HE Mengxiong 何夢雄

Par Alain Roux et Yves Chevrier

Né en 1901 dans le xian de Xiangtan, Hunan ; exécuté le 7 février 1931. L’un des premiers adhérents au P.C.C. ; dirigeant du mouvement ouvrier à Shanghai après 1927 et, avec Luo Zhanglong, adversaire acharné de Li Lisan puis de Wang Ming et des « Vingt-huit Bolcheviks ».

Cet intellectuel révolutionnaire devenu dirigeant du mouvement ouvrier clandestin à Shanghai naquit dans le même xian que Mao Tse-tung (毛澤東), non loin de Changsha. L’aisance de sa famille lui permit de faire de bonnes études, qu’il compléta à l’Université de Pékin (Beida). Le mouvement du 4 mai, au cours duquel il subit l’influence de Li Dazhao (李大釗), fit de lui un révolutionnaire et l’un des membres du cercle marxiste de Beida, avec Zhang Guotao (張囯燾), Deng Zhongxia (鄧中夏) et Luo Zhanglong (羅章龍). Avec 39 étudiants de Beida, il adhère en septembre 1920 aux Jeunesses socialistes, fondées le mois précédent à Shanghai par Chen Duxiu (陳獨秀) et Zhang Tailei (張太雷). En novembre, il est l’un des neuf membres du « petit groupe » (xiaozu) de Pékin (voir Li Dazhao). Après son adhésion formelle au P.C.C. (juillet 1921), il se consacre au travail d’organisation et de propagande parmi les cheminots des réseaux du Nord, le Jing-Han (Pékin- Hankou) et le Pékin-Suiyuan. Comme la plupart des militants qui s’occupent du mouvement ouvrier, He Mengxiong partage les réserves de Zhang Guotao, auquel il est très lié, à l’égard du G.M.D. et s’oppose à l’alliance voulue par Maring lors du IIe congrès du P.C.C. (juillet 1922). Il est l’un des « inspecteurs clandestins » mis en place par Li Dazhao sur les réseaux ferrés de Chine du Nord afin d’y organiser les cheminots contre les adversaires de Wu Peifu, soutenus par la « Clique des communications » (voir Bao Huiseng (包惠僧)). La volte-face de Wu et le massacre du 7 février 1923 (voir Yang Defu (楊德甫)) mettent fin à cet épisode et He doit fuir à Shanghai. Rentré à Pékin en septembre-octobre, il devient membre du comité du P.C.C. pour la capitale, et participe également au comité préparatoire au premier congrès du G.M.D.
En 1927 commence la seconde partie de la vie de He Mengxiong. Vivant constamment à Shanghai, il partage ses activités entre les rouages locaux du P.C.C. et les « syndicats rouges » du Syndicat général, les uns comme les autres mis hors la loi par Chiang Kai-shek. Membre suppléant du C.C. depuis le VIe congrès (tenu à Moscou en juin-juillet 1928), qui le nomme probablement in absentia, il dirige le comité provincial du Jiangsu et est secrétaire des comités de district de l’Est et du Centre de Shanghai. Alors que la nouvelle direction du P.C.C., dominée par Li Lisan (李立三), proclame une « nouvelle vague révolutionnaire » et désire transformer les mouvements revendicatifs du prolétariat en autant d’insurrections urbaines, He Mengxiong admet le bien-fondé de luttes économiques destinées à ranimer un mouvement ouvrier qu’il sait exsangue. L’affrontement entre la « ligne Li Lisan » et les syndicalistes « rouges » regroupés autour de He Mengxiong et de Luo Zhanglong (dirigeant central du Syndicat général pan-chinois clandestin) commence dès novembre 1928. Au cours de l’hiver suivant, la « fraction ouvrière » se renforce : sur les 7 comités de district que le P.C.C. compte à Shanghai, 5 (Zhabei, Sud, Est, Ouest, Centre) se rangent derrière He et Luo, avec Wang Kequan (王克全), Wang Fengfei (王鳳飛), Lin Yunan (林育南), Chen Yu ( + ), Wang Ruofei (王若飛) et Yu Fei (余飛).
Au fur et à mesure que se précise le caractère aventureux de la stratégie lilisanienne, qui s’apprête à déclencher une insurrection armée dans les grandes villes en liaison avec une offensive de l’Armée rouge, la résistance des dirigeants ouvriers s’accroît. Au début de 1930, la majorité du comité provincial du Jiangsu s’oppose clairement à Li Lisan. Mais celui-ci surmonte aisément la crise, car il jouit encore du soutien de Moscou et sait exploiter le manque de collaboration entre ses opposants (voir Cai Hesen (蔡和森) et Mao Tse-tung). Il renforce son contrôle sur l’appareil du Parti et en mai 1930, profitant de la tenue à Shanghai d’une réunion préliminaire à la conférence des délégués des zones soviétiques, installe dans les districts « rebelles » (c’est-à-dire favorables à He Mengxiong) des « avant-gardes rouges » qui ont pleins pouvoirs en vue de la future insurrection. Les Jeunesses communistes sont dissoutes et les responsables réguliers du P.C.C. réduits à l’impuissance par ces procédés proprement staliniens.
