FANG Zhimin 方志敏

Par Yves Chevrier

Né en 1899 ; exécuté en 1935 dans le xian de Yiyang (Jiangxi). Dirigeant du mouvement paysan dans le Jiangxi au cours des années 1920, et du soviet établi au nord-est de la province (Fujian-Zhejiang-Jiangxi) dans les années 1930. En juillet 1934 il fut chargé de faire diversion en direction du nord-est afin de permettre au gros des forces de la Longue Marche de s’échapper vers le sud-ouest (ce qui fut fait en octobre).

La disparition précoce de Fang Zhimin, comme celle de Peng Pai (澎湃) ou de Luo Qiyuan (羅綺園), a singulièrement facilité la tâche de l’hagiographie officielle en faisant de Mao Tse-tung (毛澤東) le seul dirigeant paysan d’importance nationale de la période 1922-1928 qui ait survécu à la Longue Marche. Or, la carrière de Fang Zhimin dans le Jiangxi témoigne d’une « vocation » paysanne aussi affirmée et au moins aussi précoce que celle du futur Timonier dans le Hunan. La fondation d’une « base rouge » dans le xian de Yiyang, suivant l’exemple du soviet de Hailufeng organisé dans l’est du Guangdong par Peng Pai, est contemporaine de la fameuse « montée au ciel » dans les Jingganshan (les monts de la Crête des Puits, où Mao se réfugie avec quelques centaines d’hommes à la fin de l’année 1927) : l’expérience de Fang Zhimin dans le Jiangxi, celle de Gao Gang (高崗) et de Liu Zhidan (劉志丹) dans le Shenxi, nous rappellent opportunément que l’enracinement rural et la militarisation du P.C.C. après les désastres de 1927 ne sont pas la découverte individuelle d’une pensée « géniale » et soudainement « illuminée », mais autant d’improvisations isolées, conséquences logiques tirées par plusieurs dirigeants paysans de la retraite qui les laissait sans liens avec les villes et chefs de petites bandes désemparées dont le seul espoir était de « tenir » la région où ils avaient fui et le seul recours, en se défendant avec les moyens du bord, d’inventer chacun pour soi la « guérilla rurale ».
La formation et les premières expériences révolutionnaires de Fang Zhimin à Yiyang et à Nanchang évoquent irrésistiblement celles de son illustre aîné à Shaoshan et à Changsha : famille paysanne aisée (le père cultivait 20 mu de terre) ; éducation primaire traditionnelle ; enseignement secondaire « moderne » (à la première École industrielle supérieure de Nanchang, la capitale provinciale) ; premières manifestations d’un vigoureux nationalisme anti-japonais dès avant le 4 mai 1919 ; fondation d’une association d’étudiants radicaux. Le parallèle serait parfait si Fang Zhimin avait donné son autobiographie à un autre Edgar Snow au lieu de l’écrire lui-même dans sa prison de Nanchang. Il n’y manque pas même les amis plus précoces, Shao Shiping et Zhao Xingnong, qui, tel Cai Hesen (蔡和森), seront les mentors de Fang dans la découverte du marxisme. Associé aux activités du noyau marxiste de la Société pour la transformation du Jiangxi (Jiangxi gaizaoshe), il contribua au développement d’un véritable « petit groupe » communiste (xiaozu) sur le modèle des groupes de Pékin, de Shanghai (voir Li Dazhao (李大釗), Chen Duxiu (陳獨秀)), ou de ceux de Changsha et de Wuhan, plus proches (voir He Minfan (賀民範), Chen Tanqiu (陳潭秋)). Au cours d’un bref séjour à Shanghai pendant l’été 1922, il fut admis aux Jeunesses communistes sur la recommandation de Zhao Xingnong. Dès son retour à Nanchang, il fonda la section de la L.J.C. pour le Jiangxi. L’année suivante il adhéra au P.C.C. mais dut s’enfuir aussitôt à Shanghai pour échapper à la police de Nanchang : les communistes du Jiangxi, très peu nombreux, devaient affronter une répression particulièrement efficace. Ils se bornaient à diffuser la presse révolutionnaire de Shanghai (ainsi qu’une feuille de propagande locale) au moyen de la Librairie pour la nouvelle culture (Xin wenhua shudian), tenue par Fang. Celui-ci fut renvoyé à Nanchang par les dirigeants du P.C.C. afin d’y organiser l’appareil clandestin du Parti dans le Jiangxi. Parallèlement, en application de la stratégie de Front uni imposée par Maring, Fang et Zhao Xingnong adhéraient à la section provinciale (clandestine elle aussi) du G.M.D. Après la réorganisation du parti nationaliste en janvier 1924 (voir Sun Yat-sen (孫逸仙)), ils furent appelés à la direction provinciale. Fang Zhimin prit le Bureau paysan (Nongminbu) : sitôt franchi le cap de l’agitation intellectuelle, sa vocation s’affirmait sans retour. Mais avant de prendre la tête du mouvement paysan provincial, il lui fallait tout d’abord le créer de toutes pièces.
