BEAUVOIR Charles, François, dit le Caporal.

Né le 28 décembre 1811 à la Croix-Rousse (Rhône), mort en 1879 ; ancien militaire ; un des grands maîtres de la Charbonnerie lyonnaise ; militant coopérateur ; militant des sections lyonnaises de l’Association internationale des Travailleurs ; participant à la Commune de Lyon.

Son père, Jean-Marie, était professeur de philosophie et Charles Beauvoir fut certainement élevé dans une famille bien-pensante, puisque un de ses frères devint officier supérieur sous la monarchie et que sa sœur, qui était religieuse, devint Supérieure de son couvent. D’esprit indépendant et aventureux, il se fit soldat à 17 ans. En 1830, il était à Paris, puis il fit, en 1831 et 1832, la campagne de Belgique où il participa au siège d’Anvers. Revenu tenir garnison à Paris, puis à Strasbourg, il ne tarda pas à être gagné par les idées républicaines et assista aux obsèques du général Lamarque le 5 juin 1832. Nommé caporal, sergent-fourrier, deux fois rengagé, il fut cassé de son grade pour ses idées politiques et envoyé en Afrique où il passa plusieurs années. Rentré en France, il fut caporal au 22e régiment d’infanterie légère, en garnison à Lyon et très travaillé par la propagande républicaine.

Dans les journées qui suivirent la révolution de Février, ce régiment participa à toutes les démonstrations organisées par les ouvriers. Charles Beauvoir se fit alors remarquer par son énergie militante. Les sous-officiers entraînés par lui demandèrent leur affiliation au Club central lyonnais « organe du socialisme et des revendications prolétariennes ». Beauvoir prit part aux manifestations auxquelles donna lieu l’affaire du sous-officier d’artillerie Gigou, et pendant lesquelles le 22e léger et le 4e d’artillerie furent pendant quelques heures les maîtres de la ville. (Ces manifestations tumultueuses de la garnison et de la population avaient pour but de soustraire le fourrier Gigou du 4e d’artillerie à une punition infligée par ses supérieurs.)

Affilié aux clubs lyonnais les plus avancés comme la Société des Laboureurs, Beauvoir y prit fréquemment la parole et devint vice-président du club Jandard ou de la Montagne, à la Croix-Rousse. Il fut libéré du service militaire le 31 décembre 1848, en pleine crise politique, économique et sociale.

Au début de 1849, il fut l’un des fondateurs de la Société des Travailleurs Unis de la Croix-Rousse (Voir Démard L.), dont le but était de « mettre en harmonie la production avec la consommation, au moyen d’un système d’échange des produits ». Constituée avec un capital initial de 100 000 francs, en 100 000 actions de 1 franc, ce devait être, avant tout, une coopérative de consommation. Dès la fondation, Beauvoir devint gérant de la boulangerie, ouverte, 32 et 34, rue du Mail, à la Croix-Rousse. Une note, brève comme un communiqué militaire, signée de Beauvoir« ex-caporal au 22e léger », parue dans Le Peuple souverain du 6 janvier 1849, informait de l’ouverture de la Boulangerie fraternelle des Travailleurs unis et de sa succursale installée, 3 et 5, rue Duviard. Le magasin devait, en outre, fonctionner comme « bureau indicateur pour le placement ». Avec un certain nombre de militants des clubs frappés par le chômage intense qui sévissait dans la population ouvrière lyonnaise, Beauvoir figura parmi les employés de la Société. Son salaire journalier était de 2 fr. 50, payé à raison des deux tiers en monnaie et d’un tiers en bons de marchandises prévus aux statuts, à prendre dans les divers rayons commerciaux de la société. En avril 1849, le débit journalier de la boulangerie atteignait 2 000 kilos de pain.

Beauvoir allait prendre part à l’insurrection du 15 juin 1849, au cours de laquelle les ouvriers lyonnais dressèrent une puissante barricade à quelques pas du siège social des Travailleurs unis, que les troupes du général Gémeau durent réduire à coups de canon. Après l’émeute, Beauvoir se réfugia en Suisse et fonda à Genève une société coopérative sur le modèle des Travailleurs unis.

Sous le gouvernement du parti de l’Ordre, les coopérateurs de la Croix-Rousse eurent à subir les enquêtes et les suspicions du pouvoir administratif et politique ; ils connurent aussi les divisions intérieures, les oppositions de personnes, les querelles de clans et aussi les malversations de quelques employés subalternes. En juillet 1850, la clientèle se montait, néanmoins, à 4 000 personnes, la boulangerie, à elle seule, débitait autant de pain que le tiers des boulangers de la Croix-Rousse et l’on estimait que la population de la Croix-Rousse se nourrissait à 10 % meilleur marché depuis la création de la société. Cela n’empêcha pas les pouvoirs publics d’en prononcer la dissolution le 27 décembre 1851. Plus tard, Beauvoir révéla que le liquidateur commis par les pouvoirs publics préleva 15 000 francs d’honoraires soit la moitié des bénéfices de l’association, l’autre moitié étant dévorée par les frais.

