VIDECOCQ Emmanuel, Jacques-Marie

Par Pierre Alanche

Né le 15 août 1943 à Paris (XVIIe arr.), mort le 11 avril 2011 à Trappes (Yvelines) ; étudiant en droit et sciences économiques, diplômé de l’Institut d’études politique de Paris ; scout, adhérent UNEF, membre des comités d’action étudiants ; cadre de l’industrie informatique ; militant CFDT ; militant PSU, LCR, EELV ; conseiller municipal ; militant associatif ; militant écologiste ; créateur de la revue Terminal, trésorier et membre des comités de rédaction des revues Chimères et Multitudes.

Emmanuel Videcocq jeune

Fils d’Étienne Videcoq et d’Anne-Marie Hambye, Emmanuel Videcoq est le quatrième enfant d’une famille de huit (six garçons et deux filles). Il reçut une éducation rigoriste et religieuse, et son premier acte de rébellion fut de s’élever contre l’autorité paternelle. Il passa toute son enfance dans le XVIIe arrondissement. Le début de sa scolarité fut chaotique : primaire à l’école privée Louise-de- Bettignies (1948-1954), puis l’école privée Montessori de Paris (IXe arr.) bénéficiant de la pédagogie du même nom. Il commença ses études secondaires au lycée Sainte-Croix-de-Neuilly et obtint son baccalauréat au cours Dutilleul à Boulogne-Billancourt (1961). Une fois libéré des pesanteurs de l’enseignement secondaire, ses études supérieures furent brillantes : d’abord à la Faculté de droit et de sciences économiques de Paris (1961-1968, rue d’Assas Paris VIe arr.), parachevées par un doctorat en psychologie sociale, en parallèle à l’Institut d’études politiques de Paris, puis en sociologie (Sorbonne) et à l’Institut social des sciences du travail (Panthéon-Sorbonne, 1967-1968). Il refusa de présenter l’ENA par choix politique.

Durant toute sa scolarité primaire et secondaire, il suivit puis anima des activités au sein de la paroisse Saint-François-de-Sales (Paris XVIIe arr.) et activement à La Salésienne (66 avenue de Villiers), lieu des rencontres des jeunes catholiques de cette paroisse où cohabitaient, dans un cadre architectural superbe, les trois groupes de scouts, les quatre meutes de louveteaux, les différents groupes de Cœurs vaillants, la manécanterie des Petits Chanteurs et La Salésienne, en y associant les cours d’instruction religieuse. Il fut membre d’un groupe scout de France (1953-1961). De 1962 à 1965, son engagement se poursuivit dans un groupe de routiers, la branche aînée du scoutisme, de la paroisse Notre-Dame-des-Champs, (VIe et XIVe arr.), animé par des jésuites liés au foyer du 104 rue de Vaugirard (VIe arr.). Il reconnut s’être épanoui dans ces activités qui furent l’occasion de séjours variés dans les Cévennes, au Maroc, aux sports d’hiver et dans des paroisses déchristianisées de l’Yonne. À la Faculté de droit, il découvre le syndicalisme étudiant en 1962, faisant partie de l’AGEDESEP (Association générale des étudiants en droit et sciences économiques de Paris) qui avait permis à l’UNEF de supplanter la Corpo de droit. De 1962 à 1966, il fut membre de l’UNEF. Il fit connaissance de Jacques Maillot, le créateur de Nouvelles Frontières, et de Jean Tercé, membre de la direction de l’organisation étudiante du PSU. Suivant l’exemple du premier, il créa l’association de jeunes « Terre sans frontière » en 1966. Cette association 1901 était, à l’image de Nouvelles Frontières, une émanation d’un groupe de routiers. Elle connut un grand succès auprès des paroisses de Saint-François-de-Sales, Saint-Charles et Sainte-Odile, regroupant 400 adhérents en début 1968, organisant un voyage de 100 jeunes en Tunisie en juillet-août 1967. Mais, à la différence de Nouvelles Frontières, « Terre sans frontière » resta tributaire de son attachement confessionnel. De graves désaccords avec les autorités ecclésiastiques à propos des engagements humanitaires de l’association et de son ouverture aux non-catholiques amenèrent Emmanuel Videcoq à démissionner, avec une bonne partie de son conseil d’administration en mai 1968. Ce fut l’occasion d’une lettre mémorable, affichée publiquement : « Nous refusons l’héritage de nos pères ». Il participa au mouvement de mai 1968 à Paris et découvrit le printemps de Prague, lors d’un voyage en stop en août avec son frère Martin, brutalement interrompu, à Brno, le 20 août par l’arrivée des chars russes. Il adhéra alors au PSU et au Cedetim (Centre d’études et d’initiatives de solidarités internationales).

