VICO Francis, Roger, Jean-Marie

Par Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule

Né le 30 mars 1922 à Audrieu (Calvados), mort le 1er mars 1990 à Montluçon (Allier) ; tailleur de pierres ; prêtre de la Mission de France, prêtre-ouvrier ; résistant ; secrétaire général du syndicat CGT du Bâtiment de l’Allier ; membre du secrétariat départemental du Mouvement de la Paix.

Fils de Roland Jean Marie Aimé Vico, cultivateur, et de Francine Jeanne Augustine Leneveu, Francis Vico, deuxième enfant d’une fratrie de sept, fit des études au petit séminaire qu’il quitta à l’âge de seize ans pour devenir magasinier et aider son père qui venait de faire faillite. Il adhéra alors quelque temps à la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) où il fit l’expérience de la solidarité. Souhaitant depuis longtemps devenir prêtre, il entra en 1941 au séminaire de Bayeux (Calvados) et y demeura jusqu’à sa réquisition en 1942. Réfractaire, il prit le parti de vivre de petits emplois avec des faux papiers, s’occupant notamment de faire évacuer des enfants de la banlieue ouvrière de Caen menacés par les bombardements. Il avait rejoint la Résistance comme les autres membres de sa famille : son père fut déporté à Mathausen, sa mère arrêtée et détenue en prison pendant trois mois, ses frères et sœurs avaient rallié l’« Organisation civile et militaire » et « Centurie ».

En 1945, Francis Vico fit le choix de ne pas continuer ses études à Bayeux mais de les poursuivre au séminaire de la Mission de France, à Lisieux, qui avait ouvert ses portes en 1942 et dont la formation novatrice correspondait davantage à ses aspirations apostoliques. Ordonné prêtre le 13 mars 1948, il exprima le désir de « servir l’Église en contribuant par toute sa vie à la rendre présente parmi les travailleurs ». Il fut alors envoyé à Limoges dans l’équipe des prêtres-ouvriers, composée d’Henri Chartreux, André Chavaneau, Guy Albert, Paul Mariotte et de son supérieur, Joseph Rousselot, qui allait peu à peu se détacher du travail ouvrier dans la porcelaine pour se consacrer à la rédaction de sermons radiophoniques et fonder la paroisse Sainte-Thérèse.

Afin de s’immerger dans la vie ouvrière et de partager totalement son mode de vie, Francis Vico se fit embaucher au service de nettoiement de la ville, puis de fin 1948 à janvier 1950 au barrage de Vassivière où il fora un canal de dérivation et cohabita en baraquement avec des manœuvres italiens, espagnols, portugais et maghrébins. Son expérience du travail ouvrier lui fit prendre conscience de la nécessité d’acquérir une qualification. Il suivit alors une formation professionnelle pour adultes (FPA) à l’issue de laquelle il obtint un CAP de tailleur de pierre. Désormais ouvrier qualifié du bâtiment, il accepta de prendre des responsabilités syndicales et devint secrétaire général CGT du Bâtiment de l’Allier et membre du bureau de l’Union départementale CGT. Par ailleurs, très au fait du contexte politique, il avait adhéré au Mouvement de la Paix et défendait ses positions.

Toutefois, sa vie d’ouvrier militant était indissociable de sa vie de prêtre. Il avait succédé à Joseph Rousselot comme chef d’équipe et ressentait – comme les autres membres de l’équipe – le besoin d’approfondir son engagement apostolique auprès de théologiens, notamment auprès des dominicains Henri Féret et Marie-Dominique Chenu. Il occupait une partie de ses loisirs en retraites et en réunions avec des prêtres-ouvriers d’autres villes, notamment à l’occasion des rencontres organisées par l’équipe nationale dont Jean-Marie Marzio était le secrétaire. Il fit peu à peu le constat que des tensions surgissaient entre les prêtres-ouvriers et Mgr Rastouil, l’évêque de Limoges, qui désapprouvait leur militantisme syndical et politique dans des organisations proches du Parti communiste, et mesura, à partir de 1953, les menaces qui commençaient à peser sur la mission des prêtres-ouvriers. Lorsque l’Église demanda aux prêtres-ouvriers d’arrêter le travail en usine ou sur les chantiers du bâtiment, Francis Vico avec tous les membres de son équipe (sauf un) signa le Manifeste des 73 qui fut publié le 2 février 1954 contestant les mesures prises à leur égard. Le 14 février, il adressa une longue lettre à son évêque où il disait combien l’écart se creusait entre la hiérarchie catholique et eux concernant la conception du sacerdoce : « La parution de notre déclaration aux travailleurs, si elle est claire et sincère vis-à-vis de nos frères ouvriers, ne peut que vous laisser insatisfait quant aux motifs de telles décisions. Il est donc nécessaire que nous reprenions un dialogue très difficile… »

