VATIER Raymond, Louis

Par Pierre Alanche

Né le 1er février 1921 à Maisons-Alfort (Val-de-Marne), mort le 28 septembre 2018 à Chevreuse (Yvelines) ; ingénieur des Arts et Métiers ; chef de service dans l’automobile, directeur au ministère de l’Éducation nationale ; syndicaliste CFTC-CFDT ; militant associatif ; conseiller municipal et maire adjoint de Vauhallan (Essonne) puis à Villiers-le-Bâcle (Essonne).

Raymond Vatier, directeur du CESI

Fils de Bernard Vatier et d’Henriette Manchon, Raymond Vatier fut l’aîné d’une fratrie de trois enfants. Son père, épicier à Maisons-Alfort (Val-de-Marne) puis à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), devint directeur de service au Bazar de l’Hôtel de Ville à Paris. Il fut conseiller municipal à Igny (Essonne), élu sur une liste d’intérêts locaux. Sa mère était animatrice au Crédit mutuel. Ses parents étaient des catholiques pratiquants occasionnels. Raymond Vatier passa sa jeunesse à Maisons-Alfort (Val-de-Marne), Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) et Igny-Gommonvilliers (Essonne). Il fut scolarisé à l’école primaire d’Igny, de 1926 à 1929, puis à Versailles (Yvelines) en internat, de 1929 à 1938, à l’école Jules Ferry qui comprenait l’école primaire supérieure et l’école pratique de commerce et d’industrie pour la formation secondaire. Il prépara le concours d’entrée à l’École des Arts et Métiers et fut reçu en 1938. Il débuta sa formation d’ingénieur à Lille mais ses études furent perturbées par la guerre. En 1939, les élèves du centre de Châlons-sur-Marne (Marne), fermé à cause de l’invasion allemande, rejoignirent l’établissement de Lille. En février 1940, l’ensemble fut déplacé à Cluny (Saône-et-Loire) puis à Paris d’octobre 1940 à juin 1941. Avec trois camarades, Raymond Vatier tenta de rejoindre l’Angleterre, mais échoua. Tout au long de ses études, il fut un membre actif du groupe des élèves catholiques, animé par le père dominicain Thomas Suavet, ancien élève des Arts et Métiers qui allait être un des principaux représentants d’Économie et Humanisme.

Son diplôme obtenu il entra chez Caudron-Renault à Boulogne-Billancourt, le 17 juillet 1941. Accueilli par le responsable technique Étienne Longchamp, ancien élève des Arts et Métiers qu’il connaissait, il commença comme stagiaire ouvrier à l’atelier de chromage, puis, après un passage dans divers services techniques, il fut affecté au département des traitements électrolytiques. Début 1943, l’entreprise, qui produisait du matériel pour les Allemands, envoya plusieurs milliers d’ouvriers en Allemagne au titre du STO. Raymond Vatier, en mars 1943, fit partie d’un groupe de huit dessinateurs projeteurs et ingénieurs désignés par la direction de Renault, sur ordre de l’occupant, pour travailler à Mannheim, dans un établissement de la société Daimler-Benz. Selon Jean Hubert, secrétaire général des usines Renault, ce transfert, présenté initialement comme un soutien au personnel déporté, était un leurre destiné à faire croire à l’arrêt des activités du bureau d’études en France. Avec la complicité de prisonniers d’origine polonaise, employés comme ouvriers dans l’usine, l’équipe de Renault sabota la mise au point de la ligne de montage et, à l’arrivée des américains en 1945, elle n’était pas encore en état de fonctionner. De retour en France au printemps 1945, Raymond Vatier participa à l’animation des services sociaux dirigés par Étienne Longchamps, avant que ces activités soient reprises par le comité d’entreprise, créé par le décret de nationalisation. Raymond Vatier suivit alors Étienne Longchamps au département chromage, nickelage et traitements électrolytiques dont il fut le responsable technique. Pour parfaire ses connaissances dans ce domaine, il suivit les cours d’Irène Joliot-Curie à la Sorbonne. Parallèlement à ses activités professionnelles, comme de nombreux ingénieurs, il assura les cours à l’école d’apprentissage Renault où il enseigna le dessin industriel et le droit social.

