LEI Feng 雷鋒

Par Jean-Pierre Maurer

Né en 1939 ou 1940 dans le xian de Wangcheng au Hunan ; mort électrocuté en 1962. Ouvrier modèle objet d’un culte à partir de 1963 : Lei Feng ou l’exaltation de la vie ordinaire sous Mao Tse-tung.

Lei Feng, travailleur et soldat modèle, parangon des vertus maoïstes, est né selon son hagiographie le 8 décembre 1940 (ou le 30 décembre 1939) dans une famille de paysans pauvres de la sous-préfecture de Wangcheng, près de Changsha (Hunan). Son père victime du Guomindang, ses deux frères morts de faim et de mauvais traitements, sa mère suicidée, le laissent orphelin à sept ans. Il est employé modèle de l’administration de son canton à seize ans, puis conducteur de tracteur. Il entre en 1957 à la L.J.C. et en devient membre modèle. Envoyé en 1958 à l’aciérie d’Anshan (Liaoning), il y gagne 18 fois le titre d’ouvrier modèle. Il entre en janvier 1960 dans l’armée (région militaire de Shenyang) et s’y distingue comme conducteur de camion modèle, cité plusieurs fois pour service émérite notamment comme « combattant aux cinq mérites » (la campagne d’émulation lancée par Lin Biao (林彪) dans l’A.P.L. en octobre 1960). Admis au Parti en novembre 1960, il est élu en 1961 à l’assemblée populaire de Fushun. Très jeune lieutenant, commandant un peloton de transport d’une unité du génie de Shenyang, il meurt le 15 août 1962 quand l’un des camions qu’il dirigeait fait tomber sur lui une ligne électrique qui l’électrocute.
Cette mort en service commandé marque, dans sa légende officielle, la fin d’une vie faite de dévouement, de service désintéressé d’autrui et d’humilité. Ainsi, après avoir tout jeune sauvé en plein hiver un camarade tombé dans un étang, cherche-t-il plus tard à aider le peuple anonymement à tout instant : il aide les vieillards, enseigne les illettrés, encadre de jeunes pionniers, épaule les ouvriers, instruit ses camarades dans l’étude de la technique ou de Mao, raccommode la couverture d’un de ses soldats, lutte à main nue, et malade, contre l’inondation, donne ses économies à une commune populaire sinistrée, achète le billet de chemin de fer d’une vieille femme affolée d’avoir perdu le sien, et refuse alors de se présenter autrement que comme « un soldat de l’A.P.L. », envoie un mandat au père malade d’un ami au nom de celui-ci, etc. Il se distingue aussi comme zélateur de Mao, dont il n’hésite pas à relire les œuvres. On publie ses carnets, dont on diffuse cet extrait justement fameux : « Être une vis qui ne rouille pas. Une vis n’attire pas l’attention, mais une machine sans vis ne fonctionne pas ».
Lei Feng fait partie du second type de héros dont le culte est nécessaire à la Chine communiste : les grands fondateurs et les humbles martyrs. Son culte marque bien le caractère volontariste du régime maoïste ; il dépend typiquement, aussi, du contexte politique. Lei Feng est lancé en mars 1963. Il s’agit pour Mao de réagir contre l’économisme qui a suivi la faillite du Grand Bond en avant ; et c’est l’A.P.L. de Lin Biao qui a mission de montrer la vraie voie maoïste, en particulier la priorité à donner aux incitations non matérielles au travail. Lin Biao prépare l’armée à cette tâche depuis octobre 1960, début de la campagne des « quatre bons » collectifs et des « cinq bons » individuels. Mao, lui, lance la campagne d’émulation à l’échelle de la nation par son slogan célèbre du 5 mars 1963 « prendre exemple sur le camarade Lei Feng », pour apprendre l’abnégation et le service gratuit à ce peuple chinois encore trop égoïste et matérialiste. Puis la nation est invitée en février 1964 à « apprendre de l’armée », et de Lei Feng en particulier.
Le culte de Lei Feng connaîtra des hauts et des bas, au gré de la houle de la politique intérieure, culminant en 1963-1964, puis en 1966 au début de la Révolution culturelle, reprenant pour le dixième anniversaire de l’appel de Mao en 1973. Après la relance qui a eu lieu en 1977 (la « Bande des Quatre » étant alors accusée d’avoir freiné le mouvement), le culte se poursuit indépendamment de la démaoïsation économique et idéologique et malgré l’indifférence ou les ricanements de la population. En 1979 et 1980, le symbole maoïste paraît s’effacer des media officiels. Mais, à partir de 1981, la morale et la « civilisation spirituelle » socialistes reviennent à l’ordre du jour. Le personnage de Lei Feng est alors une nouvelle fois appelé à la rescousse. Certes, il n’occupe plus la prééminence. A l’héroïne Zhang Zhixin, martyrisée par la Bande des Quatre, ont succédé des modèles mieux adaptés aux temps nouveaux, par exemple Zhang Haidi, une infirme devenue polyglotte. A côté de ces nouveaux modèles, Lei Feng symbolise le retour au moralisme officiel ainsi qu’une continuité certaine entre la Chine de Mao et celle de Deng Xiaoping.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182324, notice LEI Feng 雷鋒 par Jean-Pierre Maurer, version mise en ligne le 8 novembre 2016, dernière modification le 8 novembre 2016.

Par Jean-Pierre Maurer

SOURCES : Guillermaz (1972). — Wakeman (1973). — La Chine, n° 4, 1963. — Gittings in CQ, 1964, n° ,18. — Hongqi (Le drapeau rouge), n° 3, 1977. — RMRB, 1er décembre 1964. Pékin Information, 12 décembre 1973, 18 avril 1977. — Sheridan, Mary, in CQ, n° 33, 1968. — Voir aussi le Musée Lei Feng, près de Gaotangling (Wangcheng), à 30 km au nord- ouest de Changsha (Hunan).

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