VIVEZ Jacques, Marie, Pierre, Simon

Par Nathalie Viet-Depaule

Né le 3 septembre 1922 à Argenteuil (Seine-et-Oise, Val-d’Oise), mort le 4 octobre 2004 à La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine) ; prêtre de la Mission de France (1955), prêtre du diocèse de Paris (1963) puis du diocèse de Nanterre (1966), prêtre-ouvrier ; ouvrier du bâtiment ; trésorier CGT du Bâtiment de Haute-Savoie ; conseiller prud’hommal.

Issu d’un milieu bourgeois – petit-fils d’un enfant de troupe en Algérie qui avait immigré en France et avait créé une usine à Argenteuil (Seine-et-Oise, Val-d’Oise), fils de Jean, Louis, Alexis Vivez, industriel qui avait hérité de l’usine paternelle et mettait au point des prototypes –, Jacques Vivez grandit entre la maison de sa grand-mère enclavée dans l’usine et celle de ses parents. Il était l’enfant d’un père voltairien et d’une mère très pieuse. Le premier avait pour livre de chevet Candide de Voltaire, la seconde L’imitation de Jésus-Christ. Scolarisé chez les maristes à Sainte-Marie de Monceau, Jacques Vivez passa le baccalauréat en 1939. Il commença des études de philosophie à l’Institut catholique de Paris qu’il termina à la Sorbonne (licence) avant d’être envoyé dans un chantier de jeunesse à proximité de Chambéry où il fut occupé à couper du bois, puis dut se rendre dans une caserne à Dijon. Lorsqu’il sut qu’il allait être envoyé en Allemagne, il déserta et tenta en vain de rejoindre la Résistance. Il fut alors incorporé dans l’organisation Todt à la ligne de défense sur la Manche où il s’occupait de l’hébergement des jeunes qui étaient réquisitionnés sur les chantiers. Il passa ensuite dans un service du ministère du Travail issu de la Résistance dont le but était d’aider des jeunes sans famille qui avaient été déplacés.

En 1945, il prit la décision d’entrer au tout nouveau séminaire de la Mission de France à Lisieux dont l’orientation missionnaire correspondait à sa volonté d’évangéliser un monde qui s’était émancipé de la tutelle de l’Église, notamment le monde ouvrier. Il disait volontiers que c’était aux cours de catéchisme qu’il avait suivis à la paroisse d’Argenteuil, qu’il avait rencontré des jocistes qui lui avaient ouvert les yeux sur le monde ouvrier et fait prendre conscience des conditions de travail de l’usine de son père. Durant ses études, il fit deux stages comme ouvrier maçon : il fut embauché dans des équipes de travaux publics, la premier pour la reconstruction du pont de chemin de fer d’Argenteuil, la seconde à Gennevilliers pour installer des silos à charbon d’une centrale. Ces expériences professionnelles furent déterminantes. Une fois ordonné prêtre en 1950, Jacques Vivez fut envoyé, avec Gabriel Genthial, auprès de Michel Lémonon – déjà passé au travail à Donzère-Mondragon – pour constituer une équipe de prêtres-ouvriers qui allait prendre le nom d’« équipe des barrages ». Il s’agissait d’être embauché par une des entreprises qui contruisaient les barrages sur le Rhône. Arrivé en août 1950, il se heurta à des refus d’embauche aux barrages de Donzère à Bollène et dut aller à Romans (Drôme) où il trouva du travail comme terrassier pour réparer, nettoyer et poser des égouts chez Verlette et Momée (44h par semaine). Il se syndiqua à la CGT.

Quelques mois plus tard, il fut embauché dans un grand chantier à Tignes, à plus de 2000 mètres d’altitude, toujours comme terrassier. « Ici la mentalité et la misère sont toutes différentes. Le cadre de travail n’est jamais cassé. La cantine, les baraquements. On vient faire le plus d’heures possibles y compris le dimanche pendant quatre mois et les plus sages passent leur hiver grâce à leur été. En ce moment on fait 54h on en fera probablement bientôt 60 avec en plus un dimanche sur deux. » Les conditions de travail étaient difficiles (neige, froid, minage à la main, nombreux accidents du travail) et les menaces de licenciements au fil de l’avancée du chantier déclenchaient des grèves afin de réclamer le reclassement des ouvriers dans d’autres chantiers. Trésorier du syndicat CGT du Bâtiment de Haute-Savoie, Jacques Vivez était aide-maçon et faisait fonction de chef d’équipe ce qui était loin de le satisfaire, car il avait l’impression de ne pas être de plain-pied avec ceux qui travaillaient avec lui. À partir de mai 1952, l’embauche se fit de plus en plus rare et les licenciements de plus en plus nombreux. Licencié de l’entreprise où il travaillait depuis un an et demi, il fit une retraite à Saint-Alban-Leysse à la veille d’une session en présence de Mge Bazelaire et de Mgr Jauffrès et demanda à suivre ses camarades licenciés qui gagnaient les villes des alentours. ll retrouva du travail dans une grosse boîte à Annecy (carrière Vaglio, route de Genève) comme mineur. Logé en dortoir, il était le seul Français. Pierre Morissot le rejoignit et ils se retrouvèrent à faire des fouilles d’un immeuble alors que la terre est gelée à 30 cm. Jacques Vivez fabriqua ensuite des moellons et, poursuivant l’action syndicale, fut envoyé à Paris au congrès de la CGT comme délégué.