Lorsque les activités sociales et syndicales redevinrent légales, la CGT occupait une position dominante chez les ouvriers et la CGC chez les cadres. Un groupe de jeunes cadres, refusant les orientations de la CGC qui revendiquait des allocations sociales hiérarchisées, prit contact avec la CFTC ultra minoritaire et fut en relation avec Gérard Espéret, responsable de la métallurgie parisienne CFTC et formateur à l’Institut de culture ouvrière, créé par Albert Bouche. Son charisme impressionna Raymond Vatier qui décida de se présenter sur la liste CFTC. Il fut élu représentant des cadres aux élections des délégués du personnel de juillet 1947. Il poursuivit ses contacts avec l’Institut de culture ouvrière en intervenant comme formateur en droit social. En mars 1950, il fit partie de la douzaine d’ingénieurs qui s’associèrent à la grève du personnel ouvrier, qui dura trois semaines. Un tract, rédigé par ce groupe, reprit une phrase de l’éditorial signé par le président Pierre Lefaucheux, publié trois mois plutôt dans le Bulletin technique des agents de maîtrise : « J’espère ne jamais avoir à entrer en conflit avec les travailleurs de l’entreprise ». Raymond Vatier était le rédacteur de cet éditorial signé du PDG ; Pierre Lefaucheux lui dit : « Vatier, le coup du tract, il est vache, mais c’est régulier. » Et les deux hommes eurent de bonnes relations.

Au cours de cette période, une communauté chrétienne animée par deux prêtres-ouvriers de la Mission de Paris, Bernard Tiberghien et Charles Pautet, joua un rôle important : la Frater. Disposant d’un petit pavillon, à proximité de l’usine Renault de Boulogne-Billancourt, elle contribua à des échanges entre personnes issues de milieux sociaux et professionnels très divers : habitants du quartier, militants syndicaux de Renault, équipes d’action au travail de la JOC, cadres techniques et supérieurs. L’activité commençait le matin par la participation à la messe, avant le début du travail, et se poursuivait dans la soirée par des réflexions variées sur les Écritures ou le dernier ouvrage de Teilhard de Chardin. Raymond Vatier découvrit la communauté en accompagnant son ami Étienne Longchamp, membre du groupe catholique des Arts et Métiers, et y retrouva des camarades de la CFTC comme Pierre Tarrière. Il y fit la connaissance de Marie-Louise Jouvelet, comptable chez Renault, ancienne déportée et résistante. La condamnation de l’expérience des prêtres-ouvriers par Rome en 1954 entraîna son détachement progressif de l’Église. En 1951, Jean Myon, le jeune chef du personnel promu à ce poste par Pierre Lefaucheux, le nomma responsable de la formation de la maîtrise puis, plus tard, chef du service d’études des problèmes du personnel. Pour la formation de la maîtrise, il s’inspira des méthodes américaines TWI-training with Industrie de Robert Dooley, des principes de l’entraînement mental expérimentées par Joffre Dumazedier et l’association « Peuple et Culture », mouvement d’éducation populaire issu de la Résistance. Il collabora avec les chercheurs [Georges Friedmann-24545], Jean-Marcel Jeanneney, Alain Touraine et Jean-Daniel Reynaud, pour étudier les questions soulevées par l’emploi, l’organisation du travail et les pratiques sociales. Il prépara, puis participa au côté de la direction, aux négociations de l’accord d’entreprise de 1955 qui aboutit à la mensualisation des salaires ouvriers, à l’institution d’une troisième semaine de congés payés, à la création d’un régime de retraite complémentaire pour les ouvriers, les employés, les techniciens dessinateurs et agents de maîtrise, à l’ouverture d’une fonction d’analyse ergonomique des postes de travail et à la création d’un jury de promotion du personnel au statut de cadre. Les résultats de l’accord Renault de 1955, et les institutions qui en résultèrent, contribuèrent à bâtir la réputation de Renault, vitrine sociale. Raymond Vatier fut un acteur actif de son déploiement. En 1959, il fut nommé membre de section au Conseil économique et social pour étudier la question de la promotion sociale. Il participa aux travaux de l’association des directeurs du personnel (ANDCP), qu’il présida de 1962 à 1968. Raymond Vatier fédéra, autour de Renault, les responsables du personnel de plusieurs entreprises qui créèrent un centre commun de formation des cadres techniques sur le modèle du College of Aeronautics de Cranfield en Angleterre et du Centre universitaire de coopération économique et sociale (CUCES) de Nancy (Meurthe-et-Moselle) que dirigeait Bertrand Schwartz. Ouvert initialement avec les moyens financiers de la Régie Renault, il évolua en 1960 et devint le Centre d’études supérieures industrielles (CESI), à l’initiative de cinq grands groupes industriels : Renault, Télémécanique, Snecma, Chausson et la CEM (Compagnie électromécanique) afin de promouvoir, par la formation, des techniciens à des postes d’ingénieurs. Il devint alors directeur général du CESI pilotant le développement de l’institution avec la création des premiers établissements décentralisés de Lyon en 1962, d’Arras en 1966. Il eut à cœur de développer une pédagogie novatrice, accordant une place importante aux sciences humaines et à la gestion. En 1966, une structure de gouvernance tripartite fut mise en place. Le conseil d’administration était composé de représentants des pouvoirs publics, de l’UIMM, du Medef, de plusieurs entreprises et des cinq organisations syndicales représentatives des cadres. La présidence étant assurée soit par un employeur soit par un syndicaliste, mais, à la différence de nombre d’institutions paritaires où la rotation des responsables était commandée par un respect administratif de l’alternance, au CESI la motivation et la compétence étaient essentielles. Les responsables de l’UCC-CFDT occupèrent très souvent le poste : Yves Lasfargue, Marie-Odile Paulet, François Fayol, Jean-Paul Bouchet. Le CESI compte aujourd’hui (2016) vingt et un centres en France, deux à l’étranger, en Algérie et en Espagne et forme mille deux cents ingénieurs par an et entretient des partenariats avec cinquante universités à travers le monde entier. Raymond Vatier fut vice-président de la société des anciens élèves des Arts et Métiers, de 1967 à 1969, alors que Pierre Lienart ancien responsable des cadres CFTC puis CFDT et des cheminots CFTC en était président de 1968 à 1971. Pendant son mandat, Raymond Vatier présida la commission enseignement, apportant son expérience à la réflexion sur l’évolution de la formation des gadzarts, responsabilité qu’il occupa à nouveau de 1984 à 1985.

