CHABERT Charles, Edme

Par Justinien Raymond

Né le 13 décembre 1818 à Paris, mort le 24 mai 1890 à Paris, enterré au Père-Lachaise. Ouvrier graveur sur métaux. Coopérateur et socialiste ; membre de la Première Internationale ; communard ; conseiller municipal de Paris.

Buste Charles Chabert sur sa tombe au Père Lachaise, division 76.

L’action militante de Chabert, engagée dès sa jeunesse et menée jusqu’à sa mort, le mêla aux luttes politiques et sociales de la monarchie de Juillet et de l’Empire, aux combats de 1848 et de la Commune et aux premières affirmations du socialisme moderne. Jeune témoin des journées de Juillet, à la fin du règne de Louis-Philippe il participa au mouvement pour la Réforme et à la Révolution de février 1848 qui renversa la monarchie. Chabert demeurait en 1848, rue Poultier, dans l’île Saint-Louis, et fut appelé à la présidence du club communiste fondé dans l’île par Brucker.
Il combattit au jour d’émeute du 13 juin 1848 et compromis, le 24 juin, dans l’affaire du désarmement d’une patrouille de soldats au carrefour des rues Saint-Louis et des Deux-Ponts, où il commençait une barricade, il récolta dix-huit mois de détention, fut transporté et ne rentra gracié qu’en décembre 1849.
Résistant au coup d’État du 2 décembre 1851, il fut déporté à Lambessa.
Amnistié, il adhéra aux premiers groupements parisiens de l’Internationale. Mis en vedette comme orateur des réunions publiques d’opposition en 1868-1869 et des clubs rouges en 1870-1871, il figura au Comité central républicain des vingt arrondissements. Son nom figure, aux côtés de ceux de Courbet, de Dalou, de Pottier, etc., au bas du programme artistique d’enseignement et d’éducation publié au Journal officiel du 15 avril 1871. Durant la Commune, en qualité d’artiste « industriel », il appartint à la Commission fédérale des artistes élue le 17 avril 1871 — voir Bonvin F.
Alors qu’il était conseiller municipal de Paris, et déjà âgé, ses œuvres, qui lui avaient valu médailles et récompenses, figurèrent au Salon de 1885 et à l’Exposition de 1889. Soldat de la Commune comme garde national au 149e bataillon (un nommé Chabert — y a-t-il identité ? — commanda un des bataillons de la Xe légion, voir Brunel), il bénéficia d’un non-lieu après cinq mois de détention sur le ponton la Prudence. « En dehors des écoles ou des systèmes trop absolus », il avait été candidat à la Commune, mais non élu, en avril 1871. L’affiche qu’il présenta (cf. Murailles..., 1871, op. cit., p. 281) se terminait par : « Vive la République, Vive la Commune ! »

Chabert contribua activement à la renaissance du mouvement ouvrier dans l’atmosphère hostile des lendemains de la Commune. Sa propre évolution refléta les étapes de cette résurrection. En mai 1872, il fut un des organisateurs du Cercle de l’Union syndicale ouvrière au programme mutuelliste, dissous en octobre par le gouvernement de Thiers. En août, il siégea, aux côtés de neuf compagnons, dont Cohadon, Tolain, à la commission directrice de la Société d’Études pratiques pour le développement des associations coopératives que pouvaient tolérer une législation répressive et un gouvernement soupçonneux. Chabert ne se borna pas à l’étude et contribua à la création de plusieurs organismes coopératifs. Au début de 1873, il avait déjà participé à la fondation d’une Société coopérative de crédit au capital de mille francs, fractionné en actions de cinquante francs, dans le but d’aider les coopératives existantes et de répandre le crédit mutuel parmi les travailleurs. Son action s’étendit hors de Paris puisque, en avril 1879, il aida à fonder à Nîmes la boulangerie coopérative La Renaissance.