Dès 1925, il jetait les bases d’une Association paysanne (nongmin xiehui) dans le xian de Yiyang à partir d’une école primaire et d’un cours du soir pour les pauvres fondés dans son village natal (en même temps qu’une organisation étudiante dans son ancienne école, au chef-lieu du xian). Aiguillonné par les instructions expresses du Komintern, le P.C.C. encourageait verbalement de telles initiatives ; mais c’est surtout l’exemple du précédent créé par Peng Pai au Guangdong qui semble avoir été déterminant. Fang assista au IIe congrès de l’Association paysanne du Guangdong (mai 1926) où furent exposées les grandes lignes de la politique rurale de mouvement révolutionnaire à la veille de la Beifa (Expédition du Nord). Il s’entretint avec Peng Pai qu’il admirait beaucoup. Malgré ces contacts, le mouvement paysan du Jiangxi ne devait cesser de souffrir d’un certain isolement, aggravé par l’ampleur et la permanence de la répression : la province et sa capitale, soumises à la vigilance contre-révolutionnaire de la Ligue anti-bolchevique (AB Duan) furent conquises par Chiang Kai-shek qui s’appliqua sans attendre à contenir puis à réprimer les mouvements populaires. En octobre 1926, alors que la bataille faisait encore rage, le Jiangxi comptait à peine plus de 6 000 paysans organisés dans 128 associations : la situation de la province, en marge de l’axe révolutionnaire privilégié (Guangdong-Hunan-Hubei), mais prise en écharpe par ce qu’on pourrait appeler l’axe de plus grande répression (Canton- Nanchang-bas Yangzi), explique sans doute la faiblesse de ces effectifs, dérisoires quand on les compare à la population provinciale ou aux gros bataillons paysans que pouvaient aligner les Associations du Hunan et du Hubei dès avant la Beifa. L’effet d’entraînement de la Beifa et de la prise de pouvoir parvint quand même à multiplier ces maigres chiffres dans des proportions comparables à celles des provinces « rouges » : après l’installation, le 19 novembre 1926, d’un bureau de l’Association paysanne provinciale, les effectifs bondirent à 40 000 ; en mai 1927, ils avaient plus que doublé par rapport à novembre. Ces conditions difficiles, qui éclairent la modération « réformiste » qu’on a reprochée aux dirigeants paysans du Jiangxi, illustrent parfaitement l’importance déterminante du contexte politique et militaire dans l’éclosion et la destinée du mouvement paysan.
Après la capture et l’exécution de Zhao Xingnong, Fang Zhimin prit la direction effective du mouvement révolutionnaire, et, notamment, des associations paysannes. En février 1927 se tint le congrès des paysans du Jiangxi qui, sous les auspices de Chiang Kai-shek, établit formellement l’Association paysanne de la province. Rang en fut élu secrétaire général, bien qu’il eût perdu dans l’intervalle la direction du Bureau paysan du G.M.D. Parallèlement, il était secrétaire du comité paysan du P.C.C. pour le Jiangxi et directeur d’une école de formation paysanne, émule à Nanchang du fameux Institut des cadres du mouvement paysan cantonais. (Les quelques 600 élèves de l’école’ prendront part à l’insurrection du 1er août (voir Ye Ting (葉挺) et He Long (賀龍)). Comme ailleurs, le P.C.C. tentait de substituer son appareil à celui du G.M.D. dont il était chassé. Mais ces mesures tardives étaient bien incapables de susciter la levée en masse — et en ordre — de la paysannerie qu’escomptait le Komintern. Paralysé par le durcissement de Chiang Kai-shek qui, en approchant de Shanghai, s’éloignait de plus en plus de la stratégie de Front uni, Fang dut se réfugier à Wuhan après le 12 avril. Dans des conditions particulièrement défavorables, son échec anticipait celui d’un Luo Qiyuan au Guangdong et, plus généralement, celui de l’aile paysanne du P.C.C., « courant marginal » (B. Schwartz) auquel les moyens de réussir avaient été refusés dès le départ.
A Wuhan, Fang Zhimin fut élu au Comité exécutif provisoire de la Fédération paysanne panchinoise. Mais sa vocation n’était pas dans les états-majors, fussent-ils ceux de la Révolution. Il s’en fut au Jiangxi où, absorbé dans l’agitation paysanne clandestine, il n’eut aucune part à l’insurrection de Nanchang (1er août 1927). Suivant la nouvelle « ligne » du P.C.C., qui appelait à l’offensive militaire contre le G.M.D., et s’inspirant des « partisans ouvriers et paysans » commandés par Ye Ting et He Long, Fang leva un « Corps paysan révolutionnaire » fort de 5 000 hommes, dans son xian natal, où il était retourné en septembre. Mais contrairement aux plans dressés par Lominadzé et Qu Qiubai (瞿秋白), il ne tenta pas de reprendre les villes avec ces bandes paysannes. De même, Mao Tse-tung, « esquivant » les objectifs urbains de l’insurrection de la Moisson d’automne, s’enfonçait au cœur du monde rural. Au début de l’année 1928, Fang Zhimin et deux de ses anciens condisciples, Huang Tao et Shao Shiping (responsable d’un xian voisin de Yiyang, Hengfeng) établirent le district de guérilla Yiyang-Hengfeng. Au cours des années suivantes (1928-1934), Fang et ses associés allaient s’employer à défendre et à élargir « leur » base rouge.