En 1852, Beauvoir, de retour à Lyon, tint un magasin, 25, rue Pouteau, qu’il transporta ensuite, 7, rue Pailleron, sous le nom d’ « Épicerie rationnelle ». Il semble bien qu’il s’agissait, là encore, d’une coopérative camouflée.

Pendant un temps, ses désillusions rapprochèrent Beauvoir des bourgeois opposants à l’Empire. À partir de 1864, il écrivait dans L’association, Bulletin des coopératives françaises et étrangères. Comme, plus tard, certains socialistes qui se croyaient marxistes, il craignait que la baisse des prix à la consommation résultant de l’action des coopératives n’entraînât une baisse correspondante des salaires. À ce sujet, il engagea une discussion serrée avec Chaudey.

A la même époque, il collabora au Progrès de Lyon. Déçu par les résultats des coopératives de consommation, il préconisait, désormais, l’association de production. En 1865, il fut aux côtés de Flotard, avec Ferrouillat, Bonnardel et le banquier Henri Germain, lors de la création de la Société lyonnaise de Crédit au Travail dont le but était de « pousser dans le sens coopératif à la fondation d’un grand nombre de sociétés de crédit mutuel ». Le but poursuivi ne fut pas atteint, la banque populaire lyonnaise fonctionna comme banque de dépôts et de comptes courants, comme banque d’escompte du papier coopératif, et se constitua l’auxiliaire des sociétés de consommation et de production de la localité.

Beauvoir fut un des premiers quarante-huitards lyonnais à se rallier à l’Internationale et préconisa, comme moyen d’émancipation rationnelle de la classe ouvrière, la coopérative de production. Il voulait la fermeture des boutiques d’alimentation coopératives « où l’idée sociale s’endort et où les deux tiers des bénéfices sont absorbés en pure perte pour la Société ». Il fallait, au contraire, à son avis, conserver les groupes d’achats en commun et de répartition des produits nécessaires à la vie, tels qu’ils fonctionnèrent dans la période antérieure à 1863, et appliquer la moitié des bénéfices ainsi obtenus à créer une caisse de crédit mutuel permettant de constituer les ressources nécessaires à la création de coopératives de production. En 1866, dans une controverse avec le correspondant parisien du Progrès, il soutint un point de vue qui faisait de la coopération un moyen d’accéder rapidement au socialisme.

Après la disparition de la plupart des sections lyonnaises, en 1868, Beauvoir appartint à la Commission d’initiative, chargée de la réorganisation de l’Internationale à Lyon et, le 25 janvier 1870, il fut désigné avec Bourseau, Deville, Ginet et Vernaz pour s’occuper des questions de propagande.

Marié, père de trois enfants, il fut arrêté et poursuivi dans les premiers jours de mai 1870 en raison de son appartenance à l’Internationale, il bénéficia de l’amnistie lors de la proclamation de la République.

Avec Charvet, Chol, Palix et Placet, membres comme lui de l’Internationale, Beauvoir fit partie du Comité de Salut public composé également de républicains d’autres nuances qui s’installa à l’Hôtel de Ville de Lyon le 4 septembre et qui fut remplacé le 15 par un Conseil municipal élu de tendances modérées.

Membre du Comité central du Salut de la France dont la création fut décidée le 17 septembre, il fut, le 25, l’un des signataires de l’Affiche rouge, émanation de ce Comité, qui proposait dans son article Ier l’abolition de « la machine administrative et gouvernementale de l’État », et dans ses articles V et suivants l’instauration de Comités révolutionnaires « qui exerceront tous les pouvoirs sous le contrôle immédiat du peuple ».

Les informations manquent sur les dernières années de Charles Beauvoir.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182609, notice BEAUVOIR Charles, François, dit le Caporal., version mise en ligne le 22 juillet 2016, dernière modification le 21 octobre 2018.

SOURCES : manuscrites : Arch. P.Po., B a/439. — Arch. Mun. Lyon, I 2/51, dossiers particuliers, I 2/55, pièce 68. — imprimées : J. Gaumont, Histoire générale de la coopération en France, (T. 1), Paris, Fédération Nationale des coopératives de consommation, 1924 — J. Guillaume, L’Internationale. Documents et souvenirs (1864-1878), Paris, Stock, 1905-1910, tome 2, p. 30 et p. 91 à 95. — Testut, L’Internationale, Paris, Versailles, 1871, p. 170-171. — Journal L’Internationale, 30 janvier 1870. — Mary Lynn Stewart-McDougall, The Artisan Republic. Revolution, Reaction, and Resistance in Lyon, 1848-1851, Montreal/Kingston, McGill-Queens University Press, 1984.

ICONOGRAPHIE : Jean Gaumont, Histoire générale de la Coopération en France, (T. 1), Paris, Fédération Nationale des coopératives de consommation, 1924, p. 400.

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