Son rôle dans deux manifestations marquantes atteste, pour cette époque, du rayonnement de son action et de la notoriété de son nom. Au nombre des 105 délégués à l’Exposition universelle de Vienne de 1873, il fut, au retour, membre de la commission chargée de rédiger le rapport d’ensemble de la délégation. Ce rapport, qui ne parut qu’en 1876, rejetait la grève comme moyen d’action du prolétariat et, à ce dernier, prêchait l’épargne.
Cette même année 1876, Chabert compta parmi les promoteurs et organisateurs du premier congrès ouvrier français tenu du 2 au 10 octobre à Paris, salle des Écoles, rue d’Arras. Il en présida la séance d’ouverture en qualité de membre et de doyen du Comité d’initiative qu’il composait avec onze autres travailleurs dont une lingère, un portefeuilliste, un bijoutier, un horloger, un mécanicien, un tailleur, et il fut un des orateurs du banquet de clôture de six cents convives dans le Salon des Familles, à Vincennes. Chabert représenta l’Union des Travailleurs de Paris au deuxième congrès ouvrier qui se déroula à Lyon, salle du Théâtre des Variétés, du 28 janvier au 8 février 1878.

Ce second congrès posa des revendications, avança quelques idées qui auraient détonné dans l’atmosphère lénifiante et réformiste du congrès de Paris. Le temps faisait son œuvre. Le coup de semonce de la répression de la Commune s’éloignait. La République s’imposait après la crise du 16 mai et autorisait plus d’audace. Chabert avait donné le ton modéré dont le congrès de Paris ne se départit pas. « Il ne faut pas ici un vain étalage de paroles, affirma-t-il, dans son discours inaugural, mais il faut qu’il sorte de nos discussions des résultats pratiques pour la question sociale et l’amélioration du sort des travailleurs. » (S. Humbert, Les Possibilistes, 1911, p. 28).
À Lyon, le 4 février 1878, après avoir protesté contre un éloge de Jules Simon, il confessa son « erreur » passée et affirma une foi nouvelle : « J’ai combattu le collectivisme, mais maintenant je me suis rendu compte des dangers de l’individualisme et je dis avec confiance : Le collectivisme, c’est l’avenir ». (Compère-Morel, Grand Dictionnaire socialiste, p. 101). Il prôna, en outre, l’amnistie pour les condamnés et proscrits de la Commune. Il apparut aux autorités comme un des chefs de file de la petite minorité collectiviste du congrès animée d’un esprit de classe. L’ambassadeur d’Allemagne, comte de Wesdelhen, s’étant inquiété, auprès du gouvernement français, de la volonté affirmée au congrès « d’extirper les maisons souveraines d’Europe, en commençant par celle d’Allemagne », le ministre de l’Intérieur, de Marcère, le rassura en excipant de la « modération » du congrès qui a repoussé « les motions de quelques-uns des membres les plus exagérés, tels que les citoyens Calvinhac et Chabert, délégués de Paris, sur la collectivité de la propriété... » (cf. Arch. Nat., F 7/12.488).

Chabert s’efforça de répandre ses nouvelles doctrines par le journal et par la parole. L’idée d’un organe destiné à défendre les intérêts de la classe ouvrière datait des lendemains du congrès de la rue d’Arras. Une certaine « dame Hardouin », en décembre 1876, proposa de l’appeler L’Ouvrier. Chabert organisa la réunion privée du 29 janvier 1877 qui décida de sa publication. Dans celle du 26 avril 1877, on retint le titre Le Prolétaire. En juin fut créée la coopérative l’Union des Travailleurs chargée d’en assurer la publication. Le premier numéro parut le 23 octobre 1878. Après un succès de curiosité qui le poussa jusqu’à dix mille exemplaires, le Prolétaire fut en butte aux procès dès le n° 7 (28 décembre 1878). Il ne tirait plus qu’à 4 500 en février 1879. Chabert, membre du conseil d’administration du journal, fut chargé avec Prudent-Dervillers de donner des conférences en province pour soutenir le journal. Momentanément sauvé, le Prolétaire resta menacé. Le 20 décembre 1879, le directeur de l’Imprimerie nouvelle, Masquin, sous la menace d’en suspendre l’impression, exigea des mesures énergiques pour en éteindre la dette. Les actionnaires durent voter quelques fonds. (Arch. Nat., F 7/12.488.)