Dans un premier temps, Francis Vico n’obtempéra pas au diktat de la hiérarchie et continua à travailler. Déçu, blessé, en tout cas profondément déchiré, il lui fallut plusieurs mois pour passer de la condition d’« insoumis » à celle de « soumis » selon les termes de l’Église. Après avoir passé deux mois à l’abbaye d’Ardenne à Caen (Calvados), il écrivit le 2 mars à Jean Vinatier, alors supérieur de la Mission de France : « Bien sûr il est anormal d’attendre indéfiniment et de vouloir coûte-que-coûte construire un procédé d’évangélisation selon ses goûts, ses désirs, ses recherches personnelles. À un tel tournant de la marche de l’Église, devant une telle volonté des archevêques français de chercher avec audace et sens strictement évangélique, une attitude boudeuse et dédaigneuse m’apparaît malhonnête et peu adroite même, cela ne sert pas un avenir qui sera rapide ou lent selon que nous y irons avec optimisme. […] On ne peut plus traîner dans les demi-mesures. Il ne s’agit pas de relier le passé en ce qu’il a de valable, de penser que notre vie, notre tache, étaient des erreurs, non. Mais il faut montrer que c’est l’Église qui est première en nos cœurs, en nos intelligences. [...] C’est un pas pénible dans l’obéissance et c’est le seul moyen en nous sauvant de sauver l’Église et sa mission d’évangélisation. » Mgr Rastouil lui sut gré de sa « conversion ».

Jugeant inopportun de revenir à Limoges, il décida alors de rejoindre les ouvriers du barrage de Serre-Ponçon ayant obtenu l’autorisation de l’évêque de Gap qui lui confiait « une mission d’étude sur ce qui peut se faire pour le service religieux de la population déjà présente et ultérieurement pour celle qui viendra au fur et à mesure du déroulement des travaux ». Il accepta de remplir les fonctions de vicaire économe d’Espinasses (Alpes-Maritimes). Très vite il entra en contact avec des militants des syndicats et des responsables départementaux du Parti communiste qui connaissait son passé d’ouvrier du bâtiment, de délégué du personnel, de membre de la commission paritaire de sécurité, d’apprentissage mais aussi sa soumission à l’Église. Il fut bientôt rejoint par d’autres prêtres-ouvriers de la Mission de France, Paul Chiron et Robert Minvielle, et put progressivement retrouver une activité professionnelle : « Nous avons travaillé à la belle saison (culture) puis après pour l’EDF (travaux de nettoyage) ». Il restait en contact avec les anciens prêtres-ouvriers « soumis », conscient des vieilles querelles de tendance : primauté du quartier et de la communauté de foi (André Depierre), primauté du travail et de sa lutte revendicative (les prêtres des barrages) ou celle du travail sans lutte syndicale (Pierre Tiberghien).

