SEIGNEURET Joseph, Hippolyte

Par Michel Cordillot et Gauthier Langlois

Né à Fontainebleau (Seine-et-Marne), le 7 mars 1819 ; mort à Henderson, comté de Sibley (Minnesota) autour du 15 avril 1899 ; docteur en médecine, puis licencié en droit ; deux fois marié et père de trois enfants ; journaliste quarante-huitard ; condamné en Haute Cour pour sa participation à la journée du 15 mai 1848 ; exilé à Jersey, puis aux États-Unis, où il prit part aux guerres indiennes ; franc-maçon.

Joseph Seigneuret photographié à Jersey en 1853 ou 1854
Joseph Seigneuret photographié à Jersey en 1853 ou 1854
(Source : Maison de Victor Hugo - Hauteville House, Album Apslet, f° 8)

Joseph Seigneuret commença ses études dans une institution catholique de Fontainebleau (Seine-et-Marne). Il partit ensuite à Paris à l’âge de 13 ans, et poursuivit sa scolarité au lycée Charlemagne, où il eut pour condisciples le futur familier de Victor Hugo Auguste Vacquerie (1819-1893). Après l’obtention de son baccalauréat à 17 ans, il commença par faire des études de médecine et obtint son diplôme en 1841 (pour lequel il reçut une équivalence de l’Université de Pennsylvanie à Philadelphie le 7 janvier 1868).

Membre de la Société des Droits de l’Homme clandestine, il participa à deux tentatives de conspirations républicaines. Compromis en 1840 dans l’affaire de la machine infernale de la rue Montpensier, il décida alors de faire son Droit, et obtint sa Licence en 1846. Durant cette période, il assista avec assiduité aux réunions ouvrières et populaires, y prenant souvent la parole. En retour, il fut nommé professeur de sociologie à l’Association polytechnique des ouvriers de Paris.

Devenu journaliste républicain-socialiste au lendemain de la révolution de février 1848, il fut le proche collaborateur de Sobrier à la Commune de Paris de mars à mai 1848. Entre les 12 et 14 mai, il rédigea un projet contenant divers décrets prévoyant la fondation d’un Comité de Salut public dans la foulée de la manifestation du 15 mai, à l’organisation de laquelle il travaillait parallèlement (dans le témoignage qu’il adressa à la Haute-Cour, il prétendit que ces décrets avaient été rédigés à l’insu de Sobrier). Le 15 mai, il échappa à l’arrestation grâce à la complicité de son ami Caussidière et se réfugia alors dans le Faubourg Saint-Denis, où il se fit élire brigadier aux Ateliers nationaux de La Chapelle Saint-Denis, sachant que la police n’oserait pas venir le chercher.

En juin, il combattit avec sa brigade sur les barricades du Faubourg Saint-Denis, puis au Clos Saint-Lazare. Dans la nuit du 27, un conseil de guerre des chefs de barricades décida de donner aux derniers combattants l’ordre de dispersion. Seigneuret parvint alors à quitter la France pour se réfugier à Jersey où il épousa, le 10 avril 1849 à Saint-Hélier, la jersiaise Rachel Alexandre.

Suite à sa condamnation à la déportation par la Haute-Cour de Bourges en avril 1849, il ouvrit un cabinet médical à Jersey, ainsi qu’une petite imprimerie. Il fonda à l’intention des Jersiais un hebdomadaire, la Jersey Press, dans laquelle il publia une histoire de cette petite république autonome tout en multipliant parallèlement les recherches archéologiques. Le comité révolutionnaire d’exilés, qu’il présidait, lança par ailleurs un petit hebdomadaire, La Sentinelle du peuple, qui était adressé depuis Dinan aux militants républicains de Paris et de l’Ouest de la France. L’éditorial du 1er numéro, daté du 23 octobre 1851 an IV de la République était signé Édouard Bonnet-Duverdier. La rédaction comprenait aussi Charles Alexandre Leballeur-Villiers, Auguste Lemeille et le propriétaire du journal, Jean Geistdoerfer, négociant-brasseur à Dinan. Au moment du coup d’État du 2 décembre 1851, le journal lança un appel au soulèvement. Les membres du comité révolutionnaire organisèrent même une expédition en France, en sachant que leur tête serait mise à prix et qu’ils risquaient la mort. Mais l’apathie générale les obligea à regagner rapidement Jersey.

Selon un rapport du vice-consul français dans l’île, soixante-seize démocrates se seraient réunis, en août 1853, pour tirer au sort celui d’entre-eux qui frapperait le tyran Napoléon III. Parmi ces hommes dangereux étaient cités : Auguste Le Maout, pharmacien de Saint-Malo, Benjamin Colin du Morbihan, Picquet de la Nièvre, Seigneuret de Fontainebleau et enfin Édouard Bonnet-Duverdier, l’un des amis des Hugo. L’attentat devait être commis aux Tuileries avant la fin du mois. La seule victime — bien réelle — du complot fut un polonais, Charles-Michel Funck, qui, en août 1853, s’était risqué à passer en France avec un faux passeport jersiais et se fit prendre.

Le 21 octobre 1853 Joseph Seigneuret participait à l’assemblée générale des proscrits républicains résidant à Jersey, qui déclara le sieur Julien Hubert comme espion et agent provocateur de la police de Napoléon III.