Chabert n’assista pas au Congrès ouvrier de Marseille de 1879 où triomphèrent les idées qu’il avait défendues avec une petite minorité à Lyon l’année précédente. Mais il ne fut pas étranger à sa préparation : après la conférence de Louis Blanc sous la présidence de Victor Hugo, le 4 août 1879, au profit du congrès, il lutta « contre cette intrusion de l’élément bourgeois » avec Guesde, Deville, etc..., dans un Comité indépendant animé par Labusquière et siégeant rue de Nazareth. (Arch. Nat. F. 7/12.488.) En avril 1879, il avait déjà signé le manifeste guesdiste : Programme et adresse des socialistes révolutionnaires français, et il adhéra aux premiers groupements parisiens du Parti ouvrier issu des assises marseillaises. Il fut son porte-parole dans maints centres provinciaux : en 1880, il alla dans l’Allier et dans le Nord ; en 1881, on l’entendit à Amiens, à Angoulême, sous l’égide du groupe d’Études sociales « les Égaux », et à Rochefort, en compagnie de J. Guesde.
Il fut le porte-drapeau du Parti ouvrier dans ses premières batailles électorales parisiennes. Aux deux tours de scrutin des élections municipales de 1881 dans le quartier du Combat (XIXe arrondissement), il recueillit 903 et 1 423 voix sur 5 731 inscrits et ne fut distancé que de 156 voix par le vainqueur, le Dr Boyer, républicain. Aux élections législatives de cette année 1881, il se classa premier des vingt-quatre candidats parisiens du Parti ouvrier qui totalisaient plus de 19 000 voix. Il obtint en effet 2 851 suffrages dans le XIXe arrondissement contre l’opportuniste Allain-Targé élu par 8 850. Le quartier ouvrier du Combat, dont il sera plus tard l’élu municipal, lui apporta 1 215 voix, ceux de la Villette, 1 056, d’Amérique, 413, du Pont-de-Flandre, 167. Ce fut sur son nom que se comptèrent également 1 100 électeurs de la 1re circonscription de Troyes (Aube).

En 1882, quand survint à Saint-Étienne (25-30 septembre) la scission entre guesdistes et possibilistes, Chabert demeura avec ces derniers, autour de Paul Brousse, dans la Fédération des Travailleurs socialistes de France (FTSF). Malgré son âge, il fut intimement mêlé à la vie du nouveau parti. En 1884, quand le Prolétaire, en faillite, cessa de paraître, il contribua à lancer le nouvel organe possibiliste, Le Prolétariat, dont il fut également l’administrateur. Le 26 novembre 1882, avec Clovis Hugues et Paul Brousse, il parla au rassemblement organisé au théâtre de Lyon par les Syndicats britanniques et la FTSF en faveur d’un tunnel sous la Manche. Du 29 octobre au 3 novembre 1883, il suivit la conférence internationale des travailleurs tenue à Paris par les possibilistes, neuf délégués anglais et un délégué italien. En janvier 1885, Louise Michel, emprisonnée, perdit sa mère. Chabert fut un des organisateurs des obsèques et parla sur la tombe. Il participa à la conférence internationale ouvrière de Paris (23-29 août 1886) dont il présida la séance d’ouverture, ainsi qu’au congrès international organisé à Paris par les possibilistes en juillet 1889.

Comme l’avait fait le Parti ouvrier, la FTSF utilisa Chabert, orateur populaire, comme propagandiste à travers le pays, notamment en Indre-et-Loire en 1884, et, en 1889, dans l’Yonne et en Charente, aux côtés de Louis Navarre, candidat dans la 2e circonscription d’Angoulême. Elle l’utilisa aussi comme candidat à Paris. Le choix était bon, car le suffrage universel l’accueillit avec faveur. S’il ne lui assura jamais le succès aux élections législatives, il l’avantagea toujours personnellement. En 1885, Chabert figura sur la liste fédérative socialiste aux côtés de J. Guesde et de Vaillant, de Joffrin et d’Allemane, de Lissagaray, Élisée Reclus, Tony Révillon et de cinq femmes inéligibles. La plupart de ses compagnons paraissaient sur d’autres listes. Ceux qui, comme lui, appartenaient à cette seule liste groupèrent de 4 000 à 5 000 voix. Il les distança tous avec 5 750 suffrages. Au scrutin uninominal de 1889, dans la 1re circonscription du XIXe arrondissement, il recueillit 3 761 voix au premier tour, 5 723 au second, derrière Martineau, boulangiste, élu par 7 138 électeurs.