En effet, leur conception était bien celle d’une « base », l’enracinement territorial (marqué par l’approfondissement local de la révolution au moyen d’une tactique mobile : la guérilla) l’emportant sur la stratégie de reconquête immédiate des villes à l’aide des forces militaires accumulées dans les campagnes, qui avait la faveur des dirigeants shanghaiens du P.C.C. (voir Li Lisan (李立三)). S’étant reconnu dans cette approche, Mao Tse-tung cita l’exemple de Fang Zhimin en 1930 dans la polémique anti-Li Lisan au cours de laquelle il définit les grands principes de la révolution et de la guérilla rurales. Conformément à ces principes, Fang — tout comme Mao — ménagea ses forces au cours de l’offensive décrétée par Li Lisan à l’été 1930. Il chercha moins à prendre Jiujiang (l’un des objectifs urbains de Li, sur le Yangzi) qu’à préserver sa base, le soviet du Fujian- Zhejiang-Jiangxi, successeur élargi et renforcé des quelque cinquante villages et des bandes mal armées du noyau « historique » de Hengfeng-Yiyang.
Tout au long de la période lilisanienne (jusqu’à la fin de l’année 1930), cette croissance s’était effectuée dans le nord-est du Jiangxi, à l’écart de la zone occupée par Mao Tse-tung et Zhu De (朱德) au sud de la province. Le gouvernement soviétique, baptisé de noms changeants en fonction de ses progrès territoriaux, assit son influence en procédant à l’approfondissement révolutionnaire voulu. A partir de 1931, la base s’étendit aux régions frontalières des provinces voisines, Fujian, Zhejiang et Anhui, à la suite d’opérations nécessitées par les contre-offensives nationalistes, dites « campagnes d’annihilation ». Le soviet du Fujian-Zhejiang-Jiangxi (Minzhegan), dans sa plus grande extension, embrassait seize xian comprenant une population d’un demi-million de paysans. Fang Zhimin, qui le dirigeait, commandait également l’armée, dite 10e Corps d’armée, dont les effectifs dépassaient 30 000 hommes à la fin de 1930. En 1931, le B.P., dominé par Wang Ming ( + ) et les « Vingt-huit Bolchéviks » (voir Mif), entreprit de renforcer le contrôle du Centre sur les différents soviets, ce qui se traduisit ici et là par de nombreuses purges locales. Zhen Nong, envoyé dans le N.-E. du Jiangxi (printemps 1931-automne 1932), a laissé un rapport au C.C. qui est une source essentielle sur les activités de Fang Zhimin. Celui-ci fut confirmé à la tête de son « royaume » et, avec Shao Shiping, son commissaire politique, fut élu en novembre 1931 et réélu en janvier 1934 au C.E.C. du gouvernement soviétique central à Ruijin. La guérilla eut raison des quatre premières campagnes d’encerclement nationalistes, mais après l’ouverture de la cinquième, au printemps 1934, l’armée et le territoire de Fang furent coupés du gros des forces communistes rassemblées dans le S.-E. du Jiangxi, autour de Ruijin, la capitale soviétique.
Fang Zhimin reçut l’ordre d’évacuer le N.-E. de la province et de se porter dans le sud du Anhui. Sa 10e Armée rompit le blocus nationaliste en juillet 1934 et, grossie d’autres éléments, prit le nom d’ » Unité d’avant - garde anti-japonaise ». En fait, il s’agissait moins de bouter l’armée nipponne hors de Shanghai que de faire diversion et de desserrer l’étau au sud du Jiangxi En outre, comme la direction du P.C.C. était divisée sur le Parti à prendre (fallait-il évacuer les soviets, afin d’échapper à l’anéantissement ou bien résister sur place ?), le mouvement tournant de 1’« avant-garde anti-japonaise » fut aussi une demi-mesure en même temps que la première opération de la Longue Marche. Les troupes de Fang, rapidement décimées, durent faire retraite en direction de leur base de départ dans le N-E. du Jiangxi (automne 1934), alors que l’Armée rouge s’enfuyait par le S-O. de la province. Fang lui-même fut capturé en janvier 1935 non loin de Yiyang. Son chef d’état-major, Su Yu, qui prit la tête des survivants (environ 800 hommes), poursuivit la guérilla et s’agrégea ensuite à la 4e Armée nouvelle (voir Xiang Ying (項英) et Ye Ting (葉挺)). Fang Zhimin fut produit dans les rues de Nanchang, encagé et enchaîné. Il fut exécuté le 6 juillet 1935 sans être transféré à Nankin, afin de prévenir une éventuelle tentative d’enlèvement de la part du P.C.C. L’historiographie maoïste a moins insisté sur l’indépendance du dirigeant paysan (sinon pour vanter ses qualités morales ou son « style de travail ») que sur la dévotion du martyr, qui n’eut d’égale que l’ampleur du sacrifice : le soviet du Fujian-Zhejiang-Jiangxi et son armée furent saignés à blanc. C’est une condition que Fang lui-même avait acceptée dans les lettres et les essais de prison qui constituent son autobiographie.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article181920, notice FANG Zhimin 方志敏 par Yves Chevrier, version mise en ligne le 26 octobre 2016, dernière modification le 25 octobre 2016.