Après avoir vainement espéré pendant deux ans un sursaut populaire, le docteur décida de partir avec son épouse pour les États-Unis. Avant de partir il fit ses adieux au jersiais Philippe Asplet, l’un des principaux soutiens des proscrits dans l’île, en lui laissant sa photo et un poème manifestant ses convictions politiques :

Ma croyance en partant pour l’Amérique
 
Je crois que l’homme est maître sur la terre
Et qu’à lui seul il doit tout s’imputer
Que, Bien et Mal, et Bonheur et Misère,
Quand il le veut, il peut les enfanter
Que, si l’Europe est un pays d’Esclaves
C’est qu’on est lâche et qu’on veut bien souffrir
La Liberté n’appartient qu’à des braves
Il faut la conquérir
 
Je crois aussi qu’un savant Michel Ange
N’est que l’égal d’un gâcheur de mortier
Que l’aptitude entre les hommes change
Mais que chacun ne fait que son métier.
L’Artiste est nul sans la main du manœuvre,
Chacun produit selon qu’il est doté
De leur concours il résulte un chef-d’œuvre.
Voilà l’égalité
 
Je crois enfin que les hommes sont frères
Français, anglais, indiens, slaves, chinois
De leur bonheur qu’ils sont tous solidaires
En s’entraidant pour étrangler les rois,
Je crois enfin que Clocher et Patrie
Sont de vieux mots, haineux et cetera
Moi, mon clocher c’est la démocratie
J’y vais, car elle est là.

Ayant choisi de rejoindre le front pionnier, il arriva le 21 septembre 1854 à Henderson (Minnesota), et assista deux mois plus tard à l’incorporation du comté de Sibley, où il s’était installé comme docteur.

Lors du soulèvement des Sioux qui se produisit en 1862 pendant la Guerre de Sécession, Seigneuret prit part en tant que chirurgien de brigade à l’expédition dirigée par le général H. H. Sibley. Il fut cité à l’ordre de l’armée dans le rapport n° 10 du général Pope pour son action courageuse lors de la bataille de Wood Lake. Le Président Lincoln ayant décidé l’exécution de 38 des 400 prisonniers indiens, Seigneuret assista à leur exécution et signa leur certificat de décès. Le soulèvement ayant été provisoirement vaincu, il quitta l’armée avec un certificat de conduite honorable en mai 1863.

En juin 1865, il se vit offrir un poste dans les services militaires de santé de la frontière et fut rattaché au Bataillon des volontaires de la cavalerie du Minnesota. Lorsqu’il quitta le service actif le 27 juin 1866, il avait sous sa responsabilité tous les forts avancés, depuis Fort Wadsworth au Dakota, jusqu’à Sauk Centre Stockade au Minnesota.

De retour à Henderson, il reprit sa pratique en ville. Sa santé s’étant détériorée durant le rude hiver 1865-66 passé en campagne, il fut rapidement contraint de limiter ses activités professionnelles, et travailla dès lors essentiellement comme médecin conseil pour le service des retraites des anciens combattants et pour les assurances.

Membre influent et apprécié de la franc-maçonnerie et de plusieurs fraternités locales, il fut aussi un sociétaire très actif de la Société historique du Minnesota.

Son fils Hippolyte Alexander, né le 14 octobre 1855 dans le comté de Sibley, l’assista en tant que pharmacien, avant de devenir comptable. Il avait également eu deux filles.

Divorcé de sa première épouse, il s’était remarié, le 24 décembre 1895, avec Mary Bisson, fille de son compagnon d’exil Hippolyte Bisson. Mort autour du 15 avril 1899, il fut inhumé le lundi 17, à l’occasion d’une cérémonie civile à laquelle assistait néanmoins le Révérend Jansen, un ami proche, membre comme lui de l’association regroupant les anciens combattants de la guerre de Sécession.

Pour la chercheuse américaine Mary Ellen Weller, il existe de nombreux indices concordants et convaincants qui peuvent donner à penser que Victor Hugo se serait inspiré de l’histoire personnelle d’Hippolyte Seigneuret pour créer son personnage de Marius dans Les Misérables.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182397, notice SEIGNEURET Joseph, Hippolyte par Michel Cordillot et Gauthier Langlois, version mise en ligne le 7 juillet 2016, dernière modification le 8 décembre 2020.

Par Michel Cordillot et Gauthier Langlois

Joseph Seigneuret photographié à Jersey en 1853 ou 1854
Joseph Seigneuret photographié à Jersey en 1853 ou 1854
(Source : Maison de Victor Hugo - Hauteville House, Album Apslet, f° 8)

OEUVRE : La Sentinelle du peuple, Dinan, 1851.

SOURCE : Journal des débats politiques et littéraires, 17 mai 1840. — Projets de décrets du Comité de Salut public. Pièces trouvées chez le citoyen Sobrier..., Paris, impr. de J. Frey, sd [1848], in-8°, 4 p. — Compte rendu du Procès de mai, Toulouse, Delboy, 1849. — Maison de Victor Hugo - Hauteville House, Album Asplet, f° 8. — Robert Sinsoilliez, Marie-Louise Sinsoilliez, Victor Hugo et les proscrits de Jersey, Ancre de marine, 2008. — History of the Minnesota Valley, par le Rev. Edward D. Neill, Minneapolis, North Star Publishing Company, 1882, p. 423-25. – Sibley County Independent, 21 avril 1899, p. 8. — A la France. L’agent provocateur Hubert, Jersey : imp. universelle, [1853]. — Victor Hugo, « 1853-L’espion Hubert », Oeuvres inédites de Victor Hugo. Choses vues, 1888, p. 291-330. – Pierre Angrand, Victor Hugo raconté par les papiers d’État.. — Peter Amann, Revolution and Mass Democracy. The Paris Club Movement in 1848, Princeton Univ. Press, 1975. — Note de Mary Ellen Weller.

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