Par Jean-Sébastien Chorin
Né le 15 décembre 1905 à Constantinople (Empire Ottoman, Turquie), massacré le 17 août 1944 à Bron (Rhône) ; de nationalité turque ; marchand forain ; victime civile.
Albert Nathan était le fils de Sintof Nathan et de Sarah Ojalvo. Il avait deux frères, Isaac et Jacques, et une sœur, Esther, nés respectivement en 1906, 1911 et 1917 à Constantinople (Empire Ottoman, Turquie). Marié à Rachel Romi, il eut deux enfants nés à Lyon (Rhône) en 1932 et 1937. Albert Nathan demeura au 37/39 rue des Tables Claudiennes (Lyon, Ier arr.) de 1934 à 1944. Il exerçait la profession de marchand forain en « articles divers » ou en soieries d’après son fils.
Le 6 décembre 1939, Albert Nathan s’engagea à Lyon dans la Légion étrangère pour la durée de la guerre. Il fut incorporé le 8 décembre dans le 3e régiment de marche de volontaires étrangers (devenu 23e R.M.V.E. en mai 1940). Il fut démobilisé le 15 août 1940 avec le grade de soldat de 1ère classe. Ses frères, Isaac et Jacques Nathan, également engagés volontaires à Lyon, furent incorporés dans le même régiment.
Après sa démobilisation, Albert Nathan revint dans ses foyers à Lyon et reprit son activité de marchand forain. En tant que « ressortissant turc » de « religion israélite », contrôlé dans ses déplacements, il fut contraint de faire régulièrement la demande de sauf-conduits ou cartes de circulation pour pouvoir sortir de Lyon et exercer son métier. Entre octobre 1942 et mai 1943, il obtint notamment un sauf-conduit et par deux fois sa prorogation pour se rendre tous les vendredis au marché de Givors (Rhône). Le 4 juin 1943, par contre, la Préfecture du Rhône lui refusa la délivrance d’une carte de circulation temporaire dans les départements du Rhône, de la Loire et de l’Isère malgré le besoin qu’il avait de se déplacer pour travailler.
En avril 1944, Isaac Nathan, le frère de Robert Nathan, fut arrêté à Lyon. Il fut interné à la prison de Montluc (Lyon), transféré à Drancy le 10 mai et déporté le 15 mai par le convoi numéro 73 vers les Pays Baltes. Robert Nathan, inquiet pour son frère, sollicita l’aide d’un voisin policier. Celui-ci l’informa qu’Isaac Nathan était toujours emprisonné à Montluc et lui fit croire qu’un milicien qu’il connaissait pouvait le faire libérer pour 50.000 francs. Albert Nathan réunit toutes ses économies et prit rendez-vous dans un café proche de chez lui. Le 9 mai 1944, jour du rendez-vous, le fils d’Albert Nathan, Robert Nathan, envoyé par sa mère pour observer la scène, vit deux voitures noires stopper devant le bar. Quelques secondes après, Albert Nathan sortit de l’établissement encadré par le policier, un milicien et un individu que Robert Nathan reconnut après-guerre comme étant Paul Touvier. Avant d’être poussé dans une des deux voitures, Albert Nathan aperçut son fils et détourna la tête pour éviter qu’on le repère. Après le départ des véhicules, Robert Nathan partit immédiatement prévenir sa mère. Tous deux retournèrent au bar dans l’espoir de glaner quelques renseignements. Arrivés sur les lieux, ils découvrirent le milicien accoudé au comptoir et apostrophant le patron : « on l’a quand même bien eu, ce petit youp ! ».
Albert Nathan fut interné à Montluc, dans la « baraque aux Juifs ». L’un de ses codétenus, Isaac Roumi, témoigna après-guerre qu’il fit partie des prisonniers juifs chargés du déblaiement de l’École de santé militaire (siège de la Gestapo à Lyon), après le bombardement du 26 mai 1944. André Frossard, un autre prisonnier de la « baraque », fit également le récit d’un événement que l’on peut dater du début du mois d’août 1944 : « Un jour on est venu chercher trois camarades ». Parmi eux, il y avait « Nathan, un Juif. Un petit noiraud, épais et râblé » qui « était là depuis trois mois ». « On les avait emmenés pour les fusiller… A la dernière minute, le commandant du peloton avait changé d’avis… […] A sept heures [du soir], on les avait fait monter, enchaînés, dans une camionnette… On les avait conduits sur une place… Les rues étaient gardées… Sur la place, des officiers et des hommes en civil fumaient des cigarettes en discutant… Ils étaient restés là une demi-heure, et puis on les avait ramenés à Montluc » à 8 heures du soir. Nathan revint en état de choc. Il passa ensuite quinze jours dans l’extrême angoisse d’un exécuté en sursis.