En 1970, il fut sollicité par Olivier Guichard, le ministre de l’Éducation nationale du gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, pour créer le poste de directeur délégué à l’orientation et à la formation continue. Il reçut les encouragements de tous les interlocuteurs rencontrés précédemment lors de l’aventure du CESI, Roger Louet de FO, André Jaeglé de la CGT, François Ceyrac du CNPF, et accepta. Il s’agissait de mettre en œuvre l’un des acquis des accords de 1968 sur la formation permanente. Il participa à l’élaboration des orientations du Ve plan, sous le pilotage de Jacques Delors, puis à la rédaction des propositions de la loi de 1971 organisant la formation professionnelle continue. Cette création se heurta à de nombreuses oppositions. Ainsi, les comités de défense de la république de Dijon écrivaient : « De véritables “commandos” politiques, chargés d’encadrer les élèves afin de rendre plus efficace le travail d’endoctrinement auquel ils sont déjà soumis, vont s’infiltrer dans les lycées. C’est ce que va permettre une mesure actuellement en préparation au ministère de l’Éducation nationale, annoncée ces jours derniers par une conférence de presse. L’instigateur en est M. Vatier, le directeur délégué à l’orientation et à la formation continue. » En 1972, Joseph Fontanet succéda à Olivier Guichard. Le nouveau ministre et son conseiller social Raymond Soubie étaient moins favorables à cette évolution. Les GRETA (Groupement d’établissements scolaires mutualisant leurs moyens et leurs équipements) furent néanmoins créés en 1974. Raymond Vatier se heurta aux pesanteurs de l’Éducation nationale et à l’opposition des syndicats enseignants ; il ne put mettre en œuvre les leçons de l’expérience du CESI : l’implication des partenaires sociaux. Malgré cela, l’institution prospéra et les structures d’accompagnement furent créées : le centre d’études et de recherches sur les emplois et les qualifications (CEREQ), l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (ONISEP) et l’Office français des techniques modernes d’éducation (OFRATEME) ainsi que les conseillers en formation continue (CFC). Sept cent vingt enseignants bénéficièrent de stages en entreprises. N’étant pas confirmé à son poste de directeur par Joseph Fontanet, il quitta l’Education nationale 1974. Il put alors se consacrer à l’institution Entreprise et personnel, qu’il avait créée en 1967 et qui était dirigée par Robert Bosquet. Il intervint dans de nombreuses entreprises pour accompagner la mise en place du bilan social par le ministre du Travail Robert Sudreau en 1977. En 1983, il fonda le cabinet Expertise et audit social, puis, en 1982, pour échapper à la mainmise sur le cabinet par le groupe américain Hay, il fonda, avec le professeur Pierre Candau, l’Institut international d’audit social qui s’appuya sur les universités françaises d’Aix-en-Provence, de Toulouse et sur l’ESSEC. Il en fut le président en 1983. L’institut tint régulièrement des universités d’été et attribua depuis 2010 le prix Raymond Vatier à des candidats ayant réalisé et formalisé, sous forme de mémoire ou de thèse, un travail de recherche sur la pratique de l’audit social. Pour le compte du bureau international du travail (BIT), Raymond Vatier fut chargé, de 1963 à 1977, de missions de contrôle et d’assistance en Amérique latine (au Vénézuela, en Colombie et au Pérou) et en Afrique (en Côte-d’Ivoire) en lien avec les actions de l’ONU en faveur de la formation dans des pays en voie de développement. Il présida également de 1974 à 1979, la fédération d’Ile-de-France du Crédit Mutuel.

