HUANG Ai 黃愛

Par Alain Roux et Yves Chevrier

Né au Hunan. Militant « anarcho-syndicaliste » exécuté à Changsha en janvier 1922.

Élève, avec Pang Renquan (龐人銓), des écoles industrielles de Changsha, ce jeune cadre semble influencé par un confus anarcho-syndicalisme. Vers la fin de l’année 1920, il participe à la fondation de l’Association des travailleurs du Hunan. Le programme de cette organisation aux effectifs mal connus (de quelques centaines à plusieurs milliers d’adhérents suivant les sources) est mi-syndical, mi-politique : amélioration du bien-être des ouvriers, réunification du pays, restauration de l’honneur national. L’organisation regroupe à égalité des représentants des ouvriers d’industrie (mines, métallurgie, électricité, fonderie, tissages) et des artisans (vernissage, broderie, bâtiment). Elle est encore mal dégagée des structures traditionnelles, marquées par l’amicalisme régional et surtout par la prédominance des antiques guildes animées par les patrons. On lit dans Laodong Jie (Le Monde du travail), l’hebdomadaire shanghaïen d’inspiration communiste (n° 19, 19 décembre 1920), un véritable réquisitoire signé par un ouvrier fondeur. L’Association ne serait qu’une « association de travailleurs pour capitalistes » ; les patrons y joueraient le rôle de « conseillers syndicaux »...
De fait, la direction de l’Association comprend des administrateurs de sociétés (y compris de la cotonnière N° 1 de Changsha où éclate la célèbre grève de décembre 1921, infra). Elle inclut aussi des contremaîtres, des intellectuels militant pour l’éducation populaire, presque aucun ouvrier. Durant l’hiver 1920-1921 de vifs incidents se produisent entre les éléments anarchistes — essentiellement Huang Ai et Pang Renquan — et les notables. Les premiers veulent interdire « aux gens qui ne sont pas ouvriers et n’ont pas de conscience ouvrière » d’être les porte-parole des ouvriers (« Annonce et offre d’un moyen pour sauver les travailleurs du Hunan », parue dans le Dagongbao, n° 20, 1920).
En mars 1920 éclate une grève confuse contre le rachat de la cotonnière par un homme d’affaires du Jiangsu appuyé par les autorités provinciales (dominées par le seigneur de la guerre Zhao Hengti). Cette grève n’est en fait que la couche inférieure d’un conflit complexe qui concerne tout d’abord les notables et en second lieu le personnel d’encadrement technique. Mais les ouvriers prennent fait et cause pour la cause des « bourgeois » et des « cols blancs » hunanais, et demandent que l’embauche soit réservée aux Hunanais. Après une manifestation rassemblant un millier de personnes commence la phase des bons offices et des négociations (autre trait traditionnel) sous la tutelle de médiateurs désignés par Zhao Hengti. La Cie Hua Shi, propriétaire de la cotonnière, intègre certains des dirigeants de l’Association dans son conseil d’administration. Mais Huang et Pang tiennent bon. Alors que le conflit s’apaise, leurs partisans continuent à faire de l’agitation parmi les ouvriers en détruisant secrètement les machines (le dachang ou « bris de machine » est un autre trait traditionnel du tout premier mouvement ouvrier chinois). Le 13 avril, une émeute grosse de 2 000 personnes s’empare de l’homme du Jiangsu et se rend au yamen de Changsha afin de demander justice aux autorités provinciales (ici, le trait rappelle mainte émeute paysanne). Les émeutiers sont dispersés par la troupe, mais la cotonnière est fermée. Zhao manœuvre alors avec grande habileté. Ayant convoqué Huang afin de négocier, il le fait arrêter et envoie la troupe contraindre les ouvriers à reprendre le travail. Mais à la faveur des troubles, certains actionnaires (notables du cru) demandent à nouveau l’éviction des « étrangers » (entendons les hommes du Jiangsu) : le conflit reprend à ce niveau jusqu’à ce que la Cie persuade l’un des principaux marchands de Changsha (et membre de l’Association) d’entrer dans son conseil d’administration. Semblable à celle de mars, l’opération réussit à nouveau. Au début du mois de mai, le calme est revenu, Huang est libéré mais pas apaisé : « Les seigneurs de la guerre et les seigneurs de la finance doivent être abattus » déclare-t-il à la foule qui lui fait bon accueil, « mais ils sont protégés par le despotisme des seigneurs de la gentry ».