Pour éviter le service militaire traditionnel, Emmanuel Videcoq choisit de partir pour dix-huit mois, en septembre 1968, en coopération à Madagascar au titre du secrétariat d’État à la Jeunesse et au Sport. Conseiller technique, il forma des jeunes en milieu rural. Il fut basé à Antananarivo et fit de nombreux déplacements dans toute l’île.

À son retour, il débuta sa vie professionnelle au sein d’une entreprise de formation permanente en 1970, puis il entra chez Bull-General Electric, le 1er octobre 1970 dans l’établissement de Gambetta (Paris, XXe arr.) comme animateur du service formation pour la maintenance. De son poste de responsable de formation non technique pour les métiers de la maintenance (1971-1980) à son transfert dans l’établissement de Louveciennes (Yvelines, 78) où se trouvaient les cadres commerciaux, le centre de recherche et le personnel administratif, il prit en charge le développement personnel et la conduite du changement. Cette période de 1980 à 1990 correspond à la création de formations dans le domaine de l’intelligence artificielle, pour faire découvrir aux commerciaux et aux cadres de la direction générale les nouvelles technologies de l’informatique. Il acheva sa carrière en tant que responsable de formation au sein de l’établissement des Clayes-sous-Bois (Yvelines) où se trouvaient les ingénieurs et techniciens des services recherches et développements de 1990-2000.

Dès son entrée dans l’entreprise, il se syndiqua à la CFDT. Au début, son activité resta discrète, puisqu’il faisait partie de la direction du personnel. Ses supérieurs devaient ignorer son engagement syndical, car, tant que professionnel de la formation, il détenait des informations qu’il transmettait à la section. L’équipe était animée par des militants d’origines diverses, amalgamant les anciens militants de la CFTC à ceux venus du syndicalisme étudiant et des mouvements d’extrême gauche. André Stépho, Jean-Pierre Millot, Claude Depuille, Christiane Ricard en étaient les principaux affiliés, auxquels vinrent s’ajouter de nouveaux embauchés, tels Guy Depelley, son frère Martin Videcoq, Michel Charbonnier, Élisabeth Pasteau, Gérard Compain, Claude Beuzelin. À partir des années 1975, l’entreprise fut au cœur de turbulences et de restructurations de l’activité informatique, avec des conséquences dramatiques pour l’emploi. Honeywell-Bull, qui devint CII-Honeywell-Bull, en 1975, puis Bull, en 1982, employait en France 10 000 salariés en 1972, 23 000 à son apogée en 1982, pour chuter à 12 000 en 1993. Emmanuel Videcoq sortit de l’ombre à la fin des années 1970 et fut alors désigné représentant syndical au Comité central d’entreprise. Il participa activement aux travaux de la section syndicale CFDT, fortement sollicitée par les transformations fréquentes de l’entreprise, par les évolutions rapides des technologies et par les différents plans industriels lancés dans le secteur. Au début des années 1980, il fut muté dans l’établissement de Louveciennes, où la section CFDT était animée par Jean-Paul Allo, François Coustal (qui devint l’attaché parlementaire d’Alain Krivine lors de son mandat de député européen). Au moment de la privatisation, les actionnaires salariés créèrent une première association asyndicale, l’ASGB (Association des actionnaires salariés du Groupe Bull) en mars 1994. Une seconde association d’actionnaires salariés de Bull, baptisée Paars (Pour un actionnariat actif, responsable et solidaire) fut créée en octobre 1995 : présidée par Emmanuel Videcoq elle développait une analyse critique de la stratégie de l’entreprise.