Chabert était alors depuis cinq ans conseiller municipal du quartier du Combat. Il y fut élu en 1884, au 1er tour, par 2 360 voix sur 6 541 votants, le seul autre élu socialiste, Éd. Vaillant, l’étant au second tour. « Homme grincheux » (cf. Diplôme d’Études supérieures, Cl. Renault, op. cit., p. 37), Chabert fut souvent en opposition avec ce dernier. Il fut réélu, toujours au 1er tour, en 1887, par 2 787 voix sur 7 019 inscrits, en 1890, par 3 066 voix sur 7 963, améliorant à chaque renouvellement son pourcentage de voix. Il accomplissait son mandat avec ponctualité, très attentif aux intérêts des travailleurs et aux besoins de son quartier. À la session d’automne de 1884, il déposa un projet de percement de rues dans les quartiers excentriques et de construction de maisons d’habitations à bon marché aux Buttes-Chaumont.

Chabert ne devait survivre que quelques semaines à sa dernière réélection au Conseil municipal. Avec Joffrin, qui mourut quelques semaines plus tard, il emportait la caution ouvrière du possibilisme, et leur disparition semble avoir précipité la rupture survenue au congrès de Châtellerault (9-14 octobre 1890) entre Brousse et Allemane. À l’élection partielle du 7 décembre 1890 pour remplacer Chabert au Conseil municipal, la lutte entre les deux rivaux possibiliste et allemaniste assura le succès du candidat boulangiste.

Candidat radical lors des élections législatives de 1876, franc-maçon (1880), Charles Chabert résida successivement à Vincennes (1873), rue de Motyon (1876), 130 rue Mouffetard où il travaillait chez lui (1882), il demeurait 21 rue Clavel dans le XIXe arr. après son élection au Combat. Une phrase résume assez bien son attitude générale de militant coopérateur et socialiste d’une génération déclinante : « Je n’ignore pas qu’en entrant dans cette assemblée, j’avais plus à apprendre qu’à dire ». PV Conseil municipal, p. 716, 1885, Tome 2.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182644, notice CHABERT Charles, Edme par Justinien Raymond, version mise en ligne le 19 juillet 2016, dernière modification le 30 mai 2021.

Par Justinien Raymond

Buste Charles Chabert sur sa tombe au Père Lachaise, division 76.

ŒUVRES : Chabert a collaboré aux deux organes possibilistes : Le Prolétaire, d’octobre 1878 à 1884. — Le Prolétariat, de 1884 à 1890.

SOURCES : Arch. Nat., F 7/12.488 : a) les congrès ouvriers de 1876 et 1878 ; b) dossier sur le journal Le Prolétaire. Arch. Min. Guerre, A 5407. — Arch. PPo., B a/1000 et 1005. — J. Dautry et L. Scheler, Le Comité central républicain des vingt arrondissements de Paris. — Séances du Congrès ouvrier de France : 2e session tenue à Lyon du 28 janvier au 8 février 1878, salle du Théâtre des Variétés. Lyon, 1878, 651 pp. — Léon Blum : Les Congrès ouvriers et socialistes, t. I, Paris 1901, in-16, passim. — Sylvain Humbert : Les Possibilistes, Paris, 1911, passim. — Benoît Malon : Le Nouveau Parti, t. II, Paris, (p. 77-78). — Hubert Rouger : Les Fédérations socialistes, Paris, t. I (p. 128, 184, 185, 190), t. II (pp. 214, 621), t. III (pp. 106 à 167, passim). — J. Gaumont, Histoire générale de la Coopération en France, Paris, 1923-1924, passim. — Claude Renault, Le Mouvement socialiste parisien de 1881 à 1885 : Diplôme d’Études supérieures de la Faculté des Lettres de Paris (dir. E. Labrousse), s. d., exempl. dactylogr. (p. 37, 41, 61, 79). — Le Parti ouvrier, 27 mai 1890. — Le Prolétariat, 31 mai 1890. Certains militants cités ont leur biographie dans le Dictionnaire « Internationale et Commune », vol. IV à IX. — Michel Offerlé, Les socialistes et Paris, 1881-1900. Des communards aux conseillers municipaux, thèse de doctorat d’État en science politique, Paris 1, 1979.

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