L’effondrement des projets révolutionnaires pendant l’été 1930 relance la lutte en affaiblissant les positions de Li Lisan. Dès la fin de l’été (fin août-mi-septembre), He Mengxiong multiplie les attaques : Li Lisan a violé la ligne du Parti et celle de l’I.C. ; l’Armée rouge n’est pas solide faute d’un recrutement prolétarien. 70 % des membres du P.C.C. sont des paysans, 5 % seulement des ouvriers. Il faut donc renforcer la « base prolétarienne » du Parti et, dans ce but, ne pas hésiter à organiser des grèves économiques. On notera que les attaques de He Mengxiong pouvaient également déplaire à Li Lisan et aux dirigeants des guérillas rurales. Aussi bien est-il dépouillé de toutes ses responsabilités au profit de He Chang (賀昌) alors même que le pouvoir de Li Lisan commence à s’effriter (4 septembre 1930). He Mengxiong n’assiste pas au 3e plénum du VIe C.C. (24 septembre, Lushan) qui censure Li Lisan sans le démettre. Il ne profite nullement de la défaite partielle de son ennemi, car Zhou Enlai (周恩來) l’accuse d’« opportunisme de droite » et de « déviationnisme économiste », tandis que les « Vingt-huit Bolcheviks » (voir Mif et Wang Ming (王明)), qui lorgnent Shanghai, ne tentent aucun rapprochement. Au surplus, le dogmatique Wang Ming, tout comme Li Lisan, professe une confiance aveugle dans l’imminence de la révolution qui ne peut que l’opposer à la prudence tactique de He Mengxiong.
Quand une manœuvre du Centre donne à Wang Ming le secrétariat du Jiangsu, le conflit avec les nouveaux hommes du Kremlin devient inévitable. A la fin du mois d’octobre, He Mengxiong, Luo Zhanglong et Wang Kequan mettent en place un discret « triumvirat » qui pousse à la convocation d’une conférence extraordinaire du C.C., en s’inspirant du précédent du 7 août 1927 (voir Qu Qiubai (瞿秋白)). Le but d’une telle procédure serait : 1) de destituer formellement Li Lisan, maintenu au pouvoir par les demi-mesures de Wang Ming, de Zhou Enlai et de Qu Quibai ; 2) de rétablir les cadres ayant l’expérience des luttes ouvrières en Chine même contre les « retours de Moscou ». La fraction rebelle et les dirigeants « intérimaires » du Parti (on sait que les jours de Li Lisan à la tête du Parti sont comptés) livrent bataille pour s’emparer de la direction de trois des districts de Shanghai (Zhabei, Est et Centre). Après la chute définitive de Li Lisan, rappelé à Moscou, He en appelle au Komintern afin d’obtenir réparation et exige la publication de ses critiques — maintenant « justifiées » — contre Li Lisan (24 décembre 1930). Pour la coalition des successeurs qui s’esquisse d’ores et déjà grâce aux talents de Mif, arrivé à Shanghai en novembre (Zhou Enlai et Xiang Zhongfa (向忠發) acceptant de soutenir ses « protégés »), He Mengxiong représente un danger nullement négligeable : il est plus populaire qu’eux-mêmes auprès des militants de Shanghai et Luo Zhanglong l’assure du soutien formidable des syndicats « rouges ». Enfin, la constance de son opposition à Li Lisan fait de lui un candidat tout désigné à la succession. Mif écarte le danger en réunissant à l’improviste le 4e plénum du VIe C.C. (16 janvier 1931, Shanghai) : présidant des débats expéditifs (quatre heures en tout) « gardés » par des agents armés de la sécurité communiste (tewu), il refuse la parole aux partisans de He Mengxiong. Ceux-ci, une dizaine tout au plus, ont cru jusqu’au dernier moment qu’il s’agissait d’une réunion de routine et non du plénum chargé de statuer sur l’affaire Li Lisan et de désigner une nouvelle direction qu’ils exigent à cor et à cri. C’est donc sans pouvoir se défendre que He Mengxiong est battu, par la procédure même qu’il n’avait cessé de réclamer. Car si Li Lisan est enfin dénoncé comme il le souhaitait, c’est au profit de Wang Ming.
Désespérant de ses nouveaux supérieurs, qui sont ses adversaires d’hier (Zhou Enlai et Xiang Zhongfa ont en effet rallié le camp des vainqueurs ; seul Qu Qiubai ne tire aucune épingle du jeu...), He Mengxiong, en révolte ouverte depuis l’automne, fait sécession. Il met en place un comité dissident pour le Jiangsu, demande la réunion d’un congrès et le départ de Mif ; seule son arrestation, le 17 janvier, l’empêche d’organiser un C.C. rival. Une vingtaine de communistes dissidents sont arrêtés en même temps que He. On ne sait si l’urgence de la situation leur a fait négliger les précautions indispensables à toute réunion clandestine (telle est l’hypothèse de Zhang Guotao, ami constant de He Mengxiong) ; ou bien si le coup de filet est à mettre à l’actif de Du Yuesheng, maître des bas-fonds de la ville et redoutable policier (voir Zhu Xuefan (朱學範)) ; ou si enfin, comme le bruit en courut sur le champ, il fut favorisé par une indiscrétion délibérée de Wang Ming... Toujours est-il que He et les siens, exclus pour « scissionnisme », ne bénéficiaient plus de la protection des services spéciaux communistes (voir Gu Shunzhang (顧順章)) et constituaient des proies particulièrement vulnérables. Extradés et livrés aux autorités nationalistes, ils furent fusillés à Long Hua le 7 février 1931. Luo Zhanglong continua pour un temps d’animer la fraction dissidente, irrémédiablement décimée par cette tragédie. He Mengxiong est considéré comme un « noble martyr », alors que Luo — en raison de ses activités ultérieures — passe pour le prototype même du traître...

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182105, notice HE Mengxiong 何夢雄 par Alain Roux et Yves Chevrier, version mise en ligne le 26 octobre 2016, dernière modification le 26 octobre 2016.

Par Alain Roux et Yves Chevrier

SOURCES : Outre KC et BH, voir : Chang Kuo-T’ao (Zhang Guotao), II (1972). — Guillermaz (1968) — Harrison (1972). — T.A. Hsia (1962). — Hsiao Tso-liang (1961). — Kuo, II (1968). — Thornton (1969).

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