Tant dans son activité professionnelle que syndicale, Emmanuel s’attaqua à préserver son indépendance : « Ma préoccupation, durant toutes ces vingt-cinq années de travail, c’était d’avoir le maximum de liberté de manœuvre et de liberté personnelle. » Au sein de la CFDT, il défendit la ligne de transformation sociale et critiqua le recentrage qui s’opéra à partir de 1978. Dans le domaine professionnel, il ne tarda pas à prendre conscience de l’importance politique et sociale de l’informatique. Inspiré, entre autres, par le travail fait au sein de la CFDT avec la publication des Dégâts du progrès en avril 1977, il commença à participer et à lancer des groupes de réflexions critiques sur l’usage de l’informatique. En réponse au rapport Nora-Minc, qui présentait, en 1978, les nouvelles technologies comme un moyen de sortie de crise, il organisa un colloque intitulé « L’informatisation contre la société ». Dans la foulée, il participa à la création du CIII (Centre d’information et d’investigation sur l’informatisation) et de la revue Terminal, dont il fut l’animateur de 1981 à 1994, afin de « constituer une pensée critique de l’informatique et dénoncer les dangers qu’elle fait peser sur la société et les libertés ». Bien avant la CNIL, il lança au milieu des années 1980 la première campagne contre le fichage : « On vous fiche, ne vous en fichez pas ! » Il était persuadé que l’informatique allait « passer le social à la moulinette » et il partit en croisade contre « le gros ordinateur central qui va contraindre l’ensemble de la société ». En 1987, il fut invité par Félix Guattari, psychanalyste, à venir « parler d’informatique » au Centre d’initiative pour les nouveaux espaces de liberté (Cinel). En parallèle aux discours critiques, Emmanuel Videcoq explorait le potentiel d’usages alternatifs de la technologie. En 1981, il participa à l’aventure de Radio-Tomate, avec Félix Guattari. Fin 1986, la revue Terminal et quelques associations créèrent un service minitel original, 36 15 Alter. Celui-ci fonctionna de façon active jusqu’au début des années 1990. Avec Félix Guattari, il participa à l’association « Les Amis d’Alter », qui animait le service. Elle fédéra jusqu’à vingt-cinq associations dont : CIII-Terminal, le Cinel, Trames-Traverses (association d’usagers de la psychiatrie), le Cicp-Cedetim, la Cardabella (paysans du Larzac), l’Uaare (université anti-raciste), Solidarité-emploi, le Centre de convivialité multiculturelle (restaurant associatif de Montreuil), Diffusion-populaire, la Sceptra, que rejoindront par la suite des collectifs tels que « Les Italiens » regroupés dans l’Aesrif (Association d’entraide et de solidarité des réfugiés italiens en France), le collectif de la rue des Caves à Sèvres, les clubs des Cigales (promoteurs d’une épargne alternative), l’Espace du possible (lieu de vacances alternatives). Elles partagèrent cet espace de communication et le gérèrent en commun. Il connaîtra son apogée en 1988-1990 avec le mouvement des infirmières dont il constitua le principal outil de communication.

Membre du PSU à son entrée de l’entreprise, il le quitta pour la LCR. Il Pierre Juquin à l’élection présidentielle de 1988, puis rallia Les Verts. Emmanuel Videcoq déclara à cette époque : « Après avoir cru au catholicisme et au marxisme, je suis maintenant agnostique. Je ne crois pas à grand-chose, simplement à des choses très modestes. Cela se retrouve dans mon engagement écologiste : je ne crois pas à une écologie qui viendrait sauver les hommes et la société, à un discours salvateur qui va bouleverser les choses, je préfère des pratiques très modestes, très limitées, très raisonnables. » Il se présenta alors, en 1995, aux élections cantonales partielles sur la liste des Verts et aux élections municipales sur la liste Oxygène, où il fut élu conseiller municipal à Montigny-le-Bretonneux (Yvelines). Membre des Verdi Corsi (Fédération régionale d’EEV en Corse), il fut responsable de la commission sociale des Verts de 1996 à 2000.

