint en France, nommé à la rentrée dans le cadre parisien au lycée Buffon de Paris. La décennie 1930 fut marquée par l’épanouissement de ses engagements militants dans le prolongement des précédents. De plus en plus en vue dans la Ligue de la Jeune République, transformée en parti en 1936, aux côtés de Georges Hoog, Francisque Gay, Jacques Madaule, François Romerio et Maurice Lacroix, il écrivait des articles d’une plume vigoureuse et fit de nombreuses conférences, notamment dans le cadre d’un « Journal parlé » hebdomadaire, au 15 rue Las Cases, siège du parti. Mais il ne figura pas parmi les responsables nationaux de Jeune République et ne se présenta à aucune élection politique.
Dénonçant l’agression de l’Italie fasciste en Ethiopie en 1936, il défendait en même temps l’empire français, « sans majuscule et sans couronne », fondé sur une conception civilisatrice, pacifique et humaniste de la colonisation française, et soulignait la nécessité de le préserver. Positions cimentées par son expérience concrète dans les Antilles et la Tunisie, qu’il continuait de défendre dans des conférences en 1939 et qui avaient justifié sa présence les 5-7 mai 1934 à la conférence internationale sur le scoutisme colonial au musée d’ethnographie du Trocadéro à Paris.
Il exposait les tares du capitalisme aux États-Unis d’Amérique, responsables de la terrible crise de 1929 mais montrait tout l’intérêt de la politique de Roosevelt. Il restait dénonciateur du système soviétique et fit le procès en février 1938 des deux livres de Gide à son retour d’URSS, dont il mettait en accusation l’ambiguïté :« les forces d’oppression pèsent de plus en plus dans le monde et devant elles, personne n’ose se dresser ». En revanche, il apporta son soutien à Lucien Sampaix, rédacteur à l’Humanité, lors de son procès et de son acquittement en juillet 1939.
Dans un vibrant hommage à José Bergamin, il réprouva la « criminelle agression fasciste et militaire en Espagne » en 1937, mais en comprenant la politique de non-intervention du gouvernement français, seule solution pour conserver la paix internationale. Il dénonça le nazisme et l’antisémitisme en Allemagne en novembre 1938 et rejoignit peu après le camp des anti-munichois.
Professeur aux qualités reconnues (officier d’académie en 1931, officier d’Instruction publique en 1936), il militait parallèlement à la fin des années 1930 au nouveau Syndicat du personnel de l’enseignement secondaire affilié à la CGT, comme son ami Maurice Lacroix. Il fut candidat du SPES aux élections du Conseil supérieur de l’Instruction publique en mai 1938.
Pédagogue, il voulait permettre aux élèves d’origine sociale modeste de goûter la culture classique en connaissant le latin et le grec. En 1934, il publia, avec son collègue de Buffon, Marcel Bizos, futur professeur de khâgne à Henri IV pendant la guerre, puis inspecteur général, un manuel de 500 versions latines aux éditions Vuibert qui fut réédité après la guerre. Mais ce qui lui tenait à cœur, c’était que les maîtres ne soient pas seulement des « dispensateurs de science mais aussi et surtout des animateurs d’âmes ». Cet objectif, il le conjuguait sur tous les tons, y compris en direction d’un large public. En particulier en dirigeant à partir de 1937, chez Gallimard NRF une nouvelle collection, « La découverte du monde », visant à exposer l’épopée de cette découverte par l’homme, « de l’âge de pierre à l’avion ». Il était l’auteur du premier volume illustré, L’expédition d’Alexandre à la conquête de l’Asie, où ce retour sur l’histoire de la conquête de la civilisation grecque résonnait comme un défi contemporain. Le second était en rapport avec les recherches qu’il avait commencées : Les voyageurs arabes au Moyen Âge par Blanche Frappier.
Raymond Burgard n’était pas qu’un intellectuel, professeur, journaliste, écrivain, il était un animateur des « journées de l’amitié » organisées par Jeune République. Toujours pacifiste, il restait d’un intraitable optimisme en avril 1940 en mettant encore en perspective la création des États-Unis d’Europe, seule solution pour un retour à la paix durable.