Parallèlement, Jacques Vivez participait aux réunions avec les autres prêtres-ouvriers des barrages (Michel Lémonon, Gabriel Genthial, Pierre Moussot, Paul Froidevaux, Henri Perrin, Jean Cherrier…) et les séminaristes envoyés pour faire des stages. Ces réunions étaient l’occasion de partager leurs expériences de travail et d’analyser leurs manières d’endosser complètement leurs conditions de vie ouvrière afin de témoigner de l’Église, là où elle n’existait pas. Ils se retrouvaient également au couvent des dominicains à Saint-Alban-Leysse où le théologien Humbert Bouëssé les accueillait pour des week-ends pour réfléchir sur le sens de leur sacerdoce. Ils commençaient à mesurer les menaces qui pesaient sur leur ministère notamment lorsque Louis Augros fut contraint d’abandonner ses fonctions de supérieur de la Mission de France. Faisant le constat amer que les évêques connaissaient très mal le monde ouvrier, ils prirent conscience que leurs engagements pastoraux allaient bientôt être désavoués par la hiérarchie catholique. Jacques Vivez et Gabriel Genthial tentèrent d’expliquer le bien-fondé de leur engagement en écrivant, le 10 septembre 1953, à Mgr Liénart, dont ils dépendaient : « Peu à peu, nous avons senti le drame du monde moderne paganisé, en particulier du monde ouvrier “perdu pour l’Église”. Ce monde qui est celui des “pauvres”, les “bien aimés” de l’Évangile. Notre foi s’est éveillée à cette mission, notre vie s’est façonnée à son contact, notre être même s’est transformé. L’équipe s’est incarnée peu à peu dans le monde ouvrier qui est devenu sa propre chair. Le sacerdoce qui anime chacun de nous et sans lequel aucune vie ne nous serait possible a maintenant cette chair ouvrière comme support. Nous ne pouvons plus voir notre sacerdoce séparé d’une vie de travail et d’engagement ouvrier. Nous ne pouvons plus nous situer hors de cette construction du Royaume en plein monde ouvrier et païen. Ce sacerdoce ouvrier nous paraît accroché pour toujours à notre vie. Il n’a été, pour nous, ni une “expérience” ni une permission mais une mission d’Église nous engageant tout entier. »

Lorsque le diktat de Rome signifia la fin de leur action pastorale, Jacques Vivez décida d’obtempérer bien qu’il n’acceptât pas la décision de la hiérarchie catholique. Confondu par cette mesure, mais décidé à faire en sorte que le sacerdoce des prêtres-ouvriers puisse être à l’avenir reconnu comme nécessaire, il passa quelques mois chez un cultivateur puis décida de faire équipe avec Gabriel Genthial et Bernard Striffling à Courbevoie où ils partageaient un logement commun. Tous trois, avec l’accord de leur évêque obtinrent le droit de travailler à nouveau à condition d’être embauchés dans des petites entreprises et de n’appartenir à aucun syndicat. Ils firent alors partie de la Mission de Paris, dont André Depierre était le supérieur, qui tenta à maintes reprises d’infléchir les décisions romaines. Ce fut ainsi que Jacques Vivez se rendit à Rome en août-septembre 1955.

Embauché dans une petite entreprise du bâtiment, Jacques Vivez arrêta d’y travailler lorsque Rome interdit en 1959 à tout prêtre de travailler. Après une brève interruption, il décida, tout comme Gabriel Genthial, de travailler seul chez des entrepreneurs ou des artisans qui lui confiait un petit chantier dans le quartier. Il avait ainsi toute liberté d’organiser son temps, de gagner sa vie et de rester en contact avec les camarades qu’il connaissait. C’était pour lui non seulement une façon d’attendre la relance officielle des prêtres-ouvriers qui allait se produire à la fin du concile Vatican II, mais de penser que la mission devait se poursuivre autrement « en restant fidèle au Christ, en vivant la foi et l’espérance là-dedans, sans tricher. […] Au prix, sans doute, de l’incompréhension, au prix de passer pour des étrangers dans sa propre maison. Mais au prix, aussi, de participer à l’immense marche des petits, des exploités, au nom de l’Église, même si elle en semblait absente. »

À la suite du concile Vatican II, Jacques Vivez reprit une activité salariée dans une entreprise qui se restructura plusieurs fois et où, pendant douze ans, il fut amené à prendre des responsabilités syndicales importantes à la CGT, comme celle de secrétaire, justifiant son engagement en disant : « Comment dire que j’étais croyant et ne pas réagir devant ce qui se passait ? Comment aimer les gens en acte et en vérité sans s’engager pour changer leur sort immédiat ? » Une fois à la retraite, Jacques Vivez accepta pendant quinze ans de tenir une permanence juridique, ce qui le conduisit à être juge prud’hommal pendant sept ans à Nanterre (Hauts-de-Seine). Seul depuis la mort de ses deux compagnons, Gabriel Genthial et Bernard Striffling, marchant avec difficulté, il finit ses jours dans une maison de retraite à La Garenne-Colombes. Il avait une sœur, Jeanne-Marie Vivez, qui avait choisi, elle aussi, de se consacrer au monde ouvrier en vivant dans une petite communauté qui avait adopté des enfants.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182165, notice VIVEZ Jacques, Marie, Pierre, Simon par Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 29 juin 2016, dernière modification le 21 octobre 2018.

Par Nathalie Viet-Depaule

SOURCES : Arch. nationales du CAMT à Roubaix. — Arch. de la Mission de France, Le Perreux. — Arch. historiques du diocèse de Paris, fonds Feltin, Frossard et Daniel. — Louis Augros, De l’Église d’hier à l’Église de demain, Les Édition du Cerf, 1980. — Charles Suaud, Nathalie Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve (1944-1969), Karthala, 2004. — Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule, Une histoire de la Mission de France. La riposte missionnaire 1941-2002, Karthala, 2007. — Entretiens avec Jacques Vivez, 1998-1999. — Notes de Michèle Rault.

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