Il participa à la mise en place de plusieurs dizaines d’associations liées à la vie locale.
Sous le pseudonyme d’Eric Braine (pour « brain », le cerveau), pseudonyme choisi en référence à George Orwell, il obtint sa carte de presse et il publia plusieurs articles dans la revue Terminal. Il fut également le trésorier et membre du comité de rédaction de Chimères, revue fondée par Deleuze et Guatari, jusqu’en 1996 et de la revue Multitudes. Ayant rencontré Toni Negri à Paris chez Félix Guattari, il collabora avec lui de 1990 à 1996 à l’organisation de son séminaire à l’Université européenne de la recherche. Dans ses multiples réunions, il venait souvent accompagné de son chien Spinoza, nommé ainsi en référence au philosophe : « L’homme libre ne pense rien moins qu’à la mort et sa sagesse est une réflexion non sur la mort mais sur la vie. »

Après sa retraite, qu’il prit en 1998, il partagea son temps entre Bastia et la région parisienne. Marié le 3 avril 1970 avec Catherine Spirt, professeure d’anglais, le couple eut quatre enfants : Sarah (1972), Judith (1973), Cécile (1976), Émilie (1980). (1980), avocate en droit social. Il divorça en 1988. Il se remaria le 30 juin 1990 avec Hania Yanat, assistante sociale qu’il rencontra au sein de la CFDT, avant de divorcer le 28 février 1995. Il décéda le 3 avril 2011, à l’âge de soixante-sept ans à Trappes (Yvelines). Ses cendres ont été dispersées en mer Méditerranée, au large de la Tour Santa-Maria, dans le Cap Corse.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182603, notice VIDECOCQ Emmanuel, Jacques-Marie par Pierre Alanche, version mise en ligne le 19 juillet 2016, dernière modification le 23 juillet 2016.

Par Pierre Alanche

Emmanuel Videcocq jeune
Emmanuel Videcocq, séminaire de management à Madrid en juin 1972
Emmanuel Videcocq lors d’une réunion chez Les Verts en 1997

ŒUVRE : (sous le pseudonyme d’Éric Braine), « La prise du minitel », Terminal, 42, février 1989. — « Subjectivités corsiques : refrain mimétique et devenirs hétérogènes », Chimères, 46, 2002. — « Du fonctionnement des revues comme plateformes éditoriales », propos recueillis par Arnaud Jacob, ENT’Revue, 35, 2004, p. 13-14. — Avec Brian Holmes et Anne Querrien, « Les trois plis du média-activisme », Multitudes, 21, 2005, p. 11-14 ; avec Prince Bernard, « Félix Guattari et les agencements post-média. L’expérience de radio Tomate et du minitel Alter », Multitudes, 21, 2005, p. 23-30 ; « Bâtir le commun dont le monde a besoin », Terminal, 93-94, décembre 2005 ; avec Yann Moulier-Boutang et Frédéric Neyrat, « Construire de nouvelles relations », Multitudes, 24, 2006, p. 19-27 ; « D’une pensée des limites à une pensée de la relation », Multitudes, 24, 2006 [online] ; avec Jean-Yves Sparel « Qu’est-ce que l’écosophie ? Entretien avec Félix Guattari », Chimères, 28, 1996.

SOURCES : Le Monde, 30 juillet 1996 et 25 avril 2001. — La Croix, 9 octobre 1995. — Le Journal de Montigny et de son canton, février 2000. — Anne Querrien, « Emmanuel Videcoq et la transversalité », Figures de l’utopie, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 173-183. — Entretiens avec Martin Videcoq, février 2016. — Notes de Sarah Videcoq. — Entretiens avec Cécile Videcoq, avril 2016.

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