Le 14 août 1944, eurent lieu des bombardements sur la base aérienne de Bron (Rhône). Devant l’ampleur des dégâts, les Allemands décidèrent de faire travailler sur le camp d’aviation des détenus juifs de la prison de Montluc.
Le 17 août, à 9 heures du matin, 50 prisonniers furent extraits « sans bagage » de la « baraque aux Juifs ». Le gardien Wittmayer fit l’appel et, à la dernière minute, les Allemands remplacèrent deux catholiques par des Juifs. Ils furent embarqués sur trois camions gardés par des soldats allemands armés de mitraillettes, puis amenés sur le champ d’aviation de Bron. A Bron, les prisonniers furent répartis par groupes de trois et contraints de rechercher, d’extraire et de désamorcer des bombes non éclatées. Vers midi, ils furent dirigés près d’un hangar pour déjeuner. L’un des détenus, Jacques Silbermann, profita de cette occasion pour s’évader. Après des menaces de représailles et de vaines recherches, les soldats allemands conduisirent les 49 détenus sur le chantier pour reprendre le travail. A 18h30, alors que les prisonniers remontaient sur un camion pour regagner Montluc, un major allemand donna l’ordre de les amener sur un autre chantier. Les 49 détenus furent conduits près de trois trous d’obus au dessus desquels ils furent exécutés par balles. Leurs corps furent ensuite recouverts de terre et de gravats.
Le lendemain, 18 août, 23 détenus juifs de Montluc, dont au moins 20 de la « baraque aux Juifs », furent également conduits sur le terrain d’aviation de Bron. Ils subirent le même sort que les prisonniers de la veille. Ils furent exécutés au-dessus d’un trou d’obus après avoir recherché, extrait et désamorcé des bombes non éclatées toute la journée.
Le 19 août, le chef de la « baraque aux Juifs », Wladimir Korvin-Piotrowsky, dû remettre « en tas » les bagages des 70 prisonniers aux autorités allemandes.
En septembre 1944, cinq charniers furent découverts sur le terrain d’aviation de Bron. Le corps d’Albert Nathan fut retrouvé dans le charnier D, situé entre les hangars 75 et 80 et contenant 22 cadavres. D’après le rapport du médecin légiste, il avait reçu une balle dans la région cervicale. Grâce au témoignage du seul rescapé de l’exécution du 17 août, Jacques Silbermann, nous pouvons déduire que la fosse D contenait 21 victimes du 17 août et 1 victime du 18 août (Charles Schwartz). Albert Nathan fit donc vraisemblablement partie du groupe des 49 exécutés du 17 août 1944.
Une alliance en or avec l’inscription « A.N. à R.R. 1930 » fut retrouvée sur le cadavre d’Albert Nathan. Son corps fut décrit comme suit : 1m75, cheveux noirs et longs. D’abord enregistré sous le numéro 75, il fut identifié le 10 octobre 1944 par son frère Jacques Nathan. Son acte de décès fut établi le même jour à Bron. Albert Nathan fut inhumé au cimetière de Lyon - La Mouche (VIIe arr.).
Le titre d’interné politique lui fut attribué en 1953.
En 1989, Robert Nathan porta plainte avec constitution de partie civile contre Paul Touvier pour crime contre l’humanité.
Par Jean-Sébastien Chorin
SOURCES : DAVCC, Caen, dossier d’Albert Nathan.—Arch. Dép. Rhône, 829W378, 6MP704, 3460W1, 3335W22, 3335W11, 3335W24, 3335W16, 3808W866, 31J66.— Bulletin de l’Association des Rescapés de Montluc, N°6, décembre 2013.— Bulletin de l’Association des Rescapés de Montluc, N°18, mai 1946.— Bulletin de l’Association des Rescapés de Montluc, N°23, octobre 1946.— Pierre Mazel, Mémorial de l’oppression, fasc. 1, Région Rhône-Alpes, 1945.— André Frossard, La maison des otages, fort Montluc, prison allemande, 1960.— Mémoire des Hommes.— Site Internet de Yad Vashem.— Site Internet du Mémorial de la Shoah.—Site Internet ajpn.org.