Par Yves Chevrier

ŒUVRE : Ces lettres et essais que Fang Zhimin, emprisonné en 1935, put faire parvenir à l’extérieur (il ne fut pas trop maltraité par l’officier nationaliste commis à sa garde...) ont été publiés à Shanghai pendant la guerre sinojaponaise : Fang Zhimin zizhuan (Autobiographie de Fang Zhimin) et, sous un titre différent, à Pékin en 1951 : Ke’aide Zhongguo (Chine bien-aimée).

SOURCES : Outre KC, voir les biographies de Fang Zhimin in Communist International, Spécial Chinese Number, Vol. XIII, février 1936. — Zhongguo gongchandang lieshizhuan (Vies des martyrs du P.C.C.). — Et surtout la biographie écrite par Miao Min, qu’il avait épousée en 1927 : Fang Zhimin zhandou de yisheng (Vie du combattant Fang Zhimin), (1958), traduite en 1962. — Sur les débuts et les difficultés du mouvement paysans dans le Jiangxi, voir : Hofheinz (1977). — Isaacs (1967). — Jordan (1967). — « Jiangxi de nongmin yundong » in Diyici guonei geming zhangzheng shiqi de nongmin yundong (1953) (« Le mouvement paysan dans le Jiangxi » in Le mouvement paysan pendant la première guerre civile révolutionnaire). — Slawinsky (1973). — Smedley (1956). — Sur la période soviétique (1928- 1934), voir : Kim (1968), qui analyse notamment le précieux rapport de Zhen Nong sur les activités du soviet Fujian-Zhejiang-Jiangxi. — Mao Tse-tung, « Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine » (dont le texte original est une lettre écrite à Lin Biao en janvier 1930) loue la prudente stratégie de Fang afin de mieux réfuter l’aventurisme de Li Lisan (texte original in Takeuchi Minoru, Mo Tak-to shu (Œuvres de Mao Tse-tung), vol. II. — Nym Wales (1939). — Sur le contexte politique et militaire, voir Guillermaz (1968). — Harrison (1972). — Johnson (1963) sur l’« avant-garde anti-japonaise ».

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