La défaite militaire ne le désarma pas, il réagit contre l’envahisseur. Il couvrit les murs de casernes allemandes d’inscriptions « L’ennemi est l’occupant », « Vive de Gaulle ». Le 20 septembre 1940, il fonda avec quatre amis le groupe de résistance Valmy ; ils rédigeaient des tracts et des papillons, en français et en allemand ; ils éditaient également un des premiers journaux de la Résistance, tiré d’abord à 500 exemplaires avec une petite imprimerie d’enfant, puis jusqu’à 10 000 exemplaires dans une imprimerie clandestine. Il encouragea des élèves du lycée Buffon à participer à la manifestation du 11 novembre 1940, au cours de laquelle son fils fut arrêté, puis relâché. Le 11 mai 1941, une manifestation fut organisée devant la statue de Jeanne d’Arc par le groupe Valmy, au cours de laquelle il fut le premier à entonner la Marseillaise, reprise par tous les manifestants.
Arrêté le 2 avril 1942 par les Allemands à son domicile, rue Pérignon (Paris VIIe arr.), Raymond Burgard fut incarcéré jusqu’en août 1942 à Fresnes (Seine, Val-de-Marne). Il fut déporté par le convoi du 29 août 1942 au départ de Paris à destination de Hinzert (Allemagne), il était classé "Nacht und Nebel". Il fut transféré à la forteresse de Sarrebruck en Allemagne où il fut condamné à mort le 16 octobre 1943 ; puis il fut guillotiné dans la prison de Cologne, le 15 juin 1944.
La mention Mort pour la France fut attribuée à Raymond Burgard, qui fut reconnu membre des Forces françaises combattantes (FFC) au titre du réseau Valmy (JO du 1er septembre 1947) et élevé au grade de capitaine (JO du 16 mai 1948). Il fut homologué Interné résistant (DIR) et il reçut la médaille de la Résistance avec rosette par décret du 27 avril 1946, publié au JO du 17 mai 1946.
Le nom de Raymond Burgard est gravé au Panthéon sur le Mémorial des écrivains morts pour la France, et il figure sur une plaque commémorative apposée à la mairie du VIIe arrondissement de Paris en hommage aux Morts pour la France 1939-1945. Une plaque à la mémoire de Raymond Burgard a été apposée au lycée Buffon à l’entrée du gymnase qui porte son nom. Une rue, ancienne ruelle des Hauts-Clos, porte son nom à Troyes depuis 1980.
« Éducateur éminent, écrivain distingué, ardent syndicaliste, démocrate vigilant », ainsi fut présenté Raymond Burgard dans l’Université Syndicaliste (US) (n° 16-17 des 10-25 novembre 1945), dont la rédaction avait appris l’exécution, seulement en juillet 1945.
L’US rappelait sa « dénonciation de l’emprise totalitaire au temps de l’agression fasciste en Espagne et lors de la trahison de Munich » et ses publications sur la découverte du monde, ses articles dans la Jeune République, dans les quotidiens de la Martinique et de la Tunisie où il avait séjourné, et sa résistance de la première heure.
Un choix fut fait de tous ses écrits constituant la matière d’un petit ouvrage de 99 pages titré Vers la Clarté, édité par le mouvement de résistance Valmy.
Par Alain Dalançon
ŒUVRE : Le catalogue de la BNF comprenait en décembre 2020 8 références dont : L’expédition d’Alexandre et la conquête de l’Asie, Gallimard, coll. Découverte du monde, 1937, 254 p., 24 ill., réédité en 1942. — La découverte du peuple , PUF, 1942.
SOURCES : Arch. Nat., F 17/27443. — L’Université syndicaliste, 1938, 1945. — Nombreux articles de presse dont : La Démocratie, 3 janvier 1914 ; Jeune République, 13 février 1925, 24 mai 1936, 7 juin 1936, 21 février 1937, 20 février 1938, 29 octobre 1939, 8 septembre1945 ; Coemedia 1931, L’OEuvre, 30 mai 1935, La Dépêche, 1er mars 1938, l’Humanité, 30 juillet 1939. — AVCC, SHD Caen AC 21 P 35968 et AC 21 P 431 876 (nc). — SHD Vincennes GR 16 P 97704 (nc). — Sites internet : www paris15histoire, Gérard Poiron /22 ; Association pour l’histoire du scoutisme laïque (livre d’or des EDF). — Arch. Dép. Aube (état civil de Troyes et registre matricule, Péronne, 1912, n°1712). — Notes de Jacques Girault.