Raymond Vatier fut élu conseiller municipal à Vauhallan (Essonne) en 1976 puis à Villiers-le-Bâcle (Essonne) de 1992 à 2004, sur des listes d’action locale et devint chaque fois maire adjoint de ces deux communes. Il participa à la constitution de la Communauté d’agglomération du Plateau de Saclay, un lieu où se multipliaient des entreprises consacrées aux technologies de pointe, les centres universitaires et les grandes écoles. En 2016, il préside le conseil de vie sociale de la résidence ORPEA, où il réside depuis 2009, et est président de l’ASPEN.

Il avait épousé Marie-Louise Jouvelet le 13 janvier 1947 dans l’église de l’Immaculée Conception à Boulogne-Billancourt L’ayant connue à la Frater, le mariage fut célébré par les deux prêtres-ouvriers de la communauté. Marie-Louise Jouvelet avait subi, lors de sa déportation en Allemagne, une stérilisation eugénique prévue par la loi nazie du 14 juillet 1933 pour la préservation de la race arienne. Le couple adopta trois enfants Jean-Paul, Élisabeth et François. Jean-Paul mourut le jour de ses dix huit ans, au cours d’un voyage en stop, victime d’une agression alors qu’il revenait de superviser l’installation d’un camp scout en province.

Raymond Vatier était officier de la Légion d’Honneur, officier de l’Ordre national du Mérite, Commandeur des Palmes académiques et Médaille d’or de l’enseignement technique.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182155, notice VATIER Raymond, Louis par Pierre Alanche, version mise en ligne le 29 juin 2016, dernière modification le 19 août 2022.

Par Pierre Alanche

Raymond Vatier, directeur du CESI
Raymond Vatier et sa famille

ŒUVRE : Développement de l’entreprise et promotion des hommes, Édition de l’entreprise moderne, 1960, réédité en 1968. — Ingénieurs et techniciens de la mécanique, Presses universitaires de France, 1962. — Avec Robert Bosquet, L’homme dans la société contemporaine, Édition Dunod, 1965. — Le perfectionnement des cadres, coll. « Que sais-je » Presses universitaires de France, 1969. — Ouvrir l’école aux adultes, L’Harmattan, 1971. — Audit de la gestion sociale, Les Éditions d’organisation, 1988. — Encyclopédie du management, contribution au tome I, chapitre « Audit social », Vuibert, 1991. — Ouvrir l’école aux adultes, préfaces d’Antoine Prost et Jean-François Cuby, L’Harmattan, 2008. — Formation continue : utopie en 1970, urgence en 2012, EMS in QUARTO, 2011. — Encyclopédie des ressources humaines, t. II de l’ouvrage collectif au sein du groupe Térence, sous la direction de Régis Ribette, Les Éditions d’organisation, 1993. — L’aventure d’un gamin des trente glorieuses, ANACFOC Publications, à paraître en juin 2016.

SOURCES : Archives confédérales CFDT (fond Renault, fond André Soulat). — Robert Kosman, « Entretien avec André Soulat », Renault HistoireI, n° hors série, mars 2003. — Cyrille Sardais, « Pierre Lefaucheux au quotidien », Renault Histoire, 32, avril 2015. — Cyrille Sardais, Patron de Renault-Pierre Lefaucheux (1944-1955), Presses de Sciences Po, 2009. — Richard Lick, Mémoire de la formation. Histoire du Cesi, les Éditions du Cesi, 1996. — Marc Uhalde, L’utopie au défi du marché, 50 ans de développement du Cesi, L’Harmattan, 2010. — André Caudron, « Bernard Thiberghien, fils de patron et prêtre-ouvrier », p. 146-147, Chrétiens et Ouvriers en France 1937-1970, Éditions de l’Atelier, 2001. — Claude Dubar, Charles Gadéa, La promotion sociale en France, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1999. — Archives de la Société des ingénieurs des Arts et Métiers. — Entretiens mai et juin 2015.

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