En juillet 1959, quand l’Église interdit une nouvelle fois à tout prêtre d’avoir une activité professionnelle, Francis Vico travaillait avec Paul Chiron au barrage de Serre-Ponçon. Il décida de partir et rejoignit une équipe de la Mission de France à Toulouse. En septembre 1960, il accepta d’aider l’équipe de Saint-Ausone dans les faubourgs d’Angoulême (Charente). Là, il fit quelques chantiers pour des bâtiments paroissiaux, un foyer de jeunes travailleurs, travaillant trois jours par semaine ou par demi-journées (travail non déclaré). Habitant la chapelle du quartier, il animait une équipe engagée syndicalement et politiquement en dialogue avec des marxistes et la laïcité, participait aux rencontres d’évangélisation de la ville et était chargé d’une commission « Dialogue avec les incroyants ». Toujours militant du Mouvement de la Paix, il accepta d’y avoir des responsabilités. Il fut élu lors de son congrès départemental en mai 1962 au conseil départemental et désigné comme l’un de ses quatre secrétaires. Il s’investit dans la préparation des états généraux, la constitution du comité départemental contre la force de frappe et pour le désarmement général.

En 1965, alors que le concile Vatican II allait autoriser un petit nombre de prêtres à travailler à nouveau à plein-temps en usine ou sur des chantiers, Francis Vico, de sa propre initiative, s’embaucha comme chef de chantier et participa à une session départementale CGT. Las depuis cinq ans de ne pas pouvoir partager les responsabilités avec des militants et ayant demandé en vain à la Mission ouvrière de le réintégrer dans « la seule forme de vie possible », il avait choisi la condition de salarié. La riposte fut immédiate de la part de l’évêque du diocèse qui lui reprocha de le mettre devant le fait accompli et d’avoir eu « une attitude purement personnelle qui consiste à prendre ces décisions en fonction d’intérêts propres sans égard à tout le contexte ecclésial ». L’évêque demanda son départ du diocèse.

Francis Vico allait désormais être chef de chantier à Montluçon et curé à Désertines (Allier). Assez rapidement, il souhaita réduire son temps de travail pour s’occuper de taches pastorales allant de l’aumônerie d’équipes enseignantes à de multiples façons de s’attacher à former des hommes conscients de leurs devoirs – ce qu’il considérait comme les premiers pas de l’évangélisation. Il anima beaucoup de débats entre chrétiens et marxistes, partagea largement son temps avec des militants, reprenant devant des auditoires divers certaines thèses de Roger Garaudy ou de Jean-Yves Calvez ou commentant les dernières encycliques. Il était progressivement passé à une conviction, très theillardienne, d’un certain triomphe du Christ à travers la restructuration de l’univers estimant que l’effort humain était une participation à une création nouvelle.

En septembre 1989, il démissionna de la paroisse de Désertines pour raisons de santé. Il vécut alors au rez-de-chaussée d’une cité ouvrière – la cité Dunlop – datant de la Première Guerre mondiale au milieu de « gens simples et immigrés » selon ses propres mots. Avant de mourir d’une crise cardiaque, le 1er mars 1990, il avait écrit à Stan Rougier, prêtre de la Mission de France, qui voulait publier des témoignages, que toute sa vie avait consisté « à rejoindre les deux bouts : être pleinement dans la vie et les espérances ouvrières, être pleinement dans le sens de l’Église un prêtre avec les autres prêtres et avec tous les chrétiens… »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182161, notice VICO Francis, Roger, Jean-Marie par Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 29 juin 2016, dernière modification le 26 juillet 2022.

Par Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule

ŒUVRE : Texte inédit « Un prêtre au barrage (Peyrat-le-Château) », 1949 ; de nombreux poèmes. — Quelques articles dont : « Témoignage : l’Église pour le monde ouvrier », Lettre aux communautés, septembre-octobre 1970 ; « Les ombres de ce temps-là », Lettre aux communautés, mai-juin 1978.

SOURCES : Archives de la Mission de France. — Stan Rougier, Prêtres de la Mission de France, Paris, Centurion, 1991. — Mémoire vivante 1988-1991, supplément au Courrier P.O., 1995. — Louis Pérouas, Prêtres-ouvriers à Limoges. Des trajectoires contrastées, L’Harmattan, 1996. — Jean Desailly, Prêtre-ouvrier. Mission de Paris (1946-1954), L’Harmattan, 1997. — Jeannette Dussartre Chartreux, Destins croisés. Vivre et militer à Limoges, Karthala, 2004. — Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule, Une histoire de la Mission de France. La riposte missionnaire 1941-2002, Karthala, 2007.

Version imprimable