Ce succès relatif (les mesures d’apaisement comportent quelques concessions aux ouvriers) renforce l’intérêt des militants communistes pour l’Association. Alors que le mouvement battait son plein, Mao Tse-tung (毛澤東), responsable de la branche hunanaise du Secrétariat du travail, avait critiqué ses faiblesses « anarchisantes » : absence d’organisation clandestine, propension au terrorisme, et trade-unionisme. A l’occasion du 1er mai, Huang et Pang avaient en effet proclamé que « la force des masses » et 1’« organisation du travail » n’impliquaient en rien la politique : la commune hostilité à l’intervention des notables faisait place au classique conflit entre marxistes et anarchistes. Toutefois, Mao crut sans doute habile d’inviter Huang et Pang à adhérer au Corps des Jeunesses socialistes du Hunan, où l’on commença à parler de l’union entre Ma (le marxisme) et An (l’anarchisme). En échange, l’Association se montra plus perméable aux méthodes marxistes. A l’automne 1921, elle disposait d’une organisation plus différenciée (départements pour la propagande, l’organisation, les communications). Communistes et anarchistes collaborent alors efficacement : une tournée de propagande est entreprise aux houillères d’Anyuan (voir Cai Shufan (蔡樹藩)).
L’Association s’associe sans réserve au mouvement de grève qui éclate à la cotonnière de Changsha le 31 décembre 1921. Les ouvriers protestent contre le non-paiement des primes traditionnelles (destinées à célébrer le nouvel an lunaire) ; ils demandent aussi des augmentations de salaire. Le mouvement est violent ; il y a des bris de machines. Le 17 janvier 1922, Zhao Hengti reçoit une délégation de grévistes et accepte la plupart des revendications. Mais il fait exécuter Huang Ai et Pang Zhengquan (capturés après être tombés dans un piège). Un diplôme leur eût-il sauvé la vie ? Quelques mois plus tard (octobre 1922), grâce à son prestige de lettré, Mao négocie avec les mêmes autorités la fin de la grève des ouvriers de la construction de Changsha sans y laisser la vie... Après l’exécution de ses deux principaux animateurs, l’Association est dissoute ; ses militants se réfugient à Shanghai.
L’héritage de Huang et Pang sera complexe. Non que l’espèce d’anarcho-syndicalisme à l’usage d’une société préindustrielle qu’ils défendent ait fait école en tant que tel. Mais à Shanghai, les survivants de l’Association apporteront leur caution aux syndicalistes les plus modérés, entravant obstinément les progrès de l’influence communiste dans la citadelle du mouvement ouvrier chinois (voir Wang Guanghui (王光煇)). Si le Secrétariat du travail appelle le 1er Congrès du travail (Canton, mai 1922) à honorer la mémoire des « martyrs du Hunan », Mao Tse-tung, qui avait connu et combattu leurs idées de près, fait de Huang Ai, qu’il dissocie des anarchistes, « un militant de l’aile droite du mouvement ouvrier » dans l’interview accordée à E. Snow en 1936.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182119, notice HUANG Ai 黃愛 par Alain Roux et Yves Chevrier, version mise en ligne le 27 octobre 2016, dernière modification le 30 décembre 2019.

Par Alain Roux et Yves Chevrier

SOURCES : Chang Küo-t’ao (Zhang Guotao), I (1971). — Chesneaux (1962). — McDonald (1978). — Shaffer (1982). — Snow (1938).

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable